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Date: 20011105

Dossier: 1999-3815-IT-G

ENTRE :

DANIEL RAMNARINE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            La requête de l'appelant touche les points suivants :

(1)            Une ordonnance en vertu de la règle 143 ou conformément à la juridiction inhérente de la Cour décrétant que les dépositions des témoins de l'appelant qui vivent hors de la Saskatchewan soient reçues par la Cour par le biais d'une déclaration sous serment ou par téléphone.

(2)            À titre subsidiaire, une ordonnance conformément à la règle 119 décrétant que les témoins de l'appelant qui ne vivent pas en Saskatchewan peuvent être interrogés dans le territoire où ils habitent avant l'audition de l'appel, et que leur déposition sera présentée comme preuve à l'audience;

(3)         Une ordonnance décrétant que les coûts de la demande feront partie des dépens dans cette affaire.

Faits

[2]            M. Ramnarine a reçu un avis de cotisation pour les années d'imposition 1994 et 1995 en fonction de ce qu'on appelle couramment une cotisation de valeur nette. Parmi les motifs de l'appel interjeté par M. Ramnarine, le ministre aurait omis de tenir compte de l'argent reçu à la suite de la vente de son ancien logement en Guyane. M. Ramnarine s'est installé à Regina (Saskatchewan) en 1978, à l'âge de 45 ans, en raison de ce qu'il décrit dans sa déclaration sous serment comme la dégradation du climat politique et économique en Guyane. En prévision de son départ, M. Ramnarine affirme avoir aliéné ses biens et converti son argent en devises étrangères, qu'il a progressivement sorties de Guyane en cachette au fil des ans. En particulier, il soutient avoir reçu de Guyane, pour chacune des années 1994 et 1995, la somme de 15 000 $. M. Ramnarine souhaite faire comparaître les témoins suivants qui résident hors du ressort de la Cour :

(1)            M. Ronald Reid, originaire de la Guyane, qui réside actuellement en Ontario. M. Reid travaillait pour la Banque Royale du Canada en Guyane. De 1969 à 1974, il était gérant de la succursale de la Banque Royale où l'appelant avait ses comptes. L'appelant a indiqué dans sa déclaration sous serment que M. Reid avait connaissance des faits suivants qui feront l'objet de sa déposition :

-                les biens et transactions commerciales de M. Ramnarine pendant cette période;

-                 les contrôles et restrictions touchant le change de devises en Guyane;

-                les divers moyens utilisés par les résidents guyanais pour obtenir des devises étrangères et les faire sortir de Guyane;

-                le climat politique en Guyane et la migration subséquente de résidents guyanais;

               

(2)            M. Gordon Pearce, qui réside en Ontario. De citoyenneté canadienne, M. Pearce a enseigné en Guyane de 1971 à 1973. Il se trouvait également en Guyane en 1976. Sa déposition devrait porter sur les points suivants :

-                le climat politique et les tensions raciales qui prévalaient en Guyane à l'époque où il résidait là-bas;

-                comment il a aidé M. Ramnarine à obtenir des devises canadiennes;

-                la migration de résidents guyanais hors de leur pays à cette époque.

(3)            Rayman Sripal, un homme d'affaires qui réside en Guyane. Sa déposition portera sur les points suivants :

-                la situation politique, économique et raciale en Guyane, dans la mesure où elle est pertinente pour l'appel;

-                le mécanisme selon lequel il détenait des devises étrangères pour l'appelant et le transfert desdites devises à l'appelant en 1994 et en 1995;

-                les restrictions de change imposées en Guyane et les démarches entreprises par les résidents guyanais pour obtenir des devises étrangères et les faire sortir du pays.

(4)            Aubrey Denobrega (comptable de l'appelant en Guyane), Ramesh Maraj (homme d'affaires) et Watson Bowling (directeur régional du National Insurance Scheme du gouvernement), tous résidents de Guyane. Dans leurs témoignages, ceux-ci parleront des affaires exploitées par l'appelant et des biens qui lui appartenaient, ainsi que de la valeur de ceux-ci.

[3]            M. Ramnarine a pris sa retraite et il est maintenant rentier. Il affirme ne pas avoir les moyens de payer aux témoins une indemnité de déplacement pour comparaître à Regina. L'avocat de l'appelant estime que les cotisations pourraient augmenter la charge fiscale de l'appelant d'environ 8 500 $ par année, mais l'avocat de l'intimée indique que ce montant dépassait largement 12 000 $ pour chaque année en cause.

[4]            Nous avons reçu des extraits du procès-verbal de l'interrogatoire préalable, dans lequel M. Ramnarine explique qu'il se rendait en Guyane tous les ans jusqu'en 1990, puis qu'il y est allé de nouveau en 1994 accompagné de sa femme. Il n'a pas été dit que les témoins mentionnés seraient dans l'incapacité de se rendre à Regina pour raisons de santé ou autres. Le seul problème, ce sont les coûts. Rien n'a été dit sur le coût ou la disponibilité de matériel de vidéoconférence en Guyane.

Arguments de l'appelant

[5]            L'article 13 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt forme le point de départ de l'argument de l'avocat de l'appelant; cet article est rédigé comme suit :

13. La Cour a, en ce qui concerne la présence, la prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, la production et l'examen des documents et, d'une façon générale, l'exercice de sa compétence, tous les pouvoirs, droits et privilèges conférés à une cour supérieure d'archives.

[6]            Il a ensuite cité certaines règles :

144.(1)     Sauf disposition contraire des présentes règles, les témoins à l'audience sont interrogés oralement devant la Cour. L'interrogatoire peut comprendre un interrogatoire principal, un contre-interrogatoire et un réinterrogatoire.

143.(1)     Avant ou pendant l'audience, la Cour peut ordonner que la preuve d'un fait particulier soit présentée de la manière et selon les conditions que la Cour peut spécifier, et notamment que la preuve soit présentée :

a)            par déclaration sous serment;

b)            par déclaration sous serment de renseignements obtenus ou de la croyance qu'on peut avoir quant à ces renseignements;

c)             par la production de documents ou d'écritures dans des registres, ou de copies de ceux-ci;

d)            dans le cas d'un fait notoirement connu en général ou dans un district particulier, par la production d'un journal qui relate ce fait.

119.          [...]

(2)                          Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe (1), la Cour prend en considération les éléments suivants :

                a)             la facilité pour la personne qui doit être interrogée de se conformer à la directive;

                b)             l'éventualité qu'elle soit empêchée de témoigner à l'audience pour cause d'infirmité, de maladie ou de décès;

                c)             la possibilité qu'elle se trouve hors du ressort de la Cour au moment de l'audience;

                d)            les dépenses que peut entraîner son déplacement pour témoigner à l'audience;

                e)             la nécessité qu'elle vienne témoigner en personne;

                f)              les autres questions pertinentes.

[7]            D'après lui, ces dispositions doivent être considérées à la lumière de la règle 4, qui se lit comme suit :

4.(1)         Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d'assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

(2)           En cas de silence des présentes règles, la pratique applicable est déterminée par la Cour, soit sur une requête sollicitant des directives, ou après le fait en l'absence de requête.

[8]            Pour terminer, il est bon de citer également la règle 9, bien qu'elle n'ait pas été spécifiquement mentionnée par l'avocat de l'appelant :

9.              La Cour peut dispenser de l'observation d'une règle seulement si cela est nécessaire dans l'intérêt de la justice.

[9]            L'argument de Me Miller revient à dire qu'il serait dans l'intérêt de la justice de faire droit à la demande pour les raisons suivantes :

(1)            le montant de l'impôt en cause était inférieur au coût de la comparution de tous les témoins;

(2)           même si les témoins étaient disposés à se rendre à Regina, l'appelant n'avait pas les moyens de leur payer une indemnité de déplacement;

(3)            la déposition des témoins qui résident hors du ressort de la Cour serait simple et l'interrogatoire durerait peu de temps;

                (4)            le témoignage ne nécessiterait pas la production de documents;

(5)            la déposition des six témoins est pertinente en ce qu'elle permettrait d'établir le contexte de la fuite de capitaux de la Guyane et les démarches spécifiquement entreprises par l'appelant pour faire sortir son argent du pays.

[10]          L'avocat de l'appelant m'a également renvoyé à l'affaire Regina v. Dix, [1998] A.J. no 486 en ajoutant que les critères de la nécessité et de la fiabilité étaient ceux que je devais considérer. Comme il est établi dans cette affaire :

[TRADUCTION]

Même si la procédure par vidéoconférence est une forme de preuve recueillie par commission rogatoire, les tribunaux ne s'en tiennent plus aussi strictement aux catégories et restrictions touchant la preuve. À mon avis, les enjeux soulevés par cette requête sont les critères de nécessité et de fiabilité de la preuve. Différentes formes de déclarations extrajudiciaires ont été admises en preuve même en l'absence de contre-interrogatoire si la preuve remplissait les exigences de nécessité et de fiabilité. Le critère de la nécessité est satisfait si une preuve de la même valeur ou qualité est impossible à obtenir par tout autre moyen. L'exigence de fiabilité peut être remplie par une garantie circonstancielle de fiabilité.

[11]          Le besoin d'avoir une preuve par déclaration sous serment ou par téléphone émane du fait que, selon l'appelant, le coût de toute autre méthode de déposition est excessivement élevé. Il suggère également qu'il existe des moyens d'assurer la fiabilité de la preuve fournie par téléphone, par exemple la prestation du serment conformément aux lois du Canada et de la Guyane. En faisant témoigner les témoins par téléphone, l'intimée aurait la chance de procéder à un contre-interrogatoire.

[12]          L'avocat de l'appelant a également attiré mon attention sur la Règle 284A.(1) des Règles de la Cour du Banc de la Reine pour la Saskatchewan, rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

La cour peut ordonner que la déposition d'un témoin prise de vive voix au téléphone ou par tout moyen audiovisuel approuvé par la cour soit admissible en preuve, selon le cas,

a)              si les parties y consentent,

b)             si cela s'avère nécessaire dans l'intérêt de la justice.

[13]          Ces règles ont été interprétées comme suit dans l'affaire Squires, Rennie and Dector v. Fong and Olah, (1983) 24 Sask. R. 159 (Q.B.) :

[...]

[TRADUCTION]

Il faut noter que la règle a été adoptée afin de moderniser et de rationaliser les instances judiciaires. La règle ne doit pas être émasculée par une interprétation excessivement restrictive, non plus être interprétée de façon si large que cela produirait une avalanche de dépositions téléphoniques, empêchant les parties concernées d'observer le comportement des témoins. Il faut trouver un juste milieu afin de répondre aux objectifs de la règle sans indûment priver les tribunaux des avantages offerts par l'observation des témoins.

Argument de la Couronne

[14]          La Couronne a passé en revue la nature du témoignage proposé pour chacun des témoins, et elle a mis en doute la pertinence de ces témoignages. En particulier, les deux résidents de l'Ontario, MM. Reid et Pearce, avaient l'intention de témoigner sur l'époque où ils résidaient en Guyane, soit pendant les années soixante-dix. En outre, leur témoignage avait pour objectif d'expliquer à la Cour le climat politique qui régnait en Guyane à l'époque et de décrire la migration subséquente de résidents guyanais. Or, la Couronne estime qu'il s'agirait là plutôt de témoignage d'opinion qui, selon ce qui a été décidé dans l'affaire Kappel v. Abel, [1996] S.J. no 573, ne se prête pas bien à la déposition par téléphone. Dans l'affaire Kapell, le juge Geatros s'exprime comme suit :

[TRADUCTION]

Dans l'affaire qui nous occupe, il existe des facteurs, tels que ceux auxquels a fait face le juge Halvorson, qui me dissuadent d'octroyer l'ordonnance demandée. Il s'agit en particulier du témoignage d'expert que l'on se propose d'obtenir au téléphone. Il semble que l'interrogatoire et le contre-interrogatoire prendront beaucoup de temps et que le défendeur subirait un préjudice s'il était difficile de montrer des documents ou des pièces au témoin pendant le contre-interrogatoire. [...]

[15]          La Couronne estime également que ce n'est pas le type de preuve que l'on pourrait soumettre à un contre-interrogatoire superficiel, mais que celui-ci risquerait de durer longtemps.

[16]          En ce qui concerne les témoins guyanais, la Couronne ne reconnaît que seul le témoignage de M. Sripal semble être pertinent. Les autres témoins guyanais ne seraient ni en mesure de témoigner au sujet du mouvement des fonds ni capables de fournir une preuve documentaire au sujet de l'appartenance des fonds.

[17]          En ce qui concerne les deux éléments clés de la fiabilité et de la nécessité, la Couronne soutient que l'appelant n'a pas montré que ces conditions avaient été pleinement remplies. Pour ce qui est de la fiabilité, aucune preuve n'a été déposée relativement aux lois guyanaises concernant la prestation d'un serment et les sanctions subséquentes éventuelles. L'avocat de la Couronne renvoie à l'affaire Dix, dans laquelle ce genre de preuve a été fournie en ce qui concerne l'État de New York. L'affaire Dix traitait de la question de la vidéoconférence. On y indique :

[TRADUCTION]

Dans cette affaire, la fiabilité est assurée par le degré de perfectionnement technologique déployé dans les installations de vidéoconférence, lesquelles permettent de voir et d'interroger le témoin en direct, ainsi que par la prestation d'un serment reconnu et exécutoire dans le ressort où se trouve le témoin au moment de la déposition et d'un serment reconnu par cette cour. De par sa nature même, le serment lie la conscience du témoin même en l'absence de sanctions temporelles.

[18]          Quant à la nécessité, la Couronne a d'abord mis en doute l'aspect économique du problème en mentionnant la déclaration faite par l'appelant lors de l'interrogatoire, selon laquelle il s'était rendu tous les ans en Guyane. L'appelant a ensuite dit qu'il n'était parti tous les ans que jusqu'en 1990, mais il a ensuite admis avoir de nouveau visité ce pays avec sa femme en 1995 lors d'un voyage qui incluait un séjour à la Barbade. La Couronne a poursuivi en affirmant que, même si l'appelant avait des raisons économiques légitimes de ne pouvoir convoquer les témoins à Regina, le coût et la facilité ne constituaient pas des motifs suffisants de permettre des méthodes subsidiaires de témoignage. Il cite Lefebvre v. Kitteringham, 37 Sask. R. 155 (Sask. Q.B.) à la p. 156, comme suit :

[TRADUCTION]

Les inconvénients causés aux témoins représentent un aléa déplorable mais inévitable d'un procès et ne sauraient par eux-mêmes suffire à justifier le témoignage par téléphone. Les frais liés à la comparution de témoins à un procès peuvent être entièrement dédommagés par le biais d'une ordonnance relative aux dépens si le juge à l'instance estime que leur déposition en personne n'était pas nécessaire et si la partie adverse a refusé sans motif valable de consentir à une ordonnance permettant le témoignage par téléphone.

Analyse

[19]          De même que je n'ai pu trouver dans cette cour de précédent autorisant les conférences téléphoniques pour recueillir des témoignages, je n'ai pu non plus trouver de règle ni de précédent qui m'interdise d'exercer mon pouvoir discrétionnaire et de permettre le recours à de tels moyens subsidiaires. La Couronne n'a certainement pas suggéré que je ne jouis pas du pouvoir de rendre une ordonnance en ce sens. D'ailleurs, l'article 9 des Règles m'enjoint de le faire seulement « si cela est nécessaire dans l'intérêt de la justice » . J'ai également à l'esprit l'un des principaux objectifs de la Cour, qui est énoncé à l'article 4 des Règles. Cette cour voit régulièrement défiler des contribuables qui estiment avoir payé trop d'impôts et qui sont prêts à dépenser pour confronter la vaste machine bureaucratique dans l'espoir de rectifier les choses. Dans bien des cas, cette entreprise coûteuse connaît son point culminant à la Cour canadienne de l'impôt. Contrairement aux autres actes de procédure devant des instances différentes, ici l'appelant est tenu de prouver ses affirmations, alors que l'argument de la Couronne peut reposer sur des postulats. Pour utiliser un langage courant, les appelants semblent fréquemment avoir l'impression que les dés sont pipés. Dans les questions d'argent qui sont, en fin de compte, du ressort de cette cour, les facteurs économiques jouent trop souvent au détriment du contribuable. Comment s'étonner dès lors que la Cour canadienne de l'impôt s'est efforcée, au tout début de ses règles, d'aborder les trois grandes préoccupations des contribuables : l'opportunité, le coût et la justice? De ces trois enjeux, le troisième est de loin le plus important.

[20]          Mais dans le cas qui nous occupe, il s'agit de trouver l'équilibre entre les enjeux du coût et de la justice. L'appelant, qui habite à Regina, est un ancien exploitant de dépanneur à la retraite qui a immigré au Canada il y a 23 ans. Il est confronté à une ponction fiscale d'environ 7 500 $ à 10 000 $ en raison du postulat de la Couronne selon lequel il n'y a pas eu de transfert de 30 000 $ en argent provenant de la Guyane. Six témoins, quatre en Guyane et deux en Ontario, devraient, d'après lui, l'aider à prouver sa position. Je suis convaincu du fait que le coût à engager pour faire venir tous ces témoins serait bien supérieur au montant de l'impôt en question.

[21]          Les principes que je dois mettre en oeuvre pour trouver un juste milieu afin de servir l'intérêt de la justice ont été bien exposés par les avocats. Je dois conclure que le témoignage proposé est pertinent, qu'il doit être donné autrement qu'en personne et qu'il sera fiable en dépit de tout.

[22]          En premier lieu, relativement aux témoins de l'Ontario, j'estime que leur contact avec l'appelant date de plusieurs années, remontant à une époque où ont commencé en Guyane les troubles qui ont incité les gens à partir et les capitaux à fuir. J'accepte la position de l'appelant qui estime que ces témoins pourraient établir un contexte apte à aider la Cour à mieux comprendre les démarches qu'il a entreprises. J'estime que c'est pertinent.

[23]          Est-il nécessaire que ces témoins qui, d'après ce que je sais, vivent dans la région torontoise, fassent leur déposition par déclaration sous serment ou par téléphone s'il n'y a aucune autre façon de prendre ces témoignages? Deux méthodes préférentielles sont à la disposition de ces témoins : en premier lieu, une comparution en personne; en deuxième lieu : une vidéoconférence. Puisque la nature de leur témoignage d'opinion pourrait entraîner un contre-interrogatoire poussé, je ne pense pas qu'on puisse utiliser une déclaration sous serment ou une conférence téléphonique. Pour reprendre les paroles du juge Halvorson dans l'affaire Squires lorsqu'il a déterminé les facteurs qui pèsent contre l'octroi d'une ordonnance de témoigner par le biais d'une conférence téléphonique :

[TRADUCTION]

[...] il s'agit d'un témoignage d'expert devant être obtenu par téléphone; l'interrogatoire et le contre-interrogatoire dureraient longtemps, peut-être plusieurs heures; d'après l'avocat de la défense, la crédibilité de l'estimateur est en question; les défendeurs risquent de subir un préjudice en raison de la difficulté de montrer des documents ou autres pièces au témoin pendant le contre-interrogatoire; la cour subirait l'inconvénient de ne pouvoir observer le témoin pendant sa déposition.

[24]          En ce qui concerne ces témoins, je ne puis conclure que les facteurs de coût et de commodité l'emporteraient de façon significative sur l'avantage de les observer pendant ce qui pourrait s'avérer une longue déposition. Toutefois, une vidéoconférence permettrait à la Cour de les observer. Étant donné que ces témoins peuvent se rendre facilement à Toronto en voiture (dans la mesure où on peut parler de facilité quand il s'agit de se déplacer dans cette ville), la vidéoconférence pourrait être l'option la plus économique. La fiabilité du témoignage n'est pas en doute, compte tenu de la qualité et de la nature des installations disponibles à Toronto et à Regina. Même si je consens à la vidéoconférence, cela n'empêche pas l'appelant de faire comparaître l'un de ces témoins ou les deux à Regina. De toute évidence, il lui faudra réfléchir aux coûts respectifs de chaque option, et il trouvera peut-être qu'un ou deux billets d'avion pour un vol intérieur coûtent moins cher que deux ou trois heures de vidéoconférence.

[25]          J'aborderai maintenant la question des témoins guyanais, en particulier le groupe formé par Aubrey Denobrega (comptable de l'appelant en Guyane), Ramesh Maraj (homme d'affaires guyanais) et Watson Bowling (directeur régional du National Insurance Scheme en Guyane).L'appelant a indiqué que dans leurs témoignages, ceux-ci parleraient des affaires exploitées par l'appelant et des biens qui lui appartenaient. L'appelant a également admis que ces témoins n'avaient pas de documentation à l'appui de leurs dires concernant ces affaires et ces biens. Étant donné que l'appelant est parti en 1978, leur connaissance de sa situation risque fort d'être dépassée. L'objectif de l'appelant est de convaincre la Cour qu'il a transféré 30 000 $ de la Guyane au Canada en 1994 et en 1995. Rien ne permet de croire que ces témoins ont participé à ce transfert ou en ont eu connaissance. Ils ne pourront témoigner que sur le fait que l'appelant avait certains biens dans les années soixante-dix, mais pas sur la disposition de ceux-ci, quand il les a aliénés, combien il a reçu ou quelle documentation existe à cet égard. Je ne suis pas disposé à accorder la mesure extraordinaire d'un témoignage par téléphone ou par déclaration sous serment pour une preuve dont je ne suis pas convaincu qu'elle est pertinente.

[26]          Passons enfin au témoin Rayman Sripal. Comme il a été indiqué, M. Sripal est présenté comme témoin pour parler de la situation politique, économique et raciale en Guyane et pour faire part de sa connaissance directe des fonds qu'il a détenus et transférés à l'appelant en 1994 et en 1995. Ce témoignage-là est très pertinent pour la cause de l'appelant. Il ne se prête pas à un contre-interrogatoire prolongé, ni à la soumission de documents. C'est justement le genre de témoignage qui pourrait faire l'objet d'une conférence téléphonique si les critères de la nécessité et de la fiabilité sont remplis.

[27]          M. Sripal pourrait-il témoigner en personne ou par vidéoconférence? Je n'ai reçu aucune preuve du fait que M. Sripal est capable de se rendre à Regina ou disposé à le faire, ni aucune preuve qu'il existe des installations de vidéoconférence en Guyane. La raison de la non-comparution est liée au coût et à la commodité, et c'est une raison significative dans les circonstances présentes. Obliger M. Ramnarine à dépenser au moins 3 000 $ pour amener ce témoin au Canada en vue d'une brève comparution pour l'aider à réfuter les postulats de la Couronne relativement au transfert de ses biens de la Guyane au Canada constituerait un fardeau de preuve trop lourd pour l'appelant. Il ne s'agit pas d'un témoin expert, l'interrogatoire sera de courte durée et il ne sera pas nécessaire de renvoyer à des documents. D'un autre côté, la Cour devrait renoncer à observer le comportement de M. Sripal. D'aucuns diront qu'une telle observation est essentielle à la détermination de la crédibilité, mais je suis d'avis que c'est la teneur du témoignage, et non la façon dont il est délivré, qui compte pour évaluer la crédibilité[1]. C'est particulièrement le cas si la nature du témoignage ne justifie pas un contre-interrogatoire prolongé.

[28]          Le dernier critère à envisager avant de permettre à M. Sripal de témoigner par téléphone est celui de la fiabilité. La Couronne a laissé entendre que, dans des pays du tiers monde tels que la Guyane, il risque de ne pas y avoir un système juridique en lequel nous puissions avoir confiance relativement à la prestation de serments et leur conséquence en droit, mais elle n'a pas insisté sur cet argument. Je rejette cette notion. Il est impératif qu'un témoin qui fait une déposition dans un pays autre que le Canada le fasse sous serment d'après nos lois et d'après les lois du pays en question. Le témoin doit clairement comprendre qu'il ne pourrait échapper à sa responsabilité relativement à ses actions si jamais il pensait que, pour aider son ami (l'appelant), il lui faudrait maquiller la vérité. À mon avis, la meilleure façon de procéder consisterait à demander à un représentant du système judiciaire guyanais, juge ou avocat, d'expliquer au témoin les conséquences d'un parjure, et ce, avant de lui faire prêter serment.

[29]          Dans certains cas, l'intérêt de la justice à la Cour canadienne de l'impôt est mieux servi par une attitude pragmatique face à l'application des règles. L'affaire qui nous occupe représente l'un de ces cas. En consentant à rendre une ordonnance permettant un témoignage par conférence téléphonique, je n'ai pas l'intention de déclencher une avalanche de tels témoignages. Mon consentement est limité aux circonstances de cet appel en particulier, spécifiquement aux conditions suivantes :

(1)            l'appel concerne ce qui a été décrit comme un instrument grossier : une cotisation fondée sur une évaluation de la valeur nette;

               

                (2)            le coût est élevé par rapport au montant de l'impôt en litige;

                (3)            les ressources financières de l'appelant sont à première vue limitées;

                (4)            le témoin réside hors de l'Amérique du Nord;

                (5)            le témoin n'est pas un expert;

                (6)            le témoin ne présentera pas de preuve documentaire;

(7)            la portée du témoignage est limitée et celui-ci devrait être de courte durée;

               

(8)            le témoin doit faire sa déposition en présence d'un juge ou avocat du pays étranger après avoir prêté serment dans ce pays.

[30]          Il incombe au juge de première instance d'évaluer la preuve offerte lors de la conférence téléphonique. Pour les motifs ci-dessus, je consens à rendre l'ordonnance mentionnée ci-haut.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2001.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de juillet 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3815(IT)G

ENTRE :

DANIEL RAMNARINE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue par conférence téléphonique tenue le 31 octobre 2001

par l'honorable juge Campbell J. Miller

Participants

Avocat de l'appelant :                Me Ronald L. Miller

Avocat de l'intimée :                  Me Jeff Pniowsky

ORDONNANCE

Sur requête déposée par l'avocat de l'appelant;

et ayant entendu les avocats des parties,

IL EST ORDONNÉ QUE :

(1)      les témoins Ronald Reid et Gordon Pearce peuvent faire leur déposition au tribunal par le biais d'une vidéoconférence tenue à Toronto ou à tout autre endroit au Canada convenu par les parties.

(2)      le témoin Rayman Sripal peut faire sa déposition au tribunal par conférence téléphonique sous réserve des conditions suivantes :

i)         les questions de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire se limiteront au fait que M. Sripal détenait des devises étrangères pour l'appelant et avait transféré ces devises à l'appelant en 1994 et en 1995;

ii)        M. Sripal devra se présenter au bureau d'un juge ou d'un avocat en Guyane, au gré de l'intimée, ledit juge ou avocat devant être agréé selon les lois de la Guyane;

iii)       aucun document ne sera présenté comme pièce à l'appui de la déposition de M. Sripal;

iv)       M. Sripal prêtera serment conformément aux lois du Canada et aux lois de la Guyane;

v)        avant la déposition de M. Sripal, le juge ou l'avocat en Guyane devant lequel M. Sripal doit comparaître devra expliquer à la présente cour la nature des sanctions qui sont prises en cas de violation d'un serment dûment prêté en vertu des lois guyanaises, et le même juge ou avocat devra également attester que M. Sripal s'est bel et bien identifié comme étant Rayman Sripal.

          (3)      Les coûts de la demande feront partie des dépens dans cette affaire.

(4)      Tous les autres témoins de l'appelant comparaîtront en personne au procès.


Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2001.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2002.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Au sujet de la fiabilité du comportement pour évaluer la crédibilité, je renvoie aux observations du juge O'Halloran dans l'affaire Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, dont voici un extrait :

[TRADUCTION]

Si l'acceptation de la crédibilité d'un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion relativement à l'apparence de sincérité de chaque personne qui se retrouve à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l'administration de la justice dépendrait des talents d'acteur des témoins. [...] Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances entourant le cas permettent de conclure de façon indubitable qu'il dit la vérité. [...]

Il est intéressant de noter que cette cause a été mentionnée près de 200 fois au cours des quatre dernières décennies.

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