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Date: 20010214

Dossier: 1999-1841-IT-I

ENTRE :

ROSE PREFONTAINE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Représentant de l'appelante : Maurice Prefontaine

Avocat de l'intimée : Me James Yaskowich

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à

Edmonton (Alberta), le 26 janvier 2001.)

Le juge McArthur

[1]            Il s'agit d'un appel d'une cotisation d'impôt pour l'année d'imposition 1994. L'unique question en litige est de savoir si les dépenses indiquées ont été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise résidentielle. La question de l'attente raisonnable de profit n'est pas en litige. Au début de l'audience, l'appelante a présenté une requête en radiation de la réponse à l'avis d'appel. Ladite requête a été rejetée et les motifs seront communiqués séparément. D'après ce que l'appelante m'a déclaré, je comprends qu'un appel similaire pour l'année d'imposition 1993 a été réglé lors d'une audience ayant eu lieu en février 2000. Le conjoint de l'appelante, Maurice Prefontaine, agissait en qualité de représentant de celle-ci. Elle a comparu à l'audience et a semblé prendre une grande quantité de notes. Il est le gérant des propriétés et s'y connaît en ce qui concerne les questions qui ont été abordées. Lui seul a témoigné.

[2]            L'appelante est une employée à temps plein dans un service de ressources humaines. En 1985, elle a été transférée et a quitté Prince George en Colombie-Britannique pour s'installer à Edmonton avec ses deux filles. M. Prefontaine est resté à Prince George pendant cinq ans afin de fermer le cabinet d'avocat qu'il exploitait depuis dix ans et de vendre de nombreux biens immobiliers. Il a déménagé à Edmonton en 1989 ou 1990 lorsque l'appelante a lancé l'entreprise actuelle de biens immobiliers.

[3]            En 1994, l'appelante était propriétaire de quatre appartements dans trois propriétés sises à Edmonton. Elle a déclaré les revenus de ces appartements comme suit :

Propriété

Revenu de location

11207 - 79e avenue (app. du haut)

   9 600 $

11207 - 79e avenue (app. du bas)

6 500

9046 - 94e rue

6 025

4652 - 43e avenue A

6 000

Total

28 125 $

La propriété de la 79e avenue contenait deux appartements, celle de la 94e rue constituait une maison individuelle ancienne et celle de la 43e avenue A constitue la résidence de l'appelante et de sa famille et contient un appartement à louer pour un pensionnaire au rez-de-chaussée. La question consiste à savoir si les dépenses excédant le montant admis par le ministre ont été engagées par l'appelante en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'une propriété. Le ministre du Revenu national reconnaît que l'appelante exploitait une entreprise de location avec une attente raisonnable de profit. L'avocat de l'intimée a simplifié et clarifié les questions en déposant un document intitulé « Position de l'intimée » , daté du 24 janvier 2001, à l'annexe A des présents motifs du jugement.

[4]            En plus d'exprimer son regret, sinon son amertume, quant au fait qu'il n'a pu s'entendre avec le ministre avant l'audience, M. Prefontaine a déposé sept boîtes de dossiers empilées sur une étagère roulante dans la salle d'audience qui contenaient des éléments de preuve et des références à des documents à l'appui. La majorité des documents était inutile. Des photocopies de centaines de factures étaient soigneusement conservées dans des dossiers. Sauf en ce qui concerne les salaires des filles de l'appelante, Michelle et Yvette, le ministre ne rejetait pas les montants des dépenses, mais il n'était pas d'accord avec leur qualification. Les points en litige les plus importants, tirés du paragraphe 12 de la position de l'intimée, sont les suivants.

[5]            L'appelante a déclaré que le bureau de l'entreprise occupait 57 p. 100 du domicile familial sis à la 43e avenue A et que le pensionnaire occupait 18,5 p. 100 du domicile. Le ministre est prêt à reconnaître que le bureau occupait 30 p. 100 du domicile et le pensionnaire 18,5 p. 100. En 1990, l'appelante a fait construire une maison de deux étages plus un sous-sol pour elle, son conjoint, ses deux enfants et un locataire. La pièce A-1 constitue un dessin ou un plan d'étage de chaque étage. Y compris le sous-sol, la superficie totale de la maison est de 3 800 pieds carrés. L'appelante prétend que la totalité du sous-sol, soit 1 240 pieds carrés, sauf une petite aire commune, est utilisée pour les besoins de l'entreprise. Lors de la répartition, il n'a pas été tenu compte du fait que cela constitue un espace inférieur. La superficie du rez-de-chaussée fait environ 1 650 pieds carrés dont, on s'accorde à reconnaître, le locataire n'utilise qu'un peu plus de 600 pieds carrés. L'appelante a déclaré qu'un autre 600 pieds carrés étaient utilisés aux fins de l'entreprise. En ce qui concerne l'étage supérieur dont la superficie fait 910 pieds carrés, l'appelante a déclaré que 525 pieds carrés sont utilisés aux fins de l'entreprise. Par conséquent, les prétentions de l'appelante portent sur plus de 75 p. 100 des 3 800 pieds carrés de la maison, y compris les 18,5 p. 100 pour le pensionnaire. La superficie du garage pour deux voitures fait 465 pieds carrés et l'appelante déclare que 50 p. 100 de cette superficie est utilisée aux fins de l'entreprise.

[6]            La question de la superficie du bureau à domicile se résume à savoir ce qui est raisonnable, compte tenu des circonstances. L'appelante prétend qu'environ 2 000 pieds carrés de son domicile sont utilisés aux fins de l'exploitation d'une toute petite entreprise de location comportant quatre locataires. Je pense que des entreprises de location beaucoup plus vastes fonctionnent de façon très efficace dans la moitié de cet espace de soutien. Dans l'affaire Mohammad c. Canada (C.A.), [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503), le juge Robertson a émis une observation qui est pertinente à la situation en l'espèce. Aux pages 183 et 184 (DTC : à la page 5509), il a déclaré :

                Quand on évalue le caractère raisonnable d'une dépense, on mesure ce caractère raisonnable en termes de grandeur ou de quantum. Bien qu'une telle décision puisse faire intervenir un élément d'appréciation suggestive de la part du juge des faits, il faut toujours rechercher un élément objectif. Quand on traite des dépenses d'intérêts, la tâche peut être objectivée assez facilement. Par exemple, le ministre aurait pu contester le montant des intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, si le contribuable avait accepté de payer des intérêts excédant les taux du marché. Le caractère raisonnable des frais d'intérêts peut donc être mesuré objectivement, c'est-à-dire par rapport aux taux du marché. De même, le ministre pourrait s'opposer à un contribuable qui cherche à déduire les trois quarts des intérêts payés sur un prêt hypothécaire grevant un duplex dans lequel le contribuable occupe l'une des deux unités identiques. Ici encore, le caractère raisonnable des frais d'intérêts réclamés peut se mesurer objectivement en faisant référence à la superficie (en supposant, bien entendu, que la valeur locative d'un mètre carré est égale dans les deux parties) : pour une discussion générale sur ce sujet, voir Narine (M.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2055 (C.C.I.).

Je concède qu'il y aura des cas où l'élément objectif sera difficile à isoler et, par conséquent, où l'expérience pratique doublée d'un bon sens commun devra prévaloir. Cela est vrai des dépenses réputées déraisonnables parce que l'on croit qu'elles sont excessives ou extravagantes : voir Cipollone, précité, où la contribuable, une "humorologue" cherchait à déduire, par exemple, des frais importants pour l'achat de vêtements au regard d'un revenu modeste. De même, on peut débattre à l'infini ce que sont des frais raisonnables de déjeuner ou pondérer la nécessité, telle que perçue par un contribuable, d'acheter une Rolls Royce plutôt qu'une Chevrolet, une Lincoln ou une Mercedes-Benz. Le problème vient de ce que ce qu'une personne considère comme une extravagance est influencé autant par ses expériences professionnelles ou commerciales, auxquelles s'ajoutent ses expériences personnelles découlant d'un style de vie particulier, que par des considérations pragmatiques rattachées aux buts poursuivis par la Loi. [...]

L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que, pour être déductibles, les dépenses doivent être raisonnables compte tenu des circonstances. L'appelante peut utiliser plus de 30 p. 100 de son domicile aux fins de l'entreprise mais je trouve cela excessif. Les 30 p. 100 suggérés par le ministre sont plus que justes et raisonnables.

[7]            L'intimée déclare, au sous-paragraphe 12 c) de sa thèse, que l'appelante avait déduit environ 1 460 $ à titre de dépenses de papeterie et de photocopie. La majorité de ces dépenses étaient liées à des poursuites devant la Cour du banc de la Reine, à un appel devant la Cour d'appel de l'Alberta et à des appels devant la Cour canadienne de l'impôt. L'alinéa 60o) de la Loi prévoit la déduction de sommes payées par le contribuable au cours de l'année à titre d'honoraires ou frais engagés pour préparer, présenter ou poursuivre une opposition au sujet d'une cotisation fiscale. M. Prefontaine a témoigné du fait que la moitié des 1 460 $ dépensés était liée à un ou à des appels en matière fiscale. Cela n'était peut-être ni nécessaire ni bien avisé mais j'accepte le fait que la dépense a été engagée et la moitié de ladite dépense répond aux exigences de l'alinéa 60o). L'intimée avait accepté d'admettre environ 220 $. La seule preuve quant au montant dépensé en vertu de l'alinéa 60o) était celle apportée par M. Prefontaine, qui a déclaré que cela représentait 50 p. 100 des 1 460 $. Non sans réticences, j'accepte ce montant de 730 $. Sa déclaration est corroborée par des centaines de copies. Ma réticence découle du fait que je pense que les différences auraient pu être réglées sans poursuites judiciaires. Il me semble que l'appelante et son représentant sont un peu trop prompts à en appeler au système judiciaire.

[8]            Je pense que, le plus souvent, les poursuites de l'appelante ne sont d'aucune utilité. Je déclare cela après un examen des poursuites de l'appelante devant la Cour du banc de la Reine dans le cadre desquelles elle recherchait une ordonnance visant à empêcher les représentants du ministre d'évaluer, lors d'une vérification, les documents liés à son entreprise de location. La déclaration de l'appelante a été radiée par la Cour du banc de la Reine au motif qu'elle constituait un abus de procédure. Un appel a été interjeté devant la Cour d'appel de l'Alberta. Cette action n'avait rien à voir avec la question de tirer un revenu d'un bien en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Un certificat du greffier de ladite cour indique que l'appel a été radié de la liste. D'autres poursuites se sont terminées de façon semblable.

[9]            Au sous-paragraphe 12 i) de la thèse de l'intimée, l'appelante demande la déduction du montant de 2 366 $, soit 75 p. 100 des 3 155 $ en salaires que l'appelante a déclaré avoir versés à ses deux filles, Michelle, âgée de 17 ans en 1994, et Yvette, âgée de 12 ans. Michelle, d'après ce que je comprends, est maintenant employée, avec succès, en qualité de comptable et d'agente d'administration et Yvette demeure apparemment chez ses parents et a des difficultés d'apprentissage ou psychologiques. Il ne fait aucun doute que Michelle a fourni des services à l'entreprise et que ce travail a été rémunéré. Cependant, je ne suis pas convaincu, à la lumière de la preuve, que ces services aient été aussi vastes que l'appelante le prétend. Michelle n'a pas témoigné. Selon la thèse du ministre, cette dépense n'est pas déductible. L'entreprise ne pouvait pas se permettre de payer les services d'une secrétaire. En 1994, Michelle allait à l'école à plein temps et donnait des cours de musique à un tarif de 20 $ l'heure. L'un des appartements à louer est resté vacant pendant plusieurs mois au cours de l'été 1994 et j'accepte le fait qu'elle a fait d'importants travaux de nettoyage et d'entretien de la cour. Je conclus qu'un salaire de 1 925 $ versé à Michèle n'est pas raisonnable compte tenu des circonstances, mais je suis pourtant prêt à estimer ce qui pourrait s'avérer raisonnable et à accorder un traitement et salaire total de 500 $. Je ne peux négliger le fait qu'elle a rendu des services précieux à l'entreprise. Quant à Yvette, les preuves ne sont pas suffisantes pour établir qu'elle a reçu de l'argent ou qu'elle a gagné un salaire. Elle n'avait que 12 ans en 1994.

[10]          La quatrième question en litige est mentionnée au paragraphe 12 j). Il y est allégué que l'appelante a déduit 1 357 $, soit 60 p. 100 du montant de 2 262 $ déclaré à titre de frais de gestion et d'administration engagés pour une assurance-vie. L'appelante a souscrit une police d'assurance de 100 000 $ sur la vie de son conjoint et il a souscrit une police d'un montant inférieur sur sa vie à elle au motif que, s'il décédait, elle ne disposerait plus des services de gestion gratuits qu'il fournissait et aurait besoin des 100 000 $ pour sauver l'entreprise et que, si elle décédait avant son conjoint, il aurait besoin de la somme provenant de l'assurance sur la vie de sa conjointe pour liquider une hypothèque de 37 000 $ et d'autres dettes. Pour que le coût de l'assurance constitue une dépense d'affaire déductible, il doit exister un lien raisonnable et factuel entre l'exploitation de l'entreprise et le paiement des primes. Ces montants n'étaient pas versés au profit de l'entreprise mais à celui des ayant droit. L'argent n'était pas dépensé en vue de produire un revenu. Le lien entre les bénéfices tirés par l'appelante ou son conjoint et les coûts de l'assurance est beaucoup trop ténu. Ces primes ne sont pas déductibles.

[11]          Une autre question, soit la déduction rejetée mentionnée aux sous-paragraphes 12 g) et h), est également en litige. L'appelante a versé 3 257 $ à titre de frais de justice et 1 111 $ à une firme d'ingénierie pour la défense et la demande reconventionnelle liées à une poursuite portant sur les privilèges concernant leur domicile construit en 1990. L'appelante avait refusé de payer 75 000 $ à l'entrepreneur, prétendant que le travail était mal fait. La poursuite a été réglée en 1995. Je conclus que les frais juridiques n'ont pas été engagés en vue de gagner un revenu et qu'ils ne sont pas déductibles. Comme pour la déduction liée aux frais d'assurance, le lien avec le gain d'un revenu est trop ténu.

[12]          En ce qui concerne les autres dépenses, je souscris à la position du ministre telle qu'elle est énoncée à l'annexe A ci-jointe. Traitons brièvement des dépenses énoncées au sous-paragraphe 12 b) : les dépenses liées à l'eau et au service d'égout sont imputables à l'utilisation de la maison et à l'utilisation personnelle; 12 d) : les dépenses administratives de 28 $ liées aux poursuites devant la Cour du banc de la Reine sont rejetées aux mêmes motifs que celles énoncés dans les remarques portant sur le sous-paragraphe 12 c); 12 e) : la déduction de 274 $ pour un second téléphone n'est pas raisonnable. Sans aucun doute, un téléphone est amplement suffisant pour la petite entreprise; 12 f) : l'appelante a déduit 192 $ à titre de réparations d'un robinet d'eau extérieur gelé. L'eau dispensée par ce robinet était utilisée pour le jardin et peut-être pour laver les voitures et je conclus que cette dépense est personnelle.

[13]          Il est indiqué au paragraphe 7 de l'annexe A que l'appelante entretenait deux véhicules automobiles, une fourgonnette et une Cavalier. Le ministre a accepté le fait que les automobiles étaient toutes deux utilisées à 60 p. 100 pour l'entreprise de location et à 40 p. 100 à des fins personnelles. Étant donné la preuve, je conclus que c'est une disposition juste, sinon généreuse.

[14]          Pour conclure, les thèses de l'intimée sont acceptées, à l'exception de celle figurant au sous-paragraphe 12 c) où une déduction de 730 $ est accordée pour des dépenses de papeteries et de photocopies et de celle figurant au sous-paragraphe 12 i) où une déduction de 500 $ est accordée pour les traitements et salaires. La Cour n'admet l'appel que dans la mesure où elle adopte la position de l'intimée (annexe A) assortie des deux modifications susmentionnées. Le présent appel ayant été interjeté en vertu de la procédure informelle et l'appelante n'ayant obtenu qu'un succès limité, aucuns dépens ne sont accordés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de février 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de juillet 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1841(IT)I

ENTRE :

ROSE PREFONTAINE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 24 janvier 2001, et jugement rendu oralement

le 26 janvier 2001 à Edmonton (Alberta) par

l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Représentant de l'appelante :                                              Maurice Prefontaine

Avocat de l'intimée :                                                             Me James Yaskowich

JUGEMENT

                L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est admis, sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a le droit de déduire, lors du calcul du revenu, des dépenses d'entreprise d'un montant de 730 $ pour les frais liés aux articles de papeterie et aux photocopies et d'un montant de 500 $ pour les traitements et salaires.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de février 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de juillet 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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