Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010328

Dossier: 1999-3446-IT-I

ENTRE :

YVAN TURMEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel selon la procédure informelle concernant l'année d'imposition 1994. La question en litige concerne la juste valeur marchande, au 22 février 1994, de terrains détenus par la société Club Les Garrots Inc. (le « Club » ), dont l'appelant est un des quatre actionnaires et détient 25 pour-cent des actions.

[2]            L'appelant n'était pas présent à l'audience.

[3]            L'appelant a effectué un choix selon le paragraphe 110.6(19) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) dans sa déclaration de revenus de l'année 1994 à l'égard de la part qu'il détenait dans la société. Il a déclaré la juste valeur marchande de cette part, au 22 février 1994, au montant de 102 873 $. Le prix de base rajusté étant 14 535 $, le produit de disposition présumé étant de 102 873 $, le gain en capital visé par le choix fut de 88 338 $. Le gain en capital imposable : 75 pour-cent de 88 338 $ soit 66 253 $ et la déduction réclamée pour gain en capital fut au montant de 66 253 $.

[4]            Au moment de la cotisation, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a établi la valeur des terrains à 160 000 $ et la valeur de la part de l'appelant à 40 000 $. Selon l'avis de ratification, le montant désigné comme produit de disposition dépassant 11/10 du montant de la juste valeur marchande, le choix fait en vertu du paragraphe 110.6(19) de la Loi ne peut être ni révoqué ni modifié selon le paragraphe 110.6(28) de la Loi. Le gain en capital présumé, suite à la disposition réputée, a été établi à 18 873 $, conformément au paragraphe 40(3) et aux alinéas 39(1)a) et 53(2)(v) de la Loi. Un gain en capital imposable de 14 155 $ a été calculé en vertu de l'alinéa 38a) et a été inclus dans le calcul du revenu, conformément à l'article 3 de la Loi.

[5]            Le calcul des implications fiscales paraît à l'annexe à la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

JVM du bien en fin de journée le 22 février 1994 :           40 000 $ (A)

Produit de disposition désigné du C/T :           102 873 $ (B)

Montant de la ligne (A) x 1.1 :             44 000 $ (C)

                    

Ligne (B) moins ligne (C) : 58 873 $                  58 873 $ (D)

                                    

Ligne (A) moins ligne (D) :                  (18 873 $) (E)

                                    

Ligne (E) = le nouveau prix de base rajusté, et s'il est négatif, le prix de base est zéro.

Le montant négatif devient un gain en capital en 1994, et vous ne pouvez pas demander de déduction pour gains en capital pour réduire ce gain.

Nouveau prix de base rajusté :                               0 $

                                    

Gain en capital additionnel :                                18 873 $

                                    

Gain en capital imposable :                  14 155 $

                                    

[6]            La position de l'appelant telle qu'exprimée à l'Avis d'appel est la suivante :

1.3            Revenu Canada, suite à un examen du choix susmentionné, a établi la valeur du Terrain à 160 000 $ et la valeur des parts du Contribuable dans la Société à 40 000 $.

1.4            Le Contribuable a mandaté, au cours de l'examen de Revenu Canada, sa propre firme d'évaluateurs agréés (Jean-Jacques Verreault & Associés), afin d'établir la juste valeur marchande du Terrain. Suite à plusieurs rencontres et discussions avec l'évaluateur de Revenu Canada, cette firme a établi à un minimum de 364 300 $ la juste valeur marchande du Terrain excluant les droits de chasse et pêche que la Société possède (voir documents en annexe).

                Compte tenu de cette évaluation, la juste valeur marchande des parts du Contribuable dans la Société s'établit donc à un minimum de 90 000 $.

1.5            Considérant l'écart entre l'évaluation de Revenu Canada et celle de Jean-Jacques Verreault & Associés, le Contribuable a mandaté Me Pierre Roy de l'étude légale Roy Mercier afin de déterminer l'évaluation la plus juste.

...

                Selon le rapport de Me Roy, dont une copie est jointe à la présente, la juste valeur marchande du Terrain devrait être un minimum de 0,05 $ le pied carré, ce qui entraîne une valeur marchande totale minimum de 442 000 $.

...

2.1            Selon les différents commentaires précédents et les documents fournis, la juste valeur marchande du Terrain devrait être au minimum de 360 000 $. Considérant l'écart de 10% permis par le choix du paragraphe 110.6(19) Loi de l'impôt sur le revenu au niveau de la juste valeur marchande et le fait que cette évaluation soit un prix plancher, ledit choix devrait être accepté tel que produit.

[7]            Chacune des parties a présenté un témoin expert quant à la juste valeur marchande des terrains. L'intimée a, en plus, présenté un expert sur la valeur mobilière de la part détenue par l'appelant dans la société.

[8]            L'expert de l'appelant fut monsieur Jean-Jacques Verreault. Son opinion fut que la valeur marchande du Club est de 364 300 $, soit 360 000 $ pour l'immeuble et 4 300 $ pour les chaloupes et le camp.

[9]            L'expert de l'intimée fut monsieur Yvon Ouellet. Son opinion est que la valeur de la propriété est de 115 000 $.

[10]          La société possède un club de chasse et pêche sur des terrains d'une superficie 8 853 350 pi2 dans la municipalité de Château-Richer au Québec. Il s'agit de terrains situés au sud du boulevard Ste-Anne. La propriété est composée de trois parcelles. Deux parcelles sont situées à environ 125 mètres du boulevard Ste-Anne et une parcelle donne sur le boulevard Ste-Anne. Cette parcelle a une largeur frontale de six mètres sur la partie donnant sur le boulevard. La superficie totale se divise en 6 869 pi2 de terrains de rive, c'est-à-dire entre le boulevard Ste-Anne et la ligne des hautes eaux et 8 846 481 pi2 de terrains de littoral, c'est-à-dire de terrains entre les lignes des hautes et basses eaux. La surface de rive de 6 869 pi2 est en réalité un chemin d'accès de 20 pieds de largeur qui relie le terrain de littoral au boulevard Ste-Anne.

[11]          Il y a 13 mares de reproduction de canards, dont sept auraient été aménagées par Canards Illimités et les autres par le Club. Aucun document n'a été présenté concernant les ententes avec Canards Illimités.

[12]          Les terrains ont été acquis en 1981 et 1982, pour un prix total de 33 000 $. Toutefois, selon le rapport de l'évaluateur Verreault, à la page 8, lorsque le Club Les Garrots Inc. a acquis la majorité du terrain en mars 1981, les propriétaires, Club de Chasse les Ilets Inc., étaient des gens âgés qui ne chassaient plus. Le terrain avait été abandonné depuis plusieurs années. Le terrain était en branches et il n'y avait plus aucune mare à canards. Le prix de vente était un prix de liquidation car les vendeurs avaient hâte de vendre. Après l'achat, le Club a investi beaucoup de temps et d'argent avec les années pour remettre le terrain plus propice à la reproduction des canards et plus propice à la chasse. Canards Illimités a aussi aménagé des étangs de reproduction pour permettre aux canards de se reproduire plus facilement. ... Il y une presqu'île (marée basse) qui devient une île (marée haute). Lors de notre visite des lieux, la marée était basse et remontante.

[13]          L'évaluation municipale, pour les années 1995, 1996 et 1997 est au montant de 82 400 $. Selon le zonage municipal, les terrains sont situés dans une zone qui ne permet que les usages reliés à la chasse, à la pêche ou à l'ornithologie. Aucune construction permanente n'est autorisée dans cette zone.

[14]          Sur les terrains on retrouve quatre chaloupes. Le camp de 12' x 14' est situé sur le terrain de monsieur Serge Rhéaume, un autre membre du Club.

[15]          Les deux évaluateurs sont d'avis que l'utilisation optimale est celle d'un club de chasse et de pêche. La technique de la parité a été retenue par les deux évaluateurs. Toutefois l'évaluateur de l'appelant s'est fondé sur la superficie. Il a pris en compte la profondeur des terrains en utilisant la méthode de la racine carrée. Quant à l'évaluateur de l'intimée, selon son analyse du marché en ces lieux, il n'a pris en compte que la mesure linéaire du front.

[16]          L'évaluateur Verreault a relevé les ventes de terrains vacants situés sur le territoire de la municipalité de Château-Richer de 1990 à la date de l'évaluation. Les ventes relevées portent sur des terrains situés au sud du boulevard Ste-Anne. Des 17 ventes relevées, l'évaluateur en a conservé huit. Ces ventes avaient aussi semble-t-il été conservées par le premier évaluateur du Ministre. Vu la grande profondeur du terrain, il a utilisé la méthode de la racine carrée pour en arriver à une valeur de .04 ¢ le pied2 pour la portion du littoral, ce qui fait un total de 353,859 $. Il a évalué la portion rive à .91 ¢ le pied2, pour une somme de 6 250 $, ce qui fait un total de 360 109 $.

[17]          L'unité de comparaison utilisée par l'évaluateur du Ministre est le mètre linéaire de frontage. Cette unité a été retenue, selon l'évaluateur, parce que son analyse du marché lui a démontré que la profondeur du littoral est d'importance moindre que l'accès au fleuve avec les droits qui s'y rattachent.

[18]          L'évaluateur précédent avec lequel les évaluateurs de l'appelant avaient discuté et dont le rapport n'a pas été produit, mais qui était à la base de la cotisation en était arrivé à une valeur de terrain de 160 000 $. Son évaluation aurait pris en compte la profondeur des terrains.

[19]          Selon l'évaluateur du Ministre, qu'il y ait 300 mètres de profondeur ou 700 mètres de profondeur, cela ne fait pas de différence, il ne faut que se préoccuper du mètre linéaire de littoral. Les terrains dont l'acquisition a été analysée par l'évaluateur du Ministre était d'une profondeur d'au moins la moitié de ceux en cause. Selon lui, lors d'acquisition de terrains de villégiature, comme des terrains au bord d'un lac, ce qui a de la valeur est le front. Il a considéré que la même mesure devait être utilisée pour les fins de la présente évaluation, sans ajustement pour la profondeur du terrain. Il a retenu un taux unitaire de 100 $ le mètre linéaire, le frontage étant de 1 150 mètres, il en arrive à un total de 115 000 $, bien que la profondeur du terrain soit de 715 mètres.

[20]          Il a aussi pris en compte que la Ville de Beaupré, avec la collaboration d'organismes publics, dont notamment la Fondation de la faune du Québec, avait récemment acquis quatre propriétés. Il a inclus dans son rapport une lettre envoyée par l'avocate de la Fondation de la faune du Québec, en date du 20 juin 2000, concernant les taux unitaires payés pour différentes acquisitions au sud du boulevard dans la paroisse de Ste-Anne de Beaupré. Elle mentionne un taux unitaire de 100 $ le mètre linéaire pour trois propriétés et 154 $ pour une quatrième propriété.

Conclusion

[21]          Il ne me paraît pas plausible d'accepter que la méthode du mètre linéaire soit supérieure à celle de la méthode de la racine carrée pour évaluer des terrains de grande profondeur même s'ils sont situés en bord de rive. L'évaluateur du Ministre soutient que c'est l'analyse du marché local pour les terrains de littoral qui l'a amené à cette méthode et que cela a été confirmé par cette lettre en provenance de la Fédération de la faune.

[22]          Cette déclaration de la Fondation de la faune pourrait être intéressante si cette dernière était l'acquéreur. Ce n'est pas le cas. C'est la Ville de Beaupré. Il peut s'agir d'un outil de négociation entre cette fondation et la ville pour déterminer sa participation financière. On ne sait pas quelle méthode a suivi la Ville de Beaupré qui était l'acquéreur. Dans ces circonstances, l'information donnée par la Fondation de la faune qui de plus est très sommaire, n'est pas utile.

[23]          De plus, j'aurais souhaité que l'on me réfère à des auteurs qui auraient confirmé le bien-fondé de ne pas prendre en compte la profondeur des terrains dans l'évaluation d'un terrain situé au bord de l'eau. On ne m'a référée à aucun auteur sur la méthode à utiliser. L'évaluateur du Ministre pourrait rétorquer que l'évaluateur de l'appelant ne m'a pas fourni d'auteurs non plus sur sa méthode de la racine carrée. C'est vrai. Il me semble toutefois et avec respect, en me fondant sur ma connaissance des réactions d'un acheteur normal, que la théorie de l'évaluateur de l'appelant est plus en conformité avec la norme que celle de l'évaluateur du Ministre.

[24]          Une méthode paraît étrange, l'autre semble arriver à une valeur très élevée quand on prend en considération l'évaluation municipale et même certaines acquisitions de terrains. Toutefois, je suis d'avis que la méthode utilisée par l'évaluateur de l'appelant est plus logique surtout si l'on prend en compte l'usage optimal de ces terrains qui est un club de chasse et pêche. C'est donc celle que je dois suivre. L'avocate de l'intimée m'a suggéré de faire la part des choses, mais cela me serait difficile dans un contexte où l'on ne m'a pas spécifiquement montré les erreurs de l'évaluation de l'appelant si l'on acceptait de suivre sa méthode.

[25]          L'appel est en conséquence accordé avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars, 2001.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.