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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011115

Dossier: 97-3264-IT-G

ENTRE :

PETER M. BROWN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

INTRODUCTION

[1]            M. Peter Brown interjette appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années 1993, 1994, 1995 et 1996; dans ces cotisations, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a notamment rejeté la déduction par l'appelant, en 1993 et en 1994, de ses pertes d'entreprise réputées provenant d'une société de personnes ainsi que des frais d'intérêt rattachés à l'acquisition de parts de la société de personnes. Relativement à l'année 1995, l'intimée a supprimé le revenu déclaré par l'appelant au titre de la société de personnes et a rejeté les frais d'intérêt. L'appel concernant l'année 1996 a pour objet un rajustement corrélatif du report d'impôt minimum de l'appelant.

[2]            En décembre 1993, l'appelant, Peter Brown, a présumément acquis 80 parts de la société de personnes CEG (la « société de personnes » ou « la société de personnes CEG » ), société en nom collectif établie sous le régime des lois de l'Ontario. Cette société de personnes est réputée avoir acquis d'American Softworks Corporation ( « ASC » ), société constituée aux États-Unis, un droit indivis sur onze logiciels (les « logiciels » ou les « jeux informatiques » ), à un coût de 8 170 000 $US. La société de personnes et ASC sont réputées avoir exploité une entreprise de vente de jeux informatiques dans le cadre d'une coentreprise.

[3]            La société de personnes a inclus le coût total des logiciels dans le calcul du coût en capital de ses biens de la catégorie 12, aux termes de l'article 1100 du Règlement de l'impôt sur le revenu et de l'alinéa o) de la description de la catégorie 12 à l'annexe II de ce même règlement; ensuite, en vertu de l'alinéa 20(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), elle a déduit de son revenu pour les années 1993 et 1994 une somme au titre de la déduction pour amortissement. La société de personnes a subi une perte en 1993 et de nouveau en 1994, et l'appelant a déduit de son revenu pour ces deux années la fraction des pertes, des intérêts et des dépenses de la société de personnes imputable à sa participation dans cette dernière. En 1995, la société de personnes a dégagé un bénéfice.

Questions à trancher

[4]            Les questions à trancher dans les présents appels sont les suivantes :

a)        La société de personnes a-t-elle acquis les onze logiciels?

b)        La société de personnes a-t-elle acquis les onze logiciels en vue de tirer un revenu d'une entreprise?

c)        Au cours des années en cause, la société de personnes exploitait-elle une entreprise dans une attente raisonnable de profit?

d)        Est-ce qu'ASC et la société de personnes traitaient entre elles sans lien de dépendance? Dans le cas contraire, pour l'application des paragraphes 69(1) et (2) de la Loi, quelle était la juste valeur marchande des logiciels au 31 décembre 1993? (Pour l'établissement de la nouvelle cotisation, le ministre a déterminé que la juste valeur marchande des logiciels ne dépassait pas 225 000 $US.)

e)        Est-ce que le montant d'un billet, appelé « billet d'acquisition » , établi par la société de personnes en faveur d'ASC, fait partie du coût en capital, pour la société de personnes, des logiciels ou s'agit-il plutôt d'un passif éventuel?

f)         À la suite de certains événements postérieurs au 31 décembre 1993, l'appelant était-il réputé être un commanditaire (paragraphes 96(2.1) et (2.2))[1], et la fraction à risques de son intérêt dans la société de personnes était-elle nulle (alinéa 96(2.4)b))?[2]

g)        Les logiciels étaient-ils « prêts à être mis en service » , au sens des paragraphes 13(26) et (27) de la Loi[3], à la fin de 1993?

h)        La déduction pour amortissement déclarée par la société de personnes et les pertes d'entreprise connexes déclarées par l'appelant en 1993 et en 1994 étaient-elles raisonnables dans les circonstances, au sens de l'article 67 de la Loi?

L'opération

[5]            Au début de l'audience, les parties ont admis notamment les faits suivants[4] :

                                [TRADUCTION]

1.      Jusqu'au 1er octobre 1993, la société de personnes CEG (la « société de personnes » ) était une société en commandite constituée sous le régime des lois de l'Ontario. Aux termes d'un accord daté du 1er octobre 1993 (l' « accord de société de personnes » ), la société de personnes a été transformée par ses membres en société en nom collectif.

2.      Le 1er octobre 1993, les associés de la société de personnes étaient CEG Corporation et M. Graham Turner.

3.      Le 1er octobre 1993, M. Turner était l'unique actionnaire inscrit de CEG Corporation.

4.      La date de fin d'exercice de la société de personnes aux termes de l'article 2.04 de l'accord de société de personnes était le 31 décembre.

5.         La société de personnes a été inscrite à titre d'abri fiscal aux termes de l'article 237.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, son numéro d'inscription étant TS028910.

6.      Aux termes d'une convention de direction datée du 1er octobre 1993, CEG Corporation a convenu de remplir le rôle d'associé directeur de la société de personnes, en contrepartie d'honoraires équivalant à 2 % des sommes distribuables de la société de personnes, jusqu'à concurrence de 100 000 $US au cours d'un exercice donné.

7.      American Softworks Corporation ( « ASC » ) est une société constituée sous le régime des lois de l'État américain du Delaware.

8.      Un accord conclu le 1er octobre 1993 entre la société de personnes et ASC (l' « accord sur les logiciels » ) prévoyait notamment ce qui suit :

        a)      à la signature, la société de personnes devait acquérir un pourcentage de participation donné dans les logiciels en fonction de la quantité de fonds recueillis, sous réserve d'une participation d'au moins 27,27 % dans les 22 logiciels, ou d'une participation de 100 % dans six logiciels (partie II, article 3);

        b)     la société de personnes devait acquitter le prix d'achat des logiciels selon les modalités suivantes :

                (i)     versement à ASC d'une somme en liquide égale à 17,5 % de la valeur globale des parts, moins les frais d'émission à la signature;

              (ii)      cession à ASC des billets reçus de chaque associé par la société de personnes à la signature, ces billets représentant 22,5 % de la valeur globale des parts;

            (iii)       émission par la société de personnes, en faveur d'ASC, d'un billet d'acquisition représentant 60 % de la valeur globale des parts (partie II, article 4);

        c)      ASC a été nommée mandataire de la société de personnes aux fins de mettre au point, de perfectionner, de distribuer et de mettre en marché les logiciels et jeux vidéo à l'échelle mondiale, d'accorder des licences ou des sous-licences, de conclure des accords de sous-distribution et de fournir des services d'entretien et de garantie à l'égard des logiciels et des jeux vidéo pour le compte de la société de personnes (partie III, article 1);

        d)     les bénéfices devaient être répartis de la façon suivante :

(i) jusqu'à ce que le billet d'acquisition ait été entièrement acquitté, la société de personnes devait recevoir 82,5 % des bénéfices bruts (au sens de la notice d'offre - onglet 19) et ASC, 17,5 %;

(ii)        une fois le billet d'acquisition entièrement acquitté, la société de personnes devait recevoir 60 % de la tranche suivante de 25 millions de dollars américains de bénéfices bruts et ASC, 40 %;

(iii)         par la suite, la société de personnes et ASC recevaient chacune 50 % des bénéfices bruts (partie III, article 6);

        e)      jusqu'à ce que le billet ait été entièrement acquitté, la société de personnes convenait de consacrer l'intégralité des sommes qu'elle recevait aux termes de l'accord sur les logiciels, dans un premier temps, au versement à ASC d'une somme égale aux intérêts courus sur le billet, et dans un deuxième temps au versement à ASC d'une somme égale à 45 % du principal du billet encore payable, la société de personnes pouvant conserver le solde éventuel, une fois déduits les impôts américains payables (partie III, article 7);

f)         au cours de 1994 et de 1995, ASC devait d'abord mettre en marché les logiciels et jeux vidéo de la société de personnes en version 16 bits avant de mettre en marché d'autres jeux vidéo en version 16 bits (partie III, article 10), exception faite de certains jeux, énumérés à l'annexe 1, dont ASC était l'éditeur à ce moment[5].

9.      Aux termes de l'accord sur les logiciels, ASC assumait uniquement les coûts associés à la mise au point et à la mise en marché des logiciels et des jeux vidéo.

10.        Par voie de notice d'offre confidentielle datée du 29 octobre 1993 (la « notice d'offre » ), la société de personnes a mis en vente des parts - au moins 450 et au plus 1 650 - à un prix unitaire de 10 000 $US.

11.        Aux termes d'un accord modificateur conclu le 8 décembre 1993 et signé le 26 décembre 1993, ASC et la société de personnes ont convenu de modifier l'article 3 de la partie II de l'accord sur les logiciels de manière à préciser qu'ASC avait la possibilité de vendre un pourcentage égal de participation indivise dans chacun des 22 logiciels, ou 100 % de la participation dans un nombre plus restreint de logiciels, selon le nombre de parts de la société de personnes ayant été vendues, sous réserve d'une participation indivise d'au moins 27,27 % dans les 22 logiciels ou de 100 % dans au moins six logiciels.

12.        ASC a conclu les accords suivants (entre autres) avec des développeurs de logiciels en vue de l'acquisition de certains logiciels :

            a)      un accord daté du 1er octobre 1993 et signé le 30 décembre 1993 avec Imagitec Design Inc.

            b)     un accord daté du 1er octobre 1993 et signé le 30 décembre 1993 avec Radical Entertainment Ltd.;

            c)      un accord daté du 1er octobre 1993 et signé le 30 décembre 1993 avec Millenium Interactive Limited;

            d)     un accord conclu le 31 décembre 1993 avec Electro Brain Corp[6].

13.        Le 31 décembre 1993, ASC a signé un acte de vente portant sur onze logiciels, vendus 8 170 000 $US à la société de personnes[7].

14.            Au titre du paiement des logiciels acquis à la signature, la société de personnes a convenu d'émettre en faveur d'ASC un billet payable le 31 décembre 2003 (le « billet d'acquisition » qui portait des intérêts simples au taux annuel de 6 %) pour acquitter 4 950 000 $US du prix d'achat, a accepté de céder les billets reçus d'investisseurs dans la société de personnes pour acquitter 1 856 250 $US du prix d'achat, et a accepté de payer comptant le solde du prix d'achat, soit 1 443 750 $US[8].

15.        Le 31 décembre 1993, la société de personnes a accepté les souscriptions de 28 investisseurs portant sur 825 parts au total, à un prix unitaire de 10 000 $US (valeur totale des souscriptions : 8 250 000 $US).

16.        L'appelant a souscrit 80 parts de la société de personnes. MacLachlan Investments Corporation, société dont l'appelant est le président et l'actionnaire dominant, en a souscrit 30.

17.        M. Tryon Williams a souscrit 15 parts de la société de personnes.

18.        M. Noel Bambrough a souscrit 235 parts de la société de personnes, et 1015745 Ontario Inc., société contrôlée par ce particulier, en a souscrit 30.

19.            Chaque souscripteur devait acquitter le prix unitaire des parts, soit 10 000 $US, de la façon suivante : 6 000 $US au titre de la prise en charge d'une fraction du billet d'acquisition proportionnelle chaque part, 2 250 $US sous forme de billet et 1 750 $US sous forme de versement en liquide[9].

20.        Aux termes d'une convention de prise en charge du billet d'acquisition, chaque commandité a pris en charge, à titre personnel, la responsabilité d'une fraction du billet d'acquisition et a convenu de payer à ASC le principal et les intérêts correspondant à cette fraction du billet le 31 décembre 2003.

21.        Chaque commandité a ordonné irrévocablement à la société de personnes de verser à ASC, à même la fraction revenant à chaque associé des sommes distribuables, un montant égal à la totalité du montant payable par cet associé au titre des intérêts reliés à la prise en charge du billet, 45 % du montant résiduel servant à rembourser le solde à payer du principal.

22.        Aux termes d'un contrat de nantissement, l'appelant a affecté ses parts de la société de personnes et les produits connexes à titre de garantie de paiement du billet d'acquisition.

23.            La société de personnes n'a pas fait paraître de jeux vidéo incorporant les logiciels avant 1994.

24.        La société de personnes a inclus la totalité du coût d'acquisition des logiciels, soit 8 170 000 $US (ou 10 798 290 $CAN) dans le calcul du coût en capital de ses biens de la catégorie 12 et s'est prévalue d'une déduction pour amortissement de 5 399 145 $CAN en 1993 ainsi qu'en 1994. Le solde du capital investi par les associés, qui se chiffrait à 80 000 $US (105 736 $CAN) a servi à acquitter les frais engagés par la société de personnes relativement à l'émission de 825 parts.

25.        La déduction pour amortissement de 5 399 145 $CAN déclarée en 1993 puis en 1994 a été calculée de la façon suivante :

            Prix d'acquisition :              8 170 000 $US (10 798 290 $CAN)

            Frais d'émission :                80 000 $US (105 736 $CAN)

                    TOTAL :                       8 250 000 $US

            DPA (50 % du prix d'acquisition) :

            10 798 290 $CAN x 50 % = 5 399 145 $CAN, soit la DPA déclarée

                                                                                            chaque année.

26.        L'accord sur les logiciels a été de nouveau modifié, au moyen d'un accord conclu le 21 avril 1995 (la « modification du ratio de répartition » ) et applicable rétroactivement à compter du 1er avril 1994. Cet accord prévoyait l'incorporation de la définition de « ventes nettes » et la modification de l'article 6 de la partie II de l'accord sur les logiciels de manière que la société de personnes reçoive 100 % des bénéfices bruts ou des ventes nettes (selon les définitions de ces termes), à concurrence du montant nécessaire pour payer les intérêts courus à payer sur le billet d'acquisition; par la suite, la société de personnes avait droit à 26,25 % des ventes nettes ou, si ce montant était plus élevé, à 50 % des bénéfices bruts, déduction faite des sommes versées à la société de personnes pour permettre aux associés de payer les intérêts sur le montant non remboursé du billet d'acquisition; ASC recevait le solde.

27.        Le ratio révisé, établi conformément à la modification du ratio de répartition, a été pris en compte dans les états financiers de 1994 de la société de personnes, datés du 15 mars 1994.

28.        En 1994, les ventes totales des jeux de la société de personnes incorporant les logiciels, déclarées par ASC, se sont établies à 3 141 566 $US (onglet 115). Conformément à la modification du ratio de répartition, la part de ces ventes revenant à la société de personnes était de 578 919 $US, ou 798 746 $CAN.

29.        Dans ses déclarations de revenu de 1993 et de 1994, l'appelant a inscrit, au titre de ses parts de la société de personnes, des pertes d'entreprise de 533 790 $CAN et 448 404 $CAN ainsi que des frais d'intérêt de 11 009 $CAN et de 45 727 $CAN, respectivement.

30.        La part des bénéfices attribuée à la société de personnes pour l'exercice 1995 s'est établie à 411 780 $CAN.

31.        Dans sa déclaration de revenu de 1995, l'appelant a inscrit, au titre de ses parts de la société de personnes, un revenu d'entreprise de 38 606 $CAN et des frais d'intérêt de 42 255 $CAN.

32.        Le 22 décembre 1995, la société de personnes et ASC ont signé un accord écrit (l' « accord Super Copa » ) datant de mai 1995, qui fait la preuve de l'accord de la société de personnes concernant l'octroi d'une licence à l'égard du logiciel Super Copa au cours de 1994, puis de l'acquisition de ce logiciel le 1er janvier 1995.

33.        Ainsi que le prévoyait l'accord Super Copa, la société de personnes et ASC ont conclu un accord le 1er août 1995 et l'ont signé en décembre 1995; aux termes de cet accord, ASC a racheté l'un des onze logiciels d'origine. L'accord ne précisait pas lequel des logiciels était racheté.

34.        Conformément à un accord daté du 28 décembre 1995, la société de personnes et ASC ont convenu de modifier de nouveau l'accord sur les logiciels.

35.        Conformément à un accord conclu le 31 décembre 1995 (l' « accord modificateur no 3 » ), la société de personnes et ASC ont convenu de modifier de nouveau l'accord sur les logiciels, les modifications prenant effet le 31 décembre 1995.

[6]            Voici comment sont définis les « Computer Programs » ( « logiciels » ) dans la notice d'offre :

[TRADUCTION]

[L]es logiciels mis au point pour le commerce et conçus de façon à pouvoir être utilisés sur des consoles 16 bits Nintendo et Sega, et [acquis] avec toutes les améliorations qui y ont été apportées, mais à l'exclusion des droits de propriété intellectuelle à l'égard des noms, des marques, des noms commerciaux et des personnages ainsi que des autres droits personnels et droits de propriété de tiers n'ayant pas été acquis. Sont également exclus les marques, déposées ou non, les logos, les étiquettes et les autres droits de propriété intellectuelle de Nintendo of America, Sega Enterprises Ltd. ou American Softworks Corporation.

[7]            Outre la définition reproduite au paragraphe 6 ci-avant, l'accord sur les logiciels précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le terme « logiciels » désigne la version du code d'un logiciel électronique ou la forme du logiciel qui rend lisible la logique de programme, y compris les corrections, modifications, améliorations et mises à jour subséquentes du logiciel.

[8]            Dans la notice d'offre, le terme « Video Games » ( « jeux vidéo » ) désigne des cassettes conçues en vue d'être utilisées sur des consoles 16 bits Super Nintendo et Sega et contenant les [TRADUCTION] « logiciels » . (Je prends pour acquis que le jeu vidéo est le produit mis en vente dans le public.) Selon cette définition, un jeu vidéo n'est pas un jeu informatique, c'est-à-dire un jeu utilisé sur micro-ordinateur.

[9]            Voici l'une des déclarations et garanties d'ASC à l'intention de la société de personnes, énoncée à l'alinéa 6e) de l'accord sur les logiciels :

[TRADUCTION]

[...] ASC doit vendre au moins 135 000 exemplaires de chaque jeu vidéo en moyenne, ou 2 970 000 jeux vidéo en tout - chiffre calculé en fonction de 22 logiciels -, d'ici le 31 décembre 1998. ASC prend acte du fait que la société de personnes a été incitée à conclure le présent accord en raison de cette déclaration[10].

Je désignerai cette clause au moyen du terme « déclaration » .

[10]          M. Williams a expliqué que les onze moteurs acquis étaient destinés en bout de ligne à six jeux, dont cinq devaient être utilisés à la fois sur une console Sega et sur une console Nintendo. Ces cinq jeux sont fondés sur le même projet de conception, mais ils comptent dix moteurs parce que des langages d'assemblage différents sont requis pour chacune des deux consoles. Le sixième jeu était destiné à une seule console.

[11]          ASC est un éditeur de jeux vidéo. Elle a acquis les éléments de base d'un jeu auprès de développeurs de jeux. Elle a ensuite vendu à la société de personnes une participation indivise dans les moteurs. M. Peter Main, vice-président directeur de Nintendo, l'une des grandes sociétés de conception et d'édition de jeux et de fabrication de consoles servant à jouer aux jeux en question, a décrit les fonctions des développeurs et des éditeurs. Faisant une analogie avec l'immobilier, M. Main a décrit les développeurs comme étant ceux qui aménagent les terrains, les entrepreneurs qui établissent le code sur lequel repose le moteur de base assurant l'exécution du jeu. Les éditeurs sont pour leur part à la fois les décorateurs d'intérieurs et les courtiers immobiliers qui présentent et vendent les produits. Il y a parfois intégration de l'éditeur et du développeur; autrement dit, tous deux appartiennent à un même propriétaire. Electronic Arts Corporation ( « EA » ), qui est le leader, voire l'entreprise dominante, du secteur de la conception, du développement, de l'édition et de la vente de jeux vidéo, en est un exemple. Toutefois, dans de nombreux cas, les éditeurs font affaire avec des développeurs qui ont mis au point des moteurs de jeu.

[12]          Au cours du procès, on a utilisé les termes [TRADUCTION] « jeux » et « moteurs de jeu » sans, bien souvent, faire de distinction entre eux. Cela a causé une certaine confusion lors du procès par rapport à la question de savoir si la société de personnes avait acquis des jeux ou des moteurs auprès d'ASC. L'appelant soutient que la société de personnes a acquis des moteurs. L'intimée déclare quant à elle que la société de personnes a acquis uniquement des jeux. Sont des biens de la catégorie 12 des logiciels autres que des logiciels de base. Pour l'application de la catégorie 12, les logiciels incluent les logiciels d'application, c'est-à-dire les logiciels qui accomplissent les tâches principales du point de vue des utilisateurs[11].

[13]          Selon M. Williams, une puce informatique contenant un logiciel comprend deux composantes : le moteur, et le module. La puce est appelée MMPE[12]. Le moteur de jeu est [TRADUCTION] « le noyau du jeu informatique, qui constitue la base du programme » . Le module est la composante graphique qui s'articule autour du moteur; ce module peut facilement être modifié. Un moteur peut servir à produire plusieurs jeux : par exemple, le module ou les graphiques d'un jeu de course automobile peuvent être modifiés pour obtenir un jeu de courses de chevaux, le moteur assurant l'exécution des fonctions de course. Ainsi que l'a indiqué M. Main, le moteur contient le code source, c'est-à-dire le programme sur lequel repose le jeu. M. Wilkinson, président de Radical Entertainment, a ajouté que le moteur contient la programmation ou le codage du jeu - le code source; si je comprends bien, on y greffe les graphiques et les pistes audio pour créer le jeu.

[14]          M. Williams a expliqué comment avaient été conçus les jeux vidéo 16 bits de Nintendo et Sega en 1993. Le programmeur établissait un programme en langage d'assemblage sur un micro-ordinateur. Le programme contient le code source. Une fois achevé, le programme était lu à l'intérieur d'un autre programme, en fait un système de création de programme breveté appartenant à Nintendo ou à Sega - ce qu'on appelait un programme d'assemblage. Chaque développeur titulaire de licence de Nintendo et de Sega disposait du système de conception adéquat. Ce programme transitait par un programme de traduction en vue de produire un code objet, que la console Nintendo ou Sega pouvait lire. Le programme est contenu dans une cassette que l'on insère dans la console; la cassette contient une [TRADUCTION] « petite puce noire » , la MMPE[13].

[15]          Une fois au point, la MMPE est envoyée au fabricant (p. ex., Nintendo ou Sega) pour approbation. Cela fait, l'éditeur présente la MMPE et les illustrations originales pour l'emballage et les manuels, notamment, au fabricant pour approbation finale. L'éditeur commande ensuite au fabricant le nombre de jeux qu'il souhaite recevoir; après avoir reçu les jeux, il les vend à des distributeurs et aux grands détaillants, qui les vendent à leur tour au public.

[16]          Selon l'appelant, la société de personnes a acquis des moteurs de jeu plutôt que les droits sur les seuls jeux. M. Williams a témoigné que la société de personnes a acquis les moteurs de jeu devant lui permettre [TRADUCTION] « de produire autant de jeux que nous le souhaitons au fil du temps à l'aide des moteurs » . Par contre, M. Graham Turner, avocat canadien de CEG Corporation, l'associé directeur de la société de personnes, ainsi que d'ASC, a écrit à Revenu Canada le 30 août 1995. M. Turner a comparé la société de personnes CEG à une autre société de personnes dont M. Williams faisait la promotion, la [TRADUCTION] « société de personnes PEG » et a indiqué que [TRADUCTION] « CEG axe ses activités sur les " logiciels de jeu " alors que ce sont les " moteurs de jeu " qui constituent le centre des activités de PEG » . Il avait semble-t-il joint un extrait de la notice d'offre de PEG, où l'on décrivait cette différence; toutefois, la lettre n'était pas accompagnée de cette pièce jointe[14].

[17]          M. Williams n'était pas d'accord avec la description faite par M. Turner. À son avis, la notice d'offre faisait mention d'un moteur. M. Kosovitch estimait lui aussi qu'ASC avait acquis les moteurs auprès des développeurs et les avait vendus à la société de personnes. M. Wilkinson a dit que, lorsque Radical a vendu un logiciel à ASC, [TRADUCTION] « elle lui [ASC] avait vendu en fin de compte le moteur utilisé dans un jeu de hockey [...] » .

[18]          Les définitions de « computer software programs » et « computer programs » (les « logiciels » ) dans la notice d'offre et dans l'accord sur les logiciels visent les moteurs. Bien que le moteur constitue une partie importante du jeu, une fois celui-ci achevé, l'utilisateur n'est généralement pas conscient de sa présence et ne peut faire la différence entre les fonctions du jeu qui lui sont attribuables et celles qui sont attribuables au module. Il semble probable que la confusion existant entre les jeux et les moteurs soit due à la difficulté qu'il y a à discuter d'un moteur donné ou à en faire mention sans se le représenter sous la forme d'un jeu dont certains éléments sont absents plutôt que comme un simple moteur qui, une fois certaines tâches complémentaires effectuées, peut devenir un jeu. Les accords conclus entre les développeurs et ASC indiquent que les moteurs constituent l'objet des opérations. Par exemple, M. Wilkinson est persuadé que Radical vendait un moteur. De même, ASC et la société de personnes sont persuadées que cette dernière a acquis des moteurs.

[19]          Je ne souscris pas à l'argument des avocats de l'intimée selon lequel [TRADUCTION] « il aurait été illogique de la part de CEG d'acquérir onze moteurs distincts pour produire onze jeux vidéo » . Bien que chaque moteur puisse servir à la production de nombreux jeux, l'éventail de jeux pouvant être produits à partir d'un moteur est circonscrit. Si la société de personnes avait acquis moins de moteurs, il y a lieu de penser que les jeux produits en bout de ligne auraient pu être très similaires entre eux et risquer de se faire concurrence. Cette situation aurait entraîné une nette hausse du risque pour la société de personnes. De plus, si les avocats ont raison, la meilleure solution du point de vue d'ASC aurait consisté à acquérir trois ou quatre moteurs seulement, puis à vendre à la société de personnes onze jeux produits à l'aide de ces moteurs (dans ce scénario, la société de personnes aurait ignoré qu'un même moteur aurait servi à produire plus d'un jeu). Si ASC était réputé vendre les jeux, mais non les moteurs, ce scénario est le plus attrayant au plan des affaires. Le fait que les choses ne se soient pas déroulées ainsi donne à croire que les moteurs de jeu constituaient l'objet de l'opération entre ASC et la société de personnes. Malgré le fait que les témoins aient utilisé des termes comme [TRADUCTION] « jeux » et « logiciels » , ce qui était désigné, c'était ce qui avait présumément été acquis par la société de personnes, c'est-à-dire des moteurs de jeu.

TÉMOIGNAGES

Peter Brown

[20]          Peter Brown, l'appelant, est président et chef de la direction de la maison de courtage Canaccord Capital Corporation ( « Canaccord » ). Il a déclaré que, du fait de ses fonctions, de nombreuses occasions de placement s'offrent à lui, la société de personnes CEG en étant un exemple.

[21]          À un moment quelconque avant octobre 1993, M. Williams a communiqué avec M. Brown ou avec Robert McNair, l'un des vice-présidents de Canaccord à l'époque, pour leur offrir la possibilité d'investir dans la société de personnes CEG. M. Williams était un client de M. McNair. Sur l'incitation de membres de la direction d'ASC, M. Williams a mis sur pied la société de personnes et a subséquemment négocié l'acquisition des jeux; de plus, il dirigeait la société de personnes par l'intermédiaire d'une société. Par le passé, il avait déjà mis sur pied au moins une autre occasion d'investissement dans une société de personnes et en avait fait la promotion. Après 1993, il a continué de mettre sur pied avec ASC d'autres sociétés de personnes spécialisées dans le domaine des logiciels et de vendre des parts aux investisseurs.

[22]          M. Brown et M. Williams se connaissaient depuis les années 60. M. Williams était actif dans le domaine de la technologie et avait une participation importante dans une société de jeux vidéo qui a été vendue à EA. M. Williams devait devenir plus tard président d'EA Canada et vice-président et membre du conseil de direction d'EA. Il s'est retiré de ses fonctions chez EA en juin 1993. M. Brown avait fait appel aux services de M. Williams à titre d'expert-conseil en technologie dans le cadre des activités de contrôle préalable rattachées à un investissement antérieur dans le domaine de la technologie. Il avait une confiance totale en M. Williams.

[23]          M. Brown a nié avoir acquis les parts de la société de personnes pour se prévaloir d'une perte fiscale; il a dit que, en 1993, les investissements dans les jeux vidéo étaient très prometteurs et qu'il prévoyait faire de l'argent.

Tryon Williams et Steven Grossman

[24]          C'est dans le cadre de son travail chez EA que M. Williams a rencontré pour la première fois Steven Grossman, l'un des dirigeants d'ASC. EA avait confié à Entertainment Marketing & Communications International Ltd. ( « EMCI » ), société liée à ASC, la tâche de participer à des activités de commercialisation. M. Williams a « probablement » fait part à M. Grossman de son départ prochain de chez EA, et ce dernier a exprimé le souhait que M. Williams continue de prêter main forte à ASC dans l'avenir.

[25]          Le 26 mai 1993, M. Grossman a envoyé à M. Williams une note exposant un projet de coentreprise de logiciels visant les contribuables canadiens. M. Grossman et son associé, William Kosovitch, étaient des Canadiens résidant aux États-Unis. M. Kosovitch est comptable agréé et a travaillé pour un cabinet national canadien de vérification comptable à titre d'administrateur fiscal. Dans la note, M. Grossman qualifiait M. Williams de [TRADUCTION] « parrain » des coentreprises de logiciels. Il a appelé ASC [TRADUCTION] « notre petite société [qui] avait mené des activités pendant 18 mois grâce à des fonds de 1,5 million de dollars puisés à même notre capital » . Grâce à l'aide de M. Williams, ASC pourrait devenir une entreprise [TRADUCTION] « importante » . M. Grossman a indiqué à M. Williams qu'ASC avait une licence accordée par Nintendo pour l'édition de quatre jeux en Amérique du Nord et en Europe, et qu'elle prévoyait obtenir une licence de Sega [TRADUCTION] « d'ici les prochaines semaines » . Le [TRADUCTION] « marketing séduisant » d'EMCI devait également attirer les investisseurs. EMCI a exploité l'entreprise de commercialisation et a établi des liens avec des studios de cinéma et d'importantes sociétés de produits de grande consommation. Elle a également eu des rapports avec des concédants de licence de produits médias et de figurines. ASC prévoyait que les liens établis par EMCI seraient très utiles aux fins de commercialiser ses jeux vidéo, grâce aux compétences de cette dernière en matière de commercialisation et de publicité croisée.

[26]          D'après M. Grossman, ASC avait au départ tenté d'obtenir des fonds au moyen d'un premier appel public à l'épargne; toutefois, étant donné qu'il s'agissait d'une nouvelle société, son évaluation était [TRADUCTION] « très basse » , et les investisseurs voulaient [TRADUCTION] « un nombre excessif d'actions en contrepartie de capitaux de départ de 7 à 10 millions de dollars » . C'est pourquoi M. Grossman a communiqué de nouveau avec M. Williams en août 1993; il lui a demandé au moyen d'une note datée du 26 août d'aider ASC à l'égard d'une [TRADUCTION] « offre portant sur des biens de la catégorie 12 » , soit un ensemble de jeux 16 bits destinés aux appareils (ou consoles) fabriqués par Nintendo et Sega.

[27]          Au 15 septembre 1993, M. Williams avait convenu [TRADUCTION] « d'étudier la possibilité de participer au projet de production de biens de la catégorie 12 d'ASC à titre de commandité » . Dans une note portant la date en question, M. Grossman lui faisait savoir qu'ASC avait trouvé un certain nombre de [TADUCTION] « moteurs de jeu d'avant-garde » pouvant servir à la conception de jeux de pêche, de boxe, de motos tout-terrain et de hockey sur patins à roulettes ainsi que de jeux éducatifs, et que chaque [TRADUCTION] « moteur [...] pouvait justifier une évaluation de 1,2 à 1,5 million de dollars américains [...] » .

[28]          M. Williams estimait ce chiffre trop élevé et a indiqué à M. Grossman [TRADUCTION] « [qu']il serait difficile de vendre des parts de société de personnes [en utilisant] ces chiffres [...] » . M. Williams estimait que la [TRADUCTION] « valeur courante » d'un moteur de jeu élaboré par un développeur de bonne réputation ne dépassait pas 1 million de dollars américains. Dans le cas de développeurs étrangers moins connus, le prix de vente d'un moteur était de 15 000 $US. Le prix habituel variait entre 210 000 $US et 768 000 $US. M. Williams a déclaré que M. Grossman et lui sont revenus à de nombreuses reprises sur la question du prix; il estimait pour sa part que ce prix ne devait pas être supérieur à 750 000 $US le jeu. Toutefois, à la mi-septembre, ASC envisageait encore de vendre 22 jeux pour un montant total de 16 800 000 $US, soit 763 636 $US le jeu.

[29]          Le 27 septembre 1993, M. Grossman a écrit à M. Williams pour lui dire qu'il [TRADUCTION] « comprenait » ses hésitations par rapport à une évaluation audacieuse des prix et qu'il était disposé à ramener le prix unitaire des moteurs à 750 000 $US, d'après une vente précédente qu'il qualifiait de vente de référence de l'industrie. Dans une lettre datée du 1er octobre 1993, M. Williams a informé M. Grossman qu'il était disposé à présenter la société de personnes à [TRADUCTION] « un groupe d'investisseurs triés sur le volet » , en se fondant sur les chiffres d'évaluation révisés, à la condition notamment qu'il soit l'associé directeur de la société de personnes.

[30]          En septembre, M. Kosovitch avait demandé à Michael Ozerkevich, dirigeant d'emc partners[15], de préparer une évaluation à l'appui de l'offre portant sur les logiciels à l'intention des investisseurs.

[31]          Entre-temps, M. Brown communiquait avec des gens de l'industrie des jeux qu'il connaissait à des fins de contrôle préalable. M. McNair a fait une bonne part des activités de contrôle préalable pour M. Brown, ainsi que ce dernier l'a indiqué dans son témoignage. M. Brown a communiqué avec Peter Main, de Nintendo. Ce dernier a confirmé que l'offre d'ASC, soit 750 000 $US le jeu, était raisonnable. Il a également dit que les dirigeants d'ASC avaient une bonne réputation dans le domaine des jeux électroniques.

[32]          Parallèlement, M. Williams examinait les jeux dans les locaux des développeurs. D'après ses propos, les employés des développeurs et lui jouaient aux jeux; toutefois, il ne se rappelait pas quels jeux il avait examinés ni comment ils s'appelaient.

Situation qui existait à l'égard des logiciels 16 bits

[33]          Les opinions variaient nettement entre les parties au sujet de la demande de logiciels 16 bits à la fin de 1993. L'intimée a fait l'hypothèse que la demande de jeux 16 bits avait diminué en 1993. Sega et Nintendo devaient lancer des consoles 32 bits en 1994; la société Nintendo avait annoncé qu'elle commencerait à vendre des consoles 64 bits en 1995. Ces consoles avaient une plus grande capacité que les consoles 16 bits sans coûter beaucoup plus cher, selon l'intimée.

Peter Main

[34]          Lors de son témoignage, M. Main a dit que, à la fin de 1993, Nintendo se consacrait activement à la vente de jeux vidéo destinés à sa console 16 bits, et que les jeux conçus par ASC à titre de titulaire de licence de Nintendo pouvaient aboutir sur le marché de détail, malgré le fait que les jeux en étaient à différentes étapes de mise au point. M. Main estimait que, en 1993, la technologie 16 bits en était à la deuxième année d'un cycle de cinq ans, si l'on se fiait à ce qui s'était passé pour la génération précédente de consoles 8 bits ainsi qu'à la somme de temps requise pour passer d'une génération de logiciels à l'autre sur la même console. (Une génération correspond au perfectionnement, par le développeur, de la console et des logiciels utilisés de concert avec celle-ci.) Il a reconnu que, dès avant la fin de 1993, les forces du marché laissaient présager le déclin de la technologie 16 bits. La technologie 32 bits est apparue à la fin de 1993 et au début de 1994; néanmoins, à la fin de 1993, Nintendo pensait qu'il y avait un bel avenir pour le marché de la technologie 16 bits. M. Main a déclaré que, même à l'époque où s'est tenu le procès, le marché de la technologie 16 bits demeurait actif; par contre, lors du contre-interrogatoire, il a admis que le déclin de la technologie 16 bits avait commencé avant 1994.

[35]          Le témoignage de M. Main m'a beaucoup aidé à comprendre l'industrie du jeu vidéo dans l'optique des appels en instance, ainsi que la philosophie qui prévalait au sein de cette industrie à la fin de 1993. Il a expliqué que l'industrie du jeu vidéo compte trois subdivisions : (1) les ventes de matériel, soit les appareils (consoles) fabriqués par Nintendo et Sega; (2) les ventes de logiciels (jeux); (3) les ventes d'accessoires. La marge bénéficiaire sur les ventes d'appareils est peu élevée, le but étant de créer un bassin d'utilisateurs de consoles qui joueront aux jeux (logiciels). La marge sur les ventes de logiciels est plus élevée. Des sociétés comme EA créent des jeux, tandis que des sociétés comme Nintendo octroient des licences relatives à l'utilisation de leurs appareils à d'autres sociétés, par exemple EA. Nintendo et Sega conçoivent cependant elles-mêmes des jeux, de sorte que les appareils et les jeux puissent être mis sur le marché simultanément.

[36]          En novembre 1993, on comptait environ 75 jeux conçus pour les consoles 16 bits sur le marché nord-américain. M. Main classait les jeux en trois catégories fondées sur les ventes : la catégorie AAA (plus d'un million d'exemplaires vendus); la catégorie AA (environ 750 000 exemplaires vendus); et la catégorie C (environ 250 000 exemplaires vendus). On parlera de [TRADUCTION] « jeu médiocre » dans le cas d'un jeu dont seulement 150 000 à 200 000 exemplaires sont vendus.

R.E. McNair

[37]          M. McNair n'était pas préoccupé outre mesure par l'apparition éventuelle de la technologie 32 bits sur le marché. Après tout, à la fin de 1993, le nombre de consoles 16 bits vendues se situait entre 45 et 50 millions. Il était persuadé que la technologie 16 bits était populaire et que le bassin d'utilisateurs était étendu. Après avoir connu un déclin en 1993, le marché de la technologie 16 bits s'est effondré en 1994.

[38]          M. Salyer, dirigeant d'EA, avait dit à M. Coleman, autre dirigeant d'ASC, qu'un produit 16 bits (Nintendo ou Sega) typique se vendait à plus de 150 000 exemplaires ou rapportait à l'échelle mondiale des bénéfices bruts de plus de 1 500 000 $ à l'éditeur.

[39]          J'accepte le témoignage de M. McNair lorsque celui-ci déclare que, à la fin de 1993, une personne raisonnable aurait prévu que la popularité des jeux 16 bits durerait après 1993. Par contre, je me serais demandé combien de temps cette popularité pourrait durer. Lorsque la Couronne donne à entendre que, à la fin de 1993, la technologie 32 bits allait rendre les appareils 16 bits obsolescents d'ici un an ou deux, elle pose en fait un jugement à posteriori, sans tenir compte des articles publiés dans les revues populaires.

[40]          Au cours de ses conversations avec M. McNair, M. Main a abordé la question des coûts habituellement associés à la conception d'un logiciel par un titulaire de licence de console Super Nintendo Entertainment System ( « SNES » ) de Nintendo. Dans une lettre datée du 19 novembre 1993, il a expliqué que [TRADUCTION] « les coûts requis au départ pour le développement d'un jeu donné seront fonction de l'éventail de facteurs en jeu, par exemple la taille de la mémoire et le fait que le jeu repose sur un concept entièrement nouveau ou sur un concept existant à l'égard duquel une licence a été obtenue (film, équipe sportive, etc.) » . Le coût estimatif total de développement d'un jeu pouvait varier entre 210 000 $US et 768 000 $US, ce qui inclut la conception et la programmation du jeu (de 200 000 $ à 750 000 $) ainsi que la création et la mise au point de l'emballage (de 10 000 $ à 18 000 $). Des frais de licence (droits d'auteur appartenant à un tiers) pourraient, selon M. Main, ajouter jusqu'à 1 million de dollars américains à ces coûts. Il faut ensuite ajouter les frais de fabrication (par exemple les redevances payables à Nintendo ainsi que les logiciels, les manuels et l'emballage livrés FAB depuis Kyoto), qui peuvent aller de 16,80 $US à 28 $US pour chaque exemplaire de jeu selon la capacité de mémoire, ainsi que les frais de transport, de distribution, de marketing, etc. Il est précisé dans la notice d'offre que les coûts de développement et de licence d'un jeu type pour un éditeur se chiffrent entre 200 000 $US et 400 000 $US.

[41]          M. Main a dit à M. McNair qu'un bon jeu vidéo est un jeu [TRADUCTION] « amusant, excitant et stimulant » . Il a expliqué que la plus grande partie des ventes d'un jeu donné se font au cours des 90 premiers jours suivant l'apparition du jeu sur le marché, mais que les ventes se poursuivent pendant 12 mois, tout dépendant de la date où le jeu arrive sur le marché. Les ventes effectuées durant la période des fêtes représentent de 40 à 50 % des ventes totales.

[42] Dans le cadre des activités de contrôle préalable menées pour le compte de M. Brown, M. McNair ne s'est pas rappelé [TRADUCTION] « de façon précise » avoir examiné les états financiers prévisionnels de la coentreprise pour 1994, 1995 et 1996, que lui avait envoyés ASC. Les ventes prévues dans l'état des résultats se chiffraient à 300 000 exemplaires de jeux en 1994, à 2 260 000 exemplaires en 1995 et à 1 640 000 exemplaires en 1996. Donc, 4,2 millions d'exemplaires de jeux devaient être vendus au cours de ces trois années, soit 190 000 exemplaires de chaque jeu. Précédemment, M. McNair avait déclaré qu'un jeu dont on vendait 200 000 exemplaires était un [TRADUCTION] « bon » jeu. (Je souligne que le nombre d'exemplaires mentionné par M. Main pour caractériser un bon jeu était différent.) Toutefois, si quelqu'un acquiert un ensemble de jeux, [TRADUCTION] « il suffit que l'un des jeux soit un succès, dont on vend un million d'exemplaires » , pour que la réussite soit assurée. Selon M. McNair, les ventes moyennes prévues, soit 190 000 exemplaires de chaque jeu, étaient raisonnables, [TRADUCTION] « même si aucune analyse des jeux n'a été effectuée » .

[43]          La notice d'offre fait mention d'un [TRADUCTION] « rapport d'évaluation indépendant » des jeux, préparé par « emc partners » ; dans ce rapport, la participation intégrale dans les 22 jeux était évaluée à au moins 16 500 000 $US. Il s'agit du rapport de M. Ozerkevich. M. McNair ne se souvenait pas avoir examiné ce rapport d'évaluation dans le cadre de ses activités de contrôle préalable pour le compte de M. Brown. Il a toutefois indiqué avoir discuté avec M. Williams du rapport et des compétences des personnes l'ayant élaboré. Disposant de ces données transmises verbalement, il estimait n'avoir pas besoin d'examiner l'évaluation d'emc aux fins de contrôle préalable. Par suite de ses conversations avec M. Main, M. McNair n'estimait pas nécessaire d'examiner les contrats de licence entre ASC et Nintendo. Étant donné qu'ASC était titulaire d'une licence, il ne voyait aucun obstacle à l'égard de l'exploitation des jeux.

[44]          M. McNair n'a pas été troublé par le fait que, aux termes de l'accord de licence de Nintendo, ASC ne pouvait produire plus de six produits assujettis à la licence à l'intérieur d'une période de douze mois. En octobre 1993, ASC a transmis un document intitulé Nintendo/Sega Investment Opportunity Overview ( « Aperçu des occasions d'investissement - Nintendo/Sega » ). ASC indiquait que l'édition de ses jeux, tant pour les consoles 8 bits que pour les consoles 16 bits Nintendo, avait été [TRADUCTION] « une activité rentable » . Les jeux devant être édités par ASC pour Nintendo étaient énumérés, et trois de ces jeux devaient être distribués à la fin de 1993 ou au début de 1994. Par conséquent, ainsi que l'ont fait remarquer les avocats de l'intimée, si trois jeux étaient déjà destinés à la console Nintendo. la société de personnes ne pouvait plus produire que trois jeux durant la période de douze mois en question.

Larry Van Hatten

[45]          Selon Larry Van Hatten, l'associé responsable du compte de M. Brown, le cabinet de vérification comptable Ellis Foster représente l'appelant ainsi que la plupart des cadres de Canaccord. M. Brown se fiait [TRADUCTION] « dans une très large mesure » sur le cabinet Ellis Foster [TRADUCTION] « pour effectuer le contrôle préalable à l'égard d'opérations » , et il avait demandé à M. Van Hatten d'examiner la proposition de la société de personnes CEG [TRADUCTION] « d'un point de vue fiscal ainsi qu'à des fins de contrôle préalable » .

[46]          M. Van Hatten a décrit son rôle comme étant celui de quart-arrière au sein de son cabinet, et il a demandé à un associé, Jeff Mann, qui assurait l'exécution des [TRADUCTION] « tâches courantes » , d'examiner la documentation, de communiquer avec les conseillers juridiques, d'étudier les états financiers et l'évaluation ainsi que de scruter les promoteurs. Il a parlé aux gens de l'industrie. Le cabinet affilié de Toronto a mené des activités de contrôle préalable au sujet de l'évaluation, étant donné que les évaluateurs, emc, étaient torontois.

[47]          M. Van Hatten a examiné la notice d'offre et a préparé des notes portant sur différentes questions dont il convenait de tenir compte, par exemple la responsabilité solidaire des associés, les honoraires de M. Williams, l'évaluation des jeux, les composantes du prix d'achat - versements en espèces par rapport aux billets -, la déduction pour amortissement et la garantie d'ASC (la déclaration) au chapitre des ventes pour chaque jeu. M. Van Hatten a calculé quelle devait être la valeur moyenne relativement à chaque part pour que M. Brown atteigne le seuil de rentabilité par rapport à son investissement. Il a également préparé une liste de points à considérer relativement aux risques courus par M. Brown à l'égard de cet investissement.

[48]          Après avoir reçu le rapport de M. Mann, M. Van Hatten a fait savoir à l'appelant que, relativement à l'entreprise exploitée par la société de personnes, [TRADUCTION] « la participation à cette affaire présentait certaines possibilités, mais également certains risques » .

[49]          M. R. Stewart, conseiller juridique de Canaccord et de l'appelant, a confirmé à M. Mann que la déclaration d'ASC concernant les ventes [TRADUCTION] « n'aura pas pour effet de décharger les investisseurs de l'obligation d'acquitter les billets dans l'éventualité où les volumes de ventes ne sont pas atteints » . Ainsi que l'a écrit M. Stewart, la garantie ne fait qu'offrir une cause d'action en dommages-intérêts en cas d'inexécution. Cette opinion a rassuré M. Van Hatten.

[50]          M. Van Hatten était réticent à répondre aux questions des avocats de l'intimée. Il ne se souvenait pas avoir vu ou examiné l'accord sur les logiciels ou le rapport d'évaluation d'emc. Il ne se souvenait pas non plus avoir étudié les états financiers prévisionnels de la société de personnes. Il était [TRADUCTION] « certain » que M. Mann avait examiné les prévisions de trésorerie de la société de personnes ainsi que d'autres documents. Il ne paraissait pas particulièrement préoccupé par le fait que le cabinet affilié de son cabinet à Toronto n'ait pas été capable d'obtenir de renseignements sur emc. Il appert que les locaux d'emc se trouvaient dans une maison située à East York - nom de la municipalité à l'époque - et que le dirigeant d'emc, Michael Ozerkevich, n'était membre d'aucune institution d'évaluation reconnue, par exemple l'Institut canadien des experts en évaluation d'entreprises ou l'Institut canadien des évaluateurs. Le cabinet affilié de Toronto n'a pu trouver personne connaissant bien le nom de Michael Ozerkevich.

[51]          En réponse aux questions des avocats de l'intimée, M. Van Hatten a convenu que, d'après les renseignements fournis dans la notice d'offre, la structure de la société de personnes faisait que le montant déboursé par l'investisseur était inférieur au montant d'impôt sur le revenu qu'il économisait. De fait, cet excédent se chiffrait à 1 366 $US pour chaque part. [Dans les états financiers prévisionnels de la coentreprise d'ASC et de la société de personnes pour 1994, 1995 et 1996, envoyés à M. Williams par M. Kosovitch le 10 novembre 1993, on supposait que la société de personnes faisait l'acquisition de 22 jeux.]

Noel Raymond Bambrough

[52]          Noel Bambrough est également l'un des investisseurs dans la société de personnes CEG. Je considère que son témoignage est sincère et crédible. M. Bambrough était actionnaire d'une société de câblodistribution, qui a été vendue à Shaw Communications Inc. ( « Shaw » ). En 1993, M. Bambrough était vice-président directeur de Shaw et envisageait d'investir l'argent reçu par suite de la vente de ses actions. Il a dit qu'il souhaitait investir dans un domaine qu'il connaissait jusqu'à un certain point.

[53]          Ce sont ses avocats qui lui ont parlé de la société de personnes CEG. Il possédait des connaissances sur les jeux vidéo et le lien possible avec la câblodistribution. [TRADUCTION] « [Il] se disai[t] que, si les jeux [n'obtenaient] pas un grand succès, [ils] pourraient être distribués sur les chaînes de câblodistribution. » Certains prédisaient à l'époque que des services de chaînes interactives seraient bientôt offerts dans le domaine de la câblodistribution.

[54]          M. Bambrough a eu des échanges avec M. Brown et a discuté de l'investissement avec M. Main. Ses avocats ont examiné l'accord sur les logiciels avec ASC et lui ont fait part des questions d'ordre fiscal rattachées à l'investissement. M. Bambrough a été averti du risque personnel qu'il assumait relativement au billet.

[55]          Selon ses comptables qui ont examiné le rapport d'emc, les chiffres indiqués dans le rapport étaient conservateurs; le témoin a dit que cette constatation l'avait rassuré. Il en a été de même de la valeur actualisée nette estimative, étant donné que cette approche était également utilisée dans l'industrie de la câblodistribution pour évaluer les actifs.

[56]          M. Bambrough et ses conseillers ont également rencontré MM. Grossman et Kosovitch d'ASC pour leur demander des renseignements, [TRADUCTION] « évaluer leur compétence et se faire une opinion sur eux en tant que personnes » . En conformité avec une condition dont était assorti son investissement dans la société de personnes CEG - dont il était le plus important investisseur particulier -, il a été nommé administrateur d'ASC en 1994. M. Williams a également été nommé au conseil d'administration d'ASC.

[57]          Au moment où il négociait l'acquisition de sa participation dans la société de personnes CEG, M. Bambrough savait que l'apparition de jeux 32 bits sur le marché était imminente; toutefois, d'après les renseignements dont il disposait, [TRADUCTION] « il y avait 13 millions de consoles 16 bits, et ce nombre grimperait à 50 ou 60 millions dans un an et demi à deux ans » , pour atteindre un sommet de 60 millions au moment où les consoles 32 bits remplaceraient les appareils 16 bits. [TRADUCTION] « Il y avait amplement le temps de faire de l'argent grâce à la technologie 16 bits. » La vente de 135 000 exemplaires de chaque jeu permettrait de couvrir le montant des billets.

[58]          M. Bambrough croyait savoir que les jeux devant être acquis étaient prêts à être utilisés, si l'on faisait exception de quelques graphiques à achever; rien n'empêchait leur mise en marché. Toutefois, ce ne sont pas tous les jeux qui ont été commercialisés, ce qu'il a découvert [TRADUCTION] « probablement » à la fin de 1995. Lors d'une réunion du conseil d'administration d'ASC tenue le 4 mai 1995, il a été informé - [TRADUCTION] « et ce n'était pas la première fois » - de la situation touchant les consoles 16 bits, et il [TRADUCTION] « étai[t] préoccupé » . M. Bambrough avait eu [TRADUCTION] « des rapports périodiques » avec MM. Grossman et Williams et, en 1994, il était convaincu que tout se déroulait comme prévu au départ. À la fin de 1994, de nouveaux fabricants sont apparus sur le marché, et il a commencé à ressentir de l'inquiétude.

Modifications apportées à l'accord sur les logiciels

Accord modificateur no 1

[59]          En 1994 et en 1995, M. Williams a vendu, pour le compte d'ASC, des parts de sociétés de personnes spécialisées dans les logiciels, soit la société en commandite AVC (la « société de personnes AVC » ) et la société en commandite PEG (la « société de personnes PEG » ), respectivement. Les modalités de répartition des bénéfices étaient plus avantageuses pour les associés dans le cas des sociétés de personnes AVC et PEG que dans celui de la société de personnes CEG. Selon M. Brown, M. Williams [TRADUCTION] « a défendu nos intérêts » afin d'obtenir les mêmes avantages que ceux offerts par la société de personnes AVC. Cela a donné lieu à la première modification de l'accord sur les logiciels. Le 21 avril 1995, les modalités de répartition des bénéfices entre ASC et la société de personnes ont été modifiées, cette modification étant applicable à compter du 1er janvier 1994, de façon que la formule de répartition des bénéfices soit la même pour toutes les sociétés de personnes. (Il s'agit de la « modification du ratio de répartition » mentionnée au paragraphe 5 de l'exposé conjoint des faits; je l'appelle l' « accord modificateur no 1 » .)

[60]          M. Turner, avocat d'ASC, avait informé les associés de CEG que, par suite de cette modification, la société de personnes CEG recevrait la totalité des ventes nettes, jusqu'à concurrence de la somme requise pour acquitter les intérêts sur le billet d'acquisition, puis 26,25 % des ventes nettes ou, si ce montant était plus élevé, 50 % des bénéfices bruts, déduction faite de tout montant versé à la société de personnes en vue du paiement des intérêts sur le billet d'acquisition. Du fait de cette modification, la part des bénéfices revenant à la société de personnes a augmenté de quelque 300 000 $US pour 1994 et, selon M. Turner, le [TRADUCTION] « montant versé en remboursement du billet d'acquisition » a été majoré de 120 000 $US environ.

Accord modificateur no 2

[61]          ASC et la société de personnes ont ensuite apporté des modifications - [TRADUCTION] « applicables à compter du 31 décembre 1995 » [16] - à l'accord sur les logiciels, tel que modifié « le 25 avril [sic] 1995 » , de manière notamment que, pour les exercices postérieurs à 1994, la société de personnes ait droit à la totalité des bénéfices bruts ou des ventes nettes, jusqu'à concurrence de 300 000 $, ASC recevant l'excédent. (J'appellerai cet accord l' « accord modificateur no 2 » .) Également, le 31 décembre 2003, une filiale d'ASC, Hypersoft Games Ltd., devait acquérir jusqu'à 825 parts de la société de personnes CEG à un prix unitaire de 8 000 $US plus une somme représentant un pourcentage de la valeur des actions du capital-actions d'ASC émises dans le public au 31 décembre 2003. Le prix d'achat acquitté par Hypersoft devait d'abord être imputé au solde impayé à ce moment des billets d'acquisition détenus par ASC (4 870 097 $US), le reste du montant étant payable en liquide ou en actions d'ASC émises dans le public, cette décision étant laissée à la discrétion d'Hypersoft. Toutefois, si les ventes nettes de jeux vidéo n'avaient pas dépassé 8 millions de dollars américains à la fin de 1995, la société de personnes pouvait, entre le 1er janvier et le 15 mars 1996, exercer un choix en vue de [TRADUCTION] « modifier de nouveau l'accord sur les logiciels » de façon à remplacer les dispositions en vigueur à la suite de l'accord modificateur no 2 par les dispositions dans leur version du 25 avril (sic) 1995.

[62]          Selon M. Kosovitch, l'accord modificateur no 2 permettait à la société de personnes d'obtenir une fraction des bénéfices jusqu'à concurrence du montant des intérêts sur le billet d'acquisition, soit 292 242 $US. De cette manière, selon lui, dans les états financiers d'ASC, la société apparaîtrait rentable, ce qui serait utile aux fins de la transformer en société ouverte.

Accord modificateur no 3

[63]          Enfin, une autre modification de l'accord sur les logiciels conclu entre ASC et la société de personnes (l' « accord modificateur no 3 » ) a été [TRADUCTION] « apportée ce 31e jour de décembre 1995 » . M. Williams a déclaré lors de son témoignage que cette modification découlait du déclin du marché de la technologie 16 bits en 1995 ainsi que des erreurs flagrantes au chapitre des prévisions de ventes de jeux établies en 1993. Dans les faits, les ventes de jeux enregistrées dans le cadre de la coentreprise ont été très décevantes, et le jeu Fun Islands/Trolls n'a pas été commercialisé en version compatible avec les consoles SNES ou Genesis de Sega. Le jeu Canondale Cup/TransFighters s'est vendu à moins de 10 000 exemplaires. La version du jeu de hockey pour la console SNES n'a jamais été mise sur le marché, et on a laissé tomber la version destinée à la console Genesis de Sega. Les produits destinés à la console Pico n'ont pas été commercialisés. Quant au jeu Copa conçu pour Sega, il s'en est vendu 24 000 exemplaires environ. Le seul jeu s'étant assez bien vendu fut TNN Fishing, dont les ventes pour les deux consoles ont atteint approximativement 150 000 exemplaires. La valeur des parts de la société de personnes avait de toute évidence diminué sensiblement.

[64]          Conformément à l'accord modificateur no 3, la société de personnes recevait la totalité des bénéfices bruts ou des ventes nettes, jusqu'à concurrence de 300 000 $US au cours des exercices 1995 et 1996, ASC conservant l'excédent éventuel. Pour les exercices suivants, la société de personnes recevait la totalité des bénéfices bruts ou des ventes nettes [TRADUCTION] « jusqu'à concurrence des sommes requises pour acquitter l'intégralité des intérêts courus à payer sur les billets d'acquisition » . En 1997 et lors des exercices suivants, la société de personnes pouvait également conserver 26,5 % des ventes nettes ou, si ce montant était plus élevé, 50 % des bénéfices bruts, déduction faite de tout montant versé à la société de personnes aux fins d'acquitter les intérêts sur les billets d'acquisition au cours de l'année, ASC recevant le solde des bénéfices bruts ou des ventes nettes.

[65]          L'accord modificateur no 3 prévoyait également le versement, par ASC, de 300 000 $US par année à la société de personnes pour les années 1995 à 2003 relativement aux concepts du jeu vidéo TNN Bass Tournament of Champions. La somme de 300 000 $US devait être incluse dans le calcul des bénéfices bruts et des ventes nettes. Autrement dit, la société de personnes pouvait maintenant compter recevoir un revenu annuel minimum de 300 000 $US d'ASC. La clause de déclaration a été supprimée de l'accord sur les logiciels.

[66]          En outre, l'accord de société de personnes a été modifié pour que, le 31 décembre 2003, les associés puissent à leur gré faire racheter leurs parts de la société de personnes à un prix unitaire de 8 000 $US, plus des actions du capital-actions d'ASC, si ces actions étaient émises dans le public (l' « option de remboursement » ). ASC convenait de fournir une aide financière à la société de personnes pour permettre aux partenaires de faire ainsi racheter leurs parts; au titre de cette obligation, ASC a remis en garantie les billets d'acquisition des associés qu'elle détenait elle-même à ce moment en garantie. ASC a également convenu d'émettre en faveur de la société de personnes, en contrepartie d'une somme nominale en espèces, des actions ordinaires représentant le solde du prix de rachat, jusqu'à concurrence de 0,25 % de la valeur de clôture des actions ordinaires cotées en bourse établie au 31 décembre 2003; les actions ordinaires devaient faire partie du produit payable aux associés au titre du rachat de leurs parts de la société de personnes, dans l'éventualité où ASC aurait des actions inscrites à la cote d'un marché boursier.

[67]          M. Kosovitch a dit que l'accord modificateur no 3 a également été avantageux pour ASC, puisque, pour un coût total d'environ 1 700 000 $US en 2003 (compte non tenu de la compensation au titre du billet d'acquisition), ASC déclarait 500 000 $US dans son état des résultats pour 1995. M. Grossman a confirmé qu'ASC était disposée à renoncer au billet d'acquisition représentant 5 900 $US la part (4 867 500 $US, soit 825 parts x 5 900 $) en contrepartie de ces 500 000 $US. Les dirigeants d'ASC étaient sans doute conscients qu'ils avaient peu de chance de recouvrer le billet, à moins que survienne une hausse remarquable des ventes.

Autres points à considérer

Super Copa

[68]          En 1995, ASC a vendu 750 000 $US un jeu informatique, Super Copa, à la société de personnes CEG. Ce jeu était à peu près identique à un autre jeu de soccer, Tony Meolo's Sidekicks Soccer, commercialisé aux États-Unis ainsi qu'en Europe, sous le nom World Soccer, et au Japon, sous un autre nom. Le jeu Super Copa ne pouvait être commercialisé aux États-Unis et on le destinait au marché de l'Amérique latine. La contrepartie consistait en un billet de 750 000 $US (le « nouveau billet » ) émis par la société de personnes en faveur d'ASC; le billet rapportait des intérêts au taux de 6 % et devenait payable le 31 juillet 1995. La répartition des bénéfices était la même que dans l'accord sur les logiciels. Si le nouveau billet n'était pas payé au 31 juillet 1995, la société de personnes pouvait faire en sorte qu'ASC achète d'autres jeux pour un prix de 750 000 $US. L'un des jeux acquis en 1993 - on n'a pu déterminer lequel - a été retourné à ASC. M. Grossman a témoigné que, aux termes de l'accord sur les logiciels, ASC ne pouvait distribuer ses propres jeux 16 bits avant d'avoir distribué les jeux de la société de personnes. Le transfert du jeu Super Copa à la société de personnes représentait un geste d'ASC fait [TRADUCTION] « de bonne foi » dans le but de hausser les ventes des jeux de la société de personnes, étant donné que les ventes des jeux 16 bits n'atteignaient pas le niveau prévu, d'après les témoins de l'appelant.

Système Pico

[69]          Dans une note adressée par M. Kosovitch aux administrateurs d'ASC, dont MM. Williams et Bambrough, le 29 juin 1994, il était indiqué que le jeu Pink Panther (Pico) était un produit de CEG. Dans une note rédigée sur du papier portant l'en-tête d'ASC et datée du 21 juillet 1994, MM. Williams et Grossman informaient les associés de CEG que les jeux Pink Panther I et Pink Panther II (Pico), ou (Magic Islands et Shapes and Colors), devaient être mis sur le marché en octobre 1994 et en février 1995. Les jeux Pink Panther étaient destinés au [TRADUCTION] « nouveau système éducatif Pico de Sega » . Ces jeux n'ont pas été mis en marché.

[70]          M. Williams se souvenait que la console Pico était basée sur une puce informatique mise au point en 1994 et qu'elle visait le marché des produits éducatifs destinés à une clientèle plus jeune. Le code source de la puce des consoles Pico était le même que celui de Sega. Par contre, il fallait modifier davantage le module pour les logiciels destinés à la console Pico. Selon M. Williams, les jeux pour la console Pico étaient semblables aux premiers puzzles de Sega, sauf qu'ils étaient conçus pour une console différente. M. Williams pensait que les jeux Trolls Racing et Diggers avaient été adaptés afin de pouvoir être joués sur la console Pico.

[71]          Le système Pico n'existait pas à la fin de 1993. En décembre 1993, une personne ayant investi dans la société de personnes ne connaissait que les jeux conçus pour les consoles Genesis de Sega et Super Nintendo. M. Williams a déclaré que les investisseurs [TRADUCTION] « devaient connaître les gens avec qui ils faisaient affaire et leur faire confiance relativement à l'acquisition de onze logiciels qui rendraient possible l'exploitation de l'entreprise » . De l'avis de M. Williams, les investisseurs [TRADUCTION] « établissaient une banque de logiciels permettant, du moins pouvait-on l'espérer, de produire un large éventail de jeux vidéo populaires » .

ANALYSE

Lien de dépendance

[72]          Selon le ministre, ASC et la société de personnes CEG avaient un lien de lien de dépendance entre elles lorsque cette dernière a acquis les logiciels d'ASC, et la société de personnes n'a pas acquis les logiciels à un prix correspondant à leur juste valeur marchande.

[73]          Je souscris à l'opinion de la Couronne voulant qu'ASC, M. Williams, CEG Management, la société de personnes et, de ce fait, les associés, aient eu entre eux un lien de dépendance.

[74]          CEG Corporation, l'associé directeur de la société de personnes, était à toutes fins pratiques contrôlée par ASC avant le 31 décembre 1993 et après 1993. Garth Turner, l'avocat d'ASC, a préparé des documents touchant l'achat et la vente des logiciels, ainsi que des documents accessoires pour la société de personnes elle-même. Il était également l'unique actionnaire inscrit de CEG Management lorsque les accords ont été conclus, du 1er octobre jusqu'au 21 décembre 1993, puis il est demeuré administrateur de CEG Corporation jusqu'au 7 février 1994, date où M. Williams en est devenu l'unique administrateur. M. Turner a de nouveau été nommé administrateur de CEG Corporation en mai 1995, lorsque le nombre d'administrateurs est passé à deux.

[75]          M. Williams a négocié le prix d'acquisition des logiciels. Il a dit avoir fait descendre ce prix à 750 000 $US, le prix de vente proposé au départ se situant entre 1,2 et 1,5 million de dollars américains. M. Kosovitch a déclaré qu'il y avait également eu des discussions au sujet de la répartition des bénéfices entre ASC et la société de personnes. MM. Williams et Grossman ont indiqué avoir négocié serré l'un avec l'autre pendant une période de cinq à six semaines aux environs de septembre 1993. Le 1er octobre 1993, M. Williams avait accepté le prix d'acquisition de 750 000 $US pour chaque jeu informatique, alors que, apparemment, soit on n'avait pas encore établi quels moteurs seraient acquis, soit il ne les avait pas examinés.

[76]          Je n'ai pas été impressionné par les témoignages de MM. Williams, Grossman et Kosovitch en ce qui a trait aux négociations entourant le prix d'acquisition. Pour quelqu'un possédant autant d'expérience et de connaissances dans le domaine des jeux vidéo, M. Williams a fait preuve d'une confiance excessive à propos de l'évaluation de M. Ozerkevich et de la capacité d'ASC d'atteindre les niveaux de vente prévus, surtout lorsque l'on considère que si, précédemment, ASC était parvenue à vendre, au mieux, 75 000 exemplaires d'un jeu particulier (Skuljogger), aucun de ses six autres jeux n'avait dépassé la barre des 50 000 exemplaires vendus, les ventes étant même bien inférieures à ce chiffre dans certains cas. De plus, rien ne prouve que l'un des développeurs ayant vendu des moteurs à ASC ait développé des jeux dont on avait vendu 100 000 exemplaires, par exemple, si l'on fait exception de Radical dont un jeu, Bevis and Butthead, avait eu beaucoup de succès, les ventes atteignant les 600 000 exemplaires après 1993. Toutefois, ainsi que l'a admis M. Wilkinson, le succès de Bevis and Butthead était attribuable en grande partie aux personnages, qui faisaient l'objet d'une licence. Au 30 décembre 1993, aucun autre jeu de Radical ne s'était vendu à plus de 50 000 exemplaires. Je m'interroge également sur la confiance dont M. Brown et son conseiller ont fait preuve à l'endroit de M. Ozerkevich, particulièrement après que M. Van Hatten ne soit pas parvenu à obtenir de renseignements concernant la réputation de M. Ozerkevich. D'ailleurs, M. Ozerkevich n'a fait que confirmer un prix déjà déterminé par ASC, d'après ce qu'a déclaré M. Kosovitch.

[77]          Non seulement M. Williams était-il l'associé directeur de la société de personnes, par l'entremise de CEG Corporation, à compter du moment où il est devenu actionnaire et administrateur, mais il était également le vendeur des parts de la société de personnes. Une société qu'il contrôlait, la Tarpen Research Corporation ( « Tarpen » ), a reçu environ 160 000 $US à titre de commissions.

[78]          En 1994, M. Williams est devenu l'un des administrateurs d'ASC. De 1993 à 1997, il a vendu des parts de plusieurs abris fiscaux structurés de concert avec ASC, dont la société de personnes CEG, ou en a fait la promotion, et il était associé directeur de ces abris fiscaux, par l'entremise de sociétés. Il existait un lien de dépendance entre lui et ASC; ASC et lui agissaient de concert et dans le même but, pour orienter ou dicter la conduite de tiers. Des notes rédigées par M. Williams, seul ou en collaboration avec M. Grossman, sur du papier portant l'en-tête d'ASC ont été envoyées à des associés en 1994. C'est M. Grossman qui a souhaité la bienvenue aux associés de la société de personnes le 7 mars 1994. Ainsi que le déclarait le juge Thurlow (titre qu'il portait à l'époque) :

[,,,] [L]e « cerveau » directeur peut à mon avis être celui de l'ensemble des parties agissant de concert ou celui d'une seule d'entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu'il faut accomplir pour atteindre l'objectif commun. De plus, à mon sens, il n'y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d'autres et celles qui, quelque nombreuses qu'elles soient, se font représenter par une autre. [...][17]

[79]          Le billet d'acquisition n'était pas le genre d'instrument d'emprunt qu'auraient utilisé des parties sans lien de dépendance. Ce billet devait arriver à échéance le 31 décembre 2003, soit dix ans après l'opération et bien après le moment où l'on pouvait raisonnablement supposer que les jeux informatiques généreraient des bénéfices. M. Main prévoyait que le marché des consoles 16 bits se maintiendrait pendant cinq ans; quant à M. Grossman, il s'attendait à ce que ce marché dure jusqu'en 1996. Le billet n'était pas cessible, et la garantie connexe consistait en parts de la société de personnes. Aucun élément de preuve ne permet raisonnablement de conclure qu'un vendeur sans lien de dépendance puisse être d'accord pour reporter le versement du solde du prix d'achat des logiciels, soit une somme de quelque 5 millions de dollars américains, avec ce billet pour toute garantie.

[80]          Certaines opérations menées après 1993 donnent également à penser qu'ASC, M. Williams et les associés de la société de personnes avaient entre eux un lien de dépendance. Pensons notamment à l'échange, par la société de personnes, d'un logiciel inconnu et que l'on pouvait présumer voué à l'échec, contre le jeu Super Copa, qui avait déjà été commercialisé sous d'autres noms, ainsi qu'à l'inclusion, en apparence arbitraire, de jeux destinés à la console Pico, sans l'approbation des associés, qui n'ont même pas été informés de la chose au préalable. De même, les jeux et leurs noms n'ont été déterminés qu'après 1993. Du point de vue de M. Williams, les associés avaient investi dans une banque de logiciels et comptaient sur son fonds commercial (de même que sur celui des dirigeants d'ASC) pour assurer la rentabilité de leur investissement. S'il fallait échanger des jeux pour améliorer le rendement de l'investissement, eh bien soit!

[81]          L'accord aux termes duquel ASC devait acquérir un autre jeu de la société de personnes si le billet d'acquisition fourni en contrepartie du jeu Super Copa n'avait pas été réglé intégralement à même les bénéfices de la société de personnes à la date d'échéance dudit billet - le 31 juillet 1995 - a été signé le 22 décembre 1995, c'est-à-dire à un moment où les parties savaient que le billet ne serait pas réglé. Lors de son témoignage, M. Grossman a dit que cette proposition avait été présentée à la société de personnes parce que certains des biens de cette dernière n'allaient pas être mis sur le marché.

[82]          Les accords modificateurs nos 1, 2 et 3 prévoyaient une augmentation de quelque 300 000 $US du revenu de la société de personnes en 1994, la modification de la formule de répartition des bénéfices en faveur de la société de personnes, la vente de parts de la société de personnes et une garantie de revenu permettant à la société de personnes de payer les intérêts sur le billet d'acquisition, les associés de la société de personnes étant libérés de leurs obligations au titre du billet d'acquisition en 2003. Je rejette l'explication de M. Kosovitch voulant que les modifications aient été censées être à l'avantage d'ASC en vue de faire de celle-ci une société ouverte. Selon moi, il appert que ces modifications découlaient des faibles ventes enregistrées dans le cadre de la coentreprise et des bénéfices décevants que rapportait l'investissement de la société de personnes dans les logiciels. Les modifications ont été dictées par la relation entre les parties. Autrement dit, des modifications ont été apportées à l'accord sur les logiciels en raison du lien de dépendance entre ASC, M. Williams et la société de personnes.

Évaluations

[83]          Étant donné ma conclusion selon laquelle ASC, M. Williams et les associés de la société de personnes avaient entre eux un lien de dépendance, je dois déterminer si le prix payé par la société de personnes à ASC pour les logiciels correspond à la juste valeur de ces derniers, pour l'application de l'article 69 de la Loi, malgré ma conclusion voulant que la société de personnes soit une société en commandite et que la fraction à risques pour l'appelant, au sens des paragraphes 96(2.1) et (2.2) et de l'alinéa 96(2.4)b)[18], ait été nulle.

[84]          En tout, cinq témoins se sont prononcés sur la valeur des logiciels acquis par la société de personnes CEG.

A.R. Jones (pour l'intimée)

[85]          Selon Allen Raymond Jones, expert en évaluation d'entreprise de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ), les onze jeux valaient 275 000 $. C'est cette évaluation qui a été utilisée aux fins de cotisation.

[86]          M. Jones avait déjà procédé à l'évaluation de logiciels, mais pas de jeux informatiques ou vidéo. Il a achevé l'évaluation le 23 avril 1997. L'ADRC a embauché un certain M. Gordos, spécialiste en matière de logiciels, pour lui prêter main forte. J'accorde peu de poids à l'évaluation de M. Jones, notamment parce qu'il avait fait l'hypothèse que, en novembre 1993, [TRADUCTION] « un système plus puissant et plus rapide [reposant sur la technologie 32 bits] rendrait les investisseurs réticents à investir dans un système plus ancien » . Il a déclaré qu'il y avait des jeux 32 bits sur le marché en octobre 1993, ce en quoi il se trompait.

[87]          Également, M. Gordos a dit à M. Jones que, d'après l'examen d'une seule MMPE, tous les jeux étaient de qualité médiocre, ce qui a amené ce dernier à diminuer leur valeur.

[88]          M. Jones n'a pas conservé de notes concernant les conversations ou les rencontres ayant eu lieu dans le cadre de la préparation de son rapport. Lorsqu'il a examiné différents articles, revues et magazines spécialisés dans la technologie des jeux informatiques, il n'a pas vérifié les qualifications des auteurs. Il n'a pas non plus tenu compte des éventuelles versions subséquentes d'un jeu, qui, selon M. Wilkinson de Radical, présentent de l'attrait pour les développeurs en raison des coûts et des risques peu élevés.

M.J. Ozerkevich (pour l'appelant)

[89]          Je n'accorde pas beaucoup de poids non plus à l'évaluation effectuée par M. Ozerkevich pour le compte d'ASC. Il a chiffré à 16,5 millions de dollars américains la valeur des 22 jeux. Les avocats de l'intimée n'ont pas remis en cause le droit de M. Ozerkevich de témoigner à titre d'expert, malgré le fait qu'il ne possédait aucune qualification. Je ne déprécie pas son témoignage uniquement parce qu'il ne possède pas de qualifications reconnues. Si je le fais, c'est plutôt que ce témoignage n'est pas étayé par des éléments concrets sur lesquels je pourrais m'appuyer. Par exemple, il a fondé en partie son évaluation sur le fait que, selon ce qu'il croyait savoir, un jeu particulier, appelé au départ Mountain Bike Rally, était censé devenir un jeu d'action misant sur la violence et mettant en scène des guerriers, alors qu'il s'est agi en bout de ligne d'un jeu de course de vélos tout-terrain. Un jeu décrit dans son rapport comme étant un casse-tête s'est avéré en fin de compte être un jeu de pêche.

[90]          L'évaluation de M. Ozerkevich (appelée parfois le « rapport d'emc » ) portait sur des moteurs de jeu et certains graphiques qui devaient devenir des jeux. D'après le rapport d'emc, M. Ozerkevich a procédé à un examen technique des jeux pour vérifier, d'une part, l'existence des logiciels et de la documentation d'appoint, et d'autre part le caractère fonctionnel des jeux décrits dans la notice d'offre. M. Ozerkevich s'est rendu au siège social d'ASC, situé au Connecticut, pour faire divers tests sur les machines de développement de Sega et Nintendo. M. Ozerkevich a attesté l'existence des jeux et du code ainsi que le fait que l'on utilisait le langage d'assemblage. Les prototypes fonctionnels des jeux en étaient à différentes étapes de développement. Toutefois, ASC et la société de personnes ont en fin de compte décidé de ne pas aller de l'avant dans le cas de bon nombre des jeux qu'il avait examinés. Par conséquent, son évaluation ne reflète pas la valeur des biens prétendument acquis par la société de personnes.

[91]          Je m'interroge également sur le fait que, bien qu'aucun jeu commercialisé jusqu'alors par ASC ne se soit vendu à plus de 50 000 exemplaires, M. Ozerkevich ait supposé que les ventes de chaque jeu vendu à la société de personnes atteindraient les 191 000 exemplaires en moyenne. Il a aussi pris pour acquis qu'ASC détenait une licence de Sega, ce qui n'était pas le cas à l'époque où le rapport a été préparé.

[92]          Néanmoins, le rapport de M. Ozerkevich a été utilisé à titre de document de référence par les deux évaluateurs embauchés par les parties au litige. Ce rapport contient certains renseignements pertinents, à défaut d'être forcément déterminants.

Évaluations effectuées en prévision du procès

[93]          MM. Richard Wise et Andrew Richard Michelin, associés du cabinet d'évaluation d'entreprise Wise Blackman, ont témoigné à titre d'experts pour le compte de l'appelant au sujet de la valeur des logiciels vendus à la société de personnes CEG au 31 décembre 1993. Ils situaient entre 9 250 000 $US et 10 200 000 $US la valeur des logiciels.

[94]          Howard Rosen, de Low, Rosen, Taylor and Sariano, a témoigné pour le compte de l'intimée. Selon son évaluation, les jeux informatiques valaient entre 1 255 000 $US et 2 135 000 $US si l'évaluation porte sur dix moteurs, mais entre 60 300 $US et 127 400 $US si elle porte uniquement sur les jeux Chavez 2 pour Nintendo et Sega. Dans le cadre de la préparation de son rapport, M. Rosen a fait appel aux services de Vincent Lam, ingénieur et expert-conseil technique, pour déterminer l'état des jeux au 31 décembre 1993, ainsi qu'à ceux de G. Gabelhouse, président et chef de la direction de Fairfield Research Inc. ( « Fairfield » ), de Lincoln, (Nebraska), qui menait des recherches et fournissait des renseignements sur les jeux vidéo. MM. Wise et Michelin de même que M. Rosen ont évalué les jeux selon la méthode de l'actualisation des flux, et ce, surtout en raison de l'absence de données antérieures pouvant servir à déterminer quels bénéfices les jeux pouvaient produire. La méthode de l'actualisation des flux permet d'établir la valeur actuelle des revenus et des flux de trésorerie que générera un actif s'il fait l'objet d'une exploitation commerciale.

Rapport de Wise Blackman (pour l'appelant)

[95]          C'est M. Michelin qui était responsable au premier chef de la préparation du rapport de Wise Blackman. M. Wise a lui aussi témoigné. M. Michelin a examiné le rapport d'emc, celui de M. Jones et d'autres documents, entre autres des descriptions de jeux, les états financiers d'ASC et de la coentreprise d'ASC et de la société de personnes CEG pour différentes périodes, des contrats de licence, les accords conclus entre ASC et les développeurs en vue de l'acquisition des jeux ainsi que des sources de données sectorielles et économiques; il a de plus rencontré MM. Kosovitch et Williams. Ni M. Wise ni M. Michelin n'ont examiné ou fait examiner les jeux informatiques en cause, choisissant plutôt de se fier aux documents ainsi qu'aux renseignements obtenus lors des rencontres avec MM. Kosovitch et Williams concernant la condition des jeux.

[96]          Aux fins d'évaluation, MM. Wise et Michelin ont appliqué un taux d'actualisation allant de 29 à 33 % aux flux de trésorerie discrétionnaires rajustés pour chaque année de la période de projection de trois ans (jusqu'au 31 décembre 1996) et d'une période de projection prolongée jusqu'au 31 décembre 1998. M. Michelin reconnaît que le choix d'un taux d'actualisation est subjectif et dépend de l'importance que l'on accorde aux différents facteurs en jeu. Certains de ces facteurs étaient propres à l'industrie, par exemple la croissance anticipée du marché des jeux vidéo. Également, à la suite de ses recherches, M. Michelin estimait que des ventes de 160 000 exemplaires de chaque jeu par ASC en Amérique du Nord constituaient un chiffre raisonnable. Un autre facteur était qu'ASC faisait état, dans sa stratégie de commercialisation, des accords conclus avec les développeurs, de l'expérience des membres de la direction d'ASC en matière de commercialisation de jeux et du fait que M. Williams occupait la fonction de directeur de la société de personnes. Autre facteur positif : l'avantage fiscal connexe se traduisait par une réduction du risque, tandis que l'amortissement accéléré avait un effet incitatif sur les investissements. Parmi les facteurs négatifs, il y avait la dépendance à l'endroit de Nintendo et de Sega ainsi que la nouveauté des jeux et des moteurs.

[97]          MM. Wise et Michelin ont évalué, non pas les jeux pris séparément, mais un ensemble de onze jeux. D'après M. Wise, certains jeux obtiendraient des résultats supérieurs, ou inférieurs, à la moyenne. Il a déclaré qu'un acheteur éventuel prendrait en compte les flux de trésorerie projetés pour tous les jeux en vue de fixer un prix pour ces jeux considérés dans leur ensemble, non pour un jeu en particulier.

[98]          M. Michelin n'a pas examiné les jeux et n'a embauché personne pour en déterminer la condition au 31 décembre 1993. Il prenait pour acquis que les jeux existaient bel et bien. En contre-interrogatoire, il a dit que, lors de l'examen de l'acte de vente, il avait eu de la difficulté à savoir quel moteur était utilisé dans l'un ou l'autre jeu.

[99]          MM. Wise et Michelin ont également accordé de l'importance aux activités de marketing et de publicité croisée que devait mener EMCI pour le compte de la société de personnes. Ces activités faisaient partie du plan d'entreprise destiné à garantir l'exploitation commerciale des jeux. Les auteurs étaient de plus convaincus que, par le passé, ASC avait [TRADUCTION] « procédé avec succès à l'édition » de jeux, mais ils n'ont pas scruté les résultats passés d'ASC dans le domaine de l'édition de jeux. Il était indiqué que l'un des jeux, Super James Pond, s'était vendu à plus d'un million d'exemplaires en Europe. M. Rosen a toutefois appris que l'édition de ce jeu avait été effectuée de concert avec EA. Michell Hayward de Milennium, développeur ayant vendu quatre jeux à ASC, a fait savoir à M. Rosen que le jeu Super James Pond pour la console Genesis de Sega s'est vendu à quelque 270 000 exemplaires en Europe et que, en 1992, il était édité par EA. ASC a acheté à Millenium les droits d'édition pour la version de ce jeu destinée à la console SNES et l'a mise sur le marché en 1993, mais les ventes n'ont pas été bonnes comparativement à celles de la version pour la console Genesis de Sega. Le revenu total d'ASC au titre des ventes de jeux en 1993 s'est établi à 1,7 million de dollars américains environ, ce qui représente 45 000 exemplaires, si l'on suppose que le prix unitaire de vente était de 38 $US. Dans son rapport, M. Michelin déclarait que, aux dires de M. Williams, [TRADUCTION] « il était rare qu'un jeu se vende à moins de 50 000 exemplaires » et que, dans le cas d'un jeu très populaire, les ventes pouvaient dépasser les 500 000 exemplaires. Je conviens avec M. Rosen que cela ne démontre pas qu'ASC ait [TRADUCTION] « procédé avec succès à l'édition » de jeux vidéo par le passé.

[100]        MM. Wise et Michelin ont de plus tenu compte de la valeur résiduelle des jeux. À la fin d'une période de projection donnée, l'acquéreur possède toujours les jeux et ceux-ci conservent une certaine valeur. MM. Wise et Michelin ont attribué une valeur au jeu après la période de projection; ils ont situé cette valeur entre 10 et 15 % de la valeur actualisée des flux de trésorerie discrétionnaires; quant à ceux-ci, ils variaient, selon leurs calculs, entre 841 000 $ et 1 331 000 $, en fonction du montant dont conviendraient d'après eux un acheteur sérieux et un vendeur sérieux menant des négociations au sujet de la valeur résiduelle. C'est à partir du total des flux de trésorerie discrétionnaires durant la période de projection - de 8 407 000 $ à 8 873 000 $ - et de la valeur résiduelle des jeux que MM. Wise et Michelin ont déterminé la fourchette dans laquelle se situe la juste valeur marchande des jeux.

H. Rosen (pour l'intimée)

[101]        M. Rosen a indiqué dans son rapport qu'on ne lui avait fourni que deux prototypes des jeux dans leur version de décembre 1993. Il ne disposait d'aucune preuve tangible démontrant que les neuf autres jeux existaient à la fin de décembre 1993. Le représentant de l'appelant lui a fourni huit prototypes relativement aux onze jeux acquis au 31 décembre 1993, mais il n'a pas pu faire de rapprochement entre sept de ces jeux, le rapport d'emc et l'accord sur les logiciels.

[102]        M. Rosen a également mentionné qu'on ne lui avait pas fourni copie des différents accords, du rapport d'emc, des contrats de licence signés et de la correspondance entre ASC, CEG, Nintendo et Sega au sujet des systèmes SNES et Genesis de Sega, respectivement, par rapport aux logiciels. Il a fait appel à M. Gabelhouse afin que ce dernier lui fournisse une liste d'éditeurs de jeux destinés aux consoles SNES et Genesis de Sega à la fin de 1993. M. Gabelhouse a établi qu'ASC ne figure pas sur les listes établies pour l'industrie, listes qui incluent les éditeurs de jeux vidéo détenant jusqu'à 0,1 % du marché des jeux vidéo destinés aux consoles 16 bits.

[103]        Par conséquent, lorsqu'il a procédé à l'évaluation, M. Rosen n'a pas tenu compte de neuf des jeux manquants et a accordé une juste valeur marchande à deux jeux seulement - Chavez II Boxing pour la console SNES, et pour la console Genesis de Sega -, cette juste valeur marchande se situant, en décembre 1993, entre 60 300 $ et 127 400 $.

[104]        Le rapport technique de M. Lam a influé sur l'évaluation de M. Rosen. M. Lam a étudié la condition des cassettes de jeu fournies par M. Rosen et, d'après leur complexité, a cherché à estimer quels travaux de développement étaient requis pour achever les jeux. M. Lam possède de l'expérience en développement de logiciels, en assurance de la qualité et en télécommunications. Il travaille pour ROQUI Management Services Ltd., société qui supervise le développement de logiciels destinés à toute une gamme d'applications, qui offre des services d'assurance de la qualité des logiciels de bout en bout et de contrôle technique préalable, en plus d'évaluer les produits et de mettre en oeuvre des logiciels de test.

[105]        M. Lam a défendu son rapport lors du procès; il a décrit le contenu des MMPE, le degré de développement des logiciels par rapport aux spécifications concernant ce que les logiciels étaient censés accomplir et les activités, ou les coûts, de développement, d'après les normes de l'industrie, correspondant au développement des logiciels lorsqu'il les a examinés. M. Lam a déclaré avoir comparé les MMPE aux jeux vidéo disponibles sur le marché en 1993 selon leur convivialité et la mesure dans laquelle ils étaient prêts à être mis en service. M. Lam a examiné huit cassettes de jeu : Super Troll Island (SNES), TNN Bass Tournament of Champions (SNES), Chavez II Boxing (SNES), Mountain Bike Rally (SNES), RHI Roller Hockey 95 (SNES), Super Copa (SNES), Magic Islands (Pico de Sega) et Shapes and Colors (Pico de Sega). Il a également utilisé des prototypes de cassettes ainsi que des cassettes de série (disponibles sur le marché) lors de ses tests. M. Lam a estimé le degré d'achèvement des jeux. Il a également déterminé le nom des personnes identifiées comme étant les propriétaires des jeux. Voici quels ont été les résultats de cet examen :

[TRADUCTION]

Jeu

Pourcentage d'achèvement (estimatif)

Propriétaire ou éditeur

et année d'édition

Super Troll Island (SNES)

100 %

Éditeur - ASC, 1993

TNN Bass Tournament of Champions (SNES)

85 %

(C) 1993 société de personnes CEG

Chavez II (SNES)

96 %

(C) 1993 société de personnes CEG

Chavez II (Sega Series)

100 %

?

Mountain Bike Rally (SNES)

91 %

?

RHI Roller Hockey (SNES)

97 %

(C) 1995 société de personnes CEG

Magic Islands (Pico de Sega)

60 %

CEG/ASC

Shapes & Colors (Pico de Sega)

63 %

CEG/ASC

Super Copa (SNES)

94 %

?

Brett Hull Hockey (Genesis de Sega)

100 %

?

TNN Outdoor Bass 96 (Genesis de Sega)

100 %

?

Les trois jeux destinés à la console Genesis de Sega ont été examinés par M. Lam après qu'il a eu reçu les huit autres jeux, et ils étaient fonctionnels à ce moment. Le jeu Super Copa a été acquis après 1994 et ne fait pas partie des jeux (ou des logiciels) appartenant à la société de personnes CEG en 1993 et en 1994.

[106]        Selon l'estimation de M. Lam, le coût de développement des jeux s'établissait entre 1,6 et 3,3 millions de dollars américains[19].

[107]        M. Lam a supposé que les logiciels utilisés pour les jeux étaient écrits en langage C plutôt qu'en langage d'assemblage. D'après le témoignage de l'appelant, les jeux ont été écrits en langage d'assemblage. M. Lam reconnaît que, s'il avait tenu compte dans ses calculs de l'emploi du langage d'assemblage, son estimation du coût de développement total aurait pu être de 2,5 fois supérieure, ou atteindre jusqu'à 5 500 000 $, et ce, sans tenir compte d'un facteur de bénéfice ou du fait que les moteurs puissent être réutilisés. Ce fait a grandement réduit la pertinence du témoignage de M. Lam.

Évaluations - analyse

[108]        Je ne remets pas en question l'utilisation de la méthode d'évaluation par les flux utilisée par M. Michelin ainsi que par M. Rosen. La société de personnes a acquis onze moteurs d'ASC, à quoi s'ajoutait l'obligation, pour ASC, d'achever les modules et de créer des jeux.

[109]        L'évaluateur qui utilise la méthode de l'actualisation des flux doit anticiper les flux de trésorerie rattachés à l'actif évalué. En soi, un moteur ne peut créer un revenu ou des flux de trésorerie, parce qu'il n'a pas de valeur sur le marché, sauf pour un développeur ou un éditeur. Un moteur ne peut être évalué dans l'abstrait lorsqu'on utilise la valeur actualisée des flux de trésorerie; l'évaluateur doit projeter des jeux théoriques. Pour évaluer des flux de revenu dans l'avenir, il faut supposer que des modules de jeu seront fusionnés aux moteurs et que les jeux ainsi produits seront mis en marché. Par conséquent, l'évaluation doit porter sur un jeu complet produit à l'aide d'un moteur, à quoi s'ajoute la valeur additionnelle, le cas échéant, découlant de l'utilisation du moteur après la production du premier groupe de jeux. En d'autres termes, l'évaluateur doit faire l'hypothèse que des modules seront associés aux moteurs et que les jeux ainsi produits seront vendus. (M. Rosen a fait allusion à ce point lorsqu'il a commenté le rapport d'emc.) Dans les présents appels, le 31 décembre 1993, la société de personnes a acheté onze moteurs ainsi que des modules terminés ou non, ou 11 logiciels à différents stades de développement.

[110]        La thèse de l'appelant est que, dans le cadre de l'évaluation des moteurs, il fallait tenir compte de leur valeur après la production du premier jeu à partir de chaque moteur. Le coût rattaché à la création de jeux subséquents à l'aide des moteurs ne représenterait qu'une fraction du coût de création de jeux entièrement nouveaux. Dans la présente affaire, sept des onze moteurs avaient déjà servi à produire des jeux avant d'être vendus à la société de personnes. Dans l'ensemble, les jeux ainsi produits n'ont pas eu beaucoup de succès[20] et ne justifiaient pas le développement d'une suite. Les dirigeants d'ASC et M. Williams étaient au courant de ce fait, ou du moins avaient-ils lieu de l'être, et ils auraient dû à tout le moins s'interroger sur la qualité des moteurs dont ils faisaient l'acquisition. Ce serait d'autant plus le cas si l'un des onze premiers jeux était devenu populaire et que le propriétaire du moteur correspondant ait été à même de produire une suite. L'un des problèmes que me pose cet argument est que sept des onze moteurs avaient servi à produire des jeux avant qu'ASC en fasse l'acquisition auprès de leurs développeurs. Selon la preuve, un seul de ces jeux, Chavez Boxing, avait peut-être été populaire et méritait de faire l'objet d'une suite[21]. En conséquence, à la date de l'évaluation, les évaluateurs savaient, ou ils auraient dû savoir, quelle était la qualité des moteurs qu'ils devaient évaluer. Ils savaient, ou ils auraient dû savoir, quels résultats avaient obtenus les développeurs et les éditeurs par le passé - ces deux facteurs étant importants lorsque l'on évalue des jeux, ainsi que l'ont déclaré des témoins.

[111]        À la fin de 1993, l'intervalle de temps disponible pour produire des jeux 16 bits se limitait tout au plus à trois ans. Le temps requis pour déterminer si les jeux produits dans le cadre de la coentreprise obtenaient du succès, décider de développer des suites, puis développer celles-ci et les mettre sur le marché risquait d'amener la coentreprise bien près de la fin de cet intervalle.

[112]        La preuve donne à croire que, en 1993, un acheteur éventuel aurait su que les consoles 32 bits apparaîtraient bientôt et que le marché des consoles 16 bits déclinerait tôt ou tard. Toutefois, toujours en 1993, il appert que l'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que le marché des jeux vidéo destinés aux consoles 16 bits se maintienne jusqu'en 1997, en considérant par contre que les ventes régresseraient peu à peu après 1995.

[113]        Si l'on prend en compte le temps, la somme de travail et les coûts requis pour le développement, les licences et la commercialisation des produits, un évaluateur pouvait raisonnablement supposer que les moteurs acquis permettraient de produire les onze premiers jeux et, peut-être, deux ou trois autres tout au plus.

[114]        S'inspirant de ce qui s'était passé dans le cas des consoles 8 bits, M. Main a parlé d'un cycle de cinq ans pour les différentes générations de consoles et a prédit que le cycle des consoles 16 bits durerait jusqu'en 1996. En 1993, il était également logique de supposer qu'il y aurait un certain décalage dans le cycle des logiciels destinés aux consoles 16 bits, comme cela avait été le cas pour la technologie 8 bits. Les clients, et plus spécialement ceux qui étaient déjà passés d'une console 8 bits à une console 16 bits, seraient sans doute enclins à continuer d'utiliser leur console pour une certaine période après l'arrivée sur le marché de la nouvelle console. De plus, en 1993, M. Gabelhouse anticipait une hausse de 9 % des ventes de jeux 16 bits en 1994 par rapport à 1993; on estimait donc que, en 1993, les ventes de jeux 16 bits étaient encore sur une trajectoire ascendante et qu'elles ne commenceraient pas à diminuer avant deux ans. Selon les prévisions exposées dans le Software Industry Factbook (le « Factbook » ), les ventes de consoles commenceraient à baisser en 1993; toutefois, même si le nombre de personnes achetant des consoles diminuait, le nombre de consommateurs possédant une console 16 bits continuerait d'augmenter, quoique plus lentement. À mon avis, il y avait encore un marché pour les jeux 16 bits après 1993, mais il y a lieu de prendre en compte la lente baisse de popularité des jeux 16 bits anticipée au fil du temps lorsqu'on veut projeter le nombre d'exemplaires qui seront vendus après 1993.

[115]        Les témoins de l'appelant ont également donné à entendre que, en plus de la valeur qu'ils pourraient avoir après les onze premiers jeux réalisés, les moteurs auraient également une valeur à titre de « banque de codes » , c'est-à-dire un répertoire de codes sources réutilisables (ce point a été abordé par M. Lam). Une telle banque de codes sources et d'algorithmes permettrait de réduire le temps requis pour développer des jeux et des moteurs nouveaux, même si les jeux n'étaient pas produits directement à partir des moteurs d'origine. Cependant, rien ne prouve que les moteurs auraient pu être utiles à cette fin, étant donné l'émergence des consoles 32 bits. La nouvelle technologie reposait sur des disques compacts plutôt que sur des cassettes. Il est très probable que les codes ne seraient pas aisément adaptables à la console 32 bits. Bien que la chose dépende de la mesure dans laquelle Nintendo et Sega ont assuré la compatibilité de leurs nouvelles consoles avec les produits antérieurs, les jeux de ce genre reposent habituellement sur des codes propres à la console à laquelle ils sont destinés. En 1993, il n'existait pas de rétrocompatibilité dans le cas des consoles comme c'est le cas de nos jours pour les jeux. Dès lors, une banque de codes n'aurait sans doute d'utilité que durant le cycle de vie des consoles 16 bits. Un acheteur éventuel n'aurait probablement pas le temps de tirer parti de cette dimension du moteur et ne lui attribuerait aucune valeur.

[116]        L'intimée a soutenu que, étant donné qu'ASC a accordé aux développeurs des moteurs le droit d'utiliser des composantes du code source des moteurs sans avoir à verser des redevances en contrepartie, la valeur des moteurs était moindre. M. Michelin a admis que cela pouvait être vrai. Les accords prévoient que les développeurs peuvent utiliser uniquement les éléments du code de programmation qui ont trait aux grands concepts de jeu, et non les éléments reconnaissables du moteur dans son ensemble.

[117]        Il ne paraît pas que ces accords puissent avoir pour effet de réduire la valeur des moteurs aux yeux d'un acheteur éventuel. Je souscris aux arguments de l'appelant voulant que l'objet de ces accords ait été de protéger les développeurs contre tout risque de porter atteinte au droit d'auteur au cas où ils auraient utilisé une partie du code des moteurs. M. Lam a témoigné qu'un moteur donné peut comporter des centaines ou même des milliers de sous-programmes. Il appert que, si les développeurs, à partir du moment où ils vendent un moteur, étaient empêchés, au titre du droit d'auteur, d'utiliser quelque partie que ce soit du code source du moteur, il leur faudrait à chaque fois réinventer la roue, ce qui n'est pas chose facile. Les droits d'auteurs empêcheraient les développeurs d'utiliser le code du moteur pour déterminer quelque mouvement ou élément, aussi réduit soit-il, et contraindraient les programmeurs à s'assurer qu'ils ne reprennent aucun des algorithmes utilisés dans le moteur vendu.

[118]        De plus, les accords de rétrocession de licence n'entraîneraient une diminution de l'évaluation que s'ils avaient pour effet de réduire les revenus produits par les actifs. Si le développeur ne peut utiliser le code source d'une façon qui puisse faire concurrence aux jeux commercialisés par l'acheteur, ces accords n'ont aucune incidence négative sur les revenus tirés des moteurs ni, par le fait même, sur la juste valeur marchande de ces derniers.

[119]        L'intimée a soutenu que, pour évaluer la viabilité commerciale des logiciels, on ne doit pas examiner les jeux uniquement dans leur ensemble, mais qu'il importe d'évaluer les caractéristiques de chaque jeu. Cette opinion est rattachée à l'affirmation de l'intimée selon laquelle la société de personnes CEG a acquis, non des moteurs, mais des jeux.

[120]        J'ai conclu que la société de personnes CEG avait acheté des moteurs et non des jeux. J'ai mentionné que les moteurs ne peuvent être évalués dans l'abstrait, et que les évaluateurs devaient projeter des jeux théoriques ou éventuels. Toutefois, ce ne sont pas les jeux qui font l'objet de l'évaluation. Même si l'on peut se pencher sur la qualité d'un moteur donné, il reste qu'un moteur de très grande qualité peut donner naissance à des jeux non rentables. Un même moteur peut servir à produire à la fois un jeu populaire et un jeu qui se vend mal. Aussi, lors de l'évaluation d'un moteur, il n'y a pas lieu d'accorder trop d'importance à la qualité des jeux théoriques ou éventuels pouvant y être associés aux fins de produire des revenus dans l'avenir.

[121]        Si je fais erreur et que la société de personnes a acquis des jeux plutôt que des moteurs, je ne dispose d'aucun élément de preuve fiable au sujet de la qualité des jeux particuliers ayant été présumément acquis. Aux fins d'évaluation, la qualité ne se borne pas aux aspects techniques mais inclut aussi la viabilité commerciale des jeux. L'acheteur, lorsqu'il veut savoir si un jeu est de qualité ou s'il s'agit d'un bon jeu, désire obtenir cette information afin de voir, non pas si le jeu sera encensé par la critique, mais simplement s'il se vendra bien. L'opinion exprimée dans le cadre de l'analyse des jeux doit donc être fiable, non seulement en ce qui touche le degré de complexité et la qualité de programmation du code, mais aussi en ce qui concerne l'attrait que pourrait exercer le jeu sur les consommateurs de jeux vidéo, à partir de l'information disponible en 1993 et par rapport à d'autres produits sur le marché cette année-là.

[122]        M. Ozerkevich a analysé la qualité des jeux. Ainsi que je l'ai déjà précisé, je ne suis pas du tout persuadé que son analyse ait porté sur les moteurs qui ont été acquis; les jeux, réels et éventuels, associés aux moteurs au moment où a été effectuée cette analyse étaient très différents des modules de jeu élaborés subséquemment. De même, je ne suis pas convaincu que les jeux que M. Williams a vu dans les locaux du développeur au début de l'automne 1993 étaient les mêmes que ceux vendus à ASC. M. Lam a également analysé des versions des jeux, mais cela s'est produit plus tard. Cependant, M. Lam ne possédait pas de compétences particulières lui permettant de mesurer la qualité commerciale d'un jeu en 1993. Malgré ses connaissances étendues sur les logiciels en général, il est peu probable que M. Lam ait été capable de discerner la viabilité commerciale des jeux qu'il a analysés en procédant à des comparaisons avec des produits vendus en 1993 ainsi qu'en déterminant quels étaient les jeux populaires à l'époque et quels éléments attiraient les amateurs de jeux au cours de la période en question. Par contre, M. Gabelhouse a fourni les renseignements les plus fiables parce qu'il a examiné les catégories de jeu par rapport aux genres de jeux qui étaient sur le marché à la date de l'évaluation. Néanmoins, selon moi, M. Gabelhouse n'a pas exprimé d'avis sur la qualité des jeux en cause. Il a uniquement analysé des données statistiques. Il n'a pas vu lui-même les jeux et s'est fondé sur les observations de M. Lam pour ce qui a trait à la qualité. M. Gabelhouse, en se penchant sur les catégories auxquelles appartenaient les jeux, calculait une moyenne épurée (moyenne à l'intérieur de la catégorie pertinente) plus qu'il ne se prononçait sur la qualité des jeux. En conséquence, aux fins de modifier les projections découlant de l'approche d'évaluation globale des jeux, son opinion présente une plus grande utilité que les commentaires sur la viabilité commerciale des logiciels d'après les caractéristiques des jeux.

[123]        Même si des éléments de preuve fiables avaient été produits au sujet de la qualité des jeux au moment de l'évaluation, il aurait sans doute été difficile, sinon impossible, de prédire quels jeux deviendraient populaires sur le marché. Tout comme dans l'industrie du cinéma, on peut réunir tous les éléments qui sont gages de succès et faire un bide malgré tout. M. Wilkinson a dit lors de son témoignage qu'il est possible qu'un jeu de grande qualité, encensé par la critique, se vende mal. Il a aussi déclaré qu'un jeu de qualité médiocre ne se vendrait pas, mais d'autres éléments de preuve montraient qu'un jeu simpliste, dont la qualité ou même les coûts étaient peu élevés, pouvait se vendre à beaucoup d'exemplaires uniquement en raison de la marque qui y était accolée, par exemple Disney. M. Main a déclaré qu'un bon jeu avait quelque chose de [TRADUCTION] « viscéral » et que c'était un concept [TRADUCTION] « très très difficile » à définir. S'il y avait des données fiables sur la qualité des jeux, ces données seraient un facteur à prendre en compte dans l'évaluation. Toutefois, étant donné que l'évaluation porte sur des moteurs de jeu et qu'il est difficile de prédire la viabilité commerciale d'un jeu, ce facteur ne constituerait pas le seul fondement de l'évaluation, mais servirait plutôt à modifier les résultats de l'approche d'évaluation globale des jeux.

[124]        Une grande partie du témoignage des évaluateurs avaient trait à la détermination d'une projection raisonnable de la valeur des parts vendues à la date de l'évaluation. Ce point constitue le noeud de la question consistant à savoir combien un acheteur aurait prévu payer pour les moteurs et, donc, quelle était la juste valeur marchande de ceux-ci[22].

[125]        Ainsi que je l'ai indiqué précédemment, en raison de l'absence d'éléments de preuve, je ne crois pas que les jeux, c'est-à-dire les moteurs et les modules, doivent être évalués de façon distincte, en fonction de leurs qualités propres et de leurs chances d'avoir du succès sur le marché. Toutefois, je ne pense pas non plus que l'évaluation des jeux doive reposer uniquement sur l'hypothèse voulant que les jeux produits au moyen des moteurs seraient représentatifs du marché et équivaudraient au jeu moyen sur le marché. La question que l'on doit se poser consiste à savoir combien d'exemplaires des jeux qu'ASC pouvait s'attendre à produire au moyen de chaque moteur seraient vendus, compte tenu des conditions du marché. Cette question repose elle aussi sur les principes d'établissement d'une moyenne qui caractérisent l'approche d'évaluation globale des jeux, mais elle tient compte en outre des conditions pertinentes dans la situation considérée, de sorte que les moyennes obtenues ne soient pas biaisées au point de devenir irréalistes.

[126]        L'évaluation globale d'un groupe d'actifs pose un problème d'ordre conceptuel. Pour être un actif amortissable de la catégorie 12, chaque « logiciel » doit être classé en soi dans cette catégorie. L'approche d'évaluation globale a pour objet de déterminer combien un acheteur éventuel payerait pour l'ensemble des onze jeux. Cela ne devrait pas empêcher une personne de se prévaloir de la déduction pour amortissement à l'égard de ces actifs. La méthode d'évaluation est simplement une démarche commerciale servant à déterminer combien un acheteur payerait pour un groupe d'actifs. Une fois établie la valeur du groupe d'actifs, si l'on suppose tous les actifs égaux, le prix payé dans les faits est ensuite divisé par le nombre d'actifs, de manière à calculer le prix que l'acheteur serait prêt à payer pour chacun. Même si le prix de chaque moteur est fonction du fait que l'acheteur fait l'acquisition des onze moteurs, un montant est néanmoins payé pour chacun d'eux, et ils peuvent donc être classés dans la catégorie. Si un actif a une valeur plus élevée, il est possible de modifier en conséquence l'imputation du prix d'achat des biens.

[127]        J'évoque le témoignage de M. Gabelhouse. Ce témoin a déclaré que, aux fins de déterminer les ventes projetées d'un jeu, il examinait différents facteurs, mais surtout [TRADUCTION] « les résultats obtenus par le passé au niveau des jeux, parce qu'il s'agit de la seule information dont on dispose vraiment, exception faite de la nature des jeux eux-mêmes. » Les résultats passés et la position d'ASC, et même des développeurs, représentent un facteur très important[23].

[128]        La preuve révèle qu'aucun des huit jeux édités précédemment par ASC ne s'était vendu à plus de 50 000 exemplaires. Il n'est peut-être pas déraisonnable, aux fins des projections, de supposer qu'ASC avait tiré des leçons de l'expérience ainsi acquise et qu'elle obtiendrait par le fait même de meilleurs résultats à l'égard des ventes ultérieures de groupes de produits, mais les hausses des ventes projetées devraient être marginales plutôt que spectaculaires, sauf s'il y avait des indicateurs fiables permettant de penser le contraire.

[129]        Selon le témoignage de M. Gabelhouse, en 1993, les 50 éditeurs les plus importants ont enregistré 96,4 % des ventes de produits 16 bits. ASC ne faisait pas partie de ce groupe et ne détenait que 0,2 % du marché des produits destinés aux consoles SNES et Genesis de Sega. M. Gabelhouse a émis l'opinion que, si les ventes des jeux de la société de personnes avaient correspondu aux chiffres projetés par ASC dans les états des résultats pro forma de la coentreprise pour 1994, 1995 et 1996 (en fonction de 22 jeux), c'est-à-dire 190 900 exemplaires de chaque jeu (ou 4 200 000 au total), cela aurait propulsé ASC au septième rang de la liste des éditeurs, et sa part du marché aurait atteint 2,8 %, soit une hausse de 5 600 %. Je souscris aux arguments de l'intimée voulant qu'il aurait été irréaliste de la part d'un acheteur éventuel de s'attendre à ce qu'ASC puisse accroître à ce point sa part de marché.

[130]        L'analyse des résultats antérieurs d'ASC en matière de vente de jeux semble montrer que l'acheteur éventuel voulant déterminer la valeur projetée du groupe de jeux ne se serait pas attendu à ce que l'un des jeux enregistre des ventes faramineuses. L'appelant a mentionné le jeu Tetris dans le but de démontrer qu'une société n'a pas à occuper une position dominante pour produire un jeu à succès[24]. Je ne dispose d'aucun élément de preuve montrant que la probabilité qu'une telle chose se produise ne soit pas comparable à la probabilité de gagner à la loterie. Il n'y a pas lieu selon moi pour l'appelant de tenir compte, dans le cadre de l'approche d'évaluation globale, de la possibilité que l'un des onze jeux devienne un succès. Les évaluations doivent demeurer prudentes. ASC ne possédait pas l'expérience ou la compétence d'EA, pour citer un exemple, aussi les résultats et la prospérité d'EA ne peuvent servir d'indication à propos des flux de revenu futurs d'ASC.

[131]        M. Michelin a souscrit à l'argument de l'appelant voulant qu'ASC puisse majorer la valeur des logiciels grâce à sa capacité de les commercialiser et d'en assurer la publicité croisée, plus le fait qu'ASC, ou plutôt EMCI, détenait des licences de distribution de Sega et Nintendo et avait conclu des contrats de licence portant sur des marques importantes. Je ne suis pas d'avis que ces facteurs auraient amené un acheteur éventuel à payer plus pour les moteurs de jeu vidéo à la date de l'évaluation.

[132]        La valeur ajoutée par la capacité d'ASC d'assurer la publicité croisée et la commercialisation des jeux vidéo à la date de l'évaluation était peu élevée, voire nulle, étant donné que cette capacité n'était pas avérée ni concrète, et qu'elle n'était pas reflétée par les ventes de jeux enregistrées par ASC dans le passé. Rien ne prouve que la publicité croisée soit un facteur pertinent aux fins d'évaluer des jeux informatiques.

[133]        Le seul contrat de licence produit au procès était celui concernant la licence du jeu Trolls de la Russ Berrie Company. Il a été démontré au procès que, à la date de l'évaluation, cette licence avait une valeur minime, peut-être même nulle. L'acheteur éventuel se penchant sur le prix de logiciels accorderait peu de poids aux déclarations d'ASC concernant l'acquisition de licences revêtant une grande valeur. Aux yeux d'un tel acheteur, le fait qu'ASC ait la capacité d'obtenir ces licences serait tout au plus un « à-côté attrayant » .

[134]        L'acquisition par ASC auprès de Sega et de Nintendo de licences de distribution des jeux aurait pu inciter un acheteur à payer plus cher pour obtenir les moteurs, mais il se trouve qu'ASC n'avait pas de licence de Sega à la date de l'évaluation. De plus, il ne s'agissait pas de licences de distribution à l'échelle mondiale. Par exemple, le Japon était un marché exclu. Les évaluations de l'appelant ont été fondées sur la déclaration selon laquelle ASC pourrait vendre des jeux à l'intérieur de territoires à l'égard desquels aucune licence n'était détenue. Les contrats de licence de Sega et de Nintendo produits en preuve interdisent expressément au licencié de transférer la licence ou les droits y afférents sans avoir au préalable obtenu l'autorisation écrite du concédant, et aucun accord de distribution n'a été produit à des fins de vérification. La valeur, quelle qu'elle soit, que les licences de distribution aurait pu ajouter au prix d'achat des moteurs était contrebalancée par l'incertitude rattachée à la licence de Sega ainsi qu'à la portée limitée des licences de Nintendo et de Sega, une fois celles-ci obtenues.

[135]        Selon ses projections, ASC devait vendre en moyenne 191 000 exemplaires de chaque jeu. Cette projection reposait en grande partie sur le tableau 5-17 du Factbook, intitulé [TRADUCTION] « Nombre d'exemplaires vendus pour chaque jeu sur cassette » . Les ventes projetées pour 1992 dans le Factbook s'élevaient à 184 000 et à 44 285 exemplaires par jeu pour les consoles Super NES et Genesis, respectivement. M. Michelin a supposé que ces chiffres correspondaient uniquement aux ventes en Amérique du Nord et les a multipliés par deux, ce qui donnait 456 570 exemplaires en tout. Il a dès lors conclu que 228 285 exemplaires de chaque jeu seraient vendus pour chaque console.

[136]        M. Michelin a fait erreur lorsqu'il a supposé que le tableau faisait état uniquement des ventes en Amérique du Nord. Voici ce que l'on peut lire dans l'introduction du chapitre 5 du Factbook : [TRADUCTION] « Les ventes de logiciels de divertissement correspondent aux ventes de gros à l'échelle mondiale par les éditeurs des États-Unis. » M. Michelin a en outre déclaré que, si les tableaux du chapitre 5 du Factbook étaient élaborés de façon uniforme, les chiffres du tableau 5-17 représentaient les ventes à l'échelle mondiale. Si tel est le cas, les ventes moyennes projetées par jeu s'établissaient à 114 143 exemplaires. Je tiens aussi compte du fait que les chiffres énoncés dans le Factbook pour 1992 sont des projections et non des ventes réelles. Au 31 décembre 1993, un acheteur éventuel aurait censément disposé de renseignements plus à jour.

[137]        J'accepte le témoignage de M. Gabelhouse concernant l'utilisation de la valeur médiane par opposition à la valeur moyenne. Ainsi que je l'ai indiqué, l'approche d'évaluation globale doit être rajustée de manière à prendre en compte le fait qu'ASC n'était pas un éditeur établi ayant connu du succès dans le domaine de l'édition de jeux. Il faut donc exclure les jeux « marginaux » (outlyers)[25] aux fins de projeter les ventes en 1993. ASC ne pouvait s'attendre à produire un succès, or ce sont les succès qui déforment la moyenne vers le haut. D'après le rapport de M. Gabelhouse, le nombre médian d'exemplaires vendus par jeu est de 50 000 environ.

[138]        M. Gabelhouse a également mené une analyse portant sur les catégories de jeux qu'ASC prévoyait mettre en marché. D'après les résultats de l'analyse, les ventes projetées pour l'ensemble des jeux en 1993 se situaient entre 203 000 et 300 000 exemplaires[26]. Se fondant sur cette analyse, M. Gabelhouse estimait que, d'après les caractéristiques des jeux, le nombre d'exemplaires vendus par ASC aurait été inférieur au niveau médian du marché.

[139]        Enfin, j'accepte également le témoignage de M. Gabelhouse lorsque ce dernier indique que si, d'une part, on prévoyait une hausse des ventes sur le marché des produits 16 bits en 1994, on prévoyait d'autre part une baisse des ventes par jeu, étant donné l'augmentation du nombre de jeux mis sur le marché et de la concurrence plus forte au chapitre du linéaire. Ce facteur, jumelé à la diminution progressive du marché des produits 16 bits prévue après 1994, donne à penser que, à compter de 1993, on pouvait s'attendre à une baisse de la moyenne des ventes par jeu sur le marché.

[140]        L'acheteur éventuel de ce groupe de programmes ne fonderait fort probablement pas ses projections de ventes uniquement sur le comportement global du jeu moyen sur le marché. La moyenne d'ensemble des moteurs serait rajustée à la baisse par rapport à la moyenne de l'industrie, d'après les résultats passés d'ASC dans le domaine, les caractéristiques des jeux devant être mis en marché, le fléchissement attendu du marché en raison de sa sursaturation en 1994, et le lent déclin du marché de la technologie 16 bits au cours des années suivantes. Les projections ne seraient probablement pas rajustées à la hausse au titre de la valeur qu'ASC pourrait éventuellement ajouter aux jeux.

[141]        À mon avis, des ventes de 50 000 exemplaires de chaque jeu constitueraient une projection raisonnable d'après l'approche d'évaluation globale modifiée. Toutefois, en bout de ligne, je rajusterais à la baisse le nombre moyen d'exemplaires vendus afin de tenir compte de la sursaturation anticipée du marché et de la baisse progressive des ventes de produits 16 bits. Cette projection est fondée sur la moyenne des ventes par jeu en 1993. Elle est justifiée par les ventes de jeux d'ASC dans le passé et par les efforts accrus devant être déployés dans l'avenir. Par ailleurs, je rajusterais le chiffre des ventes à la hausse pour le porter à 55 000, de manière à tenir compte du fait qu'un investisseur pourrait estimer qu'ASC est en mesure d'améliorer nettement ses résultats grâce à l'expérience acquise et de la possibilité que l'un des jeux, sans devenir un succès, se vende à plus de 50 000 exemplaires; toutefois, il se pourrait également que certains jeux soient des échecs. En raison du facteur temps déjà mentionné, il serait peut-être possible de développer tout au plus trois autres jeux 16 bits à partir des moteurs acquis. Le nombre total de jeux vendus serait de près de 770 000. Il s'agit d'un scénario optimiste, mais je considère néanmoins qu'il devrait servir de base d'évaluation aux fins des nouvelles cotisations.

[142]        Le taux d'actualisation a été fixé entre 29 et 33 % par M. Michelin, et entre 35 et 40 % par M. Rosen. Je pense que, pour l'acheteur éventuel, le risque principal est qu'ASC ne puisse obtenir de Nintendo ou de Sega l'autorisation de commercialiser un jeu à l'extérieur de l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud. Parmi les autres risques, il y a la possibilité que les jeux ne soient pas mis en marché en temps opportun, qu'ils ne soient pas mis en marché du tout, ou que les ventes projetées ne se réalisent pas.

[143]        Le taux d'actualisation de M. Michelin n'est pas déraisonnable, quoique ses projections aient été trop optimistes et n'aient reposé sur rien de concret. Si les projections sont rajustées à la hausse, le facteur d'actualisation est haussé à l'avenant, étant donné que le risque relié à l'atteinte des ventes projetées devient plus grand. De plus, ainsi que l'a indiqué M. Rosen, les calculs doivent permettre de mesurer la valeur après impôt. Les moteurs ne devraient pas se voir attribuer de valeur résiduelle.

Acquis en vue de tirer un revenu

[144]        Je conclus que la société de personnes a acquis les logiciels en vue de tirer un revenu d'une entreprise consistant à vendre des jeux informatiques au public, et ce, malgré le fait que le prix payé pour les logiciels ait été trop élevé. De fait, la société de personnes a bel et bien vendu des jeux informatiques au public. Dans l'affaire Entreprises Ludco Ltée c. Canada[27], la Cour suprême a jugé que, pour l'application du sous-alinéa 20(1)c)(i), le terme « revenu » s'entend du revenu en général, savoir de toute somme qui entre dans le revenu imposable et non seulement du revenu net. Je ne vois aucune raison justifiant que ce terme ait un autre sens à l'alinéa 1102(1)c) du Règlement. Le sous-alinéa 20(1)c)(i) vise les sommes empruntées qui sont utilisées « en vue de tirer un revenu » et l'alinéa 1102(1)c) du Règlement, les biens acquis « aux fins de gagner ou de produire un revenu » . Dans ces deux dispositions, le sens du terme « revenu » est le même. L'objet des deux dispositions est de créer une incitation à la mobilisation ou à l'acquisition de capital pouvant servir à produire un revenu.

[145]        Je ne prétends pas que l'appelant a acquis des parts de la société de personnes à seule fin de gagner un revenu et qu'il ne se souciait pas des avantages fiscaux pouvant être offerts par un abri fiscal. Je crois pouvoir conclure sans trop de risque que les aspects fiscaux de l'opération ont été un facteur important pour l'appelant lorsqu'il a pris sa décision. Toutefois, selon les témoignages non contredits de l'appelant et de M. Bambrough, notamment, ces propriétaires de parts de la société de personnes anticipaient tirer un revenu des logiciels. En 1993, M. Gabelhouse aurait prédit une croissance de 9 % des jeux 16 bits de 1993 à 1994. La société de personnes offrait des possibilités de revenu raisonnables. Le fait que les associés aient investi pour réduire leur impôt ne signifie pas pour autant que la société de personnes n'a pas acquis les logiciels aux fins de gagner ou de produire un revenu d'une entreprise au sens de l'alinéa 1102(1)c) du Règlement.

[146]        Dans l'affaire Ludco, la Cour suprême a jugé que le caractère suffisant du revenu gagné par un investisseur ayant emprunté de l'argent dans le but d'investir n'est pas un facteur déterminant. Elle a conclu également que la fin de l'emprunt qui est visée au sous-alinéa 20(1)c)(i), c'est-à-dire tirer un revenu, n'a pas à être la fin exclusive, première ou dominante, et que, en présence de fins multiples, celles-ci n'ont pas à être classées d'une certaine manière par ordre d'importance. En l'absence d'un trompe-l'oeil, d'un artifice ou d'autres circonstances viciant l'opération, une fin accessoire poursuivie par le contribuable en effectuant l'investissement peut néanmoins constituer une fin véritable, tout aussi susceptible de satisfaire la condition de déductibilité du revenu fondée sur la fin requise. Même si l'économie d'impôt constituait une fin première de M. Brown, cela n'a pas pour effet d'annuler l'intention de la société de personnes d'acquérir les logiciels en vue d'en tirer un revenu.

Attente raisonnable de profit

[147]        Le critère de l'attente raisonnable de profit est exposé dans le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. La Reine[28] (on parlait à l'époque d' « expectative raisonnable de profit » ); le juge Dickson déclarait ainsi :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une « source » de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise : Dorfman c. M.R.N. [[1972] C.T.C. 151][29].

[148]        Aux fins de définir l'expression « expectative raisonnable de profit » , le juge Dickson a précisé ceci :

[...] [O]n doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise : La Reine c. Matthews [74 D.T.C. 6193]. Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge[30].

[149]        Dans l'affaire Tonn c. Canada (C.A.)[31], le juge Linden de la Cour d'appel fédérale a interprété le critère de l'attente raisonnable de profit de la manière suivante :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables. Un avertissement doit être formulé dans les cas où le critère est appliqué aux activités commerciales. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent[32]. [C'est moi qui mets en italique.]

[150]        La Couronne déclare que la société de personnes n'exploitait pas une entreprise dans une attente raisonnable de profit. L'objet d'une société de personnes est de permettre aux associés d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice[33]. La coentreprise d'ASC et de la société de personnes est parvenue à lancer sur le marché des jeux achevés : TNN Bass Tournament (Nintendo et Sega), Chavez II (Nintendo et Sega), Cannondale Cup (Nintendo) et Super Copa (Nintendo). Une entreprise véritable, au sens de ce terme au paragraphe 248(1), était exploitée durant les années en cause dans les présents appels. La société de personnes avait une source de revenu.

[151]        Aux termes du paragraphe 9(1) de la Loi, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année. La Loi ne mentionne ni ne décrit les caractéristiques juridiques du « revenu » . Pour l'application de l'alinéa 20(1)c), ainsi peut-être que pour celle d'autres dispositions, « revenu » n'équivaut pas à « bénéfice » [34]. Dans le présent appel, MM. Brown et Bambrough étaient deux hommes d'affaires chevronnés et prospères qui, nonobstant l'existence d'un lien de dépendance entre la société de personnes d'une part et M. Williams et ASC d'autre part, ou le fait que la société de personnes ait apparemment payé, pour acquérir les logiciels, un prix supérieur à la juste valeur marchande de ces derniers, ont pris une décision d'affaires consistant à prendre part à l'opération, non seulement pour payer moins d'impôt mais aussi parce qu'ils avaient des motifs raisonnables de s'attendre à tirer un revenu des logiciels. Ils savaient ce qu'ils faisaient. Eux-mêmes ou des personnes agissant en leur nom ont discuté avec des gens, par exemple M. Main, qui connaissaient bien le domaine. M. Brown a déclaré que, en 1993, il estimait que les actions d'entreprises de jeux informatiques comme EA représentaient des valeurs d'avenir et pensait que son investissement serait fructueux. M. Bambrough entrevoyait d'autres moyens possibles de tirer profit de l'investissement si les ventes de jeux ne donnaient pas les résultats escomptés. Aux yeux de ces contribuables, une attente raisonnable de profit était associée à la vente de jeux informatiques. Je suis réticent à substituer mon jugement au leur.

[152]        Pour trancher cette question, j'ai accordé un certain poids au fait qu'ASC et la société de personnes avaient entre elles un lien de dépendance et que l'opération était menée dans le contexte d'un abri fiscal. Il est tout à fait évident qu'ASC voulait que les investisseurs soient satisfaits. ASC a accepté à trois reprises au moins de modifier les modalités d'attribution du revenu tiré des onze logiciels. Elle a même fait un échange de jeux avec la société de personnes en 1995 après avoir pris conscience que le revenu tiré des jeux informatiques ne correspondait pas à ses projections. La relation entre ASC et M. Williams garantissait à tout le moins que l'appelant et les autres associés de la société de personnes n'auraient pas à assumer de frais et qu'il serait raisonnable de leur part de s'attendre à tirer un bénéfice de leur investissement parallèlement aux économies d'impôt dont ils profiteraient en 1993 et en 1994. En effet, étant donné ses coentreprises existantes ou prévues avec d'autres sociétés de personnes, ASC avait tout intérêt à ce que la société de personnes tire un bénéfice de son investissement.

Passif éventuel/fraction à risques

[153]        Si la totalité ou une partie du prix d'achat des logiciels était un passif éventuel, le montant en question ne ferait pas partie du coût en capital de l'actif quant à la société de personnes, sauf si l'éventualité prévue se réalisait, et il n'en ferait alors partie qu'à compter de ce moment. Une éventualité se définit comme un événement qui peut ou non se produire; cela signifie donc qu'un passif éventuel est un passif réel dont l'existence dépend d'un événement qui peut se produire ou non. C'est uniquement lorsque l'événement survient que le passif existe[35].

[154]        L'appelant soutient que rien dans le billet d'acquisition ne donne à penser qu'une éventualité était prévue. Toutefois, ce billet est assujetti à l'accord sur les logiciels, plus particulièrement la clause de déclaration. Les avocats ont fait valoir que, même si la société de personnes pouvait entamer des poursuites au titre de cette clause, ce droit d'action n'annulait pas la dette que constituait le billet d'acquisition. Tout montant de dommages-intérêts pour violation de garantie serait imposable entre les mains de la société de personnes, à titre de revenu ou de capital.

[155]        L'intimée considère que l'obligation de l'appelant à l'égard du billet d'acquisition constituait un passif éventuel. Elle soutient que, pour déterminer si tel est bien le cas, il faut tenir compte de tous les accords conclus par les différents associés, la société de personnes CEG et ASC, ainsi que des circonstances entourant ces accords, entre autres les événements ayant conduit à leur conclusion ou qui en ont résulté par la suite[36]. On peut en conclure selon l'intimée que le remboursement du billet d'acquisition était conditionnel à l'atteinte d'un niveau donné de ventes, conformément à la clause de déclaration. Par conséquent, le passif énoncé sur le billet d'acquisition était un passif éventuel ne faisant pas partie du coût en capital des jeux.

[156]        Le ministre dit que le billet constituait un passif éventuel parce que les intérêts et le principal étaient payables uniquement à même les bénéfices attribués à la société de personnes au cours de la période se terminant le 31 décembre 2003, date où les intérêts et le principal du billet devenaient payables. De plus, les parts de la société de personnes servaient de garantie au billet d'acquisition, et le ministre estimait que ces parts avaient une valeur peu élevée, sinon nulle, en 1993 et qu'elles ne vaudraient plus rien au bout de dix ans, étant donné que le marché des jeux 16 bits aurait disparu. Pour sa part, l'appelant, se fondant sur les conseils juridiques reçus, pensait qu'il devenait personnellement responsable à l'égard du billet d'acquisition si les revenus s'avéraient insuffisants. M. Bambrough en était lui aussi persuadé.

[157]        Le ministre a souligné que le billet d'acquisition ne figure pas dans le bilan consolidé vérifié d'ASC au 31 décembre 1993 ou 1994 à titre de créance. Une note aux états financiers d'ASC précisait que cette dernière avait fait une déclaration selon laquelle la coentreprise [TRADUCTION] « vendrait un nombre minimum d'exemplaires d'ici le 31 décembre 1998 » . La note indiquait en outre que l'apport de la société de personnes à la coentreprise se chiffrait à 2 897 789 $. Il n'y avait aucune mention du montant du billet d'acquisition.

[158]        D'après le ministre, la clause de déclaration ne constituait pas une clause d'effort maximum sans valeur, ainsi que l'ont prétendu plusieurs témoins, dont l'appelant. Le libellé de l'accord sur les logiciels et les circonstances qui s'y rattachent contredisent cette prétention, d'autant plus que, à l'alinéa 6e) de l'accord sur les logiciels, ASC reconnaît que cette clause a [TRADUCTION] « incité » la société de personnes à conclure l'accord.

[159]        Dans leur lettre aux avocats, les comptables de l'appelant, appartenant au cabinet Ellis Foster, indiquent que la déclaration énonce les ventes de jeux minimums correspondant approximativement au seuil de rentabilité, à partir duquel les revenus de vente après impôt permettront aux associés de disposer d'assez d'argent pour rembourser le billet d'acquisition et acquitter les intérêts; si ces ventes minimums ne sont pas atteintes, ASC ne demande pas le remboursement du billet d'acquisition. M. Stewart, avocat de l'appelant, a déclaré que, si les volumes de ventes évoqués dans la déclaration ne sont pas atteints, les associés auront une cause d'action en dommages-intérêts pour violation de garantie, ces dommages-intérêts n'équivalant pas nécessairement au solde payable sur le billet d'acquisition et ne donnant pas nécessairement lieu à une compensation totale.

[160]        L'intimée ajoute que l'accord modificateur no 3 avait pour effet de libérer les associés de toute obligation relative au billet d'acquisition dès le moment où il devenait clair que les ventes de jeux 16 bits seraient insuffisantes pour atteindre le seuil de rentabilité. M. Brown a reconnu que, lorsqu'il est devenu manifeste que les ventes de jeux 16 bits n'atteindraient pas [TRADUCTION] « les objectifs (135 000 exemplaires de chaque jeu vidéo en moyenne) fixés pour que les revenus gagnés suffisent à rembourser les billets » , la [TRADUCTION] « meilleure façon de s'en sortir » consistait à accepter le rachat des parts de la société de personnes. M. Kosovitch a déclaré que cette modification devait profiter à ASC et améliorer son état des résultats. Je suis d'accord avec les avocats de l'intimée sur le fait que la seule raison pour laquelle l'accord modificateur no 3 a été apportée est qu'ASC savait qu'elle ne pourrait jamais toucher le montant du billet d'acquisition à moins qu'un nombre suffisant de jeux soient vendus.

[161]        Les avocats de l'appelant ont soutenu que leur client n'est pas réputé être un commanditaire par l'effet du paragraphe 96(2.4) et qu'il est inutile de calculer la fraction à risques. La fraction à risques de l'intérêt d'un contribuable dans une société de personnes dont il est commanditaire à un moment donné est définie au paragraphe 96(2.2). Les avocats de l'appelant ont également déclaré que, même si l'appelant était réputé être un commanditaire, l'application des paragraphes 96(2.1) et (2.2) n'a pas pour effet de réduire la fraction à risques de son intérêt en 1993 et en 1994. Ils ont expliqué - et je suis d'accord avec eux - que la fraction à risques doit faire l'objet d'une analyse en deux temps. Dans un premier temps, il faut tenir compte du paragraphe 96(2.4), aux termes duquel l'associé d'une entité qui est par ailleurs une société en nom collectif peut être un commanditaire réputé dans certaines circonstances qui sont énumérées à ce paragraphe. Si le paragraphe 96(2.4) s'applique, l'étape suivante consiste à établir l'effet, le cas échéant, des règles concernant la fraction à risques aux paragraphes 96(2.1) et (2.2).

[162]        Voici les passages pertinents des paragraphes 96(2.1) et (2.2) dans leur version applicable en 1993[37] :

(2.1) Malgré le paragraphe (1), dans le cas où un contribuable est commanditaire d'une société de personnes au cours d'une année d'imposition, l'excédent éventuel :

a)       du total des montants dont chacun représente la part, dont il est tenu, d'une perte de la société de personnes résultant d'une entreprise [...], calculée conformément au paragraphe (1), pour un exercice de la société de personnes se terminant au cours de l'année,

sur :

        b) l'excédent éventuel :

(i) de la fraction à risques de l'intérêt du contribuable dans la société de personnes à la fin de l'exercice, sur le total des montants suivants :

(ii) la partie du montant déterminé à l'égard de la société de personnes que le paragraphe 127(8) prévoit d'ajouter dans le calcul du crédit d'impôt à l'investissement du contribuable pour l'année,

(iii) la part, dont le contribuable est tenu, des pertes de la société de personnes résultant d'une entreprise agricole pour l'exercice,

[...]

est à la fois :

c) non admis en déduction dans le calcul de son revenu pour l'année,

d) exclu du calcul de sa perte autre qu'une perte en capital pour l'année,

e) réputé être la perte comme commanditaire ou assimilé subie par le contribuable dans la société pour l'année.

(2.2) Pour l'application du présent article et des articles 111 et 127, la fraction à risques de l'intérêt d'un contribuable dans une société de personnes dont il est commanditaire à un moment donné correspond à l'excédent éventuel du total des montants suivants :

a) le prix de base rajusté, pour le contribuable, de sa participation dans la société de personnes à ce moment donné, calculé conformément au paragraphe (2.3) s'il est applicable;

b) si ce moment donné est le dernier de l'exercice de la société de personnes, la part qui revient au contribuable du revenu de la société de personnes provenant d'une source donnée pour l'exercice et calculé de la même façon qu'au sous-alinéa 53(1)e)(i);

b.1) si ce montant donné est le dernier de l'exercice de la société de personnes, le montant visé au sous-alinéa 53(1)e)(viii) à l'égard du contribuable pour cet exercice,

sur le total des montants suivants :

c) le total des montants représentant chacun un montant dû, au moment donné, à la société de personnes, ou à une personne ou une société de personnes avec laquelle la société de personnes a un lien de dépendance, par le contribuable ou par une personne ou une société de personnes avec laquelle celui-ci a un lien de dépendance, à l'exception d'un montant déduit en application du sous-alinéa 53(2)c)(i.3) ou de l'article 143.2 dans le calcul du prix de base rajusté ou du coût, selon le cas, pour le contribuable, de sa participation dans la société de personnes à ce moment;

d) le montant ou l'avantage que le contribuable ou une personne avec qui il a un lien de dépendance a le droit, immédiat ou futur et absolu ou conditionnel, de recevoir - sous forme de remboursement, de compensation, de garantie de recettes, de produit de disposition, de prêt ou autre forme de dette ou sous toute autre forme - et qui est accordé en vue de supprimer ou de réduire l'effet d'une perte que le contribuable peut subir en tant qu'associé de la société de personnes ou du fait qu'il a une participation dans la société de personnes ou qu'il en dispose [...]

[163]        L'intimée affirme qu'il y a au moins deux raisons possibles faisant en sorte d'assujettir l'appelant aux règles concernant la fraction à risques : la clause de déclaration contenue dans l'accord sur les logiciels garantit un produit minimum à l'appelant, et les modifications, en particulier celles prévues par l'accord modificateur no 3, permettent à l'associé d'exiger le rachat de chaque part de la société de personnes à un prix de 8 000 $US en plus de prévoir le versement, par ASC, de 300 000 $US à la société de personnes chaque année en contrepartie de certains droits. Une autre raison est que le passif relatif au billet d'acquisition est un passif éventuel.

[164]        Les dispositions du billet d'acquisition étaient [TRADUCTION] « [...] assujetties » à l'accord sur les logiciels, dont la clause de déclaration, contenue à l'alinéa 6e), qui, ainsi que l'ont reconnu les associés, avait [TRADUCTION] « incité » la société de personnes à conclure l'accord sur les logiciels.

[165]        L'appelant indique que la déclaration n'était que cela et qu'elle faisait partie de l'accord uniquement à des fins de [TRADUCTION] « persuasion » . Elle ne devait pas avoir de conséquence juridique, étant donné qu'elle ne faisait pas mention d'un prix de vente. Le prix des jeux pouvait être le prix de détail fixé au départ ou un prix passablement réduit si les jeux se vendaient mal. De ce fait, l'appelant juge que la déclaration ne garantit pas un revenu minimum équivalant au seuil de rentabilité et ne donne pas lieu à l'application des règles concernant la fraction à risques, contrairement à ce que la Couronne donnait à entendre. La déclaration ne mentionne qu'un nombre minimum d'exemplaires.

[166]        D'après le ministre, la clause de déclaration est l'une des modalités de l'accord sur les logiciels (et du billet d'acquisition); il ne s'agit pas d'une simple observation au sens du droit des contrats ou du droit de la responsabilité délictuelle. Les parties prévoyaient donner suite à cette clause. La clause de déclaration constitue une garantie d'ASC à la société de personnes.

[167]        La clause de déclaration peut faire partie des modalités du contrat ou n'être qu'une simple observation. On entend par modalité d'un contrat une clause du contrat qui énonce ou explicite une obligation ou un ensemble d'obligations incombant à une ou à des parties au contrat. L'inexécution des modalités d'un contrat est une cause d'action en dommages-intérêts pour rupture de contrat[38].

[168]        Une déclaration est toutefois un énoncé ou une assertion de l'une des parties à l'autre, au moment où le contrat est conclu ou avant, au sujet d'une question ou d'une circonstance se rapportant au contrat. La déclaration n'est pas incluse dans le contrat. Si elle n'est pas observée, le recours applicable n'est pas une action pour rupture de contrat, mais plutôt la résolution ou la résiliation du contrat conclu en raison de la déclaration et, peut-être, une action en dommages-intérêts. En cas de déclaration erronée ou fausse, la personne à qui la déclaration a été faite peut avoir le droit de résoudre le contrat, si ce dernier a été conclu de façon frauduleuse, de le résilier, si la déclaration a été faite de bonne foi, ou d'intenter une action en dommages-intérêts si la déclaration a été faite de façon négligente[39].

[169]        Ainsi que l'ont affirmé les avocats de l'appelant, dans la présente affaire, il faut examiner l'intention des parties pour établir si la déclaration était une simple observation ou si elle constituait une garantie de bonne exécution de la part d'ASC. La question de l'intention est une question de fait[40].

[170]        La clause de déclaration n'est pas une condition de l'accord sur les logiciels puisque le défaut d'exécution dans ce cas ne remettrait pas en question les tenants et aboutissants du contrat, situation où la partie lésée pourrait intenter des poursuites afin de résilier le contrat et d'obtenir des dommages-intérêts[41]. Une garantie est une modalité contractuelle qui ne remet pas en question le fondement du contrat entre les parties[42]. En fait, la garantie se rapporte à une obligation secondaire; l'inexécution peut donner lieu à une action en dommages-intérêts mais ne conférera pas le droit de répudier le contrat.

[171]        Selon moi, du fait qu'il soit indiqué dans la clause de déclaration que la société de personnes a été [TRADUCTION] « incitée » à conclure l'accord sur les logiciels, l'appelant ou ASC ne peuvent soutenir que la déclaration ne constituait pas une incitation ni une modalité de l'accord. Si la société de personnes avait intenté une action à l'encontre d'ASC, il est peu probable que cette dernière aurait tenté de soutenir que, en dépit du libellé de l'alinéa 6e), la déclaration n'était pas censée donner lieu à une action et qu'elle ne constituait pas dans les faits une forme d'incitation. La garantie faisait partie de l'accord[43].

[172]        Il est énoncé expressément dans la clause de déclaration que les ventes devaient atteindre [TRADUCTION] « 135 000 exemplaires de chaque jeu vidéo en moyenne » . ASC garantissait que les ventes de jeux atteindraient un certain niveau. M. Brown a souligné que les objectifs fixés pour que les revenus gagnés [TRADUCTION] « suffisent à rembourser les billets » n'avaient pu être atteints, ce qui était une raison de modifier l'accord sur les logiciels. Bien que le prix des jeux ait pu varier à certains moments pour différentes raisons, et qu'il n'y ait donc pas de montant précis attribué aux ventes, des jeux étaient vendus, et ces ventes rapportaient un revenu.

[173]        Un certain montant de revenu était garanti. Je ne souscris pas à l'argument des avocats de l'appelant voulant que la clause de déclaration, si elle est considérée comme étant une modalité de l'accord, soit simplement une cause d'action en dommages-intérêts et ne puisse par conséquent constituer l' « avantage » requis pour l'application des paragraphes 96(2.2) et (2.4). La question est de savoir si l'appelant avait droit à un avantage, non quel recours il aurait pu avoir en cas d'inexécution de la déclaration. Dans le cas de la grande majorité des avantages mentionnés au paragraphe 96(2.2), l'inexécution de la clause de l'accord énonçant la promesse relative à l'avantage donnerait lieu à une réclamation en dommages-intérêts.

[174]        Il ressort clairement des propos et de la conduite des parties que celles-ci voulaient que la clause de déclaration constitue une garantie, que cette clause constituait bel et bien une garantie et qu'elle faisait partie des modalités de l'accord sur les logiciels. La déclaration constituait un avantage au sens de l'alinéa 96(2.2)d) de la Loi en 1993 ainsi qu'en 1994. Étant donné que l'appelant a droit à un avantage en application du paragraphe 96(2.2), il est réputé être un commanditaire aux termes du paragraphe 96(2.4) de la Loi et est de ce fait visé par les dispositions de la Loi concernant la fraction à risques.

[175]        L'accord modificateur no 3 accordait à l'appelant le droit d'exiger que la société de personnes rachète chaque part à un prix de 8 000 $US à quoi s'ajoutent des actions d'ASC. Les associés seraient pour leur part libérés de toute obligation présumée au titre du billet d'acquisition. Une aide financière serait fournie par ASC à l'égard du rachat des parts.

[176]        Le paragraphe 96(2.4) établit qu'un associé est commanditaire d'une société de personnes à un moment donné si, à ce moment ou dans les trois ans suivants, l'une des conditions énoncées aux alinéas 96(2.4)a), b), c) et d) est remplie.

[177]        Les avocats de l'appelant ont fait valoir que les dispositions du paragraphe 96(2.4) ne s'appliquent pas rétroactivement. De plus, même si l'appelant était réputé être un commanditaire, les paragraphes 96(2.1) et (2.2) n'ont pas pour effet de réduire la fraction à risques en 1993 et en 1994, étant donné que l'appelant n'avait droit à aucun des montants visés à l'alinéa 96(2.2)d) au moment applicable pour le calcul de la fraction à risques, soit le 31 décembre 1993 ou 1994, de sorte qu'aucun rajustement ne s'appliquait.

[178]        D'après l'appelant, [TRADUCTION] « selon l'interprétation idoine du paragraphe 96(2.4), le droit de recevoir un montant ou un avantage dont il est question au paragraphe 96(2.2) doit exister au moment en cause pour que le paragraphe 96(2.4) s'applique » . Un associé ne devrait pas être un commanditaire réputé pour des années d'imposition antérieures en raison de droits qui ne deviennent applicables que subséquemment.

[179]        La question à trancher est donc de savoir si, selon le libellé du paragraphe 96(2.4), l'accord modificateur no 3 a pour conséquence de faire de l'appelant un commanditaire en 1993 et en 1994, années où les pertes ont été déclarées.

[180]        L'appelant a invoqué l'affaire Laplante c. La Reine[44] à l'appui de son affirmation selon laquelle, aux termes de la Loi, il est un commanditaire réputé uniquement pour l'année 1995 et les trois années suivantes. Dans l'affaire Laplante, le contribuable a subi des pertes à titre de commandité en 1988 et en 1989. Bien qu'il ait conclu un contrat de société en commandite en 1987, la société de personnes n'a été enregistrée qu'en 1990. La question que devait examiner le juge Brulé de la Cour canadienne de l'impôt était de savoir si, aux termes du contrat de société de personnes en vigueur en 1988 et en 1989 - années où la société de personnes n'était pas enregistrée -, le contribuable était un commanditaire réputé en application de l'alinéa 96(2.4)a). Le juge Brulé a conclu que cette disposition ne s'appliquait pas, étant donné que la société de personnes n'était pas enregistrée et que, par conséquent, le contribuable n'était pas un commanditaire réputé.

[181]        Il est vrai que, si le paragraphe 96(2.4) s'applique rétroactivement sur une période de trois ans, l'enregistrement subséquent de la société de personnes, en 1990, ferait en sorte que le contribuable devienne un commanditaire en 1988 et en 1989. Par contre, il semble que le juge Brulé ne se soit pas arrêté au facteur temps dans le cadre de son analyse et qu'il n'ait pas envisagé l'application du paragraphe 96(2.4) sous cet angle.

[182]        Dans l'affaire McKeown c. La Reine[45], le juge en chef Garon a examiné la question de savoir si des conventions de cession conclues en 1993 et en 1994, qui prévoyaient le rachat des parts du contribuable, faisaient en sorte que le contribuable soit un commanditaire en application de l'alinéa 96(2.4)b) lors des années où des pertes ont été déclarées, soit 1991 et 1992. Le juge en chef Garon a déclaré ce qui suit[46] :

Si on lit les alinéas 96(2.4)b) et 96(2.2)d) [...] il s'ensuit qu'un associé est assimilé à un associé commanditaire lorsqu'il possède, à la date en question ou dans les trois ans qui suivent, un droit de recevoir sous une forme quelconque un montant ou un avantage visé à l'alinéa 96(2.2)d), si ce montant ou cet avantage est accordé « en vue de supprimer ou réduire l'effet d'une perte dont le contribuable serait tenu en tant qu'associé de la société ou du fait qu'il a un intérêt dans la société ou qu'il en dispose » .

[...]

Étant donné les faits relatifs au présent litige, je dois déterminer si le rachat des parts que l'appelant possédait dans les deux groupements Commu-Sys Enr. et Cablotel Enr. par les deux compagnies de financement Loron Inc. et Noreco Inc. en contrepartie de l'annulation des dettes de l'appelant découlant des prêts consentis par ces mêmes deux compagnies pouvait constituer un montant ou un avantage pour l'appelant selon les alinéas 96(2.4)b) et 96(2.2)d) de la Loi. [...]

[183]        Le juge en chef Garon a conclu que les conventions de cession de 1993 et de 1994 constituaient un avantage pour l'application des règles concernant la fraction à risques. Le contribuable était de ce fait un commanditaire réputé par l'application de l'alinéa 96(2.2)d) en 1991 et en 1992 et ne pouvait déduire les pertes. Un autre élément pertinent à mentionner est que le juge en chef Garon en est arrivé à cette décision malgré l'affirmation du contribuable qu' « aucune présentation ne lui avait été faite, avant ou lors de l'acquisition des parts, dans les groupements Commu-Sys Enr. et Cablotel Enr. selon laquelle ses parts seraient rachetées » .

[184]        La décision rendue dans l'affaire McKeown est conforme à l'opinion généralement exprimée par les commentateurs[47]. L'option de rachat est un avantage visé à l'alinéa 96(2.2)d). Il ressort de la simple lecture de l'alinéa 96(2.2)d) que cette disposition s'applique de façon rétroactive de façon que l'avantage reçu en 1995 fasse en sorte que l'appelant soit un commanditaire réputé en 1993 et en 1994. Je ne souscris pas à l'argument de l'appelant selon lequel, étant donné qu'il n'a pas droit à l'un des avantages visés à l'alinéa 96(2.2)d) en 1993 et en 1994, aucun rajustement ne s'applique au regard des calculs relatifs à la fraction à risques.

[185]        Le passage « à ce moment » au paragraphe 96(2.4) désigne les moments en cause dans les présents appels (c'est-à-dire lorsque les pertes ont été déclarées); de ce fait, les termes « ou dans les trois ans suivants » s'appliquent de façon rétroactive. Aux termes de l'option de rachat, l'appelant est un commanditaire réputé en 1993 et en 1994.

[186]        Les calculs relatifs à la fraction à risques en 1993 et en 1994 sont touchés car, conformément à l'option de rachat, il n'y avait pas de fraction à risques quant à l'appelant. Il serait illogique de ma part de conclure que l'appelant était un commanditaire réputé en 1993 et en 1994 en raison de l'existence d'un avantage en application de l'alinéa 96(2.2)d), puis de conclure qu'il n'y avait pas d'avantage en application de cette disposition aux fins du calcul de la fraction à risques en 1993 et en 1994.

[187]        L'option de rachat est un avantage en application de l'alinéa 96(2.2)d), l'appelant est un commanditaire réputé en 1993 et 1994, et une fraction à risques peut être calculée quant à lui pour ces années.

[188]        J'ai déjà conclu que la clause de déclaration qui a incité l'appelant à conclure l'accord et qui constitue l'une des modalités de ce dernier est également un avantage selon le libellé général de l'alinéa 96(2.2)d). De ce fait, l'appelant est un commanditaire réputé en application de l'alinéa 96(2.4)b) et est assujetti aux dispositions sur la fraction à risques. Dans son cas, la fraction à risques est égale à zéro.

[189]        Je conviens avec l'intimée que l'ensemble de la preuve révèle que l'obligation constituée par le billet d'acquisition était assujettie, entre autres dispositions de l'accord sur les logiciels et des accords modificateurs nos 1, 2 et 3, à la clause de déclaration. Cette obligation était un passif éventuel. Par conséquent, le montant du prix d'acquisition des logiciels ne peut faire partie du coût en capital des logiciels au 31 décembre 1993 et 1994. Je ne vois pas comment le coût en capital des logiciels pourrait ne pas être touché en 1993 lorsque l'on considère la relation entre le vendeur et l'acquéreur du bien et le fait que, selon toute probabilité, les événements subséquents ont été motivés par cette relation.

« Prêt à être mis en service »

[190]        Le paragraphe 13(26) de la Loi porte que, aux fins du calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, aucun montant n'est inclus dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital, pour le contribuable, d'un bien amortissable avant le moment où le bien est considéré comme devenu « prêt à être mis en service » par le contribuable. Les paragraphes 13(27) à (32) énoncent les règles d'interprétation de l'expression « prêt à être mis en service » . Dans la présente affaire, la disposition pertinente de la Loi pour l'interprétation de cette expression est l'alinéa 13(27)d)[48].

[191]        L'intimée s'est fondée en premier lieu sur l'hypothèse selon laquelle la société de personnes avait conclu un accord portant sur l'acquisition de jeux achevés plutôt que de moteurs. Les avocats soutiennent que, étant donné que les jeux n'étaient pas achevés le 31 décembre 1993, il s'agissait de biens qui n'étaient pas vendables commercialement et qui, de ce fait, n'étaient pas prêts à être mis en service. J'ai conclu que la société de personnes avait acquis à la fois des moteurs et la prestation, par ASC, des services requis pour achever les modules. Le fait que des modules n'aient pas été achevés au 31 décembre 1993 n'empêche pas automatiquement l'appelant de se prévaloir d'une déduction pour amortissement en raison des conditions relatives aux biens « prêts à être mis en service » .

[192]        Les avocats de l'intimée ont également déclaré que, [TRADUCTION] « même si la Cour conclut que les logiciels acquis par CEG étaient des " moteurs de jeu " plutôt que des " jeux ", ces " moteurs de jeu ", à défaut d'éléments de programmation additionnels, ne pouvaient servir à produire un produit vendable commercialement, et ils n'étaient donc pas prêts à être mis en service » . D'après l'intimée, à défaut de module, les moteurs ne constituaient pas une [TRADUCTION] « matrice de jeu » rendant possible la production en série de cassettes de jeu vendables commercialement. L'intimée soutient également que, au 31 décembre 1993, les moteurs de jeu n'avaient pas été livrés à la société de personnes ni à ASC.

[193]        Enfin, les avocats de l'intimée ont fait valoir que, le 31 décembre 1993, ni la société de personnes ni ASC n'avaient en leur possession des biens permettant de produire, à partir des moteurs, une cassette de jeu vidéo vendable commercialement.

[194]        L'appelant déclare que la mention, au sous-alinéa 13(27)d)(ii), de « la personne ou société de personnes » devant utiliser le bien au profit du contribuable vise en l'espèce les développeurs. En conséquence, selon cette interprétation, il importe peu que les moteurs n'aient pas été livrés à ASC ou à la société de personnes à la fin de 1993. Les avocats de l'appelant ont soutenu en outre que les moteurs étaient assujettis aux règles concernant les biens prêts à être mis en service et que, le 31 décembre 1993, ils étaient achevés. Chaque développeur - la « personne ou société de personnes » - utilisait ainsi les moteurs achevés pour créer des modules[49]. Les développeurs traitaient le code source des moteurs à l'aide d'une machine de développement pour produire le code machine, fusionner les modules (dont la manipulation était effectuée au moyen du code machine) et créer le produit intermédiaire[50]. L'appelant a déclaré que ce produit intermédiaire constituait la [TRADUCTION] « matrice de jeu » à partir de laquelle il était possible de produire en série des cassettes pouvant être vendues sur le marché. Il en a conclu que les moteurs pouvaient servir à la production de produits intermédiaires que le contribuable pouvait utiliser en vue de produire un produit vendable commercialement.

[195]        Dans les présents appels, sept des onze jeux avaient servi à produire d'autres jeux vidéo. Au moins sept des moteurs étaient achevés et ne nécessitaient plus que l'adjonction de nouveaux modules. Exception faite de l'analyse du degré d'achèvement des jeux menée par M. Lam, nous ne disposons d'aucun élément de preuve au sujet de la condition des quatre autres moteurs. Certes, M. Williams a déclaré que tous les moteurs étaient achevés à la fin de 1993. Il faut toutefois dire que, si deux de ces quatre moteurs ont servi à produire le jeu qui a connu le plus de succès, soit TNN Bass Fishing, les deux autres n'ont servi à produire aucun jeu.

[196]        Je conclus selon la prépondérance des probabilités que les onze moteurs de jeu étaient achevés. Le fait qu'ils n'aient pas tous servi à produire des jeux a été établi après 1993. Il est par contre probable que, au moment de l'acquisition, les moteurs aient été achevés et prêts à être mis en service, le développement des modules restant toutefois à effectuer.

[197]        Les avocats ne m'ont cité aucune décision portant sur l'interprétation de « vendable commercialement » ou sur l'application du sous-alinéa 13(27)d)(ii)[51], et je n'ai pu moi non plus en trouver aucune. La lecture de cette disposition donne à penser que le législateur visait peut-être uniquement des biens corporels, et non des biens relevant de la propriété intellectuelle comme des modules et des moteurs de jeu. Cela peut expliquer la difficulté qu'il y a à analyser cette disposition. De l'avis de Revenu Canada à l'époque, des biens capables de produire un produit commercialement vendable doivent posséder [TRADUCTION] « la capacité d'exécuter des tâches à un rythme et avec un degré de qualité suffisants pour qu'il soit raisonnable de s'attendre à en tirer un revenu » . Le ministère indiquait également ceci : [TRADUCTION] « [C]ela serait également vrai dans le cas d'une pièce d'équipement possédant [cette capacité] mais ne pouvant à ce moment exécuter la fonction pour laquelle elle a été conçue » [52].

[198]        Je ne crois pas qu'il soit nécessaire, ni souhaitable, d'incorporer un critère d'attente raisonnable de profit aux règles concernant les biens prêts à être mis en service. Il faut prêter aux mots « commercialement vendables » leur sens ordinaire, c'est-à-dire pouvant être vendus sur le marché.

[199]        Le libellé du sous-alinéa 13(27)d)(ii) étaie l'interprétation de l'appelant. La création du code machine à titre de produit intermédiaire satisfait aux exigences du paragraphe 13(26) et de l'alinéa 13(27)d)[53].

Conclusion

Voici donc quelles sont mes réponses aux questions qui se posaient en l'espèce :

a)              La société de personnes a acquis onze logiciels.

b)             La société de personnes a acquis onze logiciels en vue de tirer un revenu d'une entreprise.

c)              La société de personnes exploitait une entreprise dans une attente raisonnable de profit.

d)             La société de personnes et ASC avaient entre elles un lien de dépendance. Le prix réputé avoir été payé par la société de personnes pour les logiciels était supérieur à la juste valeur marchande de ceux-ci. Je ne détermine pas de valeur. Étant donné mes autres conclusions, en particulier le fait que la fraction à risques de l'appelant était nulle, il ne sera peut-être pas nécessaire de déterminer la juste valeur marchande des moteurs au 31 décembre 1993. De toute manière, s'il faut procéder à une évaluation pour déterminer la juste valeur marchande des moteurs à cette date aux fins d'établir des nouvelles cotisations, l'évaluation devra se fonder sur les présents motifs.

e)              Le billet d'acquisition était un passif éventuel.

f)              La société de personnes est réputée être une société en commandite, et la fraction à risques de l'appelant est nulle - paragraphes 96(2.1) et (2.2), alinéa 96(2.4)b).

g)             Au 31 décembre 1993, les logiciels étaient « prêts à être mis en service » , conformément aux paragraphes 13(26) et (27) de la Loi.

[200]        Puisque j'ai établi que les déterminations, par les parties, de la juste valeur marchande des onze logiciels comportaient des erreurs et que le prix présumé de 8 250 000 $US en contrepartie des logiciels était supérieur à la juste valeur marchande totale de ces derniers, je n'ai pas - comme le donnaient à entendre les avocats de l'appelant - à me prononcer sur le caractère raisonnable, eu égard aux circonstances, du prix de 8 250 000 $US pour l'application de l'article 67 de la Loi.

[201]        Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre s'il y a lieu pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux présents motifs. Aux termes du paragraphe 169(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), les avocats de l'intimée prépareront un projet de jugement pour donner effet à ma décision, ce projet devant être approuvé par les avocats de l'appelant. Une conférence téléphonique sera organisée si les avocats ont besoin de directives en vue d'établir la version définitive du jugement. Une fois le jugement approuvé, les avocats présenteront des observations sur les dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de novembre 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de septembre 2002.

Martine Brunet, réviseure



[1] Se reporter au par. 162 ci-après.

[2] Dans certaines circonstances, un associé commandité peut devenir commanditaire aux termes de la Loi. Le paragraphe 96(2.4) de la Loi porte que, pour l'application de l'article 96 :

[...] le contribuable qui est, à un moment donné, un associé d'une société de personnes est commanditaire de cette société de personnes si sa participation dans celle-ci n'est pas, à ce moment, une participation exonérée au sens du paragraphe (2.5) et si, à ce moment ou dans les trois ans suivants :

a) soit sa responsabilité comme associé est limitée par la loi qui régit le contrat de société de personnes;

b) soit l'associé ou une personne avec qui il a un lien de dépendance a le droit, immédiat ou futur et absolu ou conditionnel, de recevoir un montant ou un avantage qui serait visé à l'alinéa (2.2)d), compte non tenu des sous-alinéas (2.2)d)(ii) et (vi); [...]

[3] Le paragraphe 13(26) de la Loi porte qu'aucun montant n'est inclus dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital, pour un contribuable, d'un bien amortissable avant le moment où le bien est considéré comme devenu « prêt à être mis en service » par le contribuable. Ainsi, l'alinéa 13(27)d), modifié par L.C. 1998, ch. 19, qui s'applique aux biens acquis après 1989, prévoit que le moment où le bien est considéré comme devenu « prêt à être mis en service » est :

d) le moment où le bien, à la fois :

(i) est livré au contribuable, ou à une personne ou une société de personnes qui l'utilisera au profit du contribuable, ou, si le bien ne se prête pas à la livraison, est mis à la disposition de l'un d'entre eux,

(ii) peut, seul ou avec d'autres biens en possession, à ce moment, du contribuable ou de la personne ou société de personnes visée au sous-alinéa (i), être utilisé par le contribuable ou cette personne ou société de personnes, ou pour son compte, pour produire un produit ou fournir un service qui est vendable commercialement, y compris un produit ou un service utilisé ou consommé, ou à être utilisé ou consommé, par le contribuable ou cette personne ou société de personnes, ou pour son compte, dans le cadre de cette production ou de cette fourniture;

[4] J'ai intégré mes propres notes de bas de page à l'exposé conjoint des faits. J'ai supprimé les renvois aux onglets du recueil conjoint de documents.

[5] Pour utiliser les logiciels ou jouer aux jeux vidéo, on utilise des consoles ou des appareils qui sont en bout de ligne des ordinateurs. En 1993, les principaux fabricants de consoles étaient les sociétés mères japonaises de Nintendo of America Inc. et de Sega Enterprises Corporation. On entend par appareils 16 bits des ordinateurs qui traitent les données par séries simultanées de 16 bits. Un bit est une unité de stockage d'information, ou de mémoire. Dans un appareil 16 bits, le bus de données peut transférer 16 bits simultanément. Un bus est un ensemble de conducteurs électriques permettant la transmission d'information entre les composantes d'un système informatique. Il s'agit essentiellement d'une voie partagée connectant différents éléments du système - microprocesseur, disque dur, contrôleur, mémoire et dispositifs d'entrée-sortie - et rendant possible le transfert d'information. Les bus se caractérisent par le nombre de bits qu'ils peuvent transférer simultanément. Plus ce nombre est élevé, plus les couleurs du jeu sont riches, plus les personnages apparaissent naturels et plus les situations et péripéties du jeu sont réalistes. Sources : Microsoft Press (R) Computer and Internet Dictionary, (C) 1997, 1998, Microsoft Corporation; The Microsoft Press (R) Computer Dictionary, 3e édition (C) 1997, Microsoft Press.

[6] ASC a convenu de payer aux développeurs de 100 000 $US à 150 000 $US pour obtenir un moteur compatible avec la console Super Nintendo, et jusqu'à 275 000 $US pour un moteur compatible à la fois avec la console Super Nintendo et avec la console Genesis de Sega. Outre le prix d'achat, ASC acceptait de verser des redevances additionnelles aux développeurs. Ces redevances variaient entre 2 $US et 4 $US par exemplaire, tout dépendant du volume des ventes. Les développeurs conservaient le droit d'utiliser certains éléments du code source à leurs propres fins, sans que des redevances soient applicables. Pour chaque moteur vendu, les développeurs étaient tenus d'achever la mise au point des jeux.

Les accords d'acquisition de logiciels conclus entre ASC et les développeurs ont généralement été établis selon le même modèle. On n'y nomme pas des moteurs spécifiques, mais certains développeurs ont donné des noms provisoires aux logiciels. Dans ces accords, les actifs sont décrits de façon générale comme étant [TRADUCTION] « certains logiciels et programmes pour jeux vidéo interactifs, dont le nom provisoire figure à l'annexe A (les « jeux » ), pouvant être joués sur des consoles de jeux vidéo domestiques, par exemple la console Super Nintendo Entertainment System ( « SNES » ) et la console Genesis de Sega » . L'accord conclu avec Electro Brain s'écarte quelque peu de ce modèle car, au lieu de la mention de l'annexe, on retrouve le passage suivant : [TRADUCTION] « qui sont actuellement distribués et mis en marché sous le nom Boxing Legends of the Ring » . L'annexe A des accords conclus avec Imagitec, Radical et Millennium contient les noms provisoires attribués par ASC à chaque logiciel. Pour sa part, Imagitec n'a pas attribué de nom provisoire aux deux moteurs vendus à ASC. Radical Entertainment a attribué un nom provisoire de développeur à l'un des trois moteurs qu'elle a vendus à ASC, tandis que Millennium Interactive en a attribué un à l'un des quatre moteurs qu'elle a vendus. Certains accords d'acquisition comportaient des stipulations limitant les ventes de jeux dans leur version définitive à des régions données du globe.

        Il semble que sept des onze moteurs de jeu avaient été utilisés antérieurement pour produire d'autres jeux vidéo. Deux des moteurs de jeu de hockey acquis de Radical avaient servi à produire le jeu Brett Hull Hockey (Genesis de Sega et SNES). Un moteur compatible avec la console SNES ayant servi à produire Canondale Cup (voir ci-après) avait été utilisé afin de produire un jeu pour Life Fitness. Deux moteurs de jeu de boxe acquis d'Electro Brain ont servi à produire le jeu de boxe Legends of the Ring; les versions en question ont été mises sur le marché sous le nom Chavez Boxing II. Enfin, deux moteurs acquis de Millenium avaient précédemment servi à produire les jeux Super Games Pond et Super Troll Islands (se reporter aux notes de bas de page 7 et 8).

[7] Voici les noms des onze logiciels figurant à l'annexe de l'acte de vente :

            NOM PROVISOIRE                            CONSOLE                               CATÉGORIE

            Boxing Round 2a                                   Sega/Nintendo                           Sports

            Fun Islandsb                                         Sega/Nintendo                           Action

            Diggersc                                                Sega/Nintendo                           Casse-tête

            TransFightersd                                                 SNES (Nintendo)                      Action

            Roller Warriorse                                   Sega/Nintendo                           Conduite

            Trolls Racingf                                       Sega/Nintendo                           Conduite

___________________________________

a Ce jeu, qui s'appelait précédemment Chavez Boxing 1992, est devenu Chavez Boxing 2.

b Selon M. Grossman d'ASC, ces jeux n'ont pas été mis sur le marché. D'après le rapport d'évaluation de Wise Blackman, ces jeux, appelés Shapes and Colors et Magic Islands, ont été fabriqués pour la console Pico de Sega.

c Ce jeu a ensuite été nommé Troll Fishing puis, selon le rapport de Wise Blackman, TNN Bass.

d Il s'agissait du jeu Mountain Bike Rally, conçu par Radical. ASC a nommé ce jeu Canondale Cup mais ne l'a pas mis sur le marché.

e Aussi bien M. Williams, dirigeant de l'associé directeur de la société de personnes, que M. Kosovitch, lui aussi d'ASC, ont indiqué que le nom devrait être Roller Hockey et non Roller Warriors.

f    On a renoncé à mettre au point ces jeux, qui n'ont pas été mis en marché. Dans le rapport de Wise Blackman, ils étaient appelés Super Troll Islands.

[8] Dans une note transmise aux associés le 7 mars 1994, M. Grossman d'ASC a exposé succinctement l'éventail de jeux selon les données disponibles à cette date :

   Nom                                      Console                         Licence                         Date de parution

   Super Copa Soccer               Nintendo                       Non                              2e T 1994

   Canondale Cup                     Nintendo                       Canondale                     2e T 1994

   Super Troll Islands                Sega                              Oui                                3e T 1994

   Chavez Boxing 2                   Sega/Nintendo               Oui                                3e T 1994

   Motor Sports (à déterminer) Sega/Nintendo               Oui                                4e T 1994

   Fishing                                  Sega/Nintendo               Oui                                4e T 1994

   Kids Title (à déterminer)        Sega/Nintendo               Oui                                1e T 1995

[9] M. Brown a payé 140 000 $US au moyen d'un chèque certifié, a signé et émis un billet de 180 000 $US portant des intérêts au taux annuel de 7 % et a signé et émis une prise en charge du billet d'acquisition d'un montant de 480 000 $US.

[10] Étant donné qu'ASC a vendu uniquement onze logiciels, ce nombre d'exemplaires devrait être ramené de 2 970 000 à 1 485 000 (11 x 135 000).

[11] Se reporter aux paragraphes 6 et 7 concernant la définition des logiciels dans la notice d'offre et l'accord sur les logiciels.

[12] MMPE est l'abréviation de « mémoire morte programmable électroniquement » ; il s'agit essentiellement d'une puce informatique contenant le jeu informatique.

[13] On ne procède pas de la même manière pour concevoir des jeux 32 bits. Par exemple, les jeux 32 bits sont sur des disques compacts et non sur des cassettes. Également, le langage utilisé est différent et on ne crée pas de MMPE pour les processus les plus récents.

[14] Lorsqu'une lettre produite en preuve fait mention d'une pièce jointe, cette dernière fait partie de la lettre et doit également être produite. Dans le cas contraire, la Cour ne dispose que d'un document incomplet.

[15] « emc partners » n'est pas liée à EMCI. Dans le but de simplifier la lecture, je fais référence au nom de l'entreprise de M. Ozerkevich en lettres minuscules - emc - comme il le fait d'ailleurs lui-même.

[16] Je ne puis préciser à quelle date cet accord a été signé. La modification était applicable « à compter du 31 décembre 1995 » , mais les parties en ont pris acte [TRADUCTION] « ce 28e jour de décembre 1995 » . Dans une lettre datée du 4 avril 1996, portant sur les modifications proposées de l'accord sur les logiciels et à laquelle étaient joints des documents (dont une note datée du 29 décembre 1995 dans laquelle M. Williams informait M. Kosovitch qu'il était prêt à accepter les modifications au nom des associés), CEG Corporation, sous la signature de M. Williams, demandait aux associés de CEG de décider s'ils voulaient accepter la modification avant d'avoir à produire leurs déclarations de revenu de 1995.

[17] Se reporter à Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 71 DTC 5235 (C. de l'É.), à la p. 5241; confirmé par [1974] R.C.S. 1144 (72 DTC 6470).

[18] Se reporter au paragraphe 153 et suivants, ci-après.

[19] La description de la méthode employée par M. Lam pour estimer le coût d'un jeu ne contribuerait aucunement à éclairer le lecteur au sujet des présents appels.

[20] Se reporter au paragraphe 63 des présents motifs.

[21] Le moteur ayant servi à produire Roller Hockey a aussi été utilisé pour produire Brett Hull Hockey. Ce dernier jeu a été développé par Radical et édité par Accolade pour les consoles Genesis de Sega et SNES avant la vente des moteurs à ASC. Une suite a été éditée pour la console SNES. Les dates de mise en marché de ces jeux n'ont pas été établies avec certitude, mais il appert que la suite a été mise sur le marché après 1994 et a peu d'incidence sur l'évaluation pour 1993.

[22] Je m'interroge à savoir si, dans l'éventualité où le propriétaire des moteurs verse à ASC 12,5 % des flux de revenu produits par les moteurs, un acheteur éventuel serait disposé à payer intégralement le prix d'achat déterminé d'après les revenus futurs tirés des jeux s'il était obligé d'attribuer une partie des flux de revenu à ASC.

[23] M. Gabelhouse a également procédé à une analyse portant sur la nature (catégorie) des jeux; voir ci-après.

[24] Développé en Russie, le jeu Tetris, l'un des premiers jeux informatiques populaires, a été acquis 15 000 $US environ; les ventes de ce jeu ont atteint quelque 200 millions de dollars américains.

[25] Selon M. Gabelhouse, dans l'industrie des jeux, on désigne ainsi un jeu qui se vend exceptionnellement bien ou exceptionnellement mal.

[26] J'ai exclu le jeu Super Copa des calculs de M. Gabelhouse, car ce moteur n'était pas visé par l'accord au 31 décembre 1993.

[27] 2001 CSC 62. Se reporter aux paragraphes 46 à 65.

[28] [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213).

[29] Ibid., à la page 485 (DTC : à la page 5215).

[30] Précité, note 2, à la page 486 (DTC : à la page 5215).

[31] [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001).

[32] Ibid, à la page 102 (DTC : à la page 6012). Voir aussi les affaires Mastri c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), Stewart c. La Reine, C.A.F., no A-337-98, 18 février 2000 (2000 DTC 6163) (décision portée en appel devant la Cour suprême) et Walls et Buvyer c. La Reine, C.A.F., no A-163-96, 23 novembre 1999 (2000 DTC 6025) (décision portée en appel devant la Cour suprême), entre autres.

[33] Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P.5, art. 2, notamment.

[34] Voir l'affaire Ludco, précitée.

[35] Mandel c. La Reine, [1977] 1 C.F. 778 (78 DTC 6518) (C.A.F.); approuvé [1980] 1 R.C.S. 318 (80 DTC 6148). Au Québec, le passif éventuel comprendrait une obligation conditionnelle.

[36] Barbican Properties Inc. c. La Reine, C.C.I., no 95-1128(IT)G, 16 avril 1996 (97 DTC 122), confirmée par C.A.F., no A-321-96, 20 novembre 1996 (97 DTC 5008). Voir également Urichuk v. The Queen, 93 DTC 5120 (C.A.F.).

[37] L'alinéa 96(2.2)d) a été modifié par L.C. 1998, ch. 19, par. 123(1), en vigueur après novembre 1994. Aux fins du présent appel, la disposition sous sa forme modifiée ne diffère pas, sur le plan conceptuel, de la version applicable avant décembre 1994. Se reporter à la note de bas de page 2 ci-avant concernant le paragraphe 96(2.4).

[38] Voir S.M. Waddams, The Law of Contracts, 4e édition (Toronto, Canada Law Book Inc., 1999) et G.H.L. Fridman, The Law of Contract in Canada, 4e édition (Toronto, Carswell, 1999).

[39] Ibid.

[40] Irvine v. Parker (1903), 40 N.S.R. 392 à la p. 395 (C.A.N.-É.); voir aussi Bannerman v. White and others (1861), 142 E.R. 685, et Heilbut, Symons & Co. v. Buckleton, [1913] A.C. 30, à la p. 51, selon Lord Moulton.

[41] Voir First City Trust Co. v. Triple Five Corp. Ltd. (1989) 57 D.L.R. (4e) 554 (C.A.Alb.); la demande d'autorisation d'appel devant la C.S.C. a été rejetée (1989), 70 Alta. L.R. (2d) 1iii (note) (C.S.C.).

[42] Dans le Black's Law Dictionary, 7e édition, on définit le terme « warranty » (garantie) comme étant [TRADUCTION] « [l]'engagement, explicite ou implicite, de l'une des parties au contrat concernant l'exécution ou la réalisation de l'un des éléments prévus aux termes du contrat; spécialt., engagement pris par le vendeur selon lequel la chose vendue sera conforme aux déclarations ou promesses faites. »

[43] Routledge v. McKay and others, [1954] 1 All E.R. 855 (C.A.) à la p. 859. Voir aussi Lord Denning, Oscar Chess, Ltd. v. Williams, [1957] 1 All E.R. 325 (C.A.) à la p. 329.

[44] C.C.I., no 93-565(IT)G, 23 décembre 1994 (96 DTC 1196).

[45] 2001 DTC 511 (2001 CarswellNat 811).

[46] Ibid. par. 407 et 409 [c'est moi qui mets en italique].

[47] Voir notamment Carswell Tax Partner, 2001, publication no 8, à la page 7, « At-Risk Amount » (fraction à risques).

[48] Se reporter à la note de bas de page 3 ci-avant.

[49] L'appelant ne fait toutefois pas mention de la création des modules, ceux-ci n'étant pas achevés; je crois qu'il s'agit pour le développeur d'une étape devant être franchie préalablement à la création du code machine.

[50] Au cours des observations orales, les avocats de l'appelant ont déclaré que les fichiers de données (modules) et le code source (moteurs) étaient fusionnés dans le but de créer le code machine. Dans les observations écrites, les avocats ont déclaré que le code source est traité au moyen de la machine de développement en vue de produire le code machine avant la fusion des fichiers de données. Je ne pense cependant pas que cette distinction ait une incidence sur les résultats de l'analyse touchant la question de savoir si les biens étaient prêts à être mis en service.

[51] L'alinéa 13(27)d) a été modifié par L.C. 1998, ch.19; on a notamment ajouté la mention d'une « personne ou société de personnes » qu'invoque l'appelant. Bien que cette modification ait été apportée après 1993, elle s'applique à tous les biens acquis après 1989.

[52] Interprétation technique, Interpretation of the proposed "available for use" rules in the draft legislation dated July 1990, juin 1991.

[53] Je tiens à mentionner que, avant que les développeurs puissent créer le code machine (le produit intermédiaire), ils doivent créer les modules. On pourrait soutenir que, le 31 décembre 1993, il n'aurait pas été possible, à partir des seuls moteurs, de créer un produit intermédiaire et que les développeurs n'avaient pas les modules « en [leur] possession, à ce moment » . Toutefois, ce sont les moteurs en soi qui servent à créer les modules et, en bout de ligne, le code machine. Le processus de création de produits intermédiaires comportera habituellement plus d'une étape, et ce fait ne devrait pas empêcher un contribuable de se prévaloir de la déduction pour amortissement aux termes des règles concernant les biens prêts à être mis en service. Malgré le fait qu'ils devaient créer les modules, les développeurs pouvaient utiliser les moteurs pour créer un produit intermédiaire, au profit du contribuable.

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