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Date: 20010319

Dossiers : 2000-1230-IT-I; 2000-1231-IT-I

ENTRE :

MARIE-HÉLÈNE ABBOUD, FAYEZ ABBOUD

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Les parties ont convenu de procéder au moyen d'une preuve commune.

[2]            Il s'agit des appels concernant les années d'imposition 1989, 1990 pour l'appelant et pour l'année 1991 pour l'appelante.

[3]            Les deux dossiers portent sur le droit aux crédits réclamés par les appelants au titre de dons de bienfaisance. Les dons litigieux ont été de 12 000 $ pour les années 1989 et 1990 dans le cas de Fayez Abboud et de 3 000 $ pour l'année 1991 dans le cas de Marie-Hélène Abboud.

[4]            Pour justifier le bien-fondé des cotisations et pénalités, l'intimée a allégué dans la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) dans le dossier Fayez Abboud (2000-1231(IT)I) ce qui suit :

a)              en produisant ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1989 et 1990, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport avec des montants de 12 000 $ et 12 000 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours des années d'imposition 1989 et 1990, respectivement;

b)             l'appelant n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de ces sommes de 12 000 $ et 12 000 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours des années d'imposition 1989 et 1990;

c)              l'appelant n'a pas présenté au Ministre des reçus valides contenant les renseignements prescrits à l'égard des prétendus dons de 12 000 $ et 12 000 $ qu'il prétend avoir effectués en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque les montants de dons qui y apparaissent sont faux;

d)             l'appelant n'a pas effectué les dons pour lesquels il réclame des crédits dans ses déclarations de revenus et a plutôt participé dans le stratagème suivant :

i)               dans certains cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui payait par chèque, tout en retournant, en espèces, à ce même contribuable une somme d'argent équivalente ou presque;

ii)              dans d'autres cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un certain montant alors que ce contribuable n'avait versé aucune somme ou avait versé en espèces une somme minime par rapport au montant indiqué sur le reçu;

e)              en produisant ses déclarations de revenus et en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi pour les années d'imposition 1989 et 1990, relativement à des crédits réclamés par lui au titre de dons de bienfaisance en rapport avec les montants de 12 000 $ et 12 000 $, l'appelant a fait une présentation erronée des faits par omission volontaire;

f)              c'est sciemment, ou du moins dans des circonstances équivalant à faute lourde, que l'appelant a fait un faux énoncé ou une omission en réclamant des crédits au titre de dons de bienfaisance en rapport avec les sommes de 12 000 $ et 12 000 $ respectivement pour les années d'imposition 1989 et 1990, alors qu'il n'avait fait aucun don;

g)             l'appelant ayant fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition en litige, ou ayant participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, il résulte que l'impôt que l'appelant aurait été tenu de payer, d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là, était inférieur aux montants d'impôt effectivement payable pour ces années-là de 3 019 $ pour 1989 et 3 157 $ pour 1990.

dans le dossier de Marie-Hélène Abboud (2000-1230(IT)I) ce qui suit :

a)              en produisant ses déclarations de revenus pour l'année d'imposition 1991, l'appelante a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport avec des montants de 3 000 $ dont elle prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1991;

b)             l'appelante n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de ce montant de 3 000 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1991;

c)              l'appelante n'a pas présenté au Ministre un reçu valide contenant les renseignements prescrits à l'égard du prétendu don de 3 000 $ qu'elle prétend avoir effectué en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque le montant de don qui y apparaît est faux;

d)             l'appelante n'a pas effectué le don pour lequel elle réclame un crédit dans sa déclaration de revenu et a plutôt participé dans le stratagème suivant :

i)               dans certains cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui payait par chèque, tout en retournant, en espèces, à ce même contribuable une somme d'argent équivalente ou presque;

ii)              dans d'autres cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un certain montant alors que ce contribuable n'avait versé aucune somme ou avait versé en espèces une somme minime par rapport au montant indiqué sur le reçu;

e)              en produisant ses déclarations de revenus et en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi pour l'année d'imposition 1991, relativement à au crédit réclamé par elle au titre de don de bienfaisance en rapport avec le montant de 3 000 $, l'appelante a fait une présentation erronée des faits par omission volontaire;

f)              c'est sciemment, ou du moins dans des circonstances équivalant à faute lourde, que l'appelante a fait un faux énoncé ou une omission en réclamant le crédit au titre de don de bienfaisance en rapport avec la somme de 3 000 $ pour l'année d'imposition 1991, alors qu'elle n'avait fait aucun don;

g)             l'appelante ayant fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenu produite pour l'année d'imposition en litige, ou ayant participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, il résulte que l'impôt que l'appelante aurait été tenu de payer, d'après les renseignements fournis dans la déclaration de revenu déposée pour cette année-là, était inférieur au montant d'impôt effectivement payable pour cette année-là de 3 000 pour 1991.

[5]            Les appelants ont témoigné et expliqué les circonstances et pourquoi ils avaient fait des dons de bienfaisance à l'Ordre Antonien libanais des Maronites. L'appelant a expliqué le cheminement qu'il avait suivi au plan professionnel; il a décrit les circonstances à l'origine de sa venue au Canada. Sa conjointe, française d'origine, a fait de même.

[6]            Tous deux médecins, ils pratiquaient dans des centres hospitaliers de la région de l'Outaouais; ils touchaient de la pratique de leur profession des revenus très supérieurs à la moyenne des Canadiens. L'appelant est originaire du Liban, un pays qui a été lourdement affecté et terrorisé par la guerre qui a fait d'innombrables orphelins, des milliers de blessés et a provoqué le déplacement de milliers de libanais. L'appelant a expliqué qu'il s'était senti interpellé au moment où la guerre était dans sa période la plus meurtrière.

[7]            Il a expliqué avoir fait l'objet d'une sollicitation téléphonique conduite par un représentant de l'Ordre Antonien libanais des Maronites, avec qui il aurait conversé à trois ou quatre reprises en 1989 et 1990, l'initiative des conversations émanant toujours du représentant de l'Ordre Antonien libanais des Maronites.

[8]            Après avoir évalué sa capacité de payer et considéré un ensemble d'éléments, dont principalement le fait de venir en aide aux orphelins, aux blessés et aux déplacés de la guerre, et après consultation auprès de son comptable, il en était arrivé à la conclusion qu'il devait faire quelque chose et qu'il pouvait faire un don de 12 000 $ pour l'année 1989. Il a donc fait un chèque postdaté au montant de 12 000 $ qu'il a fait parvenir à l'Ordre Antonien libanais des Maronites à Montréal, et ce, pour l'année 1989.

[9]            En 1990, le même scénario s'est répété; à la suite d'une autre sollicitation, il a décidé de faire un autre don du même montant; il a suivi la même procédure, à savoir, préparer un chèque postdaté, négociable à la fin de l'année.

[10]          Dans les deux cas, les chèques furent négociés au cours des mois de mars et avril. Dans les deux cas également, les chèques furent tirés sur la marge de crédit de l'appelant, laquelle était assujettie à un taux d'intérêt très élevé.

[11]          De son côté, l'appelante n'a fait l'objet d'aucune sollicitation directe de la part de l'Ordre Antonien libanais des Maronites. Elle a expliqué avoir fait le don dans un geste de solidarité à l'endroit d'une cause que son conjoint avait à coeur, d'autant plus que ce dernier lui a suggéré et conseillé de faire le don, ce à quoi, elle a spontanément souscrit.

[12]          Compte tenu de ses revenus, il s'agissait là d'un effort relativement modeste. Un chèque a été fait et le don fut transmis par courrier. Il a été négocié dans les jours qui ont suivi, pris à même le compte de l'appelante.

[13]          Pour ce qui est du dossier de l'appelante, le cheminement a été régulier, courant et usuel. Le don est fait au moyen d'un chèque encaissé dans les jours suivants, débité à un compte positif, le tout suivi de l'émission d'un reçu correspondant au montant du chèque.

[14]          Il n'y a rien qui puisse justifier de rejeter l'un ou l'autre des témoignages des appelants. Les appelants avaient la capacité financière d'effectuer les dons. La cause sous-jacente aux dons était noble, raisonnable et réelle. S'il s'était agi d'un stratagème pour élucider des impôts ou réduire leur fardeau fiscal, je crois que les montants des dons auraient été, d'une part, supérieurs à ceux sur lesquels porte le présent litige et d'autre part, les appelants auraient sans doute fait en sorte que le tout s'échelonne sur plus de trois années; de plus, tous deux en auraient possiblement profité d'une manière plus significative.

[15]          L'intimée a soumis une preuve très étoffée et bien documentée; en effet, il a été démontré d'une manière non équivoque que l'Ordre Antonien libanais des Maronites avait été au centre d'un véritable réseau à l'origine de plusieurs centaines de fraudes. Il s'agissait d'une organisation structurée, efficace et d'envergure. De très nombreux contribuables y furent sciemment associés et l'opération était très rentable, tant pour les donateurs que pour le récipiendaire qui émettait des reçus frauduleux. Le travail exécuté par les enquêteurs, vérificateurs a été très bien fait; l'enquête a été approfondie et très sérieuse. Les conclusions de l'enquête soutiennent que la grande majorité des souscripteurs étaient bel et bien complices de la fraude. Une telle preuve circonstancielle est-elle suffisante pour conclure que tous les donateurs y avaient été associés même s'il n'y a aucun fait ou élément les reliant directement ?

[16]          Une preuve, dont la présentation fut certes très convainquante quant à l'existence du stratagème, a-t-elle pour effet et conséquence qu'il faille conclure que les appelants ont été eux aussi associés, impliqués et complices du système mis en place par l'Ordre Antonien libanais des Maronites du seul fait d'avoir fait trois dons ? Je ne le crois pas.

[17]          L'abondante preuve soumise par l'intimée a eu pour effet de constituer une forte présomption à l'effet que les appelants avaient été, eux aussi, associés au stratagème à l'origine des fraudes.

[18]          Une telle présomption, découlant essentiellement de la preuve circonstancielle, n'était certainement pas suffisante, adéquate et satisfaisante pour conclure que les appelants avaient été sciemment associés et avaient effectivement profité du stratagème.

[19]          La preuve soumise par l'intimée, a établi que la très grande majorité des bénéficiaires de reçus avaient été complices ou associés au stratagème; monsieur Gaëtan Ouellette, enquêteur à Revenu Canada, a même indiqué que selon lui, tous les bénéficiaires de reçus, sans exception, avaient été associés et complices du système. Selon lui, il n'y a eu aucune exception.

[20]          Il s'agit là d'une conclusion plus intuitive que réelle, puisque à la question très précise : « Avez-vous constaté quelque élément que ce soit, ou indication de nature à relier les appelants directement au système ? » la réponse a été non; il a, par contre, immédiatement ajouté que tout portait à croire que oui.

[21]          La qualité de la preuve circonstancielle justifiait le questionnement du dossier fiscal des appelants pour les années en cause. Cette seule preuve n'est cependant pas suffisante pour conclure au bien-fondé des cotisations et encore moins pour le maintien des pénalités, d'autant plus que le fardeau reposait sur les épaules de l'intimée.

[22]          Les appelants ont témoigné de façon crédible, plausible et raisonnable. J'ai certes constaté et souligné lors de l'audition que certains éléments étaient de nature à soulever des doutes et une certaine suspicion; je fais notamment référence aux dates de l'encaissement des chèques de l'appelant et au fait que les dons provenaient de sa marge de crédit affectée d'un taux d'intérêts très élevé qui, en plus, était déficitaire au moment où les chèques furent encaissés.

[23]          Par contre, les appelants avaient la capacité de faire de tels dons, ils ont clairement indiqué de façon non équivoque qu'ils n'avaient eu aucun lien avec les personnes au centre du stratagème. Ils ont fourni des motivations et des justifications plausibles, raisonnables et crédibles. Le Tribunal doit décider, à partir d'une prépondérance, ce qui n'exclut pas pour autant la présence d'un certain doute.

[24]          Dans les circonstances, je suis d'avis que la prépondérance de la preuve milite en faveur des appelants.

[25]          Pour ces motifs, les appels sont accueillis, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada ce 19e jour de mars 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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