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Date : 20010525

Dossier : 2000-5019-EI

ENTRE :

GRAZIELLA TAPP,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 1er décembre 2000, en vertu de laquelle le travail exécuté par l'appelante lors de la période en litige, du 24 avril au 26 août 2000, pour le compte et bénéfice de la « Poissonnerie Le Gaspésien » , a été qualifié non assurable à cause du lien de dépendance; le lien de dépendance découlait du fait que l'appelante était la mère du propriétaire du commerce, en l'occurrence monsieur Bertrand Boulay.

[2]            Après avoir été assermentée, l'appelante a admis les faits suivants :

a)              Le payeur exploitait une poissonnerie sous la raison sociale de « Poissonnerie Le Gaspérien » .

b)             La poissonnerie occupait un kiosque loué au marché public « Les Halles de Chicoutimi » .

c)              La poissonnerie en était à sa première saison d'exploitation, elle devait être exploitée uniquement durant la saison estivale.

d)             Au début de la période en litige, le payeur s'occupait activement de son entreprise; il allait chercher le poisson lui-même en Gaspésie ou à Québec.

e)              À partir de juillet, le payeur ayant commencé à travailler à plein temps pour une compagnie d'asphaltage, les fournisseurs livraient directement le poisson à l'entreprise.

f)              La poissonnerie était ouverte de 9h à 21h, sept jours sur sept, pour un total de 84 heures d'ouverture par semaine.

g)             La poissonnerie ne vendait que des produits frais.

h)             Le 18 avril 2000, le payeur a effectué ses premiers achats d'inventaire.

i)               Le 7 mai 2000, la poissonnerie ouvrait et effectuait sa première vente.

j)               Le 14 août 2000, la poissonnerie effectuait ses dernières ventes.

k)              Durant la période en litige, le payeur a embauché quatre employés différents.

l)               Pendant six semaines durant la période en litige, l'entreprise n'employait qu'une seule personne, l'appelante.

m)             Pendant neuf semaines durant la période en litige, l'entreprise employait deux employés dont l'appelante.

n)             Pendant trois semaines durant la période en litige, l'entreprise employait trois employés dont l'appelante.

o)             L'appelante est la mère du payeur.

p)             L'appelante occupait le poste de gérante-vendeuse et s'occupait de tout au commerce du payeur.

q)             L'appelante devait s'occuper des tâches suivantes :

                - Préparer les commandes et les vérifier à la livraison.

                - Faire les dépôts bancaires.

                - Préparer des plats cuisinés.

                - Servir les clients au comptoir.

                - Faire le nettoyage du commerce.

r)              De plus, l'appelante supervisait les autres employés et établissait leurs horaires de travail.

v)             Le 26 août 2000, le payeur a émis un relevé d'emploi au nom de l'appelante indiquant qu'elle avait travaillé du 24 avril au 26 août 2000 pendant 940 heures et qu'elle avait reçu une rémunération assurable de 10 669,24 $.

y)             Selon le relevé d'emploi et le registre des salaires du payeur, l'appelante aurait prétendument été rémunérée pendant 14 semaines à 558,58 $ par semaine, ce qui représente un salaire net de 401,19 $, et pendant 4 semaines à 712,28 $, ce qui représente un salaire net de 481,69 $, alors que tous les chèques de salaire émis par le payeur à l'appelante sont de 401,19 $.

z)              Pour les 18 semaines couvertes par le relevé d'emploi, l'appelante a encaissé seulement deux des chèques de paie à la banque.

aa)            L'appelante prétend avoir endossé et échangé la majorité de ses chèques de paie directement dans la caisse du commerce alors que la majorité des chèques ne sont pas endossés par l'appelante.

Elle a cependant nié les allégués suivants :

s)              l'appelante travaillait sept jours sur sept de l'ouverture à la fermeture de la poissonnerie, soit durant 84 heures par semaine.

t)              L'appelante a personnellement payé la location du kiosque pour la saison, soit 1 326,78 $.

u)             L'appelante a personnellement payé 533,40 $ pour des achats de la poissonnerie et 453,20 $ pour le salaire d'un autre employé.

w)             La prétendue période d'emploi ne coïncide pas avec la période d'ouverture de la poissonnerie.

x)              La prétendue rémunération ne coïncide pas avec la rémunération réellement versée à l'appelante.

[3]            Les faits pris pour acquis par l'intimé, niés par l'appelante, sont des éléments fondamentaux et ont constitué sans l'ombre d'un seul doute des points déterminants pour arriver à la détermination à l'origine du présent appel; cela est d'ailleurs, très clairement ressorti du témoignage de madame Danielle Chouinard, agente des appels et responsable du dossier de l'appelante.

[4]            L'intimé a admis que l'appelante avait bel et bien travaillé, qu'elle avait la compétence et les qualifications pour l'exécution du travail accompli pour son fils.

[5]            Pour soutenir le bien-fondé de la détermination, l'intimé a soutenu que la période de travail de l'appelante avait été manifestement plus courte que celle décrite au relevé d'emploi. Mettant beaucoup d'emphase sur le fait que l'appelante était absente du marché du travail depuis plusieurs années et qu'elle avait pour cette raison besoin d'un plus grand nombre d'heures pour se qualifier pour recevoir des prestations d'assurance emploi, l'intimé a voulu établir que le début et la fin de la période d'emploi avaient été maquillés à l'avantage de l'appelante et qu'une telle réalité n'avait été rendue possible qu'à cause du lien de dépendance. L'intimé a en outre reproché à l'appelante l'importance de son salaire.

[6]            L'appelante a témoigné d'une manière simple et directe; elle a expliqué qu'elle avait une vaste et longue expérience dans le domaine des fruits de mer pour avoir oeuvré pendant plusieurs années dans les usines de transformation.

[7]            Elle a aussi expliqué avoir travaillé dans la restauration où elle avait, d'une part développé ses connaissances dans la préparation des repas et d'autre part, pris goût pour le travail au public.

[8]            Ayant les connaissances et l'expérience, elle a rapidement accepté l'offre de son fils qui lui proposait de s'occuper de son nouveau commerce de vente de fruits de mer frais dans la région du Saguenay et ce, bien qu'elle et son conjoint demeuraient très loin de là, soit à Rivière au Renard en Gaspésie.

[9]            Propriétaires d'une roulotte, elle et son conjoint ont donc fait les arrangements pour aménager dans la région de Chicoutimi, où était le commerce de vente de fruits de mer et de poissons frais de son fils, Bertrand Boulay.

[10]          Pour ce qui est de l'employeur payeur, fils de l'appelante, il a témoigné, quoi que l'intimé ait pu en penser, d'une manière franche et directe, il a fourni des réponses vraisemblables, raisonnables et intelligentes à toutes les hypothèses soulevées.

[11]          Opérateur de machinerie lourde, il a expliqué que son travail l'avait amené à travailler dans la région du Saguenay, Lac St-Jean, bien qu'originaire de la Gaspésie. À chaque fin de semaine, ses compagnons de travail lui demandaient de leur acheter du poissons frais. Il ramenait ainsi des commandes de plusieurs centaines de dollars de poissons frais pour ses compagnons de travail à chaque voyage qu'il faisait chez lui en Gaspésie.

[12]          Victime d'un accident de travail des suites duquel il a subi une grave incapacité partielle permanente à un bras, sa vie professionnelle a été chambardée; il est devenu prestataire d'indemnités de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (la « C.S.S.T. » ).

[13]          Après une période difficile, il a décidé de se prendre en main et d'investir la majorité de l'importante indemnité de la C.S.S.T. dans un commerce de vente de fruits de mer frais dans la région du Saguenay, et ce, après une étude sérieuse de marché dont les conclusions étaient très favorables.

[14]          L'ouverture du commerce s'est avérée très difficile à cause de nombreux problèmes, dont certains étaient dus à une concurrence frustrée de le voir arriver; d'autres découlaient du fait qu'il était dans une situation financière difficile, aggravée par la réalité qu'il n'était pas connu dans la région de Chicoutimi. À tous ces problèmes, s'est ajoutée son inexpérience totale des exigences requises par son nouveau commerce.

[15]          Lors des entrevues pour embaucher du personnel requis, il a fait deux constats : aucune personne disponible n'avait de connaissance pourtant indispensable dans le domaine des fruits de mer; en effet, les personnes interviewées étaient jeunes et peu responsables. Le fils de l'appelante était très inquiet à l'idée de leur confier le commerce dans lequel il avait tout investi. Il a donc, pour ces raisons, décidé de faire confiance à sa mère qui répondait à toutes ses attentes, tant du côté de la fiabilité que du côté de la compétence et des connaissances dans le domaine des fruits de mer frais.

[16]          Le salaire versé à l'appelante, déterminé avec la collaboration du comptable, eu égard à ses qualifications et compétences, était très raisonnable. L'appelante et son fils étaient en communication constante et ce dernier n'avait jamais, suivant la preuve, négligé ou abdiqué ses responsabilités de propriétaire du commerce.

[17]          Les explications de l'appelante, à l'effet qu'elle n'avait pas déboursé le montant de 1 326,78 $, ont été confirmées par son fils. Il a été démontré que l'appelante avait à cet égard agi essentiellement comme intermédiaire; l'argent provenait de la soeur du payeur, à savoir Marie-Anne Boulay (pièce A-1).

[18]          Pour ce qui est des autres déboursés que l'appelante aurait effectués pour et au nom de l'employeur, la preuve n'est aucunement significative à cet effet. Quant aux périodes de travail, la prépondérance de la preuve a établi d'une manière très acceptable que les prétentions de l'appelante étaient bien établies et réelles; d'ailleurs ces prétentions ont été mises en doute, non pas par des faits, mais plutôt par des déductions et intuitions.

[19]          La jurisprudence a souvent rappelé à cette Cour qu'elle ne pouvait pas réviser une détermination résultant de l'exercice du pouvoir discrétionnaire à moins qu'une prépondérance de la preuve soit à l'effet que l'exercice avait été entaché d'erreur grave ou d'une appréciation déraisonnable des faits.

[20]          En l'espèce, la preuve m'a convaincu que l'intimé avait tiré des conclusions à partir de faits dont la pertinence n'avait pas l'importance que l'intimé leur a donnée d'une part et d'autre part, ces faits n'étaient pas aussi clairs et révélateurs que l'a soutenu l'intimé.

[21]          Le fait que le relevé d'emploi de l'appelante indiquait exactement le nombre d'heures dont elle avait besoin pour se qualifier aux prestations d'assurance emploi créait une forte présomption et des soupçons susceptibles de mettre en doute la véracité de ses indications relatives à la durée du travail; un tel constat ne devait pas pour autant permettre et justifier des conclusions trop hâtives basées plus sur des intuitions que sur les faits.

[22]          En effet, l'intimé a donné une importance tout à fait démesurée à l'absence de ventes pour les deux premières semaines. De l'absence de ventes, elle a immédiatement conclu que s'il n'y avait pas eu de ventes, l'appelante n'avait de ce fait pas dû travailler. Or, le même tableau utilisé, dont les données provenaient de la même source, soit le comptable de l'entreprise, fait mention de l'achat de plus de 5 000 $ pour ces mêmes deux semaines.

[23]          Il m'apparaît important d'ajouter qu'il s'agit d'un commerce dont la vocation était la vente de poissons frais, qui doit généralement être écoulé dans les heures ou jours immédiats de leur réception. L'achat d'un montant aussi important que 5 000 $ d'inventaire crée donc une très forte présomption qu'il y a eu des activités économiques de ventes de poissons au cours de ces deux semaines. Les prétentions de l'intimé sont donc tout à fait injustifiées et voire même un peu farfelues. L'intimé a donc donné une très grande importance au fait que les registres ne fassent pas mention des ventes; elle a de plus ignoré totalement les achats d'inventaires.

Explications du payeur

[24]          Lors des premiers jours d'opération, plusieurs corrections et achats ont été requis; n'ayant pas les disponibilités pour y faire face, l'argent nécessaire était pris à même la caisse. Autre réalité : il me semble que l'intimé aurait dû savoir qu'un commerce de cette nature ne peut être opéré et exploité dans l'heure qui suit la décision. La préparation du local, l'installation de l'équipement, la réception de l'inventaire et la mise en place de tout le contenu du local nécessite beaucoup de travail et d'ajustement; l'intimé a oublié tous ces détails.

[25]          L'avocate de l'intimé, à quelques reprises, a semblé surprise des réponses obtenues des suites des questions, demandant même au témoin Boulay pourquoi il n'avait pas fourni des détails lors de l'enquête.

[26]          Il y a lieu de croire que l'intimé a conduit son enquête dans et pour l'exercice de sa discrétion en s'intéressant tout spécialement aux éléments qui justifiaient ou confirmaient des conclusions hâtives que lui dictait l'intuition.

[27]          Il y a lieu de reproduire le tableau préparé par l'intimé qui constitue la pièce maîtresse pour justifier la détermination : (pièce I-8)

Semaine

se

terminant

Mélanie

Tremblay

Karine Gauthier

Simone

Cleworth

Graziella Tapp

Ventes

Achat de Stock

salaire

hrs

salaire

hrs

salaire

hrs

salaire

heures

29-04-00

508,58

50

0

4412,56

16-05-00

508,58

50

0

140,42

13-05-00

287,41

41

508,58

50

2535

2409,60

20-05-00

287,41

41

508,58

50

1165

1768,18

27-05-00

287,41

41

508,58

50

1536

9,28

03-06-00

210,00

30

210,00

30

508,58

50

922

1507,21

10-06-00

508,58

50

2266

1730,61

17-06-00

508,58

50

1276

1085,07

24-06-00

98,00

14

241,50

35

508,58

50

1770

1934,05

01-07-00

177,80

18

241,50

35

508,58

50

1192

1589,12

08-07-00

241,50

35

508.58

50

1362

1453.80

15-07-00

241,50

35

508.58

50

1582

1222,97

22-07-00

241,50

35

508,58

50

0

1086,61

29-07-00

241,50

35

508,58

50

0

1129,35

05-08-00

241,50

35

712,28

60

630

848,08

12-08-00

241,50

35

712,28

60

992

651,89

19-08-00

712,28

60

245

0

26-08-00

712,28

60

0

0

TOTAL

1 346,80

210

185,00

30

1 932,00

280

10 669,24

940

17 473

22 978,80

[28]          Le tableau fait état de l'absence de vente pour la période des semaines du 29 avril 2000 au 6 mai 2000. Conclusion, il n'y a pas eu de ventes, l'appelante n'a pas travaillé.

[29]          À la fin de la période, le tableau indique des ventes de 245 $ pour la semaine du 19-08-2000 et aucune vente pour la semaine du 26-08-2000; autre conclusion, l'appelante n'a pas dû travailler puisque les ventes étaient tout à fait marginales, et si elle a travaillé, elle n'a pu travailler 120 heures.

[30]          Or, tant l'appelante que son fils ont expliqué qu'ils avaient écoulé la totalité des produits et après quoi, ils ont fermé le local pour faire le lavage et ménage en profondeur, eu égard à l'équipement et aux produits vendus.

[31]          À la lumière de l'ensemble de la preuve, même si le nombre d'heures enregistrées était équivalent à ce dont l'appelante avait besoin pour se qualifier aux prestations d'assurance emploi, la prépondérance de la preuve ne permettait ni ne justifiait la conclusion retenue. La preuve a démontré d'une manière prépondérante que l'exercice du pouvoir discrétionnaire avait été exercé d'une façon arbitraire justifiant l'intervention de ce Tribunal.

[32]          Les faits révélés par la preuve ont démontré que l'appelante avait bel et bien exécuté son travail dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services. Certes, il a été démontré que le contrat de louage de services avait bénéficié de la confiance pouvant exister entre une mère et son fils. Il s'agit là d'une qualité et non d'un défaut.

[33]          Le législateur n'a pas imposé et n'impose pas aux parties ayant un lien de dépendance de répudier et renoncer à leur lien. En l'espèce, le lien de dépendance n'a aucunement affecté ou influencé la qualité du contrat de louage de services quant à la modalité, durée et rémunération.

[34]          Pour ces motifs, l'appel est accueilli en ce que le travail exécuté par l'appelante au cours de la période en litige constituait un véritable contrat de louage de services.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mai 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I

.No DU DOSSIER DE LA COUR :       2000-5019(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Graziella Tapp et MRN

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 1er mai 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable Juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 25 mai 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                                  L'appelante elle-même

Avocate de l'intimé :                            Me Stéphanie Côté

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-5019(EI)

ENTRE :

GRAZIELLA TAPP,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 1er mai 2001 à Chicoutimi (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelante :                       L'appelante elle-même

Avocate de l'intimé :                  Me Stéphanie Côté

JUGEMENT

L'appel est accueilli selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mai 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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