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Date: 20010608

Dossiers: 2000-1865-IT-I

ENTRE :

JAMES W. BUCHNAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Appel entendu par Mme le juge Campbell, de la Cour canadienne de l'impôt, dans la salle d'audience no 3, 9e étage, Merrill Lynch Canada Tower, 200, rue King Ouest, Toronto (Ontario) le 1er jour de juin 2001.

(Rendus oralement à l'audience à

Toronto (Ontario), le 1er juin 2001)

                Comparutions

                Lembi Buchanan                                                             Représentante de l'appelant

                Me Sointula Kirkpatrick                                                 Avocate de l'intimée

Elsie P. Menezes - greffière-audiencière

Par : Kathy Toy (sténographe)

JUGEMENT RENDU ORALEMENT

Les appels en l'espèce sont interjetés à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1997 et 1998. Dans le calcul de l'impôt payable pour les deux années en question, l'appelant a demandé un crédit d'impôt pour personnes handicapées.

                Il s'agit de déterminer si, au cours des années d'imposition 1997 et 1998, l'appelant avait une déficience mentale ou physique grave et prolongée au sens des articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dans sa version modifiée. Le paragraphe 118.3(1) est libellé dans les termes suivants :

Crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique.

(1) [ ...], si les conditions suivantes sont réunies :

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) un médecin en titre ou, s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

[...]

Je ne verserai pas au dossier l'alinéa c), qui énonce la formule applicable.

                Le paragraphe 118.4(1) est reproduit ci-après :

Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a)     une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b)     la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c)      sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

        (i) la perception, la réflexion et la mémoire,

        (ii) le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

                                        (v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

                                        (vi) le fait de marcher,

d)     il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

                Le particulier qui demande un crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu du paragraphe 118.3(1) doit avoir une déficience qui dure au moins 12 mois d'affilée ou dont il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée, et les effets de cette déficience doivent être tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée. L'article 118.4 dit ensuite que la capacité du particulier est « limitée de façon marquée » dans les cas où, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, le particulier est toujours ou presque toujours incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif.

                L'alinéa 118.4(1)c) définit ensuite les « activités courantes de la vie quotidienne » .

                L'appelant souffre d'une maladie affective bipolaire caractérisée par des changements d'humeur marqués, allant de la manie à la dépression.

                À l'appui de sa demande de crédit d'impôt pour personnes handicapées, l'appelant soutient que sa capacité de réfléchir, de percevoir et de se souvenir est toujours ou presque toujours limitée de façon marquée. Le crédit a été accordé à l'appelant de 1990 à 1995.

                L'appelant n'a pas témoigné et il n'a pas non plus assisté à l'audition. Son épouse, Lembi Buchanan, qui a le pouvoir d'agir pour son époux aux termes d'une procuration, a témoigné. Son témoignage nous a permis de très bien comprendre la raison pour laquelle l'appelant ne s'est pas présenté. À mes yeux, la meilleure preuve de l'état de santé mentale de l'appelant nous a été fournie par Mme Buchanan qui, grâce à sa force et à sa grandeur d'âme, a vécu auprès de son époux pendant 30 ans. Même si ce dernier avait été en mesure de combattre le stress causé par une comparution en cour, je ne crois pas que j'aurais pu évaluer son état mental à la suite d'une brève comparution. Dans nombre de cas, on peut tirer une inférence défavorable d'une omission de témoigner. Dans ce cas-ci, je n'entends pas le faire.

                L'appelant souffre d'une maladie affective bipolaire appelée aussi psychose maniaco-dépressive. Mme Buchanan a décrit de façon détaillée les antécédents et l'état de son époux de 1973, année de leur mariage, à aujourd'hui. Éloquente et intelligente, elle a donné un témoignage lucide et éclairé sur la maladie dont souffre son époux. Elle a témoigné de façon claire et franche, et c'est sans réserve que j'accepte son témoignage.

                L'appelant, qui est dans la cinquantaine, a été hospitalisé dès 1966. Il a dû être soumis à des électrochocs en raison des dépressions profondes dans lesquelles il sombrait. C'est à New York en février 1973 que, à la suite d'une grave dépression de l'appelant, la maladie affective bipolaire a été diagnostiquée. Des travailleurs avaient découvert l'appelant, à moitié dévêtu par un froid sibérien, sur le toit de la Cathédrale St-Patrick. Si je me rappelle bien le témoignage de Mme Buchanan, il avait escaladé un échafaudage pour se rendre sur le toit après avoir endommagé l'autel de la Cathédrale dans l'intention de le purifier. Il a déclaré qu'il attendait l'arrivée d'un hélicoptère qui le mènerait directement à Dieu.

                Au cours d'une autre crise survenue subséquemment, il a quitté sa résidence un matin, censément pour aller au travail. Toutefois, à l'insu de Mme Buchanan, il s'est rendu à l'aéroport. Il avait réservé en secret une place sur un vol de la Nouvelle-Écosse à destination de Los Angeles, où il devait accepter un oscar en récompense des [TRADUCTION] « bonnes actions qu'il avait accomplies pour la race humaine » , en tant que Dieu. Il s'est bel et bien rendu à Los Angeles, où il a loué une automobile; toutefois, durant le trajet vers l'endroit où avait lieu la cérémonie de remise des prix, il a été pris en chasse par la police, qui a tenté de lui faire quitter l'autoroute. C'est à ce moment que l'appelant a réalisé qu'il valait mieux modifier son plan : il a décidé de ne pas assister à la remise des prix et de retourner en Nouvelle-Écosse en automobile. L'épouse de l'appelant a produit un extrait d'un journal faisant le récit de la poursuite policière à haute vitesse, qui a pris fin 65 milles plus loin, lorsque l'appelant a pris conscience que le véhicule n'avait plus beaucoup d'essence. D'après Mme Buchanan, son époux a calmement refusé de descendre du véhicule au milieu des carabines pointées vers lui, croyant qu'il deviendrait peut-être un héros si les policiers l'abattaient. L'appelant a une fois de plus été hospitalisé, en Californie et en Nouvelle-Écosse.

                L'appelant a eu une rechute grave en 1990. Il était persuadé qu'il était Dieu et croyait avoir le contrôle du destin de Mme Buchanan, qui était atteinte d'un cancer et très malade. Il a de nouveau été hospitalisé contre sa volonté dans une unité psychiatrique. Après qu'il a eu agressé des membres du personnel de l'unité, dont son médecin, on a craint qu'il puisse causer des blessures corporelles à d'autres personnes. L'appelant était convaincu que la façon dont son médecin clignait des yeux avait quelque chose de sinistre. Malgré tout cela, il a été capable de se renseigner auprès d'un avocat et de demander la révision de son statut de personne pouvant faire l'objet d'une hospitalisation non volontaire. Ce statut a en bout de ligne été annulé et l'appelant a été libéré. Mme Buchanan a déclaré que son époux ne s'était jamais remis de cette crise survenue en 1990. Elle, par contre, s'est rétablie du cancer, que les médecins croyaient pourtant en phase terminale.

                Après cela, l'appelant a perdu la capacité de se concentrer; il s'est lancé dans des dépenses excessives, s'est replié sur lui-même, est devenu incapable de lire le journal, a commencé à avoir de la difficulté à dormir, a continué d'être irritable et hostile en plus d'avoir des changements d'humeur allant de la manie aiguë à la dépression profonde. Mme Buchanan a déclaré que l'usage d'antidépressifs risquait en fait de déclencher une autre crise de manie. L'appelant a continué à avoir des rechutes graves. À un moment donné, en 1993, il a réussi à prendre des dispositions pour échanger le véhicule familial contre une Jaguar, qu'il destinait à son fils. Le lendemain, il était de nouveau hospitalisé. Jusqu'à ce qu'il ait une conversation avec Mme Buchanan, le vendeur d'automobiles ignorait complètement que l'appelant était gravement malade. Après avoir conclu l'échange et l'achat du véhicule, l'appelant, en compagnie de son épouse, a assisté à une soirée où, encore une fois, personne, sauf Mme Buchanan, n'a pu se rendre compte de la gravité de l'état de l'appelant. Mme Buchanan a réalisé que quelque chose n'allait pas lorsque son époux lui a parlé de son projet de produire une comédie musicale. Mme Buchanan a encore une fois pris des dispositions pour que son époux soit hospitalisé le lendemain. Pendant son hospitalisation, l'appelant a réussi à prendre des arrangements par téléphone avec un agent de voyages pour organiser des vacances en Floride.

                Lors de crises récentes, il a utilisé de l'argent que Mme Buchanan avait mis de côté pour payer l'épicerie et le loyer afin de se rendre à Washington assister à ses opéras préférés. Il a réservé également des billets de 2 500 $ américains chacun pour assister à un dîner. Lorsque Mme Buchanan a découvert le pot-aux-roses, il était trop tard pour annuler l'achat. Les dons de bienfaisance de l'appelant sont un autre exemple de dépenses excessives, qui sont typiques de la maladie.

                Mme Buchanan a témoigné que son époux pouvait masquer suffisamment son comportement incohérent et ses actions impulsives et irrationnelles pour faire certaines choses, comme acheter la Jaguar, organiser les vacances en Floride, acheter des billets pour un dîner à un coût de 5 000 $, trouver des investisseurs potentiels pour une comédie musicale qu'il voulait produire, et faire révoquer son statut de personne pouvant faire l'objet d'une hospitalisation non volontaire. Mme Buchanan a déclaré que, bien que la perception qu'a son époux de la réalité soit embrouillée et que, en conséquence, sa pensée soit déformée, il peut s'occuper de certaines choses avec lucidité, comme par exemple prendre des dispositions en secret pour réserver un vol de la Nouvelle-Écosse à destination de la Californie, prendre l'avion, prendre le vol de correspondance, puis louer une automobile - mais il accomplit tout cela dans le but d'aller recevoir un oscar en sa qualité de Dieu. Mme Buchanan a déclaré qu'aux yeux du public il peut donner l'impression de mener une existence normale et d'être lucide tout en étant en proie à une crise grave. Elle a déclaré qu'il avait un [TRADUCTION] « don fascinant pour cacher ses symptômes » , se réfugiant, comme elle l'a dit, derrière [TRADUCTION] « une façade de normalité » .

                Il est difficile de faire la distinction entre les périodes au cours desquelles il est lucide et celles au cours desquelles il est perturbé. Mme Buchanan a déclaré que, tous les jours, son processus de pensée et son jugement sont troublés, bien que cela puisse ne pas être apparent pour ceux qui l'entourent, ni même pour son médecin. L'appelant se sent bien tous les jours, mais plus il se sent bien, plus son état s'aggrave. Il risque à tout moment d'avoir une rechute grave nécessitant son hospitalisation. Ainsi que l'a décrit Mme Buchanan, il s'agit d'une maladie dont les [TRADUCTION] « symptômes permanents varient en gravité » . On ne peut jamais savoir, a-t-elle déclaré, à quel moment il complote de se livrer à des gestes incohérents et irrationnels.

                Le Dr Robert Cooke est le psychiatre de l'appelant depuis 1993. Entre les différentes périodes d'hospitalisation, il le voit tous les mois. Le Dr Cooke a été appelé à témoigner par l'intimée. C'est lui qui a rempli et signé le certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées daté du 20 août 1998. À la page 1 du certificat, le Dr Cooke a coché la case où il est indiqué que la capacité de l'appelant est limitée de façon marquée de manière permanente et, ce, depuis le mois de décembre 1990. Il a aussi coché la case « Facultés mentales » pour indiquer de quelle façon marquée l'appelant était limité. À la page 2 du certificat, cependant, le médecin a coché la case « oui » à la question : « Votre patient est-il capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie si nécessaire? » . Il a ensuite coché « non » à la question suivante : « La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne même si le patient utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie? » .

                L'intimée soutient que l'appelant n'a pas droit au crédit pour personnes handicapées parce qu'il ne souffre pas d'une déficience prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne pour ce qui est de penser, de percevoir et de se souvenir est toujours ou presque toujours limitée de façon marquée. L'intimée soutient également que, même si la Cour rejette le premier argument, je n'ai aucune compétence pour admettre l'appel, compte tenu des remarques et des conclusions faites par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire R. c. MacIsaac, C.A.F., no A-661-98, 3 décembre 1999 ([2000] 1 C.T.C. 307) relativement aux certificats remplis par les médecins. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'exigence prévue dans la Loi relativement à ces certificats créait une obligation et non simplement une directive. La Cour a ensuite déclaré à la page 4 (C.T.C. : à la page 310), et je cite :

Dit simplement, selon le libellé de ces dispositions, il doit y avoir une attestation faite par un médecin qui indique que l'individu souffre de déficiences.

                L'intimée soutient enfin que le médecin de l'appelant, le Dr Cooke, a 20 ans d'expérience et que l'appelant est son patient depuis 8 ans, ce qui amène l'avocat de l'intimée à affirmer : [TRADUCTION] « nous ne pouvons pas, non plus que la Cour, faire abstraction de ce fait » . Je me pencherai d'abord sur le deuxième argument de l'intimée.

                Le Dr Cooke a témoigné que l'appelant était [TRADUCTION] « handicapé en raison de sa maladie » dans la mesure où il était incapable de travailler et se comportait de façon antisociale et incohérente, où il était sujet à des accès imprévisibles où son jugement était affaibli et où il prenait des décisions impulsives en raison de ses troubles mentaux. Le médecin a déclaré que, dans un certain nombre de domaines, la capacité de réflexion et de perception de l'appelant était perturbée. Il a indiqué que l'appelant pouvait se donner une contenance aux yeux du public même lorsqu'il était très malade. Il a ajouté que, tout en étant mentalement perturbé, l'appelant pouvait agir avec efficacité à certains égards ou faire la preuve d'une certaine compétence, alors que le reste de son processus de pensée était perturbé. Bien sûr, les faits soumis en l'espèce appuient clairement cette prétention. L'appelant a pu convaincre un vendeur d'automobiles qu'il achetait une Jaguar pour son fils même si les ressources de la famille ne le lui permettaient pas. Il a pu également conduire avec adresse et compétence un véhicule loué sur une distance de 65 milles alors qu'il était pourchassé par la police de la Californie, tout en ayant la conviction qu'il était Dieu et qu'il allait recevoir un oscar. Lorsqu'il a vu qu'il allait manquer d'essence, il a eu suffisamment de jugement pour immobiliser son véhicule sur l'accotement. Il a été capable également de retenir les services d'un avocat pour faire révoquer son statut de personne pouvant faire l'objet d'une hospitalisation non volontaire, en dépit du fait qu'il estimait que le clignement des yeux de son médecin avait quelque chose de sinistre. En d'autres termes, il peut se faire passer pour un homme très intelligent et lucide alors qu'il est en pleine crise et que son comportement est irrationnel et imprévisible. En fait, le Dr Cooke a déclaré que l'appelant pouvait être très malade sans que son médecin lui-même s'en aperçoive.

                Cependant, le Dr Cooke estimait que la capacité de l'appelant d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne [TRADUCTION] « telles qu'il les a définies » , et j'insiste sur ces mots, n'est pas diminuée. Il a déclaré que, [TRADUCTION] « sur le plan médical, ces activités se rapportent à l'hygiène personnelle, au fait de monter les escaliers ou de faire le tour du pâté de maisons à pied, de se nourrir, de tenir une simple conversation, de prendre des rendez-vous, de conduire une automobile et d'être en mesure de retrouver son chemin » . Le Dr Cooke a exposé encore plus clairement son interprétation des articles pertinents de la Loi dans une lettre, datée du 18 août 1998, qu'il a adressée à l'appelant :

                                [TRADUCTION]

Le point essentiel est que le crédit d'impôt pour personnes handicapées est destiné aux personnes qui sont handicapées au point d'avoir besoin d'une supervision presque continue et qui ne peuvent même pas vivre de façon autonome à la maison, encore moins au travail. (Je souligne.)

                Il énonce ensuite de façon plus détaillée ses notions et opinions préconçues dans un long exposé de [TRADUCTION] « son opinion sur le sujet » , comme il le dit lui-même. Dans cet exposé, le Dr Cooke formule la conclusion suivante :

                                [TRADUCTION]

En fait, la plupart des patients ayant des troubles d'humeur comme la dépression et la maladie affective bipolaire N'ONT PAS droit au crédit d'impôt, celui-ci étant destiné aux personnes si gravement handicapées qu'elles ont de la difficulté à accomplir les activités les plus simples, qui consistent à prendre soin d'elles-mêmes. [...]

Il conclut l'exposé, ainsi qu'il le qualifie lui-même, dans les termes suivants :

                                [TRADUCTION]

Je remplis volontiers le formulaire de demande de crédit d'impôt, mais la plupart de mes patients constateront qu'ils n'ont pas droit au crédit d'impôt en raison de l'information que je fournis.

                Il est clair que le Dr Cooke se donne pour mission de faire en sorte que les patients n'obtiennent pas le crédit pour personnes handicapées, estimant, d'après son interprétation de la Loi, qu'ils n'y auraient par ailleurs pas droit. Étant donné qu'il s'est fondé sur sa propre interprétation de ces articles et sur ses propres notions préconçues à propos des activités qui pourraient être visées, ses préjugés à cet égard ont eu une telle influence sur la manière dont il a rempli la page 2 du certificat que je ne puis accepter ce dernier comme étant l'expression d'une opinion médicale indépendante et impartiale. Il ressort clairement des faits et de la preuve que, lorsqu'il a répondu aux questions posées dans le formulaire, le médecin est arrivé à la conclusion erronée que la plupart des personnes atteintes d'une déficience mentale n'avaient pas droit au crédit, celui-ci étant soi-disant destiné plutôt à ceux (comme il l'a écrit dans ses lettres à l'appelant) qui ont de la difficulté [TRADUCTION] « à se nourrir, à s'habiller, à utiliser les toilettes ou à tenir une simple conversation » . Manifestement, il n'a pas compris que les six éléments de la définition d'une activité courante de la vie quotidienne énoncée à l'alinéa 118.4(1)c) ne doivent pas être considérés de façon collective, que chaque activité doit être traitée séparément. La préposition « or » est utilisée dans le texte anglais de la disposition en question. Lorsqu'il a écrit ensuite que la plupart de ses patients n'auront pas droit au crédit en raison de l'information qu'il fournit, il a fait preuve d'une partialité évidente. Pour ce motif, je conclus qu'il a mal compris la nature de ses responsabilités au regard du formulaire à partir du moment où il se substitue au juge et au jury. Ce faisant, il a non seulement mal interprété son rôle, mais il a aussi mal interprété les articles pertinents de la Loi. Je crois que les remarques faites dans l'affaire MacIsaac par la Cour d'appel fédérale ne visaient pas les cas où il y a une preuve claire que celui qui a rempli le certificat a fait montre de partialité et a mal interprété la Loi.

                Dans l'affaire Radage c. La Reine, C.C.I., no 95-1014(IT)I, 12 juillet 1996 (96 DTC 1615), le juge en chef adjoint Bowman, de la Cour, a analysé longuement les termes « la perception, la réflexion et la mémoire » . Le juge Bowman a souligné les difficultés évidentes auxquelles on doit faire face lorsqu'on tente d'arriver à une définition raisonnable de ces termes, et il a fait une mise en garde relativement à leur application à la « multitude de problèmes mentaux » dont les gens peuvent souffrir. Dans l'une de ses conclusions, le juge Bowman a déclaré aux pages 21 et 22 (DTC : aux pages 1624 et 1625) :

Il est plus facile de reconnaître que de définir la capacité ou l'incapacité de percevoir, de penser ou de réfléchir et de se souvenir. Il faut chercher, cas par cas, à établir le type de déficience dont souffre la personne et à déterminer si cette déficience est d'une telle gravité que d'accorder l'allégement fiscal visé aux articles 118.3 et 118.4 correspondrait à l'objet de ces dispositions. [...]

[...] Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres et, jusqu'à un certain point, de la perception de la Cour quant à la gravité du problème. À la question de savoir où il convient de fixer les limites, je ne puis que répondre que, dans une affaire donnée, je fixe les limites là où le bon sens me l'indique, selon la preuve présentée et d'un point de vue compatissant par rapport au but que visait à mon avis le législateur à l'article 118.3.

Puis, il énonce les principes juridiques sur lesquels il fonde ses décisions dans les affaires portant sur le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Le juge Bowman donne une définition concise de chacun des termes pertinents :

La perception : Réception et reconnaissance de données sensorielles sur le monde extérieur d'une manière raisonnablement conforme à l'expérience humaine commune.

La pensée : Compréhension, sélection, analyse et organisation rationnelles de ce que la personne a perçu et formulation de conclusions y afférentes ayant une utilité pratique ou une valeur théorique.

La mémoire : Activité mentale consistant à emmagasiner des données perçues et à les récupérer d'une manière qui permette à la personne d'accomplir raisonnablement l'activité qu'est la pensée.

En bout de ligne, le juge Bowman s'est efforcé d' « interpréter ces termes d'une manière sensée, pratique et compatissante donnant effet à l'intention du législateur » .

                Conformément aux lignes directrices formulées dans cette affaire, je dois décider, relativement à la déficience mentale de l'appelant, si sa capacité de perception, de réflexion et de mémoire est limitée de façon suffisamment marquée, au sens de la Loi, pour lui donner droit au crédit. Je suis convaincue, compte tenu des faits présentés, que la preuve permet de conclure que la déficience de l'appelant est suffisamment grave pour qu'il soit justifié de lui accorder le crédit. Bien que l'appelant soit certainement en mesure d'exercer efficacement des activités dans certains domaines, sa déficience influence profondément toute son existence. Les faits démontrent que l'appelant peut accomplir une activité qui semble rationnelle aux yeux d'un étranger alors que tous ses autres processus de pensée se décomposent en une série d'activités excentriques, bizarres et potentiellement dangereuses. Cependant, la capacité de l'appelant de percevoir, de réfléchir et de se souvenir, bien qu'elle ne soit pas complètement nulle, est si limitée que sa vie entière en est perturbée à un degré tel qu'il est incapable d'accomplir les processus mentaux nécessaires pour vivre et agir de façon autonome et efficace au quotidien. Je suis convaincue, compte tenu des faits présentés, que, sans la supervision, le soin et l'appui constants de Mme Buchanan, l'appelant serait incapable de vivre seul. Le Dr Cooke a déclaré dans le certificat que les facultés mentales de l'appelant étaient limitées de façon marquée et permanente. Les faits appuient cette conclusion, et je juge que l'état de l'appelant et le comportement qui en découle excèdent à ce point le domaine de la normalité et les limites du raisonnable qu'ils entrent dans le champ d'application par ailleurs restreint des dispositions de la Loi en cause ici. Compte tenu des définitions énoncées dans l'affaire Radage, j'estime que les faits permettent de conclure que l'appelant est incapable (1) de recevoir et de reconnaître des données sur le monde extérieur d'une manière raisonnablement conforme à l'expérience humaine commune, (2) de comprendre, de sélectionner, d'analyser et d'organiser de façon rationnelle ce qu'il perçoit et de formuler des conclusions y afférentes ayant une utilité pratique ou une valeur théorique, et (3) d'emmagasiner des données perçues puis de les récupérer de manière à lui permettre d'accomplir raisonnablement l'activité qu'est la pensée.

                Les faits démontrent très clairement que les processus de pensée de l'appelant ne sont pas rationnels, logiques et organisés. Son jugement ne lui permet pas de mener des activités de manière raisonnable et indépendante. Son cas est évident. D'ailleurs, il a reçu le crédit jusqu'à ce que le Dr Cooke soit appelé à remplir un certificat médical et prenne sur lui d'interpréter, ou plus exactement de mal interpréter, la Loi.

                Les appels sont admis et les cotisations pour les années d'imposition 1997 et 1998 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées conformément aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi.

                En terminant, j'aimerais commenter les remarques de l'avocat de l'intimée relativement à un engagement qu'il a pris dans la présente affaire lors d'un ajournement il y a de cela plusieurs mois. Il ressort très clairement de la transcription de la procédure en question que, lorsque sa demande d'ajournement a été accueillie, Me Simser a pris l'engagement envers la Cour de s'entretenir avec l'épouse de l'appelant au sujet de questions relatives à la preuve. Lorsque j'ai demandé à Me Simser au début de l'audition si cela avait été fait, non seulement a-t-il répondu qu'il n'y avait eu aucune communication entre les parties, mais il a ajouté qu'il s'agissait de toute façon de l'engagement de l'appelant, et non du sien. Il ressort très clairement de la transcription que l'engagement était celui de l'avocat de l'intimée, qui en a fait abstraction avec beaucoup d'insouciance. En tant qu'officier de justice, l'avocat qui prend un engagement explicite de cette nature doit le respecter.

                La tentative de l'avocat de l'intimée de faire passer l'engagement en question pour celui de l'appelant est à mes yeux répréhensible et fallacieuse. Je crois que l'avocat devrait à tout le moins assumer la responsabilité d'un engagement qu'il n'a pas respecté au lieu de chercher à jeter le blâme sur une partie non représentée.

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de février 2002.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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