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Date : 20010511

Dossier : 96-4730-IT-G

ENTRE :

MARCEL LACHANCE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Marcel Lachance interjette appel de cotisations d'impôt établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1991, 1992 et 1993. Le ministre a ajouté au revenu de monsieur Lachance la valeur d'avantages que la société Comptabilité E.G.L. Inc. (EGL) aurait conférés à ce dernier. Ces avantages résulteraient du fait qu'EGL a payé des frais relatifs à la résidence (frais de résidence) de monsieur Lachance et des frais de repas (frais de repas) de ce dernier. Le tableau ci-dessous décrit les redressements effectués par le ministre.

Les faits

1991

1992

1993

Avantages : loyer

    repas

Avantage total

6 869

3 191

10 060

4 807

3 994

8 801

4 128

2 126

6 254

[2]            Tel qu'il appert au paragraphe 3 de la Réponse modifiée à l'avis d'appel, le ministre a tenu pour acquis, lors de l'établissement des cotisations, les faits suivants :

a)              durant les années en litige l'appelant était à l'emploi de la société " Comptabilité E.G.L. Inc. " (la société);

b)             la société avait son siège social au sous-sol de la résidence de l'appelant;

c)              la société payait toutes les dépenses de la résidence de l'appelant;

d)             lors du calcul de son revenu pour les années en litige l'appelant a considéré que seulement 35 % de la superficie totale de sa résidence était occupée par celui-ci à des fins personnelles;

e)              lors d'une vérification effectuée par un représentant du ministre du Revenu national, ce dernier détermina que l'appelant occupait 50 % de la superficie totale de sa résidence à des fins personnelles;

f)              de plus, au cours des années en litige, la société a payé certaines dépenses personnelles de l'appelant pour des repas pris par celui-ci, au restaurant et à sa résidence.

Monsieur Lachance a admis tous ces faits, sauf ceux énoncés aux alinéas a) et f).

[3]            EGL a été constituée en société selon la Loi sur les compagnies du Québec le 28 décembre 1990 et sa seule actionnaire est la femme de monsieur Lachance. L'entreprise d'EGL consiste à fournir des services de tenue de livres comptables et de consultation en matière comptable et financière. Pour son premier exercice terminé le 31 janvier 1992, EGL a subi une perte de 6 641 $. À cette date, son capital versé s'élevait à 10 $. Pour son deuxième exercice, EGL a réalisé un bénéfice net de 31 997 $.

[4]            Selon la version de monsieur Lachance, EGL n'avait aucun employé. Toutes les personnes qui travaillaient pour cette société étaient des travailleurs autonomes. À part monsieur et madame Lachance, EGL utilisait généralement les services d'une autre personne à temps plein et de deux autres à temps partiel. Monsieur Lachance consacrait de 80 à 90 heures de travail par semaine aux clients d'EGL et à la gestion de cette société. Comme revenu de travailleur autonome, monsieur Lachance a déclaré un montant de 13 500 $ en 1991, de 11 000 $ en 1992 et de 31 000 $ en 1993. Madame Lachance consacrait à EGL entre 30 et 40 heures par semaine. Elle s'occupait notamment du service de la paie et faisait la tenue de livres pour les clients d'EGL. Monsieur Lachance n'était membre d'aucun ordre professionnel. Il a par contre fait des études en actuariat et en sciences comptables.

[5]            La résidence de monsieur Lachance, située à Cap-Rouge, près de Québec, est une maison d'un étage et demi, de style canadien, construite en 1980. Au rez-de-chaussée, on retrouve une cuisine, une salle à manger et un salon. À l'étage supérieur, il y a deux chambres, dont une chambre des maîtres, et une salle de bain. Au sous-sol, se trouvent quatre bureaux ainsi qu'une salle de toilette. Seulement trois des bureaux sont fermés. Monsieur Lachance occupait un bureau de coin fermé, tandis que madame Lachance et le reste du personnel utilisaient le bureau non fermé. Monsieur Lachance a indiqué qu'on pouvait utiliser à l'occasion la salle à manger du rez-de-chaussée pour certaines réunions avec des clients. De plus, on avait entreposé certains dossiers dans la plus petite des deux chambres situées à l'étage supérieur.

[6]            Monsieur Lachance a pu trouver entre 90 et 97 % des pièces justificatives relatives aux frais de repas déduits par EGL pour les exercices de 1992, 1993 et 1994. Environ de 7 à 10% des frais de repas pour lesquels il a fourni des pièces justificatives ont trait à des repas livrés à domicile.

[7]            Monsieur Lachance a préparé un sommaire décrivant chacune des pièces justificatives. Il y indique la date de la pièce justificative, le nom du restaurant, l'endroit où le repas a été consommé (soit à la maison ou au restaurant), le nom de la personne rencontrée, l'entreprise pour laquelle cette personne travaillait et le motif de la rencontre. Finalement, ce sommaire fournit comme renseignements pour chaque facture le coût du repas, le montant de la TPS et de la TVQ et le montant total de la facture.

[8]            Plusieurs des pièces justificatives sont des factures établies par des entreprises de restauration rapide pour des montants aussi minimes que 5,21 $ (net de taxes) et à l'égard desquelles monsieur Lachance a fourni le nom de la personne rencontrée. Notamment, pour le mois de février 1991, on retrouve neuf factures d'un total de moins de 15 $ (entre 5,21 $ et 13,23 $) chacun et quatre factures dont le montant dépasse dans chaque cas 15 $ (la facture la moins élevée étant de 19,90 $, et la plus élevée, de 41,17 $).

[9]            Lors de son témoignage, monsieur Lachance a indiqué qu'il n'avait jamais été l'intention d'EGL de lui conférer un avantage. Il a indiqué à la Cour que, si lui et son épouse avaient su qu'une partie des frais de résidence et de repas constituaient des dépenses personnelles, ils auraient réduit leur compte d'avances à EGL. Au 31 janvier 1992, celui de madame Lachance s'élevait à 9 476 $. Au 31 janvier 1993, les comptes d'avances de monsieur et madame Lachance s'élevaient à 32 268 $, et au 31 janvier 1994, à 70 323 $. Les avances faites par monsieur et madame Lachance ne portaient aucun intérêt et aucune modalité de remboursement n'avait été prévue.

Cotisation du ministre

[10]          Dans l'établissement de sa cotisation, le ministre a tenu pour acquis que monsieur Lachance était un employé d'EGL et qu'il avait joui d'avantages imposables dont la valeur devait être incluse dans son revenu en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). Il a considéré que la résidence de monsieur Lachance avait été utilisée à 50 % pour l'entreprise d'EGL et à 50 % pour des fins personnelles. Comme le couple Lachance avait remboursé 35 % des frais de résidence en réduisant leur compte d'avances, la valeur de l'avantage imposable représentait 15 % des frais de résidence. Quant aux frais de repas, le ministre en a considéré 50 % comme des dépenses personnelles.

Analyse

[11]          À mon avis, le ministre a eu raison de considérer monsieur Lachance comme un employé d'EGL. Le fait qu'il était responsable de l'administration de celle-ci et qu'il consacrait un nombre considérable d'heures à l'entreprise de cette société m'amène à croire qu'il existait un lien de subordination entre elle et monsieur Lachance. La conduite de monsieur Lachance correspond davantage à celle d'un employé qu'à celle d'un travailleur autonome. Le fait pour une personne de n'avoir pratiquement qu'un seul client qui l'occupe de façon aussi soutenue laisse plutôt croire que ce client est l'employeur de cette personne.

Frais de résidence

[12]          Reste à déterminer si le ministre a eu raison d'inclure dans le revenu d'emploi de monsieur Lachance la valeur des avantages que représentait le paiement des frais de résidence et de repas. À mon avis, le simple fait d'exploiter une entreprise dans une résidence privée et d'utiliser certaines pièces de la résidence dans le cadre de cette entreprise ne signifie pas nécessairement que l'on puisse déduire tous les frais relatifs à ces pièces. Il faut tenir compte de plusieurs facteurs, dont notamment l'espace occupé, sa qualité et la fréquence de son utilisation. Un espace situé dans un sous-sol n'a pas la même qualité que celui situé au rez-de-chaussée. Il faut aussi tenir compte de l'utilisation de cet espace à des fins domestiques et de la nécessité de cet espace pour fournir un confort minimum aux occupants de la résidence.

[13]          Je crois que le ministre a été ici plus que généreux en considérant 50 % des frais de résidence de monsieur Lachance comme des dépenses engagées par EGL dans le but de gagner un revenu d'entreprise. Par contre, je n'ai pas été convaincu que monsieur Lachance avait joui d'un avantage imposable visé à l'alinéa 6(1)a) de la Loi lorsqu'EGL a payé ses frais personnels de résidence. Selon la preuve que j'ai entendue, il n'était pas du tout l'intention d'EGL de conférer un avantage à monsieur Lachance en acquittant ces frais. C'est de façon fortuite que des dépenses personnelles de résidence de monsieur Lachance ont été assumées par EGL.

[14]          Pour qu'il y ait un avantage imposable conféré par un employeur à un employé, il est essentiel que l'avantage ait été accordé sans paiement de sa valeur par l'employé ou sans que l'employeur n'ait droit à un tel paiement. Ici, si monsieur Lachance avait su qu'une partie des frais payés par EGL représentait en fait des dépenses personnelles, il aurait diminué d'autant le montant des comptes des avances du couple Lachance. C'est d'ailleurs ce qui avait été fait pour les 35 % de frais de résidence acquittés par EGL et considérés par monsieur et madame Lachance comme des dépenses personnelles.

[15]          Comme EGL avait le droit de se faire rembourser toute la partie personnelle des frais de résidence et que l'intention véritable du couple Lachance était d'effectuer un tel remboursement, il est difficile de conclure qu'un avantage imposable a été conféré à monsieur Lachance. Évidemment, tant qu'il existait un différend entre lui et le ministre quant à la répartition raisonnable des dépenses entre les activités commerciales d'EGL et les besoins domestiques du couple, monsieur Lachance n'était pas en mesure de déterminer ce qu'il devait à EGL. Il serait raisonnable de s'attendre à ce que, une fois connu le montant total des frais personnels de résidence payés par EGL, le solde impayé soit remboursé à EGL. Si ce montant n'était pas remboursé, la question d'un avantage imposable pourrait se poser à nouveau. Toutefois, je n'ai pas à trancher cette question en l'espèce et je m'abstiendrai de le faire.

Frais de repas

[16]          Monsieur Lachance a présenté de nombreux éléments de preuve pour étayer ses assertions que les frais de repas payés par EGL étaient des dépenses engagées dans le cours normal de son entreprise. Toutefois, je n'ai pas été convaincu que tous ces frais constituaient des dépenses d'entreprise pour EGL. Tout d'abord, monsieur Lachance n'a pas fourni de pièces justificatives à l'égard de 3 à 10 % des frais de repas[1]. Dans le cas d'un certain nombre de pièces, il a été incapable de fournir des renseignements quant à la personne rencontrée ou au motif de la rencontre. Finalement, même lorsque le nom de la personne rencontrée et le motif de la rencontre sont fournis, il est plutôt surprenant de constater que le montant de la facture semble correspondre plutôt au coût d'un repas d'une personne plutôt que de deux. Dans ces circonstances, il m'apparaît raisonnable de considérer qu'au moins 10 % de tous les frais de repas payés par EGL constituaient des dépenses personnelles de monsieur Lachance. La valeur de l'avantage conféré à celui-ci s'élèverait donc à 638 $ pour 1991, à 799 $ pour 1992 et à 425 $ pour 1993.

[17]          Je ne suis pas disposé à accorder le même traitement aux frais de repas que celui que j'ai accordé aux frais de résidence. Dans le cas des frais de résidence, il pouvait exister une incertitude quant à la détermination du pourcentage raisonnable pour ce qui est de la répartition de l'utilisation de la résidence entre les fins d'affaires et les fins personnelles. Dans le cas des frais de repas, je ne crois pas que cette incertitude existait. Je tiens pour acquis que monsieur Lachance savait pertinemment que certains de ces frais représentaient des dépenses personnelles. Dans ces circonstances, comme les frais personnels de repas n'ont pas été remboursés par monsieur Lachance, j'en conclus que l'intention d'EGL était de conférer un avantage à monsieur Lachance et que ce dernier n'avait aucune intention de les rembourser.

[18]          Pour ces motifs, les appels de monsieur Lachance sont admis et les cotisations pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les seuls montants qui doivent être ajoutés comme revenu additionnel sont 638 $ pour 1991, 799 $ pour 1992 et 425 $ pour 1993. Quant aux dépens, monsieur Lachance a droit aux débours qu'il a faits dans la préparation de ses appels devant la Cour, dont notamment les frais de photocopie.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11 e jour de mai 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.



[1] Bien évidemment, les pièces justificatives ne constituent pas une condition essentielle à la déduction de ces frais. Voir notamment Sidhu v. M.N.R., 93 DTC 5453.

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