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Date: 20010824

Dossier: 2000-4443-GST-I

ENTRE :

LA BRASSERIE LABATT LIMITÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey

[1]      L'appelante fait appel d'une cotisation de taxe d'accise, établie conformément aux dispositions concernant la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ), dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) refusait la demande de l'appelante relativement aux cinquante pour cent restants du remboursement des crédits de taxe sur les intrants ( « CTI » ) parce que l'article 236 de la Loi avait pour effet de limiter l'admissibilité de l'appelante relativement aux CTI à cinquante pour cent pour la période de déclaration du 1er mai 1998 au 31 mai 1998.

Question en litige

[2]      Il s'agit de savoir si le paragraphe 236(1) de la Loi s'applique aux CTI pour la période du 1er mai 1994 au 31 mai 1998 qui ont été demandés par l'appelante dans la déclaration qu'elle a produite pour la période de déclaration du 1er mai 1998 au 31 mai 1998, relativement aux remboursements versés à certains de ses salariés pour les frais d'aliments, de boissons et de divertissements engagés, payés et reçus par eux.

[3]      Il n'est pas contesté que l'article 236 de la Loi s'applique aux frais engagés pour les aliments, les boissons et les divertissements par l'appelante directement et par les salariés au profit desquels l'appelante a versé une indemnité. Cet appel vise les frais remboursés aux salariés qui les ont engagés pour leurs aliments, boissons et divertissements.

Faits

[4]      Les parties ont convenu d'un énoncé des faits qui a été déposé sous la cote A-1. L'énoncé est accompagné de quatre pièces que je ne reproduirai pas ici. Il comporte 17 paragraphes qui se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

1.          L'appelante exploite une entreprise de brasserie et de vente de bière (l' « entreprise » ) dans la province du Québec, et son siège social est sis au 50, avenue Labatt, à Lasalle (Québec).

2.          Pendant la période du 1er mai 1994 au 31 mai 1998 (la « période pertinente » ), dans le cours normal de ses affaires, l'appelante a commandé, payé et reçu des fournitures d'aliments, de boissons et de divertissements visées par le paragraphe 67.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR » ).

3.          Pendant la période pertinente, les salariés de l'appelante, dans le cadre de leurs fonctions, ont également commandé, payé et reçu des fournitures d'aliments, de boissons et de divertissements visées par le paragraphe 67.1(1) de la LIR.

4.          L'appelante a soit versé des indemnités, soit remboursé ses salariés pour les frais d'aliments, de boissons et de divertissements engagés par eux de la façon décrite au paragraphe 3 ci-dessus. Nous joignons aux présentes la pièce « A » , soit un exemple vierge de la note de frais utilisée par les salariés de l'appelante pour demander le remboursement de frais tels que ceux d'aliments, de boissons et de divertissements.

5.          Conformément à l'article 169 de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA » ), l'appelante avait le droit de demander des crédits de taxe sur les intrants relativement à la TPS versée sur les fournitures d'aliments, de boissons et de divertissements commandées par elle (les « CTI de l'employeur » ).

6.          En vertu de l'article 169 ainsi que des articles 174 et 175 de la LTA, l'appelante avait également le droit de demander des CTI relativement à la TPS versée par ses salariés à l'égard des frais d'aliments, de boissons et de divertissements visés soit par l'indemnité versée par l'appelante (les « CTI relatifs à l'indemnité » ), soit par un remboursement (les « CTI relatifs au remboursement » ).

7.          En vertu de l'article 236 de la LTA, tel qu'il s'applique à la période pertinente, après la fin de chaque exercice, l'inscrit devait rajouter dans le calcul de sa taxe nette 50 % du total des montants représentant chacun un CTI demandé dans une déclaration visant une période de déclaration de l'exercice relativement à la fourniture d'aliments, de boissons et de divertissements pour lesquels l'inscrit était l'acquéreur ou versait une indemnité.

8.          Conformément à une politique administrative (la « politique » ) de Revenu Canada (maintenant l'Agence des douanes et du revenu du Canada) établie dans le Mémorandum sur la TPS 400-3-3, au lieu de demander pendant l'année 100 % des CTI admissibles relativement aux aliments, boissons et divertissements et de rajouter dans le calcul de sa taxe nette 50 % des CTI demandés après la fin de leur exercice, un inscrit pouvait ne demander que 50 % des CTI admissibles pendant l'exercice et ne devoir rien rajouter après la fin de l'exercice.

9.          Pendant la période pertinente, l'appelante, se fiant à la politique, a demandé seulement 50 % des CTI de l'employeur, des CTI relatifs à l'indemnité et des CTI relatifs à un remboursement (dont les montants n'ont pas été vérifiés) que l'appelante croyait avoir le droit de demander pendant chaque exercice.

10.        Il n'est pas contesté que l'article 236 de la LTA s'appliquait pour limiter effectivement à 50 % les droits de l'appelante aux CTI de l'employeur et aux CTI relatifs à l'indemnité.

11.        Alors que l'appelante pensait au départ que l'article 236 de la LTA s'appliquait également aux CTI relatifs à un remboursement, elle a subséquemment conclu que, pendant la période pertinente, l'article 236 ne s'appliquait pas aux CTI relatifs à un remboursement.

12.        Par conséquent, dans sa déclaration de TPS pour la période de déclaration du 1er mai 1998 au 31 mai 1998, l'appelante a demandé un CTI de 210 442,99 $ (montant non vérifié), soit un montant égal aux 50 % restants de CTI relatifs à un remboursement à l'égard de la période pertinente pendant laquelle l'appelante pensait qu'elle y avait droit si l'article 236 de la LTA n'était pas applicable aux CTI relatifs à un remboursement. La déclaration de TPS/TVQ pour la période de déclaration du 1er mai 1998 au 31 mai 1998 ainsi que la lettre d'accompagnement de l'appelante en date du 30 juin 1998 sont annexées aux présentes sous la cote « B » .

13.        Par le biais d'un avis de cotisation no DGMET-885 en date du 26 octobre 1998 (la « cotisation » ), l'appelante s'est vu imposer la somme de 210 442,99 $ pour la période de déclaration du 1er mai 1998 au 31 mai 1998. Une copie de la cotisation est annexée aux présentes sous la cote « C » .

14.        Dans sa cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) refusait la demande de l'appelante relativement aux crédits de taxe sur les intrants ( « CTI » ) de 210 442,99 $ (soit le calcul par l'appelante des 50 % restants des CTI relatifs au remboursement) parce que l'article 236 de la LTA avait pour effet de limiter les droits de l'appelante relativement aux CTI relatifs au remboursement aux 50 % demandés à l'origine, ainsi qu'il en était pour les CTI de l'employeur et les CTI relatifs à l'indemnité.

15.        L'appelante a contesté la cotisation dans un avis d'opposition daté du 25 janvier 1999.

16.        Le ministre a ratifié la cotisation par avis de décision en date du 28 juillet 2000 (la « décision » ). Une copie de la décision est annexée aux présentes sous la cote « D » .

17.        Les parties conviennent que les CTI demandés par l'appelante dans l'appel ne constituent pas l'objet d'une admission, puisque les parties ont convenu qu'avant de se conformer à tout jugement définitif pouvant être rendu en faveur de l'appelante, le ministre aura l'occasion de vérifier, dans un délai raisonnable, chacune des demandes de CTI afin d'évaluer l'exactitude des montants déclarés par l'appelante.

Arguments de l'appelante

[5]      L'avocat de l'appelante a commencé son argumentation en résumant les trois situations possibles qui entraînent le paiement de la TPS pour les aliments, les boissons et les divertissements. Ces principes sont les suivants :

(1)      L'appelante engage des frais d'aliments, de boissons et de divertissements et en acquitte le coût. Dans cette situation, les parties conviennent que l'article 67.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « LIR » ) s'applique, et que l'article 236 de la Loi réduit les CTI demandés à cinquante pour cent (la récupération de cinquante pour cent);

(2)      L'appelante verse une indemnité à ses salariés, lesquels engagent alors des dépenses d'aliments, de boissons et de divertissements. Dans cette situation, les parties conviennent que l'article 67.1 de la LIR s'applique encore une fois, et que l'article 236 de la Loi réduit les CTI demandés à cinquante pour cent (la récupération de cinquante pour cent);

(3)      Les salariés de l'appelante engagent des dépenses d'aliments, de boissons et de divertissements que l'appelante rembourse ensuite. L'appelante soutient que l'article 67.1 de la LIR ne s'applique pas dans ce cas-là.

[6]      Le litige en cause dans le présent appel est lié à la troisième situation. L'avocat de l'appelante soutient que l'article 236 de la Loi, dans la version alors en vigueur, ne s'applique pas aux remboursements. Par conséquent, l'appelante a demandé les cinquante pour cent restants qu'elle n'avait pas demandés à l'égard des remboursements pour la période pertinente du 1er mai 1994 au 31 mai 1998.

[7]      Il est bon de rappeler que cent pour cent des CTI seraient normalement demandés en vertu des articles 169, 174 et 175 de la Loi, et que cinquante pour cent des dépenses engagées pour les aliments, boissons et divertissements sont remboursés à la fin de l'exercice conformément au paragraphe 236(1). Toutefois, une politique administrative permet aux contribuables de ne demander au départ que cinquante pour cent des frais d'aliments, de boissons et de divertissements, éliminant ainsi le besoin d'une récupération à la fin de l'année. L'appelante s'est fiée à cette politique et, croyant que le paragraphe 236(1) ne s'appliquait pas aux remboursements, elle a demandé les cinquante pour cent restants relativement à ces montants.

[8]      L'avocat de l'appelante a soutenu que l'interprétation des lois fiscales doit tenir compte du sens ordinaire des mots. En faisant cette affirmation, l'avocat a invoqué trois arrêts de la Cour suprême du Canada touchant la LIR : Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312 (94 DTC 6314), Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 (95 DTC 5551) et Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 (99 DTC 5669).

[9]      Dans la plus récente de ces trois décisions, la juge McLachlin a affirmé, dans l'affaire Shell, aux pages 641 et 642 (DTC : à la page 5676) :

Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée. [...]

Elle disait ensuite, à la page 643 (DTC : à la page 5676) :

En deuxième lieu, en mettant à tort l'accent sur la « réalité économique » , j'estime avec égards que la Cour d'appel fédérale s'est éloignée du libellé exprès du sous-al. 20(1)c)(i) et a tenu compte de considérations de principe étrangères qui, selon elle, étaient inhérentes à l'objet de la disposition. La Loi est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d'établir un équilibre entre d'innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite. [...]


Puis, à la page 644 (DTC: à la page 5677) :

[...] Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement. Les remarques incidentes formulées dans des arrêts antérieurs dont on peut dire qu'elles appuient un principe d'interprétation plus large et moins certain ont donc été supplantées par les arrêts que notre Cour a rendus depuis en matière fiscale. [...]

[10]     L'avocat a également cité MacMillan Bloedel Ltd. c. Canada (1re inst.), [1991] 1 C.F. 331 (3 TCT 5359) et La Reine c. La Maritime, compagnie d'assurance-vie, C.A.F., no A-67-99, 6 octobre 2000 (2000 G.T.C. 4157), en ce qui concerne la proposition selon laquelle la règle du sens ordinaire s'applique à la Loi. Dans l'affaire La Maritime, une des parties était une compagnie d'assurance-vie et l'enjeu du litige était de savoir si la TPS s'appliquait aux frais d'administration de placements qu'elle touchait à l'égard des fonds réservés qu'elle gérait en vertu des contrats d'assurance-vie à pension reportée.

[11]     À l'article 131 de la Loi, le fonds réservé est considéré comme une entité distincte aux fins de la Loi, mais rien d'autre. Le ministre a soutenu que certaines conclusions pouvaient être tirées ou que certaines inférences pouvaient être faites en vertu de la Loi à cause de cette disposition, notamment qu'il y avait une fourniture entre le fonds réservé et la compagnie d'assurance, qu'il y avait des frais prélevés pour cette fourniture, nommément les frais d'administration de placements, et qu'elle serait donc assujettie à la TPS.

[12]     Le juge d'appel Sharlow a conclu que l'article 131 de la Loi ne laissait pas entendre tout ce qu'affirmait le ministre, et que le libellé de l'article devait être interprété tel quel. Le paragraphe 29 de l'arrêt La Maritime se lit comme suit :

À mon avis, il n'existe donc aucun fondement juridique permettant d'interpréter l'article 131 comme laissant nécessairement entendre qu'un assureur qui crée un fonds réservé est réputé toucher des frais sur le fonds à l'égard de la gestion du fonds. Je ne vois rien dans l'article 131 qui exige ou qui permet que la Couronne considère les frais d'administration de placements comme autre chose que ce qu'ils sont réellement, soit, comme nous l'avons ci-dessus expliqué, la partie des recettes de la compagnie provenant des primes qui n'est pas conservée dans les fonds réservés.

[13]     L'avocat de l'appelante soutient que le paragraphe 236(1) s'applique aux situations où, soit l'inscrit est l'acquéreur d'aliments, de boissons ou de divertissements, soit l'inscrit paye une indemnité à l'égard des aliments, des boissons ou des divertissements. L'avocat a ensuite repris la définition d' « acquéreur » au paragraphe 123(1) de la Loi. Celle-ci se lit comme suit :

« acquéreur »

a)          Personne qui est tenue, aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b)          personne qui est tenue, autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

c)          si nulle contrepartie n'est payable pour une fourniture :

(i)          personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,

(ii)         personne à qui la possession ou l'utilisation d'un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

(iii)        personne à qui un service est rendu.

Par ailleurs, la mention d'une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l'acquéreur de la fourniture.

[14]     L'avocat affirme que, dans la première catégorie, l'appelante est l'acquéreur, à savoir qu'elle reçoit les aliments, boissons et divertissements directement. Quant à la deuxième catégorie, puisque l'appelante verse à ses salariés une indemnité pour les frais d'aliments, de boissons et de divertissements engagés par ceux-ci, l'avocat estime que l'appelante n'est pas l'acquéreur. À son avis, l'employé est l'acquéreur de la fourniture. Toutefois, d'après lui, l'indemnité est visée par le paragraphe 236(1). Pour la troisième catégorie, soit les remboursements par l'appelante à ses salariés, l'avocat a réitéré que l'appelante n'était pas l'acquéreur. Le paragraphe 236(1) ne prévoit pas la situation des remboursements et, de l'avis de l'avocat de l'appelante, cela porte un coup fatal à la position de l'intimée.

[15]     L'avocat de l'appelante a ensuite cité le paragraphe 175(1) de la Loi, lequel a été modifié en 1997. À toutes fins pratiques, ce paragraphe est essentiellement identique à ce qu'il était, et il se lit comme suit :


175(1) Dans le cas où une personne rembourse, relativement à un bien ou un service, un montant à l'un de ses salariés, à l'un de ses associés si elle est une société de personnes ou à l'un de ses bénévoles si elle est un organisme de bienfaisance ou une institution publique, qui a acquis ou importé le bien ou le service, ou l'a transféré dans une province participante, pour consommation ou utilisation dans le cadre des activités de la personne et payé la taxe applicable à l'acquisition, à l'importation ou au transfert, les présomptions suivantes s'appliquent dans le cadre de la présente partie :

a)          la personne est réputée avoir reçu une fourniture du bien ou du service;

b)          toute consommation ou utilisation du bien ou du service par le salarié, l'associé ou le bénévole dans le cadre des activités de la personne est réputée être celle de la personne et non celle de ceux-ci;

c)          la personne est réputée avoir payé, au moment du remboursement et relativement à la fourniture, une taxe égale au résultat du calcul suivant :

A X B

A          représente la taxe payée par le salarié, l'associé ou le bénévole relativement à l'acquisition, à l'importation ou au transfert dans une province participante du bien ou du service,

B          le moins élevé des pourcentages suivants :

(i)          le pourcentage du coût du bien ou du service pour le salarié, l'associé ou le bénévole qui est remboursé,

(ii)         le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle le bien ou le service a été acquis, importé ou transféré dans la province par le salarié, l'associé ou le bénévole pour consommation ou utilisation dans le cadre des activités de la personne.


[16]     L'avocat de l'appelante soutient que l'article 175 signifie trois choses :

·         que l'employeur qui verse le remboursement a reçu une fourniture;

·         que la consommation par le salarié est la consommation de l'employeur;

·         que l'employeur a versé une taxe calculée suivant une formule.

[17]     À son avis, la raison d'être de l'article 175, laquelle, selon lui, est confirmée par les Notes explicatives, est de permettre à l'employeur de demander des CTI conformément au paragraphe 169(1). Il a mentionné les mots « la taxe devient payable par la personne ou est payée par elle » au paragraphe 169(1), lequel prévoit ensuite que, dans ces circonstances, on peut demander un CTI en fonction de la formule établie dans la mesure où le bien a été utilisé dans le cadre d'activités commerciales. Par conséquent, l'avocat affirme que les articles 174 et 175, dont le libellé est comparable, avaient pour seul but de permettre à une personne de demander des CTI conformément au paragraphe 169(1). Il raisonne également que, sans les articles 174 et 175, l'appelante n'aurait pu demander de CTI qu'à l'égard des frais d'aliments, de boissons et de divertissements directement engagés par elle.

[18]     En outre, l'avocat de l'appelante affirme que le paragraphe 236(1) s'applique chaque fois que le paragraphe 67.1(1) de la LIR s'applique. Il soutient que les opérations réputées résultant des articles 174 et 175 de la Loi n'existent pas aux fins de l'article 67.1 de la LIR. Par ailleurs, les remboursements ne sont pas compris au paragraphe 236(1). L'avocat a ensuite renvoyé la Cour au paragraphe 236(1), modifié par L.C. 2000, ch. 30, art. 64, applicable après le 8 octobre 1998, qui mentionne maintenant une indemnité et un remboursement.

[19]     Retournant à la définition du mot « acquéreur » au paragraphe 123(1), l'avocat a mentionné l'argument de l'intimée selon lequel les derniers mots élargissent la portée de la définition. D'après le ministre, l'acquéreur comprend toute personne dont il est réputé qu'elle a reçu la fourniture ou au profit de laquelle une fourniture est effectuée. L'avocat de l'appelante soutient que cette affirmation est invalide, car elle se substitue aux alinéas a) à c) en les rendant superflus. Autrement dit, la position de l'intimée serait qu'un simple renvoi à une personne qui reçoit une fourniture fait que cette personne est réputée être un acquéreur. L'avocat affirme que l'argument de l'intimée a été rejeté dans l'affaire Commission Scolaire Des Chênes c. La Reine, [2000] A.C.I. no 71 (C.C.I.), qui a été portée en appel (date d'audience prévue pour le 12 septembre 2001). À son avis, la Cour a conclu que les derniers mots de la définition ne créent pas de présomption en ce qui concerne un acquéreur et qu'il faut tout de même consulter les alinéas a) à c) pour arriver à une détermination. L'avocat s'est également reporté aux Notes explicatives pour justifier son affirmation que les derniers mots ne se substituent pas aux alinéas a) à c).

[20]     L'avocat soutient qu'en vertu du paragraphe 175(1) de la Loi l'appelante n'est pas réputée être un acquéreur ou réputée avoir versé une contrepartie pour une fourniture. Il affirme que ce paragraphe s'applique seulement et clairement aux demandes de CTI et ne crée de présomptions qu'à l'égard des éléments nécessaires pour le paragraphe 169(1). Cette interprétation, dit-il, est clairement justifiée par les Notes explicatives concernant le paragraphe 175(1).

[21]     L'avocat de l'appelante a évoqué l'argument du ministre qu'il coule de source que l'appelante est l'acquéreur parce qu'elle est réputée, en vertu du paragraphe 175(1), avoir reçu une fourniture. L'avocat a de nouveau renvoyé la Cour à l'affaire La Maritime, qui traitait de l'article 131 de Loi. À son avis, la Cour a conclu que cet article ne pouvait être considéré comme établissant une présomption qui va plus loin que ne le permet son libellé. Aux paragraphes 21 et 23, le juge d'appel Sharlow affirme :

La Couronne dit que cette disposition crée une fiction légale uniquement aux fins de la TPS. Elle a sans aucun doute raison, mais il s'agit de savoir jusqu'où va cette fiction juridique. La Couronne voit dans l'article 131 un certain nombre de conséquences qui ne sont pas énoncées. Le principal point qui est ici en litige se rapporte à la question de savoir si ces conséquences s'entendent nécessairement de l'article 131.

[...]

Il semblerait que l'effet combiné de ces deux dispositions soit le suivant : si la compagnie reçoit une chose qui pourrait être considérée comme une contrepartie parce que la compagnie agit à titre de fiduciaire de la fiducie réputée, la TPS serait payable à l'égard de cette contrepartie. Toutefois, la Couronne ne soutient pas, et ne pourrait pas soutenir, que le paragraphe 267.1(5) s'applique aux faits de la présente espèce, parce que la fiducie réputée existe uniquement aux fins de la TPS. Il n'y a aucune disposition contractuelle ou autre qui puisse être interprétée comme une disposition par laquelle, en sa qualité de fiduciaire, la compagnie touche une contrepartie. Il n'y a pas non plus de disposition de la Loi sur la taxe d'accise en vertu de laquelle la compagnie est réputée avoir reçu à l'égard de ses fonds réservés une contrepartie qui serait visée par le paragraphe 267.1(5). À coup sûr, la disposition déterminative figurant à l'article 131 ne peut pas être interprétée d'une façon aussi large.


L'avocat de l'appelante a expliqué que cette conclusion devait s'appliquer au présent appel et que l'article 175 devait être pris au pied de la lettre. Il soutient que les seules présomptions qui devraient en découler sont celles qui sont mentionnées explicitement par son libellé.

[22]     En outre, l'avocat estime qu'il ne peut y avoir qu'un seul acquéreur par fourniture. Dans la présente affaire, il n'y a pas de fourniture dont l'appelante était l'acquéreur en dehors des fournitures qu'elle a directement reçues elle-même.

[23]     Il affirme d'autre part que le ministre est d'accord avec son argument que l'article 236 comprend les remboursements, ce qui rend la mention d'une indemnité redondante. L'avocat a ensuite cité Morguard Properties Ltd. c. La Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, concernant la proposition que les tribunaux doivent essayer d'attribuer un sens à chaque mot utilisé par le législateur dans une loi. À la page 504, le juge Estey affirme :

[...] Il faut attribuer un sens au mot « niveau » , sinon il est de trop et, selon les principes d'interprétation des lois, les tribunaux donnent, autant que possible, un sens à tous les mots que le législateur a employés dans la loi. [...]

[24]     L'avocat de l'appelante soutient que le mot « acquéreur » est utilisé à l'article 165 pour déterminer qui doit payer la taxe. Les articles 175 et 169 ne changent rien à cela et, en fait, ils sont orientés sur une autre fin, à savoir, déterminer qui peut demander un CTI si une autre personne a payé la taxe.

Arguments de l'intimée

[25]     L'avocat de l'intimée affirme que son argumentation est simple et que l'appel peut être tranché en déterminant si une personne qui est réputée avoir reçu une fourniture est une personne au profit de laquelle une fourniture a été effectuée, et donc, un acquéreur.

[26]     L'avocat soutient que les derniers mots de la définition d' « acquéreur » doivent s'appliquer au texte entier de la Loi. D'après lui, quoi qu'il en soit, si une personne tombe dans l'une des catégories définies aux alinéas a), b) ou c), chaque fois que mention est faite dans la Loi d'une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée, cette personne doit être considérée comme un acquéreur. D'autre part, il suggère que l'expression figurant dans les derniers mots de la définition n'est pas figée, et que toute combinaison similaire suffira. Il affirme qu' « une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée » est un concept, et que toute référence générale à une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée ou à une personne qui a reçu la fourniture est suffisante pour qualifier une personne à titre d'acquéreur. L'avocat de l'intimée convient cependant que les Notes explicatives prévoient que les derniers mots de la définition ne se rapportent qu'à l'alinéa c).

[27]     L'avocat a ensuite renvoyé la Cour à l'équivalent français utilisé pour le mot anglais « recipient » (qui signifie aussi bénéficiaire, destinataire), soit « acquéreur » . En premier lieu, il note qu'un point sépare l'alinéa c) du dernier passage. En deuxième lieu, il signale que le dernier passage commence par l'expression « par ailleurs » , ce qui entend un ajout ou une opposition.

[28]     L'avocat de l'intimée soutient que le libellé du paragraphe 169(1) fait référence à un acquéreur. Par conséquent, il affirme qu'une personne qui n'est pas un acquéreur ne peut demander de CTI en vertu de l'article 169. L'avocat a ensuite soutenu que l'article 175 de la Loi n'opère pas une présomption que l'employeur est l'acquéreur, mais qu'il n'est pas nécessaire, à son avis, de présumer une telle chose. En établissant une présomption à l'effet qu'une personne a reçu une fourniture, l'article 175 renvoie à une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée et qui, en tant que telle, est l'acquéreur. Il affirme que, même si l'article 175 n'opère pas présomption que l'employeur est un acquéreur, le ministre a toujours gain de cause, parce que l'appelante n'aurait pas pu demander de CTI pour commencer si elle n'avait pas été l'acquéreur.

[29]     Après avoir entrepris d'évaluer d'autres articles de la Loi à la lumière de l'argument de l'appelante selon lequel le législateur, lorsqu'il veut établir des présomptions à l'égard d'acquéreurs le fait en termes explicites, l'avocat de l'intimée affirme que cela contredit la façon dont la Loi fonctionne.

[30]     L'avocat a ensuite essayé d'expliquer pourquoi l'article 236 contient les mots redondants « ou verse une indemnité » , puisque l'appelante est réputée l'acquéreur en vertu des articles 174 et 175. L'avocat a suggéré que les articles 174 et 175 n'ont pas toujours été libellés de façon similaire comme c'est le cas maintenant. D'après lui, le libellé initial de l'article 174 nécessitait l'inclusion du mot « indemnité » à l'article 236. Ce libellé a ensuite été modifié rétroactivement en raison de l'introduction de la TPS. Plusieurs modifications ont été apportées aux articles 174 et 175, et la référence au mot « indemnité » à l'article 236 a été préservée.

[31]     Il ajoute que, dans un monde parfait, on pourrait attribuer un sens à tous les mots. Toutefois, si on faisait cela en l'espèce, on déformerait l'intention du législateur. Citant Ruth Sullivan dans l'ouvrage Construction of Statutes, l'avocat a fait la distinction entre les vides juridiques et les fautes de rédaction. Il affirme que la Cour est impuissante face à un vide juridique, mais qu'en cas de simple faute de rédaction, il est acceptable d'éliminer la phrase ou le mot dénué de sens.

[32]     L'avocat de l'intimée admet que l'affaire Commission Scolaire Des Chênes est contraire à sa position. Il affirme toutefois que ces remarques étaient incidentes. L'avocat a alors affirmé qu'il n'avait pas trouvé les motifs en français et que le juge n'avait peut-être pas regardé la version française de la définition du terme « acquéreur » , où le dernier passage est séparé de l'alinéa c) par un point. (Il faut noter que les motifs du jugement ont été rédigés en français, et que la version anglaise est une traduction.)

[33]     L'avocat affirme ensuite que l'argument de l'appelante selon lequel les articles 174 et 175 créent des fournitures artificielles qui ne sont pas visées par l'article 67.1 de la LIR et que l'article 236 ne pouvait pas s'appliquer aux seuls remboursements est dénué de sens et que le législateur ne pouvait avoir eu ce résultat à l'esprit.

Argument de l'appelante en réponse

[34]     L'avocat de l'appelante affirme qu'aucune distorsion n'est nécessaire, et que la Cour devrait se contenter de lire l'article 236 et de l'appliquer tel quel. Selon lui, si l'intimée n'a pas réussi à établir que l'appelante était l'acquéreur, cette dernière a gain de cause en ce qui concerne l'article 236.

[35]     L'avocat réfute l'argument de l'intimée selon lequel le dernier passage de la définition d' « acquéreur » serait très souple et s'appliquerait à un certain nombre d'expressions à part celle qui se trouve dans le dernier passage. Il affirme qu'on ne peut considérer une disposition de la Loi en présumant automatiquement qu'une personne est l'acquéreur dès que certains mots s'y trouvent. Il soutient que la présente cour avait rejeté cette opinion dans l'affaire Des Chênes, et que la remarque n'était pas incidente.

[36]     L'avocat déclare qu'il revient au législateur de rectifier ce qui est perçu comme un problème et que, d'ailleurs, celui-ci a modifié l'article 236 pour y inclure la mention de remboursements.

Analyse :

[37]     La question en litige est de savoir si l'appelante est visée par l'article 236 de la Loi dans sa version en vigueur à l'époque relativement aux montants remboursés à ses salariés pour les aliments, les boissons et les divertissements à l'égard desquels elle demande l'intégralité des CTI.

[38]     Le paragraphe 236(1) se lit comme suit pour la période pertinente :

236(1) Lorsqu'un inscrit est l'acquéreur d'une fourniture de divertissements, d'aliments ou de boissons, ou verse une indemnité relative à une telle fourniture, et que le paragraphe 67.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique à la fourniture ou à l'indemnité, ou s'y appliquerait si l'inscrit était un contribuable aux termes de cette loi, un montant correspondant à 50 % du total des montants représentant chacun un crédit de taxe sur les intrants demandé, relativement à la fourniture ou à l'indemnité, dans une déclaration visant une période de déclaration de l'exercice de l'inscrit est ajouté dans le calcul de la taxe nette pour la période suivante :

a)          dans le cas où l'inscrit cesse au cours ou à la fin de cet exercice d'être inscrit aux termes de la sous-section d, sa dernière période de déclaration de cet exercice;

b)          dans le cas où la période de déclaration de l'inscrit de cet exercice correspond à cet exercice, cette période;

c)          dans les autres cas, la période de déclaration de l'inscrit qui commence immédiatement après la fin de cet exercice.

L'appel est né de l'omission d'inclure le mot « remboursement » dans la disposition ci-dessus ou, subsidiairement, des termes redondants « ou verse une indemnité » .


[39]     Ce problème émane de la troisième des trois situations possibles :

(1)      l'appelante engage directement des frais d'aliments, de boissons et de divertissement;

(2)      l'appelante verse une indemnité à ses salariés, lesquels engagent alors des frais d'aliments, de boissons et de divertissements;

(3)      les salariés de l'appelante engagent des frais d'aliments, de boissons et de divertissements que l'appelante rembourse ensuite.

[40]     L'appelante n'aurait pas pu demander de CTI en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi dans les deuxième et troisième situations s'il n'en était des articles 174 et 175 de la Loi. Les articles 174 et 175 sont très similaires, sauf que le premier parle d'indemnités et le deuxième de remboursements. Les Notes techniques (juillet 1997) portant sur ces articles peuvent nous aider à mieux comprendre leur visée :

L'article 174 a pour objet de permettre à une personne - employeur, société de personnes, organisme de bienfaisance ou institution publique - de demander un crédit de taxe sur les intrants ou un remboursement relativement aux indemnités versées pour certaines dépenses dans la même mesure qu'elle aurait pu le faire si elle avait engagé les dépenses directement. [...]

En ce qui concerne l'article 175 :

[...] Cette disposition a pour objet de permettre à la personne de demander un crédit de taxe sur les intrants ou un remboursement relativement aux dépenses remboursées dans la même mesure qu'elle l'aurait fait si elle avait engagé les dépenses directement. [...]

[41]     Dans ces dispositions, trois choses sont réputées :

(1)      l'employeur est réputé avoir reçu une fourniture;

(2)      la consommation par le salarié est réputée être la consommation de l'employeur;

(3)      l'employeur est réputé avoir versé une taxe calculée suivant une formule.

Il reste à la Cour à déterminer, toutefois, si, en vertu des articles 174 et 175 ainsi que de la définition du mot « acquéreur » au paragraphe 123(1), l'appelante est réputée être l'acquéreur. La définition d' « acquéreur » est libellée comme suit :

« acquéreur »

a)          Personne qui est tenue, aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b)          personne qui est tenue, autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

c)          si nulle contrepartie n'est payable pour une fourniture :

i)           personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,

ii)          personne à qui la possession ou l'utilisation d'un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

iii)          personne à qui un service est rendu.

Par ailleurs, la mention d'une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l'acquéreur de la fourniture.

Les avocats des deux parties ont traité de l'importance devant être attribuée au dernier passage de la définition. Rappelons que les derniers mots de la version anglaise de la définition sont libellés comme suit :

(iii) in the case of a supply of a service, the person to whom the service is rendered,

and any reference to a person to whom a supply is made shall be read as a reference to the recipient of the supply;

[42]     Bien que les mots « personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée » semblent se rapporter aux concepts abordés aux sous-alinéas 123(1)c)(i) à (iii), le point inséré dans la version française semble indiquer que les derniers mots visent toute la définition. Il est intéressant de noter que les Notes techniques (février 1993) indiquent que les derniers mots se rapportent à l'alinéa c) de la définition.

[TRADUCTION]

[...] En outre, lorsque nulle contrepartie n'est payable pour une fourniture, la définition vient préciser le sens de l'expression « personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée » dans la version actuelle de la définition. Elle y précise également que, lorsque cette dernière expression est utilisée ailleurs dans la partie IX de la Loi ou aux annexes V, VI ou VII, elle ne vise que l'acquéreur de la fourniture, conformément à la définition de ce terme, au paragraphe 123(1).

[43]     Dans la décision Commission Scolaire Des Chênes, la juge Lamarre Proulx a émis une interprétation similaire relativement au dernier passage du paragraphe 28 de ses motifs du jugement, sans tenir compte du point qui sépare ces mots de l'alinéa c) dans la version française de la définition.

La dernière phrase de la définition est quelque peu ambiguë. Modifie-t-elle la définition d' « acquéreur » par personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée, quand ces mots se retrouvent dans la Loi, ou renvoie-t-elle tout simplement à la définition d'acquéreur? Il est à noter que la description du « service consistant à assurer le transport d'un élève » à l'article 5 de la Partie III de l'Annexe V de la Loi utilise exactement cette même expression : La fourniture, effectuée par une administration scolaire au profit d'un élève. Selon la Note explicative du projet de Loi C-112, février 1993, cette expression, lorsqu'elle est utilisée ailleurs dans la Partie IX de la Loi ou aux Annexes V, VI ou VII, ne vise que l'acquéreur de la fourniture conformément à la définition de ce terme au paragraphe 123(1) de la Loi. Je crois que c'est ainsi qu'il faille interpréter cette phrase car pour lui donner l'ampleur de modifier en quelque sorte la définition d'acquéreur, il faudrait que cette phrase soit dans un alinéa particulier à la définition d'acquéreur et non pas dans l'alinéa concernant le cas où nulle contrepartie n'est payable pour une fourniture. Il demeure donc à déterminer si une contrepartie a été versée à l'appelante pour le service de transport.

[44]     L'avocat de l'intimée estime que le dernier passage ne se rapporte pas seulement à la définition tout entière, mais que toute mention des mots « personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée » ou de mots ayant une portée similaire devrait être remplacée par le mot « acquéreur » . Si l'on acceptait cette interprétation, la Loi s'en trouverait déformée, et les alinéas a) à c) de la définition deviendraient superflus et redondants. Toute personne qui serait visée par l'un des articles de la Loi deviendrait automatiquement acquéreur aux fins de la Loi et donc assujettie au paiement de la taxe en vertu de l'article 165. Ce n'est certainement pas dans cet esprit que le législateur a rédigé la définition d' « acquéreur » au paragraphe 123(1) de la Loi.

[45]     Le concept d' « acquéreur » est pertinent pour déterminer qui est responsable du paiement de la taxe en vertu du paragraphe 165(1) de la Loi et n'a rien à voir avec la demande de CTI en vertu du paragraphe 169(1). Le paragraphe 169(1) n'exige en rien que le demandeur de CTI soit un « acquéreur » . Bien que la Cour ait pu formuler cette hypothèse dans d'autres décisions[1], elle ne s'est jamais prononcée sur ce point précis. C'est une façon de reconnaître que la personne qui demande les CTI n'est pas toujours la personne qui a effectivement payé la taxe sur la fourniture. D'autre part, dans l'affaire Les Immeubles Sansfaçon Inc. (précitée), mon confrère le juge Tardif a conclu qu'il ne pouvait y avoir deux acquéreurs d'après la définition de ce terme.

[46]     Dans le présent appel, les acquéreurs de fourniture dans les deuxième et troisième situations traitant d'indemnités et de remboursements sont clairement les salariés. En plus de payer pour la fourniture, ils l'ont reçue et l'ont consommée. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on peut se reporter aux articles 174 et 175 et constater que le législateur voulait que l'employeur puisse demander des CTI relativement à ces fournitures en créant la présomption à l'effet que trois événements spécifiques se soient produits, sans jamais présumer que l'employeur est l'acquéreur. Si l'on présumait que l'employeur est l'acquéreur, cela aurait pour conséquence absurde de le rendre responsable de verser la taxe en vertu du paragraphe 165(1), alors que les salariés ont déjà payé cette taxe.

[47]     Après avoir conclu que l'appelante n'est pas l'acquéreur en vertu des articles 174 et 175 ou de la définition d' « acquéreur » au paragraphe 123(1), nous aborderons maintenant l'article 236. L'avocat de l'intimée a passé beaucoup de temps à expliquer pourquoi l'article 236 est libellé comme il l'est, la raison étant que les articles 174 et 175 avaient à l'origine un libellé différent. Quel que soit le libellé antérieur de ces dispositions, elles ont été révisées par la suite, et le paragraphe 236(1) aurait pu être modifié en conséquence. J'ajoute que l'article a été modifié par L.C. 2000, ch. 30, art. 64, applicable pour les périodes de déclaration se terminant après le 8 octobre 1998. Il est ironique, mais non déterminant[2], qu'au lieu de modifier la disposition en éliminant la mention redondante d'indemnité, comme le dit le ministre, le législateur ait choisi de laisser la notion d'indemnité et d'y ajouter celle de remboursement.

[48]     Le sens clair et net de cet article, dans sa version d'alors, dit : « Lorsqu'un inscrit est l'acquéreur [...], ou verse une indemnité relative à une telle fourniture » . Ce libellé limite clairement les CTI pour les aliments, boissons et divertissements à cinquante pour cent relativement aux acquéreurs et aux indemnités versées.

[49]     Dans le Mémorandum sur la TPS 400-3-11 - Indemnités et remboursements (7 février 1992), les indemnités et remboursements sont définis et distingués l'un de l'autre comme suit au paragraphe 7 :

Une indemnité consiste en tout versement régulier ou autre paiement qu'un salarié ou un associé reçoit de son employeur ou de sa société de personnes, en plus de sa rémunération ou de son salaire, sans avoir à rendre compte de son utilisation.    Il ne faut pas confondre l'indemnité avec le remboursement des dépenses réelles qui sont engagées par un salarié ou un associé

[50]     C'est une règle de droit bien connue qu'une indemnité et un remboursement ne sont pas la même chose. Ce ne sont pas des synonymes. Dans l'affaire La Reine c. Pascoe, [1976] 1 C.F. 372 (75 DTC 5427), le juge Pratte a fait la distinction entre indemnité et remboursement comme suit à la page 374 (DTC : à la page 5428) :

[...] Selon nous, une allocation est une somme d'argent limitée et déterminée à l'avance, versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à certains types de dépenses; sa quotité est établie à l'avance et celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à rendre à personne. Un versement effectué pour satisfaire à une obligation d'indemniser ou de rembourser quelqu'un ou de le défrayer de dépenses réellement engagées n'est pas une allocation; il ne s'agit pas en effet d'une somme susceptible d'être affectée par celui qui la touche, à sa discrétion, à certains types de dépenses.

[51]     Dans le présent appel, les remboursements ont été omis, soit par mégarde, soit intentionnellement et, si l'on considérait que le législateur avait implicitement l'intention de les inclure, ce serait contraire au sens simple et clair de cette disposition. Je souscris aux observations du juge Major dans l'affaire Friesen, aux pages 113 et 114 (DTC : à la page 5553) :


J'accepte les commentaires suivants qui ont été faits à l'égard de l'arrêt Antosko dans l'ouvrage de P.W. Hogg et J.E. Magee, intitulé Principles of Canadian Income Tax Law (1995), dans la section 22.3c) [TRADUCTION] « Interprétation stricte et fondée sur l'objet visé » , aux pp. 453 et 454;

[TRADUCTION] La Loi de l'impôt sur le revenu serait empreinte d'une incertitude intolérable si le libellé clair d'une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions tacites tirées de la conception qu'un tribunal a de l'objet de la disposition. [...] [L'arrêt Antosko] ne fait que reconnaître que « l'objet » ne peut jouer qu'un rôle limité dans l'interprétation d'une loi aussi précise et détaillée que la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsqu'une disposition est rédigée dans des termes précis qui n'engendrent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet. Ce n'est que lorsque le libellé de la loi engendre un certain doute ou une certaine ambiguïté, quant à son application aux faits, qu'il est utile de recourir à l'objet de la disposition.


Décision

[52]     Pour les motifs ci-dessus, l'appel est accueilli, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, puisque l'appelante a droit à l'intégralité (cent pour cent) du crédit de taxe sur les intrants (CTI) à l'égard des frais d'aliments, de boissons et de divertissements engagés par les salariés ayant reçu le remboursement de leurs dépenses réelles à cet égard, sauf que le ministre aura l'occasion de vérifier, dans un délai raisonnable, chacune des demandes de ces types de CTI afin d'évaluer l'exactitude du montant déclaré par l'appelante.

Signé à Edmonton (Alberta), ce 24e jour d'août 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4443(GST)I

ENTRE :

LA BRASSERIE LABATT LIMITÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 21 juin 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions

Avocats de l'appelante :                       Me Thomas B. Akin

                                                          Me Jason Vincze

Avocats de l'intimée :                          Me Michael Ezri

                                                          Me Harry Erlichman

JUGEMENT MODIFIÉ

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis porte le numéro DGMET-885 et est daté du 26 octobre 1998, est accueilli, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, puisque l'appelante a droit à l'intégralité (cent pour cent) du crédit de taxe sur les intrants (CTI) à l'égard des frais d'aliments, de boissons et de divertissements engagés par les salariés ayant reçu le remboursement de leurs dépenses réelles à cet égard, sauf que le ministre aura l'occasion de vérifier, dans un délai raisonnable, chacune des demandes de ces types de CTI afin d'évaluer l'exactitude du montant déclaré par l'appelante, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           163410 Canada Inc. c. La Reine, C.C.I., no 97-1752(GST)I, 23 septembre 1998 ([1999] G.S.T.C. 44), Les Immeubles Sansfaçon Inc. c. La Reine, C.C.I., no 1999-203(GST)I, 15 septembre 2000 (2001 G.T.C. 279).

[2]           États-Unis d'Amérique c. Dymar, [1997] 2 R.C.S. 462.

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