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Date: 20010319

Dossiers : 97-2224-IT-G; 97-2225-IT-G

ENTRE :

ALESSIO RAVAGNOLO, FRANCESCO PIPIA,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

P.R. Dussault, J.C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus ensemble. Pour chacun des appelants, il s'agit d'appels de cotisations établies le 29 janvier 1996 pour les années 1989, 1990, 1991 et 1992. Par ces cotisations, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a ajouté au revenu de chacun des appelants des montants à titre de rémunération non déclarée et a également imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour chacune des années. Les détails de chaque cotisation sont les suivants :

Alessio Ravagnolo

Année

Revenu non déclaré

Pénalité 163(2) L.I.R.

1989

4 474 $

510,45 $

1990

11 018 $

1 267,04 $

1991

6 055 $

697,41 $

1992

9 776 $

1 118,49 $

Francesco Pipia

Année

Revenu non déclaré

Pénalité 163(2) L.I.R.

1989

6 067 $

690,70 $

1990

13 150 $

1 513,01 $

1991

6 262 $

720,79 $

1992

6 925 $

871,84 $

[2]            Les cotisations pour les années 1989, 1990 et 1991 ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation, de sorte qu'il revient à l'intimée d'établir que chacun des appelants a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire en produisant ses déclarations de revenu pour chaque année.

[3]            Il appartient également à l'intimée de démontrer que chacun des appelants a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, omis de déclarer les montants ci-dessus mentionnés dans ses déclarations de revenu.

[4]            Au cours des années en litige, les appelants travaillaient dans le domaine de la pose et de l'installation de planchers de ciment de grande superficie pour Les Planchers de Ciment M. Candussi Ltée ( « PCMC » ou « l'employeur » ), une société faisant affaire dans le secteur de la construction industrielle et commerciale. Les appelants étaient cimentiers-applicateurs ou « finisseurs de ciment » comme ils se sont décrits.

[5]            C'est une vérification des livres et des documents comptables de l'employeur qui est à l'origine des cotisations. À l'alinéa 14d) de la Réponse à l'avis d'appel de l'appelant Alessio Ravagnolo et à l'alinéa 13d) de la Réponse à l'avis d'appel de l'appelant Francesco Pipia, le Ministre a tenu pour acquis que « ces montants de revenus non déclarés représentent du travail au noir et/ou du temps supplémentaire effectué par l'appelant et payé par l'employeur, la plupart du temps en argent comptant, et quelquefois par chèques imputés au compte intitulé « travel expense » de l'employeur » .

[6]            L'appelant, Alessio Ravagnolo et sa conjointe, madame Ginette Ravagnolo ainsi que l'appelant Francesco Pipia et sa conjointe, madame Raymonde Gamache, ont témoigné.

[7]            Pour l'intimée, monsieur Guy Léonard, enquêteur à Revenu Canada à l'époque pertinente, a témoigné. Ont aussi témoigné pour l'intimée, monsieur Michel Candussi, alors actionnaire unique et président de PCMC, sa soeur Claudia Guénette, alors secrétaire à l'emploi de la société, ainsi que monsieur Francesco Pulciani, un autre employé ayant travaillé comme cimentier-applicateur pour la société au cours des années en litige.

[8]            C'est monsieur Francesco Pipia qui a témoigné en premier lieu. Il a travaillé pour PCMC à compter de 1982. Il a décrit son emploi de cimentier-applicateur ou de finisseur de ciment comme étant essentiellement sur appel et comportant un horaire variable qui pouvait débuter à peu près à n'importe quelle heure du jour et durer généralement huit heures. Selon lui, c'est habituellement madame Claudia (Candussi) Guénette, la soeur de Michel Candussi qui appelait à la maison pour indiquer le chantier ou le lieu de travail où il devait se rendre ainsi que l'heure à laquelle il devait se présenter. Le travail, généralement en équipe, consistait à voir à la coulée du ciment et à égaliser celui-ci. Dans une deuxième étape, il s'agissait de polir le ciment, ce qui était, selon monsieur Pipia, généralement le travail d'une autre équipe qu'il a décrit comme étant l'équipe de soir.

[9]            Quant à ses propres heures de travail, monsieur Pipia a affirmé qu'il travaillait habituellement huit heures par jour pour un total maximum de 32 ou de 40 heures par semaine, selon ce que décidait Michel Candussi. D'abord, il a dit qu'il ne cessait pas nécessairement le travail après huit heures dans une journée et que cela dépendait si tout était « correct » ou si on avait encore besoin de lui. Par la suite, il a affirmé que tout le monde arrêtait après huit heures de travail.

[10]          Monsieur Pipia a soutenu n'avoir toujours été payé que pour ses heures régulières et jamais pour des heures supplémentaires qu'il a admis n'avoir fait qu'occasionnellement. Il a expliqué que son arrangement avec Michel Candussi était qu'il était payé, soit pour 32 heures, soit pour 40 heures par semaine. Ainsi, selon lui, les heures supplémentaires qu'il a pu faire à l'occasion, à raison seulement de quelques heures à la fois, mais qu'il ne peut aucunement chiffrer globalement ou sur une base annuelle, ont été faites bénévolement et n'ont jamais été payées car Michel Candussi ne payait pas les heures supplémentaires.

[11]          Monsieur Pipia a dit qu'il était possible qu'il ait travaillé sur certains chantiers à l'extérieur de Montréal et qu'il était alors payé pour le kilométrage ainsi que pour les repas et les frais de stationnement, le cas échéant. Selon lui, le temps de déplacement à l'extérieur n'était pas payé. Le remboursement des dépenses se faisait par chèque et monsieur Pipia a dit qu'il pensait que les autres employés avaient conclu la même entente.

[12]          Quant au paiement de son salaire régulier, monsieur Pipia a affirmé qu'il était versé en argent comptant chaque semaine. L'argent était placé dans une enveloppe qui lui était remise sur le chantier. L'enveloppe contenait un bordereau de paye sur lequel étaient inscrites les informations sur le nombre d'heures, le taux horaire, le salaire brut, les différentes retenues à la source et le montant net payé. L'enveloppe pouvait aussi parfois contenir un chèque pour le remboursement des dépenses, tel que mentionné plus haut. Monsieur Pipia a affirmé qu'il ne vérifiait pas le contenu de l'enveloppe au travail, mais avec son épouse, une fois de retour à la maison. Monsieur Pipia a conservé ses bordereaux de paye pour les années en litige, à l'exception de quelques-uns qui auraient été perdus. Ils ont été soumis en preuve. Un document faisant état des heures compilées à la Commission de la construction du Québec ( « C.C.Q. » ) et provenant des informations fournies par l'employeur, a aussi été soumis en preuve. Toutefois, monsieur Pipia a affirmé qu'il n'avait pas de registre personnel concernant ses heures ou ses journées de travail et qu'il n'avait pas non plus utilisé de feuilles de temps individuelles dans un carnet fourni par l'employeur pour indiquer, sur une base hebdomadaire, les heures de travail à chaque jour. Il a simplement affirmé que monsieur Michel Candussi savait combien d'heures il avait travaillé.

[13]          Monsieur Pipia a reconnu avoir déjà vu, à l'occasion, des inspecteurs de la C.C.Q. sur les chantiers. Il a affirmé ne s'être jamais plaint à ces inspecteurs qui savaient, selon lui, que les heures supplémentaires n'étaient pas payées et qui laissaient faire.

[14]          Monsieur Pipia a mentionné que monsieur Alessio Ravagnolo ainsi que monsieur Francesco Pulciani faisaient partie de la même équipe que lui. Il a dit qu'il ne connaissait pas les conditions de travail des autres employés, particulièrement en ce qui concerne les heures supplémentaires et qu'il n'en avait jamais discuté avec eux. Monsieur Pipia a aussi affirmé qu'il ne savait pas à l'époque ce que signifiait une banque de temps et qu'il l'avait appris par la suite de monsieur Ravagnolo.

[15]          Lors d'un interrogatoire préalable tenu le 14 septembre 1999, monsieur Pipia avait affirmé qu'il était toujours payé pour huit heures dans une journée même s'il n'en avait travaillé que deux ou quatre, qu'il faisait rarement des heures supplémentaires parce que ce n'était pas payé et qu'il était obligé d'accepter ces conditions de travail. Quant à des chantiers à l'extérieur de Montréal, monsieur Pipia avait affirmé y avoir travaillé mais ne pas se souvenir à quels endroits ni à quelles dates. Il avait affirmé qu'il s'y rendait avec sa propre automobile et qu'il était payé pour le kilométrage parcouru mais non pour le temps de déplacement.

[16]          Madame Raymonde Gamache, la conjointe de monsieur Pipia, a aussi témoigné. Son témoignage rejoint, pour l'essentiel, celui de son mari en ce que celui-ci travaillait selon un horaire plus ou moins variable à chaque jour, mais qui allait habituellement de 8 heures à 16 heures puisqu'il était toujours là pour « souper » . Elle a aussi dit qu'il lui arrivait de travailler moins de 8 heures par jour mais qu'il lui disait qu'il pouvait aller au bureau pour aider monsieur Frank Candussi, le frère de Michel Candussi. Toutefois, selon elle, il était toujours payé les mêmes montants, soit pour 32, soit pour 40 heures de travail par semaine. Ainsi, dans l'enveloppe de paye, il n'y aurait jamais eu de montants additionnels, bien que son époux ait pu parfois travailler plus de 32 ou 40 heures dans une semaine. Ainsi, elle a affirmé qu'il avait pu faire des heures supplémentaires mais qu'il n'avait pas été payé pour cela. De même, elle a admis qu'il avait pu, à l'occasion, travailler le samedi mais qu'il avait été payé comme si c'était du temps régulier, et ce, sûrement parce qu'il avait manqué une autre journée dans la semaine. Elle a affirmé que les heures de travail du samedi avaient pu être reportées à une autre semaine. Madame Gamache a aussi admis avoir entendu parler d'une banque de temps. Selon elle, à l'occasion, l'enveloppe de paye contenait aussi un chèque en remboursement de frais de stationnement. Toutefois, elle a affirmé que son mari n'utilisait pas sa propre voiture pour aller travailler sur des chantiers à l'extérieur de Montréal.

[17]          Madame Gamache a dit que, si l'employeur ne payait pas le temps supplémentaire, « qu'au moins son époux avait ses semaines » . Elle a également mentionné qu'il avait déjà voulu quitter son emploi mais que l'employeur étant « le plus gros à Montréal » , il ne fallait pas se le mettre à dos.

[18]          Sur la question plus spécifique de plaintes à la C.C.Q. concernant le défaut de l'employeur de payer les heures supplémentaires, madame Gamache a affirmé avoir déjà téléphoné à la C.C.Q. à ce sujet. On lui aurait demandé le numéro d'assurance sociale de l'employé concerné, en lui laissant entendre que l'employeur serait avisé et que l'employé perdrait son emploi et ne pourrait plus travailler car il serait placé sur une « liste noire » des « contracteurs » , lesquels se connaissent tous entre eux.

[19]          Pour sa part, monsieur Alessio Ravagnolo a commencé à travailler en 1957, d'abord comme journalier, puis comme apprenti et finalement comme cimentier-applicateur ou finisseur de ciment avec carte de compétence. Son travail chez l'employeur a débuté en 1967 ou 1968.

[20]          Monsieur Ravagnolo a lui aussi indiqué que son horaire était variable et qu'il pouvait faire 6, 8 ou 9 heures dans une journée et que ce n'était « jamais pareil » . Il a affirmé avoir fait du temps supplémentaire de 25 à 30 fois en quatre ans mais avoir toujours été payé au taux régulier de 32 ou 40 heures par semaine. Lorsqu'il faisait des heures supplémentaires, ces heures n'étaient pas payées comme telles mais simplement reportées dans une « banque de temps » pour éventuellement être payées comme partie d'une semaine régulière de 32 ou de 40 heures. Selon lui, les heures supplémentaires pouvaient ainsi être utilisées un ou deux mois plus tard. Il a affirmé qu'il les notait sur un bout de papier qu'il détruisait lorsque ces heures étaient finalement payées. Le mode de paiement était le même que dans le cas de monsieur Pipia, soit en argent liquide avec un bordereau de paye contenant les mêmes mentions et, à l'occasion, un chèque en remboursement de dépenses. Monsieur Ravagnolo a affirmé qu'il s'agissait là de son entente avec Michel Candussi puisque celui-ci aurait refusé de lui payer les heures supplémentaires au motif que les prix chargés aux clients n'étaient pas assez élevés pour qu'il puisse se permettre de le faire.

[21]          Monsieur Ravagnolo a admis qu'il a pu, à quelques occasions, travailler 60 ou même 70 heures dans une semaine mais qu'il n'était alors payé que pour 40 heures et que les heures supplémentaires étaient inscrites dans la banque de temps. Il a dit avoir rempli une « feuille de temps individuelle » lorsqu'il avait fait des heures supplémentaires et que cette feuille avait alors été remise à l'employeur. Selon lui, le calepin fourni par l'employeur et contenant les « feuilles de temps individuelles » qui était utilisé par quelques employés seulement, ne contenait pas de copie que l'employé pouvait conserver. En contre-interrogatoire, monsieur Ravagnolo a reconnu des photocopies de ces feuilles de temps individuelles qu'il aurait remises à l'employeur en notant toutefois, à l'égard d'une « feuille de temps individuelle » en particulier, que les chiffres 8, inscrits et encerclés au bas de la feuille, n'étaient pas de lui[1]. Pourtant, l'écriture semble bien être la même sur toute la feuille.

[22]          Appelé à expliquer le traitement accordé à des heures supplémentaires inscrites sur un certain nombre de feuilles de temps individuelles, monsieur Ravagnolo a maintenu qu'il n'avait été payé que pour 40 heures et que les heures supplémentaires avaient effectivement été reportées et payées plus tard. Il a dit ignorer si d'autres employés étaient payés pour les heures supplémentaires et qu'ils l'avaient peut-être été. Il a dit qu'il leur avait déjà demandé mais que personne ne disait la vérité. En ce qui le concerne, il a maintenu qu'il avait une entente avec Michel Candussi et ne savait pas si d'autres employés, dont monsieur Pulciani, avaient conclu la même entente.

[23]          Monsieur Ravagnolo a affirmé que des inspecteurs de la C.C.Q. lui avaient déjà demandé s'il avait fait des heures supplémentaires et il aurait répondu qu'il en avait fait mais que ce n'était pas payé. Il n'aurait jamais lui-même porté plainte. Un document en provenance de la C.C.Q. confirmant les heures de travail enregistrées auprès de cet organisme a été déposé en preuve. Monsieur Ravagnolo a affirmé que les heures indiquées correspondaient à celles inscrites sur les bordereaux de paye mais qu'il n'a pas conservé ses bordereaux contrairement à monsieur Pipia.

[24]          Monsieur Ravagnolo a admis avoir travaillé sur des chantiers à l'extérieur de Montréal et qu'il avait été remboursé par chèque pour ses dépenses d'automobile en fonction du kilométrage, de même que pour ses frais de repas, d'hébergement et de stationnement. Tout comme monsieur Pipia, monsieur Ravagnolo a affirmé qu'il n'avait pas été payé pour le temps de déplacement. Pourtant, sur une feuille de temps individuelle concernant la semaine du 27 mars 1990[2], on voit inscrite la mention « TT » qui pouvait signifier « travel time » . En réponse, monsieur Ravagnolo a affirmé que l'employeur ne payait pas le temps de déplacement à l'extérieur de Montréal.

[25]          Madame Ginette Ravagnolo a témoigné après son mari. Elle a affirmé que l'horaire de travail de celui-ci était variable, mais qu'il débutait généralement sa journée vers 7 ou 8 heures et qu'il était de retour pour le « souper » . Elle a mentionné qu'il revenait souvent avant d'avoir complété 8 heures de travail et qu'il était très rare qu'il fasse des heures supplémentaires. Elle dit ne pas se souvenir de façon précise mais que cela aurait pu arriver à l'occasion, peut-être une fois par semaine.

[26]          Madame Ravagnolo a aussi affirmé que son mari n'était pas payé s'il travaillait plus de 8 heures dans une journée. Selon elle, les heures supplémentaires étaient reportées à une autre semaine pour laquelle il était alors payé, soit pour 32 heures, soit pour 40 heures. Elle a expliqué qu'il arrivait que son mari ne travaille qu'une seule journée dans une semaine et que l'on complète cette semaine avec le système de banque de temps. Ainsi, elle a admis qu'il était payé pour les heures supplémentaires mais au taux régulier. Madame Ravagnolo a dit ne pas se souvenir s'il avait pu travailler plus de 50 heures ou même 60 heures dans une semaine mais que cela était possible.

[27]          Sur la question des chantiers à l'extérieur de Montréal, elle a affirmé que son mari y avait travaillé à l'occasion et qu'il avait été remboursé par chèque pour ses dépenses d'hébergement, de repas, de stationnement ainsi que pour le kilométrage parcouru. Selon elle, il n'était pas payé pour le temps de déplacement.

[28]          Madame Ravagnolo a reconnu que son mari remplissait à la maison des feuilles de temps individuelles dans un calepin. Sur les copies de deux feuilles à l'égard desquelles on lui a demandé si elle reconnaissait l'écriture de son mari, elle a affirmé que l'écriture était bien la sienne mais que ce n'était pas le cas concernant les chiffres inscrits[3].

[29]          Monsieur Guy Léonard, enquêteur au bureau des enquêtes de Laval, s'est vu remettre le dossier de PCMC dans le but d'accumuler des preuves de fraude fiscale en vue de poursuites pénales. Une vérification préalable avait en effet permis de découvrir des indices de fraude, soit des revenus non déclarés qui étaient déposés dans un compte de banque dissimulé ne figurant pas dans les livres de PCMC. Ces revenus non déclarés correspondaient à des montants facturés à des clients en utilisant une deuxième fois les factures numérotées déjà utilisées pour facturer d'autres clients.

[30]          Monsieur Léonard a reçu le dossier de PCMC pour fins d'enquête le 26 octobre 1993. Le 29 octobre 1993, il rencontrait pour la première fois un représentant de la société, un certain Michel Côté, mandaté expressément par monsieur Michel Candussi pour tenter d'en arriver à une entente ou un règlement même avant l'enquête. Suite à son enquête, monsieur Léonard en est arrivé à la conclusion qu'un montant de 2,3 millions de dollars n'avait pas été déclaré par PCMC au cours des années 1987 à 1992. C'est le 18 mars 1994 que monsieur Léonard a fait part pour la première fois de ce résultat au représentant de PCMC. Selon monsieur Léonard, monsieur Côté savait qu'il y avait des revenus non déclarés mais en ignorait l'importance. Monsieur Côté aurait donc demandé la permission d'effectuer une vérification avant de confirmer le montant tout en soulignant également qu'il y avait des dépenses qui devaient être déduites de ces revenus. Il y aurait eu par la suite plusieurs conversations téléphoniques ainsi que des rencontres. Le 11 mai 1994, lors d'une rencontre, monsieur Léonard aurait obtenu de monsieur Côté des précisions verbales concernant les montants des revenus non déclarés ainsi que ceux des dépenses au titre des salaires versés qui n'avaient pas été réclamés. À ce moment, monsieur Côté aurait affirmé avoir des documents concernant les montants payés à chaque employé avec des précisions concernant les heures. Toutefois, monsieur Léonard a insisté pour obtenir les pièces justificatives susceptibles d'établir la véracité des dépenses réclamées à l'encontre des revenus additionnels qu'il prévoyait cotiser.

[31]          Le 11 juin 1994, monsieur Léonard a rencontré à nouveau messieurs Côté et Candussi. Ceux-ci avaient élaboré un projet d'entente qui couvrait tant l'aspect pénal que civil de la fraude et qui présentait des chiffres concernant tant les revenus non déclarés que les dépenses qu'ils estimaient déductibles. Toutefois, comme les pièces justificatives à l'appui des dépenses réclamées n'étaient toujours pas produites, monsieur Léonard a affirmé leur avoir dit qu'il n'était pas en position de négocier.

[32]          N'ayant pas obtenu les pièces justificatives concernant les dépenses une fois la période des vacances terminée et estimant qu'il avait donné tout le temps nécessaire à PCMC et ses mandataires, dont un comptable externe, de faire les vérifications et les calculs nécessaires, monsieur Léonard, après en avoir au préalable avisé monsieur Côté, s'est rendu à la place d'affaires de PCMC le 26 août 1994 pour obtenir les documents demandés. La réceptionniste et monsieur Michel Candussi étaient présents. C'est alors que monsieur Léonard s'est vu remettre quelques 10 000 à 12 000 documents concernant les salaires versés aux employés de 1989 à 1992. Monsieur Léonard a notamment obtenu les documents suivants :

•                Les relevés hebdomadaires de l'employeur (Weekly reports) concernant chaque employé, de juin 1989 à décembre 1992.

•                Les feuilles de temps individuelles remplies par certains employés et annexées aux relevés hebdomadaires.

•                Un certain nombre de notes, soit de l'employeur, soit des employés, annexées aux relevés hebdomadaires.

•                Le journal des salaires.

•                Des documents concernant les remises des déductions à la source, des relevés d'emploi et des sommaires concernant les déductions à la source.

•                Des extraits du grand livre concernant le poste « travelling expenses » .

[33]          Selon monsieur Léonard, les relevés hebdomadaires de l'employeur comportaient une feuille distincte pour chaque employé. Ils étaient classés par semaine et par mois. Souvent, au relevé hebdomadaire concernant un employé était jointe une feuille de temps individuelle provenant de l'employé lui-même ou une note, soit de l'employeur, soit de l'employé.

[34]          Pour ce qui est des deux appelants, des photocopies des documents les concernant ont été produites en preuve comme partie de la pièce I-1 pour monsieur Francesco Pipia et comme partie de la pièce I-3 pour monsieur Alessio Ravagnolo. Comme l'avocat des appelants s'est objecté à la production de ces photocopies au motif que seuls les originaux obtenus par monsieur Léonard étaient admissibles en preuve, il importe de noter ici que monsieur Léonard a affirmé avoir lui-même fait deux photocopies de chaque document obtenu de l'employeur. L'une des deux photocopies faites par monsieur Léonard a été placée dans la voûte aux bureaux du ministère du Revenu et l'autre a servi de document de travail et a, par la suite, été placée dans le dossier transmis au ministère de la Justice. Les documents soumis en preuve comme provenant de PCMC sont donc des photocopies de la copie confiée au ministère de la Justice.

[35]          Par ailleurs, je souligne que les documents obtenus par monsieur Léonard n'ont fait l'objet ni d'une saisie, ni d'une demande péremptoire comme l'a prétendu l'avocat des appelants. Ces documents ont été remis à monsieur Léonard par monsieur Michel Candussi sur une base strictement volontaire.

[36]          Je traiterai de cette objection plus loin lors de l'analyse.

[37]          Suite à l'obtention des documents, monsieur Léonard a débuté sa vérification dans le but de déterminer si les dépenses additionnelles réclamées principalement à titre de salaires étaient justifiées. Suite à ce travail et à la communication des résultats obtenus qui différaient sensiblement des chiffres avancés par PCMC lors de la rencontre du 11 juin 1994, monsieur Candussi a demandé à ce que les documents fournis à monsieur Léonard lui soient retournés afin qu'il puisse vérifier les calculs et expliquer les écarts. C'est ainsi que les originaux des documents obtenus par monsieur Léonard ont été remis à monsieur Candussi les 17 et 18 novembre ainsi que le 13 décembre 1994. Comme l'a expliqué monsieur Léonard, ces documents lui avaient été prêtés pour permettre la vérification du bien-fondé des dépenses additionnelles qui étaient réclamées à l'encontre des revenus non déclarés. Puisque les documents appartenaient à PCMC, ils ne pouvaient être conservés par Revenu Canada et ils devaient être remis à leur propriétaire à sa demande.

[38]          Selon monsieur Léonard, du côté de l'employeur, on se serait par la suite rendu compte de certaines erreurs commises, de sorte que l'on en serait finalement arrivé approximativement aux montants qu'il avait lui-même calculés. Ces montants ont donc servi à établir les nouvelles cotisations à l'égard de PCMC, de même qu'à l'égard de monsieur Michel Candussi personnellement pour appropriation de fonds. Ces montants ont aussi été utilisés comme base pour instituer des poursuites pénales contre ces deux contribuables.

[39]          Dans son témoignage, monsieur Léonard a reconnu que la procédure normale, lorsque l'on découvre que des revenus n'ont pas été déclarés, consiste effectivement à demander au contribuable s'il peut justifier certaines dépenses à l'encontre de ces revenus additionnels et de n'accepter de telles dépenses que dans la mesure où il est démontré qu'elles sont véridiques.

[40]          Monsieur Léonard a affirmé que les dépenses qu'il a finalement accepté de reconnaître et qui ont pu être utilisées pour réduire les revenus non déclarés par PCMC résultent de son analyse approfondie des documents obtenus, lesquels ont fait l'objet d'un certain nombre d'exercices de validation.

[41]          C'est cette même analyse qui a conduit, le 17 mars 1995, à l'expédition à environ 40 employés de PCMC de projets de cotisations pour revenus non déclarés. Suite à de nombreuses rencontres avec des employés et aux observations soumises par quelques avocats, les cotisations elles-mêmes ont finalement été établies en janvier et février 1996 à l'égard des employés visés et ce, concernant les revenus non déclarés pour les années 1989 à 1992. À l'égard de chacun des appelants, il s'agit des cotisations actuellement en litige et dont les détails ont été indiqués au paragraphe [1] des présents motifs du jugement.

[42]          Lors de son témoignage, monsieur Léonard a expliqué, exemples à l'appui, comment il a pu comptabiliser les revenus non déclarés pour chacun des employés, dont les deux appelants, et ce, en utilisant les relevés hebdomadaires ( « Weekly Reports » ) les concernant. Ces relevés indiquent le nom de l'employé, son taux horaire de base, la date de la fin de la période, le nom du chantier ou du client, ainsi que le nombre d'heures de travail à chaque jour. Les heures sont indiquées dans des cases distinctes selon qu'il s'agit d'heures régulières ou d'heures travaillées à temps double ( « double time » ) ou à temps et demi ( « time and half » ). Le taux payé pour les heures supplémentaires est aussi indiqué dans une colonne distincte ( « rate » ). Il s'agit du taux utilisé par PCMC et qui ne correspond pas au taux du décret qui devrait normalement être deux fois ou une fois et demie le taux de base indiqué. À titre d'exemple, pour une partie de l'année 1990, le taux horaire de base indiqué pour monsieur Pipia est de 19,51 $, alors que le taux utilisé pour les heures supplémentaires est de 24,80 $[4]. Les relevés hebdomadaires indiquent également le nombre total des heures de travail en heures régulières et en heures supplémentaires. Dans la colonne « amount » est indiqué le montant résultant de la multiplication du taux horaire indiqué à la ligne « double time » ou « time and half » par le taux horaire indiqué à la colonne « rate » . Par ailleurs, en ce qui concerne les heures régulières, le montant indiqué n'est pas le résultat de la multiplication du taux de base indiqué par le nombre d'heures mais bien le montant payé tel qu'indiqué au livre des salaires. Selon les informations contenues dans ce livre des salaires[5], pour en arriver au montant payé pour les heures régulières, c'est-à-dire après toutes les déductions à la source, on a multiplié le nombre d'heures par le taux horaire applicable et on a ensuite ajouté un montant correspondant à 10 % pour les vacances afin d'obtenir les gains bruts. De ce montant, on a soustrait les déductions à la source et au montant net obtenu, on a ajouté un montant correspondant à 10 cents de l'heure pour les heures inscrites. Ce dernier montant a été ajouté pour compenser l'utilisation d'équipement par les employés. En réalité, les informations inscrites au livre des salaires sont exactement les mêmes que celles inscrites sur les bordereaux de paye puisque PCMC utilisait un système avec papier carbone qui permettait l'impression, sur le livre des salaires ainsi que sur une copie additionnelle des informations écrites directement sur les bordereaux de paye. Enfin, les relevés hebdomadaires indiquent, par addition du montant brut pour les heures supplémentaires et du montant payé tel qu'inscrit au livre des salaires pour les heures régulières, le total qui aurait été versé à l'employé chaque semaine.

[43]          Monsieur Léonard a aussi expliqué, toujours avec des exemples à l'appui, que certaines heures régulières ou supplémentaires étaient parfois traitées de façon spéciale. Le nombre d'heures faisant l'objet de ce traitement spécial était alors généralement encerclé. Ainsi, certaines heures de travail au cours d'une semaine donnée ont pu être reportées sur une autre semaine et payées comme si elles faisaient partie des heures normales de travail de cette semaine[6]. À l'occasion, un certain nombre d'heures, 8 heures par exemple, soit une journée normale de travail, ont pu, au contraire, faire l'objet d'une avance[7].

[44]          Dans d'autres cas, des heures supplémentaires ont pu être converties en heures régulières sur une base de 8 heures régulières pour 5 heures supplémentaires[8].

[45]          Malgré l'ampleur de la tâche, monsieur Léonard a affirmé ne pas avoir eu trop de difficultés à déterminer les heures supplémentaires payées aux employés de PCMC durant les années en litige et que ceux-ci n'avaient pas déclarées. À l'occasion, lorsqu'il ne serait pas parvenu à déchiffrer certaines inscriptions sur les relevés hebdomadaires, il aurait obtenu l'information de monsieur Côté ou de monsieur Candussi. En fait, l'analyse des relevés hebdomadaires et du livre des salaires démontre qu'en général, et sous réserve de rares exceptions, les heures supplémentaires indiquées aux relevés hebdomadaires n'avaient pas été inscrites au livre des salaires, qu'elles n'avaient été payées comptant selon un taux déterminé par l'employeur et qu'elles n'avaient pas été déclarées par les employés. Les résultats de l'analyse de monsieur Léonard à l'égard de messieurs Pipia et Ravagnolo ont été compilés à l'onglet 8 des pièces I-1 et I-3 respectivement.

[46]          Monsieur Léonard a expliqué que les résultats obtenus avaient fait l'objet d'un certain nombre d'exercices de validation, notamment avec les feuilles de temps individuelles ou certaines notes, lorsqu'elles existaient. Dans le cas de monsieur Ravagnolo, on retrouve 26 feuilles de temps individuelles, dont neuf en 1989, 16 en 1990 et une en 1991[9]. Les heures indiquées correspondent effectivement à ce que l'on retrouve sur les relevés hebdomadaires de PCMC. En ce qui concerne monsieur Pipia, celui-ci avait affirmé ne pas avoir utilisé de feuilles de temps individuelles. Dans les documents soumis par l'intimée comme provenant de PCMC, on ne retrouve qu'une seule feuille de temps individuelle pour la semaine du 18 novembre 1989[10]. Cette feuille indique 32 heures en temps régulier à 18,47 $ de l'heure et 11 heures en temps supplémentaire à 23,50 $ de l'heure. Le total de 408,88 $ indiqué pour les heures régulières correspond au montant qui aurait été payé selon le livre des salaires (405,68 $ net plus 3,20 $), lequel ne fait par ailleurs aucune mention des heures supplémentaires[11]. Le relevé hebdomadaire de PCMC pour cette semaine est manquant mais la feuille individuelle de temps semble avoir été utilisée comme un relevé hebdomadaire puisqu'on y indique qu'un montant brut de 258,50 $ (soit 11 heures à 23,50 $) aurait été payé pour les heures supplémentaires. Comme le montant payé pour les heures régulières tient compte des déductions et des montants ajoutés selon ce qui est inscrit au livre des salaires et que cette feuille de temps individuelle n'indique pas seulement les heures de travail à chaque jour, on peut supposer qu'elle a été remplie par une secrétaire ou par monsieur Candussi et non par monsieur Pipia lui-même.

[47]          Évidemment, monsieur Léonard a aussi vérifié le livre des salaires afin de s'assurer de ne pas ajouter des montants déjà déclarés. En examinant un certain nombre de factures de PCMC à ses clients obtenues lors de la vérification, monsieur Léonard s'est aussi assuré qu'il y avait effectivement eu des travaux réalisés aux endroits indiqués sur les relevés hebdomadaires.

[48]          La vérification de monsieur Léonard a aussi porté sur le remboursement des dépenses des employés ainsi que sur le paiement du temps de déplacement en rapport avec le travail effectué sur des chantiers à l'extérieur de Montréal. Comparant les informations inscrites sur les relevés hebdomadaires et celles consignées au grand livre sous le poste « travelling expenses » [12], monsieur Léonard a établi que les employés étaient non seulement remboursés pour le kilométrage et les autres dépenses lorsqu'ils devaient se déplacer à l'extérieur, mais qu'ils étaient également payés pour le temps de déplacement, contrairement à ce qui a été déclaré par les appelants. Le remboursement des dépenses et le paiement du temps de déplacement se faisaient généralement par chèque, ce qui est confirmé par les inscriptions que l'on retrouve au grand livre. Il est à noter ici que monsieur Léonard a déclaré lors de son témoignage que les sommes ainsi payées par chèques aux employés pour le temps de déplacement n'avaient pas été ajoutées aux montants cotisés. Ainsi, seules les sommes payées en argent comptant selon les relevés hebdomadaires et qui n'apparaissaient pas au livre des salaires, ont été ajoutées au revenu des employés par les nouvelles cotisations établies en janvier et février 1996. En somme, en ce qui concerne le paiement du temps de déplacement, la comparaison effectuée par monsieur Léonard entre les informations inscrites sur les relevés hebdomadaires et celles inscrites au grand livre s'est avérée un exercice de validation confirmant, selon lui, la fiabilité des informations inscrites sur les relevés hebdomadaires.

[49]          Le témoignage de madame Claudia Guénette, soeur de monsieur Michel Candussi et secrétaire à l'emploi de PCMC à l'époque pertinente, n'ajoute pas vraiment d'éléments importants en vue de régler les présents litiges. Madame Guénette a affirmé que l'une de ses tâches consistait à compléter, du moins en partie, les relevés hebdomadaires selon les informations obtenues de diverses personnes et de diverses façons. Il pouvait s'agir de son frère ou des employés eux-mêmes. Parfois, les informations pouvaient être obtenues en personne et à l'occasion au téléphone. Autrement, il s'agissait de bouts de papier ou encore de feuilles individuelles de temps qui étaient utilisées par certains employés. Vague et imprécis à souhait sur plusieurs éléments, son témoignage ne nous éclaire pas vraiment sur la façon dont les relevés hebdomadaires étaient véritablement complétés à chaque semaine, sinon qu'elle-même faisait une partie du travail et que l'autre secrétaire ou même son frère Michel Candussi pouvaient se charger d'inscrire les compléments d'information permettant d'établir les payes. Appelée à témoigner à l'égard de certaines particularités des relevés hebdomadaires, elle a reconnu que son frère Michel avait conclu des ententes ou des arrangements avec les employés, que le livre des salaires qu'elle remplissait, n'indiquait généralement que 32 ou 40 heures de travail par semaine, que des heures supplémentaires étaient à l'occasion transformées en heures régulières et que des heures avaient pu être reportées et payées lors de semaines subséquentes. Somme toute, d'après son témoignage, les informations étaient inscrites sur les relevés hebdomadaires en fonction des instructions données par Michel Candussi selon ses ententes avec les employés. Elle a toutefois affirmé ne pas avoir été au courant de la nature exacte de ces ententes et ne pas connaître le nom des employés avec lesquels son frère Michel avait de telles ententes. Appelée à commenter certains relevés hebdomadaires, elle a admis que le temps de déplacement des employés vers des chantiers à l'extérieur de Montréal était payé et que le paiement pouvait se faire soit en argent comptant, soit par chèque.

[50]          Point important cependant, son témoignage ne contient aucun élément, si mineur soit-il, qui pourrait laisser supposer que les informations inscrites sur les relevés hebdomadaires ne correspondraient pas à la réalité ou encore que ces relevés hebdomadaires auraient pu être altérés subséquemment.

[51]          Comme on le sait, ce sont les activités de PCMC dirigées par son unique actionnaire et administrateur, monsieur Michel Candussi, qui étaient d'abord visées par l'enquête de monsieur Léonard de Revenu Canada. Ayant plaidé coupable aux accusations criminelles, PCMC et monsieur Candussi ont également dû faire face à de nouvelles cotisations fondées sur les résultats de l'enquête de monsieur Léonard. De ces poursuites et cotisations, il ressort cependant que les revenus non déclarés de PCMC, tels que déterminés par monsieur Léonard, ont été réduits par les montants de salaires versés aux employés mais non inscrits aux livres.

[52]          Bien que les appelants dans les présents dossiers aient prétendu n'avoir jamais été payés comptant par PCMC pour des heures supplémentaires, et ce, en vertu d'une entente particulière avec Michel Candussi, ils n'ont jamais requis celui-ci de témoigner pour confirmer leur version des faits.

[53]          Appelé à témoigner par l'intimée, monsieur Candussi n'a, dans son témoignage, cessé de recourir à des faux-fuyants. Manifestement préoccupé de nuire le moins possible à ses anciens employés, il n'a fait que multiplier les déclarations contradictoires. Ainsi, il a d'abord affirmé avoir payé toutes les heures de travail à tous les employés. Puis, il a dit que, s'il n'avait pas payé toutes les heures, personne n'était jamais venu en réclamer le paiement. Enfin, il a déclaré que si les appelants avaient dit qu'il n'avait pas payé ces heures, ce devait être qu'il ne les avait pas payées.

[54]          Dans son témoignage, monsieur Candussi a affirmé que la « majeure partie du temps » il consignait lui-même l'information concernant les heures supplémentaires sur les relevés hebdomadaires en fonction de ses ententes avec les employés. Selon lui, la majorité des employés de PCMC avaient profité du système d'heures de travail non déclarées qui étaient payées comptant et qui n'étaient pas inscrites au livre des salaires. On comprend également que ces heures, généralement travaillées en temps supplémentaire, n'étaient pas payées au taux du décret, à temps et demi ou à temps double, mais en argent liquide à un taux convenu avec chaque employé et sans aucune déduction à la source. Toutefois, monsieur Candussi a aussi affirmé, ce que l'on savait déjà du témoignage de monsieur Léonard, qu'un autre type d'entente ou partie d'entente consistait à reporter sur une autre semaine les heures de travail excédant 40 dans une semaine donnée. En ce qui concerne monsieur Pipia, à la question de savoir si, d'après l'entente conclue, celui-ci ne travaillait que 32 ou 40 heures par semaine, monsieur Candussi a répondu ceci : « Je crois que oui, marqué » . Dans le contexte, il n'est pas très difficile d'interpréter cette réponse. Selon monsieur Candussi, dans la mesure où des heures étaient reportées, c'était pour compléter une autre semaine de 32 ou 40 heures et il croyait à cet égard que son entente avec monsieur Ravagnolo était la même qu'avec monsieur Pipia. Monsieur Candussi a aussi affirmé que messieurs Pipia et Ravagnolo avaient fait peu d'heures supplémentaires. À la question suivante de savoir s'il était possible que ces deux employés n'aient pas été payés du tout pour les heures supplémentaires au cours des quatre années en litige, monsieur Candussi a fourni cette réponse : « Je ne me rappelle pas de ça. Je ne dois pas les avoir payées, alors » . Sur les relevés hebdomadaires pour la seule année 1990, les heures supplémentaires inscrites totalisent 530 heures pour monsieur Pipia et 453 heures pour monsieur Ravagnolo. Pourtant, monsieur Candussi a affirmé que, s'ils avaient fait un peu de temps supplémentaire, c'était pour de petites sommes, que les ententes avaient changé au cours des années et qu'il ne se souvenait pas vraiment s'il y avait eu, dans leur cas, utilisation d'une banque de temps. Il a terminé son témoignage en disant que, de façon générale, il ne se souvenait pas des faits exacts.

[55]          À mon avis, il serait superflu de référer à d'autres parties du témoignage de monsieur Candussi qui se révèle, dans l'ensemble, un enchevêtrement de réponses évasives et contradictoires, ponctué de nombreux trous de mémoire. Qu'il suffise d'ajouter que monsieur Candussi a fait référence à un livre noir qu'il possédait à l'époque et qui aurait contenu certains détails sur des sommes à payer aux employés. Ce livre n'a jamais été remis aux autorités et monsieur Candussi a affirmé l'avoir détruit depuis. Ainsi, personne n'a pu vérifier des informations qu'il contenait vraiment.

[56]          Ici encore, il importe de noter qu'aucun élément ne permet de penser que les relevés hebdomadaires ne seraient pas le reflet de la réalité ou qu'ils auraient pu être altérés subséquemment de quelque façon que ce soit.

[57]          Le témoignage de monsieur Francesco Pulciani, cimentier-applicateur à l'emploi de PCMC pendant vingt ans, a été bref. Monsieur Pulciani compte parmi les employés qui ont utilisé des feuilles de temps individuelles pour inscrire leurs heures de travail à chaque jour de la semaine durant plusieurs années. Des copies de ces feuilles de temps, des relevés hebdomadaires, des extraits du livre des salaires et du grand livre, de même que les feuilles de travail de monsieur Léonard concernant monsieur Pulciani, ont été soumises en preuve. L'avocat des appelants s'est objecté à la production des documents en provenance de PCMC, tout comme il l'avait fait dans le cas des appelants, au motif qu'il s'agissait de copies et même de copies de copies des documents originaux.

[58]          Monsieur Pulciani a mentionné que les feuilles de temps individuelles utilisées étaient, sous leur forme originale, en deux copies comme des factures. Une copie était à conserver et l'autre était remise à l'employeur, soit à Michel Candussi, soit à l'un des chauffeurs de camion, qui la remettait, par la suite, à la secrétaire. Monsieur Pulciani a affirmé que ses propres feuilles de temps étaient remplies par sa fille car il n'était pas très instruit. Quant au temps supplémentaire, monsieur Pulciani a dit que presque tous les employés étaient payés en argent comptant pour les heures supplémentaires car Michel Candussi refusait de payer le taux à temps et demi. Monsieur Pulciani a admis avoir fait une erreur et il a affirmé avoir depuis acquitté ses impôts tant au niveau fédéral que provincial.

[59]          Après s'être opposé à la production des copies des documents en provenance de PCMC obtenus par monsieur Léonard aux fins de son enquête, l'avocat des appelants a soutenu, lors d'une très longue argumentation, que les appelants avaient, par leur témoignage et celui de leur conjointe, établi une preuve prima facie qu'ils n'avaient pas reçu les montants indiqués aux relevés hebdomadaires pour les heures supplémentaires. De plus, selon lui, l'intimée, dont la preuve reposait essentiellement sur les inscriptions que l'on retrouve sur ces relevés hebdomadaires, ne s'était pas acquittée de son fardeau d'établir que ces montants avaient vraisemblablement ni même probablement été reçus. Ainsi, l'avocat des appelants a souligné le fait que les appelants avaient tous deux une entente particulière avec Michel Candussi selon laquelle ils ne seraient payés que pour 32 ou 40 heures de travail par semaine et ce, de façon notamment à s'assurer d'une rémunération stable et régulière, d'où le report de certaines heures supplémentaires en de rares occasions sur d'autres semaines. Selon lui, les appelants n'ont donc été payés que pour 32 ou 40 heures par semaine et quelquefois pour un nombre inférieur d'heures au cours des années en litige. Ils auraient aussi, à l'occasion, reçu un chèque en remboursement des frais de déplacement à l'égard de chantiers à l'extérieur de Montréal. Ils n'auraient donc jamais reçu de sommes en sus de leur salaire régulier, ce qui, selon lui, est corroboré par les conjointes des appelants.

[60]          L'avocat des appelants s'en est également pris aux conclusions de monsieur Léonard dont l'enquête, a-t-il dit, avait manqué de rigueur puisqu'elle n'était fondée que sur les relevés hebdomadaires de PCMC et quelques feuilles de temps individuelles dans le cas de monsieur Ravagnolo. L'avocat des appelants a souligné le fait qu'il a été démontré lors de l'audition qu'au moins deux personnes avaient complété ces rapports hebdomadaires, soit Michel Candussi et sa soeur Claudia Guénette sans que l'on puisse savoir vraiment qui avait écrit quoi, bien que Michel Candussi ait admis que sa soeur « écrivait le temps régulier » alors que lui-même « écrivait le temps supplémentaire » . Puisque les relevés hebdomadaires ont été complétés par plusieurs personnes, l'avocat des appelants a soutenu que l'hypothèse la plus vraisemblable est qu'ils auraient pu avoir été complétés non pas à chaque semaine, mais plutôt, en ce qui concerne le temps supplémentaire, beaucoup plus tard, soit en 1993 lors de la vérification ayant précédé l'enquête de monsieur Léonard.

[61]          Insistant à nouveau sur le fait que les documents soumis ne sont que des copies et, qui plus est, des copies de copies ne pouvant faire l'objet d'expertise, et affirmant ensuite que les documents ont vraisemblablement été complétés beaucoup plus tard en ce qui concerne les heures supplémentaires, soit pour des raisons de conformité avec la réglementation de la C.C.Q., soit pour des raisons fiscales, l'avocat des appelants soutient que les relevés hebdomadaires ne présentent pas une fiabilité suffisante pour qu'on puisse prêter foi à leur contenu. À défaut d'autres notes ou documents d'époque, dont le livre noir contenant certaines informations sur le traitement des heures de travail des employés que possédait monsieur Candussi et qu'il a depuis détruit, l'avocat des appelants affirme donc que la valeur probante des relevés hebdomadaires n'est pas suffisante, d'autant plus que Michel Candussi n'a pas, dans son témoignage, clairement établi que les quelques heures supplémentaires travaillées par les appelants avaient été payées en argent liquide.

[62]          Au soutien de ses arguments, l'avocat des appelants se réfère notamment aux décisions de cette cour dans les affaires Esteves c. Canada, [1994] A.C.I. no 353 (version anglaise, [1995] 1 C.T.C. 2884) et Simard c. La Reine, [1997] A.C.I. no 1321 (version anglaise, [1998] 3 C.T.C. 2839), qui présentent certaines similitudes avec les présents appels. L'avocat des appelants se réfère également à la décision dans l'affaire Firestone Stores c. Ste-Marie, [1978] C.P. 377 dans laquelle on cite les auteurs Nadeau et Ducharme[13], selon lesquels « les entrées dans les registres commerciaux [ou] les livres tenus par les commerçants ... sont des registres et papiers domestiques qui ne font aucune espèce de preuve en faveur des marchands puisqu'il serait trop facile de se créer à soi-même des titres probatoires » . À cet égard, l'avocat des appelants se réfère aussi à la règle énoncée à l'article 2832 du Code civil du Québec. Je commenterai simplement ici qu'il est difficile de voir en quoi cette règle, stipulant qu'un écrit ni authentique, ni semi-authentique qui rapporte un fait, peut être admis en preuve à titre de témoignage ou d'aveu contre son auteur, est susceptible de favoriser les appelants dans la présente affaire.

[63]          Pour sa part, l'avocat de l'intimée note d'abord certaines contradictions dans le témoignage des appelants et celui de leurs conjointes concernant les heures et les jours de travail. Il souligne ensuite les contradictions entre les déclarations de monsieur Ravagnolo et ses propres feuilles de temps individuelles. L'avocat de l'intimée trouve ensuite étonnant que les appelants aient pu travailler si longtemps pour le même employeur qui refusait de payer les heures supplémentaires et qu'ils ne pouvaient s'en plaindre à personne sous peine d'être congédiés et placés sur une liste noire. Ainsi exploités et sans recours, il est invraisemblable, selon l'avocat de l'intimée, qu'ils n'aient pas su, puisqu'ils se côtoyaient depuis des années, si les autres employés étaient payés ou non pour les heures supplémentaires.

[64]          L'avocat de l'intimée a ensuite rappelé certaines parties du témoignage de monsieur Candussi concernant notamment la confection des rapports hebdomadaires, l'existence du travail au noir dans un milieu où la compétition était féroce et l'utilisation du système de banque de temps. Il a rappelé également que monsieur Candussi avait mentionné un livre noir où auraient possiblement été inscrits certains montants dus et non payés. Toutefois, il a souligné que jamais personne n'avait pu voir ce livre noir.

[65]          Par ailleurs, l'avocat de l'intimée a soutenu que le témoignage de monsieur Pulciani révélait en réalité que toutes les heures étaient payées, soit par l'utilisation d'une banque de temps, soit au noir. Il a rappelé que monsieur Pulciani avait affirmé que la plupart des employés avaient reçu de l'argent au noir.

[66]          L'avocat de l'intimée a ensuite souligné que les documents soumis en preuve, principalement les relevés hebdomadaires, contredisaient la version des appelants. Ces relevés démontrent qu'on utilisait le système de banque de temps et qu'effectivement, il y avait certaines heures reportées et payées comme partie d'une autre période. Toutefois, ces relevés indiquent aussi un traitement différent selon que les heures ont été déclarées ou non au livre des salaires. Ainsi, alors que les heures régulières étaient généralement inscrites au livre des salaires selon le taux du décret, les relevés hebdomadaires indiquent que les heures supplémentaires étaient payées à un taux inférieur à ce qui devait être celui du décret.

[67]          L'avocat de l'intimée a reconnu que les relevés hebdomadaires qui présentent plusieurs écritures ont pu avoir été confectionnés par plusieurs personnes, mais qu'ils l'ont été dans le cours ordinaire des affaires de l'entreprise. Selon lui, rien ne permet de penser qu'ils aient pu être complétés, même partiellement, au cours d'une année subséquente, contrairement à l'hypothèse avancée par l'avocat des appelants. D'ailleurs, il a souligné qu'aucune question n'avait été posée à monsieur Candussi à cet égard et que, si celui-ci avait voulu se constituer une défense à l'encontre de cotisations totalisant quelques 2,3 millions de dollars, il serait allé jusqu'au bout et aurait indiqué le taux du décret pour le temps supplémentaire et ce, de façon à augmenter le montant des dépenses déductibles qu'il réclamait.

[68]          L'avocat de l'intimée a souligné que l'utilisation du système de banque de temps est identifiée dans les relevés hebdomadaires par des chiffres encerclés indiquant les heures reportées, les avances ainsi que le paiement d'arrérages. En ce qui concerne les heures supplémentaires n'ayant pas été ainsi traitées, les relevés hebdomadaires indiquent un taux spécial applicable ainsi que le calcul du montant qui aurait été payé. En fait, l'utilisation de ce taux spécial aurait constitué l'essentiel de l'arrangement des paiements au noir. L'avocat de l'intimée a noté à cet égard l'absence quasi-totale d'heures supplémentaires au livre des salaires. Dans le cas des appelants, il n'y a que trois inscriptions, deux à l'égard de monsieur Pipia et une à l'égard de monsieur Ravagnolo. Dans le cas de monsieur Pipia, les relevés hebdomadaires correspondants portent la mention spéciale « C.C.Q. » [14]. Dans le cas de monsieur Ravagnolo, le relevé hebdomadaire correspondant porte la mention spéciale « marqué » [15]. L'avocat de l'intimée a souligné le caractère exceptionnel de ces mentions qui correspondent aux seules heures supplémentaires inscrites pour les appelants dans le livre des salaires.

[69]          L'avocat de l'intimée a rappelé également que la vérification de monsieur Léonard avait porté sur quelques 10 000 à 12 000 documents à l'égard de quelques 40 employés et que les exercices de validation des relevés hebdomadaires avaient été faits avec le livre des salaires et les feuilles individuelles de travail lorsqu'elles existaient, de même qu'avec le grand livre pour ce qui est des indemnités de déplacement. Il a noté aussi la vérification de factures de PCMC à des clients de façon à s'assurer que les périodes de travail correspondaient bien aux chantiers indiqués sur les relevés hebdomadaires.

[70]          Somme toute, selon l'avocat de l'intimée, ce n'est qu'après de multiples vérifications, et parce qu'il était convaincu de la véracité des rapports hebdomadaires, que monsieur Léonard a autorisé à PCMC à déduire des dépenses additionnelles, soit les salaires non déclarés.

[71]          Ainsi, l'avocat de l'intimée a soutenu avoir présenté la meilleure preuve disponible dans les circonstances à défaut d'avoir pu produire les originaux des documents obtenus de PCMC et retournés par la suite. Il a noté l'absence d'autres documents comme le livre noir de monsieur Candussi.

[72]          Concernant la décision dans l'affaire Esteves (précitée), à laquelle s'est référé l'avocat des appelants, l'avocat de l'intimée a simplement fait remarquer qu'il fallait d'abord croire la version des travailleurs pour en arriver à la conclusion qu'ils n'avaient pas reçu de l'argent au noir. Pour ce qui est de la décision dans l'affaire Firestone (précitée), l'avocat de l'intimée estime que la décision ne fait qu'établir qu'une personne ne peut se constituer elle-même une preuve par ses écrits et que cette décision n'est pas pertinente en l'espèce puisque la preuve présentée par l'intimée est fondée sur des documents obtenus d'une autre personne, soit PCMC.

[73]          Quant à la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, l'avocat de l'intimée estime qu'elle est justifiée puisque les sommes payées ont été reçues personnellement et que c'est donc en connaissance de cause que ces revenus n'ont pas été déclarés. Il a noté également le fait que le stratagème durait depuis de nombreuses années, qu'il portait sur des sommes importantes et qu'il n'a cessé qu'à cause de l'enquête menée par Revenu Canada. En terminant, il a rappelé que monsieur Candussi avait admis avoir payé du travail au noir et utilisé le système de banque de temps, système qui allait à l'encontre d'une autre loi car, comme il l'a déclaré, il s'agissait pour lui d'une question de survie à cause de la compétition féroce dans le milieu.

[74]          Je suis d'accord avec la position de l'intimée et j'estime que les appels doivent être rejetés.

[75]          Je traiterai d'abord brièvement de la question d'admissibilité en preuve des copies ou, si l'on veut, des copies de copies de documents obtenus de PCMC dans les circonstances relatées plus haut et subséquemment remis à PCMC à sa demande. Lors de son témoignage, monsieur Léonard de Revenu Canada a affirmé avoir lui-même fait deux photocopies des documents obtenus de PCMC. Monsieur Léonard a placé l'une d'elles dans la voûte du ministère et il a conservé l'autre pour faire ses vérifications. Cette photocopie est demeurée dans le dossier transmis au ministère de la Justice à partir de laquelle on a fait d'autres photocopies en nombre suffisant pour les auditions des appels. Monsieur Léonard a rendu son témoignage en se référant constamment à ces dernières copies qu'il a reconnu comme étant des copies des originaux produits par PCMC lors de son enquête. Je n'ai pas le moindre doute que les documents originaux n'ont pas été altérés dans le processus. Lors de l'audition des appels, au soutien de ma décision d'accepter les copies en preuve, je me suis référé au paragraphe 231.5(1) de la Loi. Cette disposition se lit ainsi :

                231.5(1) Copies — Lorsque des documents sont saisis, inspectés, examinés ou produits en vertu des articles 231.1 à 231.4, la personne qui opère cette saisie ou fait cette inspection ou cet examen ou auprès de qui est faite cette production ou tout fonctionnaire du ministère du Revenu national peut en faire ou en faire faire une ou plusieurs copies. Les documents présentés comme documents que le ministre ou une personne autorisée atteste être des copies faites conformément au présent article font preuve de la nature et du contenu des documents originaux et ont la même force probante qu'auraient ceux-ci si leur authenticité était prouvée de la façon usuelle.

[76]          Par ailleurs, le paragraphe 30(11) et l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, prévoient ce qui suit :

                30(11) Les dispositions du présent article sont réputées s'ajouter et non pas déroger :

                a) à toute autre disposition de la présente loi ou de toute autre loi fédérale concernant l'admissibilité en preuve d'une pièce ou concernant la preuve d'une chose;

                b) à tout principe de droit existant en vertu duquel une pièce est admissible en preuve ou une chose peut être prouvée.

                40. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

[77]          Vu le libellé du paragraphe 30(11) et de l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, j'estime que le paragraphe 231.5(1) de la Loi constitue une disposition spécifique d'une loi fédérale qui a priorité sur toute autre règle et qu'elle est applicable en l'espèce. J'ajouterai simplement qu'il est faux de prétendre de façon générale que des copies ne peuvent être soumises en preuve lorsque les originaux ne sont pas disponibles. En common law, on peut se référer à cet égard à la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire R. v. Clarkson, 99 DTC 5527. En droit civil, on peut se référer à l'article 2860 du Code civil du Québec.

[78]          Quant au fardeau de preuve, je rappelle que c'était à l'intimée qu'il appartenait de démontrer que les années normalement prescrites, soit les années 1989, 1990 et 1991, pouvaient faire l'objet d'une nouvelle cotisation au motif qu'il y avait eu présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire ou fraude lors de la production des déclarations.

[79]          Il appartenait également à l'intimée de démontrer que les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour les quatre années en litige, soit 1989 à 1992, étaient justifiées en ce que les appelants avaient fait un faux énoncé sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans leur déclaration. Strictement parlant donc, chacun des appelants n'avait que le fardeau de démontrer qu'il n'avait pas reçu, en 1992, une rémunération additionnelle non déclarée.

[80]          Il m'apparaît également important de rappeler que le degré de preuve retenu en matière fiscale est la prépondérance des probabilités comme en toute autre matière civile. Cette norme est également celle qui est applicable en ce qui concerne les pénalités.

[81]          À cet égard, j'estime que la preuve présentée par l'intimée établit d'une façon qui va bien au-delà de la simple prépondérance des probabilités que les appelants ont reçu, mais ont omis de déclarer, les sommes cotisées à l'égard de chacune des années en litige et que la présentation erronée des faits dans leur déclaration de revenu pour chacune des années en litige a été faite sciemment. Les éléments les plus importants de cette preuve sont le témoignage de monsieur Léonard et celui de monsieur Pulciani ainsi que l'ensemble des documents soumis dans les pièces I-1, I-3 et I-10, soit des documents concernant messieurs Pipia, Ravagnolo et Pulciani, respectivement

[82]          Évidemment, la base de toute la preuve présentée par l'intimée est constituée des relevés hebdomadaires concernant les appelants de même que ceux concernant monsieur Pulciani. D'une part, les appelants n'ont jamais tenté de contester directement les inscriptions sur ces relevés concernant tant les heures régulières que les heures supplémentaires, bien qu'ils ont eu la possibilité de prendre connaissance de ces documents dès l'établissement des cotisations, donc bien avant l'audition de leurs appels. D'autre part, l'exactitude des inscriptions aux relevés hebdomadaires a été vérifiée, non seulement à l'égard des appelants, mais à l'égard des quelques 40 employés qui avaient travaillé pour PCMC au cours des années en litige. L'examen attentif des copies des documents obtenus de PCMC par monsieur Léonard et soumis en preuve démontre certes qu'il y avait utilisation du système de banque de temps pour certaines heures et que, sous réserve de rares exceptions, seules les heures régulières étaient inscrites au livre des salaires. Ainsi, le paiement de certaines heures était reporté à une autre semaine et il y avait à l'occasion des avances faites par l'employeur. De plus, le temps de déplacement sur des chantiers à l'extérieur était généralement payé par chèque, tout comme l'était le remboursement des frais de déplacement et des autres dépenses reliées à ces chantiers. Comme l'a établi monsieur Léonard, les informations inscrites sur les relevés hebdomadaires se vérifient au livre des salaires lorsqu'il y a eu report du paiement de certaines heures ou, au contraire, des avances. Quant au paiement du temps de déplacement, bien que les montants payés par chèque n'aient pas été cotisés, on peut en retracer le paiement dans le grand livre au poste « travelling expenses » .

[83]          Comme l'a démontré monsieur Léonard, l'information figurant aux relevés hebdomadaires concernant les heures supplémentaires concorde également avec les feuilles individuelles de travail remplies par les employés. Dans le cas de monsieur Ravagnolo, ces feuilles de travail sont au nombre de 26 et les données inscrites correspondent à celles des relevés hebdomadaires complétés par l'employeur. Dans le cas de monsieur Pulciani, qui a utilisé beaucoup plus ces feuilles de travail individuelles, les données correspondent encore ici aux relevés hebdomadaires. Tout ceci revient à dire que les relevés hebdomadaires analysés avec rigueur par monsieur Léonard, par comparaison avec les autres documents qui lui ont été remis par PCMC, constituent, à mon avis, une preuve fiable permettant de conclure que les sommes indiquées pour les heures supplémentaires ont effectivement été payées aux appelants. L'inscription d'un montant total composé du montant net versé selon le livre des salaires pour les heures régulières et du montant brut calculé pour les heures supplémentaires vient confirmer avec force la prétention de l'intimée selon laquelle le montant total indiqué a effectivement été payé aux appelants. À mon avis, aucune autre inférence n'est possible d'autant plus que les relevés hebdomadaires indiquent, le cas échéant, le paiement reporté de certaines heures de travail dans une semaine donnée[16]. Pour le reste, on peut donc conclure que le montant total indiqué à chaque relevé hebdomadaire a vraisemblablement et probablement été payé à l'employé.

[84]          Les relevés hebdomadaires contiennent beaucoup de détails dont on peut vérifier l'exactitude, soit au livre de salaires, soit au grand livre, comme l'utilisation du système de banque de temps pour le report d'heures sur d'autres semaines ou encore le paiement par chèque du temps de déplacement à l'extérieur de Montréal, par exemple. Cet état de fait rend absolument invraisemblable l'hypothèse avancée par l'avocat des appelants selon laquelle une partie des relevés, soit celle concernant le temps supplémentaire, ait pu être complétée non pas à chaque semaine mais plusieurs années plus tard, soit pour se conformer à quelque règlement de la C.C.Q., soit pour préparer une défense à l'encontre d'une éventuelle cotisation en matière fiscale. Il s'agit là, à mon avis, d'une hypothèse qui n'est appuyée par aucun fait mis en preuve. En réalité, la possibilité que la préparation d'une partie des relevés hebdomadaires ait pu être faite beaucoup plus tard, n'a même pas été abordée avec madame Guénette et avec son frère, Michel Candussi, lors de leur contre-interrogatoire par l'avocat des appelants.

[85]          Évidemment, face à la preuve soumise par l'intimée, je ne peux retenir les témoignages des appelants et de leurs conjointes qui non seulement présentent en eux-mêmes des éléments contradictoires, mais qui, de surcroît, sont contredits directement par les copies des documents obtenus de PCMC.

[86]          À titre d'exemple, je me référerai simplement à la déclaration de monsieur Pipia qui a affirmé avoir travaillé bénévolement et qui a dit qu'il ne savait pas ce qu'était une banque de temps alors qu'il a bénéficié du système pendant des années. On peut aussi se référer à la déclaration de monsieur Ravagnolo selon laquelle il faisait peu de temps supplémentaire alors que ses propres feuilles individuelles de temps indiquent plus de 75 heures de temps supplémentaire du 6 octobre au 23 décembre 1989, soit pour une période de seulement deux mois et demi[17]. Finalement, la déclaration de chacun des appelants selon laquelle le temps de déplacement vers les chantiers à l'extérieur de Montréal n'était pas payé est directement contredite par les extraits du grand livre de PCMC soumis en preuve[18].

[87]          Quant au témoignage de monsieur Michel Candussi, il n'est pas nécessaire d'y référer bien longuement. J'ai déjà mentionné les nombreuses contradictions qu'on y retrouve. Sa déclaration, selon laquelle les appelants n'avaient fait que peu de temps supplémentaire et qu'ils n'ont peut-être pas été payés si c'est ce qu'ils affirment, est, encore ici, en contradiction directe avec les documents de PCMC qu'il a lui-même soumis à monsieur Léonard. La seule chose qu'on peut véritablement retenir de son témoignage, c'est qu'il ne payait définitivement pas les heures supplémentaires au taux qu'il aurait dû les payer en application du décret et que, généralement, seules les heures régulières étaient inscrites au livre de salaires. Pour le reste, les copies des documents de PCMC soumises en preuve par l'intimée nous indiquent que de multiples systèmes étaient utilisés pour rémunérer les heures supplémentaires des employés, notamment la transformation d'heures supplémentaires en heures régulières, la banque de temps et le paiement en argent liquide à un taux convenu inférieur à celui qui aurait dû normalement s'appliquer.

[88]          En résumé, j'estime que la preuve présentée par l'intimée établit, selon une norme qui dépasse la simple prépondérance des probabilités, que les appelants ont reçu les montants cotisés pour les années en litige et que, s'agissant de sommes reçues en argent liquide, ce ne peut être que sciemment qu'ils ont décidé de ne pas les déclarer.

[89]          En conséquence, les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée. Toutefois, les dépens accordés à l'intimée pour les services d'un avocat en rapport avec chaque journée ou partie de journée d'audition ne sont accordés que pour moitié à l'égard de chacun des appelants.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2001.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.



[1] Pièce I-3, onglet 9, page 66.

[2] Pièce I-3, onglet 10, page 107.

[3] Pièce I-3, onglet 9, page 74 et onglet 10, page 103.

[4] Pièce I-1, onglet 10, pages 104 à 131.

[5] Pièce I-1, onglet 15 et pièce I-3, onglet 15.

[6] Voir exemples à la pièce I-1, onglet 9, pages 79 et 81; onglet 10, pages 120 et 121; onglet 11, pages 132, 134, 135 et 137 et à la pièce I-3, onglet 11, pages 167, 169 et 170; onglet 12, pages 201, 202, 210, 217, 221, 222, 229, 231, 234 et 235.

[7] Voir exemples à la pièce I-1; onglet 9, pages 78 et 81; onglet 10, page 98; onglet 11, pages 153 et 157 et à la pièce I-3; onglet 9, page 82; onglet 12, pages 206, 219, 225, 232 et 233.

[8] Voir exemples à la pièce I-1, onglet 9, page 83; onglet 10, pages 85, 99 et 100.

[9] Pièce I-3, onglets 9, 10, 11 et 12.

[10]Pièce I-1, onglet 9, page 77.

[11] Pièce I-1, onglet 15, page 257.

[12] Pièce I-1, onglet 14 et pièce I-3, onglet 14.

[13] Traité de droit civil du Québec, t.9, par A. Nadeau et L. Ducharme, Montréal, Wilson & Lafleur, 1965, pages 295 et les suivantes.

[14] Pièce I-1, onglet 10, pages 123 et 130.

[15] Pièce I-3, onglet 10, page 109.

[16] Voir à titre d'exemples, pièce I-1 concernant monsieur Pipia, onglet 9, pages 68, 69 et 70; onglet 10, pages 102 et 120; onglet 11, pages 132 et 135; onglet 12, pages 180, 187, 191, 195, 198, 200, 212, 218 et 221 et pièce I-3 concernant monsieur Ravagnolo, onglet 9, page 75; onglet 10, pages 104, 111, 115 et 147; onglet 11, page 167; onglet 12, pages 201, 203, 206, 207, 210, 216, 217, 221, 227, 228, 229, 231, 233, 234, 235 et 240.

[17] Pièce I-3, onglet 9, pages 66 à 85.

[18] Pièce I-1, onglet 14 et pièce I-3, onglet 14.

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