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Date: 20020522

Dossier: 2001-1614-EI

ENTRE :

ERIC BABINEAU S/N BABINEAU KITCHEN CABINETS,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Savoie, C.C.I.

[1]      Le présent appel est interjeté à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) selon laquelle le travailleur, Marcel Babineau, n'exerçait pas un emploi assurable pour l'appelant au cours des périodes allant du 29 juin au 20 novembre 1998, du 14 juin au 3 décembre 1999 et du 1er mai au 8 décembre 2000 (les « périodes en cause » ).

[2]      Le ministre a informé le travailleur ainsi que l'appelant de sa décision voulant que le travailleur n'ait pas exercé un emploi assurable pour l'appelant durant les périodes en cause, au motif que l'emploi était un emploi exclu, étant donné que l'employeur et l'employé avaient entre eux un lien dépendance au sens de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[3]      L'appel a été entendu à Moncton (Nouveau-Brunswick) le 11 mars 2002.

[4]      Le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes pour rendre sa décision :

[TRADUCTION]

a)          l'appelant est le propriétaire exclusif d'une entreprise d'ébénisterie;

b)          il fait également des travaux de rénovation;

c)          il exerce ses activités toute l'année, dans la mesure où le travail est assez abondant;

d)          le travailleur est le fils de l'appelant;

e)          le travailleur travaille pour l'appelant en qualité d'aide-charpentier depuis 1996 environ;

f)           le travailleur n'était pas un charpentier autorisé;

g)          les tâches du travailleur consistaient à aller chercher les fournitures et les charpentes ainsi qu'à sabler les armoires de cuisine et à en effectuer la finition;

h)          le travailleur recevait la rémunération hebdomadaire suivante, calculée en fonction de 40 heures de travail :

            (i) 450 $ pendant toute l'année 1998 et pendant l'année 1999 jusqu'au 6 septembre;

            (ii) 530 $ à compter du 6 septembre 1999 et pendant toute l'année 2000;

i)           le salaire horaire moyen des manoeuvres appartenant aux corps de métier du secteur de la construction dans la région s'établissait à 9,50 $ en 1999 et à 10,47 $ en 2000;

j)           au cours des périodes en cause, le salaire horaire du travailleur - 11,25 $ et 13,25 $ - était plus élevé que le salaire moyen versé sur le marché du travail dans la région;

k)          la rémunération du travailleur était trop élevée compte tenu de ses tâches et de ses qualifications;

l)           la rémunération du travailleur a augmenté de 17,7 % en 1999, ce qui était très supérieur à la hausse moyenne des salaires au Canada pour la même année, soit 2,2 %;

m)         la rémunération du travailleur a été haussée parce qu'il avait fait l'acquisition d'une maison;

n)          le travailleur a travaillé en dehors des périodes en cause sans être rémunéré;

o)          le travailleur et l'appelant sont liés au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

p)          le travailleur et l'appelant avaient entre eux un lien de dépendance;

q)          compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que le travailleur et l'appelant auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[5]      L'appelant a admis les hypothèses a) à j), m) et o). Il a rejeté les hypothèses p) et q) et ne s'est pas prononcé sur l'hypothèse l).

[6]      En ce qui a trait aux hypothèses k), m) et n), l'appelant a déclaré lors de son témoignage que son fils avait menacé de cesser de travailler pour lui si sa rémunération n'était pas majorée. Il a déclaré que son fils méritait l'argent additionnel et que lui-même ne voulait pas qu'il cesse de travailler pour lui. Il a admis que l'acquisition d'une maison était un facteur expliquant la hausse mais a ajouté que son fils était plus qualifié qu'au départ et qu'il assumait de plus grandes responsabilités. Il a admis également que Marcel avait fait des travaux non rémunérés en dehors des périodes en cause. Il ressort de son témoignage que le fils construisait un logement dans la résidence du père, c'est-à-dire le payeur; il utilisait le camion de son père pour transporter des matériaux destinés soit à ce dernier, soit à lui-même, et ce, sans être rétribué. Le payeur acquittait toutes les dépenses reliées au camion que le fils utilisait pour le transport de matériaux destinés à l'un ou à l'autre.

[7]      M. G. E. Williams, agent des appels de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), a fondé sa recommandation au ministre principalement sur trois motifs. D'abord, la hausse de rémunération accordée au travailleur en 1999 était très supérieure à la hausse moyenne de 2,2 % enregistrée au Canada cette année-là. Les chiffres mentionnés par l'agent des appels au cours de son témoignage n'ont pas été contestés par l'appelant, qui a d'ailleurs admis leur exactitude lors de l'audience.

[8]      Ensuite, de l'avis de M. Williams, le fait que les conditions d'emploi convenues entre le payeur et le travailleur ne prévoyaient pas de congés payés représentait un autre facteur étayant la conclusion du ministre.

[9]      Enfin, il estimait que les travaux non rémunérés effectués par le travailleur pour le payeur en dehors des périodes d'emploi représentaient une somme de travail importante. Ce fait a été admis en partie par l'appelant lors de l'audience. Plus important encore, il est étayé par les documents reçus en preuve (pièces I-1 à I-6).

[10]     C'est à l'appelant qu'il incombe de réfuter les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre a fondé sa décision. Dans la mesure où elles ne sont pas réfutées, ces hypothèses sont réputées être admises par l'appelant (se reporter à l'affaire Elia c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1998] A.C.F. no 316). En l'espèce, l'appelant ne s'est pas acquitté de cette charge.

[11]     Le témoignage de l'appelant lors de l'audience n'a pas sérieusement remis en question le bien-fondé de la décision du ministre, même eu égard aux seules hypothèses de fait de ce dernier.

[12]     L'intervention de la Cour est justifiée uniquement dans les circonstances où la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve. Le devoir ainsi que la compétence et les pouvoirs de notre cour sont fort bien exposés par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. (1997) 215 N.R. 352. Les extraits suivant de cet arrêt sont particulièrement pertinents sur ce point ainsi qu'au regard de la question que doit trancher la Cour en l'espèce :

[...] La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre: (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[...]

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge serait arrivé à une conclusion différente selon la balance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un vice qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la balance des probabilités.

[13]     On soutient dans l'arrêt Jencan, précité, que notre cour est justifiée de modifier une décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) uniquement s'il est établi que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi.

[14]     Après avoir examiné la preuve, je ne vois rien qui puisse m'amener à croire que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou pour un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige la Loi; (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[15]     Les critères justifiant l'examen de la décision du ministre, énoncés dans l'arrêt Jencan, précité, ne sont pas remplis. De fait, l'appelant n'a pas justifié que l'on entame la deuxième étape de l'analyse dont il est question dans l'arrêt Jencan, c'est-à-dire l'étape où la Cour doit établir si la preuve était suffisante pour justifier la décision du ministre.

[16]     En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 22e jour de mai 2002.

« S.J. Savoie »

J.S.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :       2001-1614(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Eric Babineau s/n Babineau Kitchen Cabinets

et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Moncton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 11 mars 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge suppléant S.J. Savoie

DATE DU JUGEMENT :                    le 22 mai 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Pour l'intimé :                            Me Philippe Dupuis

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                   Nom :          

                   Étude :                  

Pour l'intimé :                            Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

2001-1614(EI)

ENTRE :

ERIC BABINEAU S/N BABINEAU KITCHEN CABINETS,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 11 mars 2002 à Moncton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge suppléant S. J. Savoie

Comparutions

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :                             Me Philippe Dupuis

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 22e jour de mai 2002.

« S.J. Savoie »

J.S.C.C.I.


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