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Date: 20011214

Dossier: 2000-383-IT-G

ENTRE :

CATHERINE LOUISE FALLIS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur

[1]            Ces appels concernent les nouvelles cotisations portant les numéros 15309, 15310 et 15311, établies le 6 janvier 2000 contre l'appelante en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Les nouvelles cotisations accroissent le revenu de l'appelante de 37 561,41 $, de 11 552,74 $ et de 5 000 $. Les montants ne font pas l'objet du litige.

[2]            Les parties admettent à juste titre que le litige tourne autour de la question de savoir s'il y a eu transfert par Robert Fallis (mari de l'appelante) de son intérêt dans le droit de propriété du domicile de l'avenue Westport en faveur de l'appelante pendant l'été 1991. Le problème s'est posé à la suite de l'établissement d'une nouvelle cotisation en décembre 1995, lorsque Robert Fallis s'est vu notifier qu'il devait 101 063 $ en impôts et intérêts remontant à 1992. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) avait rejeté les pertes qu'il avait précédemment déclarées. Il a fait faillite en 1997. Le ministre a imposé l'appelante en 1998 pour une partie de l'impôt qui était payable par son mari.

[3]            La raison d'être de l'article 160 est d'empêcher les contribuables d'échapper à leur responsabilité fiscale en transférant des biens à leur conjoint ou à d'autres personnes avec qui ils ont un lien de dépendance. En assujettissant le bénéficiaire du transfert à l'impôt, le ministre cherche à rendre un tiers responsable du paiement de la dette du contribuable. L'appelante admet que l'assujettissement à l'impôt est établi en fonction de la Loi et non de la date de la cotisation. L'obligation fiscale de Robert Fallis est apparue en 1992. L'intimée estime que le transfert de biens de Robert à l'appelante a eu lieu en 1994. L'appelante affirme que ce transfert s'est produit en 1991.

[4]            Catherine et Robert Fallis sont mariés depuis 1989 et ont trois enfants. Docteur en médecine, Robert exerce sa profession en médecine familiale à St. Catharines (Ontario). L'appelante était enseignante jusqu'en 1989, et puis elle a commencé à gérer les affaires de son mari. En 1991 et en 1992, elle gagnait 25 000 $ par année. L'appelante et Robert ont acheté conjointement un domicile sur l'avenue Westport à St. Catharines en octobre 1989. Cette maison a été vendue en 1994. Ayant besoin de place pour sa famille grandissante, l'appelante a utilisé le produit de la vente et d'autres fonds combinés pour acheter une plus grande maison sur le boulevard Bayview à Jordan Station en son nom à elle seulement.

[5]            L'avocat de l'appelante admet que la somme de 37 561 $ provenant de la vente du bien immobilier Westport et utilisée par l'appelante pour acheter le bien immobilier Bayview faisait partie de l'avoir de Robert avant l'été 1991. Il affirme cependant que Robert avait transféré cette somme à sa femme en 1991, avant que Robert ne soit assujetti à l'impôt. L'appelante et Robert ont témoigné au sujet des circonstances du transfert. Outre son cabinet médical, ouvert en 1989, Robert avait plusieurs investissements. Il est devenu propriétaire partiaire d'un immeuble médical et a investi environ 140 000 $ par le biais de Smart Investments Ltd. (Smart)[1]. Robert explique qu'il a décidé que sa femme devait être propriétaire de leur domicile en raison des risques posés par ses investissements commerciaux, y compris les risques financiers liés à sa pratique médicale.

[6]            Le fonds du raisonnement de l'appelante s'établit comme suit. Après en avoir discuté pendant l'été 1991, l'appelante et Robert ont décidé que l'actif du bien immobilier Westport appartiendrait désormais à l'appelante. Cette décision verbale constitue pour l'appelante le transfert des 50 % de participation de Robert relativement au bien immobilier Westport. Par conséquent, le montant net dégagé de la vente du bien immobilier Westport en 1994 a été intégralement versé à l'appelante. Cette position n'avait pas été invoquée par l'appelante; apparemment, ce n'est qu'au procès qu'elle a été soulevée. L'avocat de l'intimée n'a pas fait valoir d'objection au titre de la procédure.

[7]            L'avocat de l'intimée soutient qu'il n'y a pas eu de transfert au bénéfice de l'appelante en 1991 et que le produit de la vente du bien immobilier Westport lui avait été remis en juin 1994, lorsque Robert a signé une directive autorisant l'acheteur à verser le produit de la vente à l'appelante. Il fait remarquer que le contrat d'achat-vente du bien immobilier Bayview en 1994 avait été rédigé conjointement aux noms de l'appelante et de Robert. L'acte de concession était au seul nom de l'appelante.

[8]            À l'appui de sa position, l'avocat de l'appelante a invoqué l'affaire Biderman c.Canada[2], notamment une citation qu'on y trouve provenant du président Thorson dans la décision Estate of David Fasken v. M.N.R.[3] :

[TRADUCTION]

Le mot « transfert » n'est pas un terme technique. Pour qu'il y ait transfert d'un bien d'un mari à sa femme, il n'est pas nécessaire qu'il soit fait selon une forme particulière, ni qu'il soit fait directement. Il suffit que le contribuable se départisse du bien et le remette à son épouse, c'est-à-dire qu'il lui transmette le bien. Le moyen employé pour atteindre ce résultat, qu'il soit direct ou indirect, peut à juste titre être appelé un transfert.


et, dans McVey c. La Reine[4] :

[...] Il a renvoyé au paragraphe 3 du bulletin d'interprétation de Revenu Canada IT-209R, où le mot « donations » est défini comme suit :

Une donation est généralement un transfert volontaire d'un bien sans contrepartie. Les seuls éléments requis pour qu'il y ait donation sont l'intention et la capacité pour le donateur de faire le don, la livraison complète au donataire et l'acceptation du don par le donataire.

[9]            L'avocat de l'intimée n'était pas préparé en vue de discuter de la nouvelle position de l'appelante et s'est contenté de réitérer qu'il était impossible pour Robert de transférer son intérêt à l'égard du bien immobilier Westport en énonçant la simple intention de ce faire pendant l'été 1991. Je suis d'accord avec lui.

[10]          Avant de conclure l'audience, j'ai renvoyé les parties à l'affaire Barnabe, succession c. Canada (C.A.)[5]. Dans Barnabe, le contribuable a rencontré son comptable afin de discuter du transfert de ses biens à une société dont il était le seul actionnaire. Il est mort dix jours plus tard avant d'avoir poursuivi les démarches en ce sens. Le juge Sexton, le juge Strayer souscrivant à ses motifs, conclut qu'il y a bel et bien eu disposition des biens du contribuable conformément à l'article 85 de la Loi. Le juge Robertson était résolument dissident. Je n'ai aucune peine à distinguer les faits dans Barnabe de ceux qui nous occupent en l'espèce. Dans l'affaire Barnabe, la Cour d'appel fédérale s'est appuyée sur le témoignage incontesté du comptable de Barnabe et sur « les faits de l'espèce » . Les biens transférés étaient des biens agricoles, et non des biens immobiliers. Le mode de transfert de Barnabe a été accepté aux fins de l'article 85. M. Barnabe concluait un contrat avec lui-même.

[11]          Les règles de droit contractuel ordinaires s'appliquent aux contrats concernant le transfert de biens-fonds. Je n'accepte pas le témoignage de l'appelante et de Robert selon lequel l'intérêt de ce dernier dans le bien immobilier Westport aurait été transféré à sa femme en 1991. Il faut plus qu'une intention ou une vague conversation pour transférer un intérêt dans un bien immobilier. Le droit contractuel exige un énoncé clair du transfert, de l'acceptation et de la livraison. Il est possible que Robert et l'appelante aient décidé, à un moment donné entre 1991 et 1994, que l'appelante seule serait titulaire du droit de propriété dans leur deuxième domicile. Il n'y avait pas de crise ou de nécessité obligeant au transfert de Westport en 1991. J'estime que nous nous trouvons en présence d'une situation où les souvenirs de témoins sincères de faits remontant à plusieurs années auparavant ont été adaptés à leurs circonstances actuelles.

[12]          Même si j'acceptais explicitement leur preuve relative à un transfert de propriété dans le bien immobilier en 1991, je n'aurais aucune difficulté à statuer qu'au regard de la loi, il n'y a pas eu de disposition du bien.

[13]          Robert et l'appelante pouvaient bien avoir la disposition à l'esprit en 1991, mais ce n'est pas suffisant pour effectuer le transfert. La seule façon que je puisse envisager pour Robert de disposer de sa tenance conjointe serait par le biais d'un acte de transport ou de transfert. Robert n'a pas renoncé à la possession en 1991. Il a continué d'occuper son domicile comme auparavant. Il a continué de payer au moins la moitié des coûts de possession. Lorsqu'on arrange ses affaires personnelles entre mari et femme à des fins fiscales, la forme a de l'importance, comme l'a déclaré le juge Linden, J.C.A., dans l'affaire La Reine c. Friedberg[6] :

En droit fiscal, la forme a de l'importance. Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil 91 DTC 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise.

Il n'y a pas eu de transport effectif de l'intérêt conjoint de Robert dans le domicile. Celui-ci était encore enregistré en leurs deux noms au moment de sa vente en 1994.

[14]          L'appelante est tenue de payer les montants de 37 561,41 $, de 11 552,74 $ et de 5 000 $ conformément à l'article 160. Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 29e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-383(IT)G

ENTRE :

CATHERINE LOUISE FALLIS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 21 novembre 2001 à St. Catharines (Ontario), par

l'honorable juge C.H. McArthur

Comparutions

Avocat de l'appelante :        Me H.A. Patrick Little

Avocat de l'intimée :            Me Charles Camirand

JUGEMENT

                Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont les avis sont datés du 6 janvier 2000 et portent les numéros 15309, 15310 et 15311, sont rejetés avec dépens.


Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 29e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           Par la suite, Smart a fait faillite et il a perdu son investissement. Sa demande de déduction lui a été refusée dans la nouvelle cotisation de décembre 1995. En 1997, il a déposé son bilan. En 1998, l'appelante s'est vu imposer les montants que son mari avait avancés pour l'achat du domicile Bayview, qui était enregistré en son nom à elle seulement.

[2]           [2000] A.C.F. no 194.

[3]           49 DTC 491, à la page 497.

[4]           C.C.I., no 94-686(IT)G, 14 février 1996, à la page 10 (96 DTC 1225, à la page 1229).

[5]           [1999] 4 C.F. 541 (99 DTC 5387).

[6]           C.A.F., no A-65-89, 5 décembre 1991, à la page 3 (92 DTC 6031, à la page 6032).

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