Date: 20010516
Dossier: 2000-1784-IT-I
ENTRE :
JEAN-CLAUDE DUFOUR,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge suppléant Watson, C.C.I.
[1] Cet appel a été entendu à Montréal (Québec), le 4 mai 2001 sous la procédure informelle.
[2] Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, l'appelant a réclamé les sommes de 9 508 $, 6 390 $ et 4 075 $ respectivement à titre de pertes provenant de l'exploitation d'une entreprise.
[3] Par avis de nouvelles cotisations daté du 18 janvier 1999, le ministre du Revenu national (le "Ministre") a annulé les sommes préalablement accordées à l'égard des années d'imposition 1995 et 1996, soit 9 508 $ et 6 390 $.
[4] Par avis de cotisation daté du 18 mars 1999, le Ministre a refusé la somme réclamée de 4 075 $ à l'égard de l'année d'imposition 1997.
[5] Le 28 janvier 2000, le Ministre a ratifié les avis de cotisations datés du 18 janvier 1999 et du 18 mars 1999.
[6] Pour établir et maintenir les nouvelles cotisations, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :
"a) l'appelant a fait carrière dans la fonction publique du Canada, à titre de directeur de différents départements au ministère de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, au Québec;
b) l'appelant a également été membre de la Gendarmerie royale du Canada pendant un an;
c) l'appelant, pendant les années en litige, a exploité prétendument une entreprise dont les activités étaient les suivantes :
i) trouver du financement et/ou participer au développement de projets dans les Antilles, les Caraïbes et en Afrique,
ii) servir d'intermédiaire dans des transactions reliées à l'importation et à l'exportation de différents produits,
iii) vendre des terrains en République dominicaine;
d) l'appelant exploitait sa prétendue entreprise sous la raison sociale de "Info-Caraïbes, Import - Export";
e) l'appelant n'a établi aucun plan d'action relativement à cette prétendue entreprise;
f) l'appelant a très peu de formation dans les activités de la prétendue entreprise;
g) depuis le début de la prétendue entreprise en 1990, l'appelant n'a accusé que des pertes;
h) l'appelant, depuis le début de la prétendue entreprise, n'a investi qu'une somme de 1 413 $;
i) il n'y a eu aucune croissance dans les revenus bruts de la prétendue entreprise, depuis 1990, le revenu brut n'a pas bougé, il se maintient à zéro;
j) l'appelant n'a consacré que très peu de temps à sa prétendue entreprise;
k) l'appelant n'avait aucun espoir raisonnable de tirer un profit dans l'exploitation de sa prétendue entreprise;
l) lors d'une première vérification, le Ministre, pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, avait accordé le bénéfice du doute à l'appelant, à l'égard de l'espoir raisonnable de tirer un profit dans l'exploitation de l'entreprise;
m) les pertes réclamées, à l'égard de sa prétendue entreprise, constituaient des frais personnels pour les années en litige;
n) alternativement, si la Cour en arrivait à la conclusion qu'une entreprise est exploitée par l'appelant, la vérification des dépenses réclamées par l'appelant au cours des années d'imposition 1995 et 1996 a donné les résultats suivants :
i) les frais d'avocat réclamés, au cours des années d'imposition 1995 et 1996, ont été refusés parce qu'ils ont été encourus pour défendre la réputation de l'appelant;
ii) les frais de notaire réclamés, au cours de l'année d'imposition 1995, ont été refusés parce que ces frais n'étaient pas reliés à l'entreprise de l'appelant;
iii) le Ministre, suite à sa vérification, a révisé, pour les années d'imposition 1995 et 1996, les pertes d'entreprise à des sommes respectives de 1 207 $ et de 1 200 $ (voir annexes 1 et 2).
[7] À l'audience, le représentant de l'appelant a admis les faits allégués aux sous-paragraphes a), b) et l) et a nié les faits allégués aux autres sous-paragraphes du paragraphe 14 de la Réponse à l'avis d'appel.
[8] Le fardeau de la preuve incombe à l'appelant; ce dernier doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que les nouvelles cotisations sont mal fondées en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.
[9] Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression "expectative raisonnable de profit", dont, entre autres :
[10] Dans l'affaire Moldowan c. Sa Majesté la Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, le juge Dickson de la Cour suprême du Canada a déclaré aux pages 485 et 486 :
"Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une "source" de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise... Si le contribuable, en exploitant sa ferme, se livre simplement à un passe-temps, sans expectative raisonnable de profit, il ne peut réclamer aucune déduction pour les dépenses engagées."
[11] Dans l'affaire Landry c. Sa Majesté la Reine, 94 DTC 6499 (C.A.F.), le juge Décary de la Cour d'appel fédérale s'est exprimé comme suit à la page 6500 :
"Il vient donc un temps, dans la vie de toute entreprise déficitaire, où le ministre doit pouvoir déterminer objectivement, après, le cas échéant, avoir donné la chance au coureur pendant un certain nombre d'années, qu'un espoir raisonnable de profit s'est transformé en rêve impraticable.
[...]
Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants : le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité."
[12] Dans Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.F.), le juge Linden de la Cour d'appel fédérale a déclaré, aux pages 103 et 104 :
"...Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.
[...]
Une autre liste de facteurs a été proposée dans l'arrêt Sipley (P.D.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2073 :
Le critère objectif comporte un examen de l'état des profits et pertes pour les années antérieures, un examen du plan opérationnel et des circonstances qui ont donné lieu à sa mise en oeuvre, y compris de la voie sur laquelle le contribuable entend s'engager. Le critère comporte également un examen du temps consacré à l'activité, ainsi que des antécédents, de la formation et de l'expérience du contribuable."
[13] Dans McKinney c. Canada, [2000] A.C.F. no 453 (C.A.F.) le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a déclaré dans son jugement rendu oralement le 3 avril 2000 :
"Le demandeur, un professeur d'université à la retraite, a réclamé des dépenses accumulées de 47 000 $ par rapport à un revenu de 50 $ pour les quatre années d'imposition en question. Le demandeur a engagé ces dépenses à l'égard d'un certain nombre de travaux de recherche qui, espérait-il, mèneraient à des publications. De fait, ces travaux de recherche n'ont conduit à aucune publication. À notre avis, le juge Mogan n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'avait pas une expectative raisonnable de profit. En conséquence la demande doit être rejetée."
[14] Compte tenu de la jurisprudence et de toutes les circonstances de cet appel, y inclus le témoignage de l'appelant et celui de l'agent des appels de Revenu Canada, les admissions et la preuve documentaire, la Cour est convaincue que l'appelant n'a pas réussi d'établir, selon la prépondérance de la preuve, qu'il avait une expectative raisonnable de profit au cours des années en litige et que les nouvelles cotisations du 18 janvier 1999 étaient mal fondées en fait et en droit.
[15] En conséquence, l'appel est rejeté.
Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2001.
" D.R. Watson "
J.S.C.C.I.
ANNEXE 1
Année 1995
Re: Info-Caraïbes Import-Export Réclamées Accordées Refusées
Dépenses :
Loyer : 25 % des dépenses suivantes : 1 823,36 $ 614,23 $ 1 209,13 $
Déneigements 1 0,00 $ 0,00 $ 0,00 $
Capital et intérêts sur prêt 2 5 244,00 $ 0,00 $ 5 244,00 $
Taxes municipales 3 928,70 $ 928,70 $ 0,00 $
Taxes scolaires 4 241,32 $ 241,32 $ 0,00 $
Chauffage 5 496,43 $ 496,43 $ 0,00 $
Électricité 6 0,00 $ 407,46 $ (407,46 $)
Assurances 7 383,00 $ 383,00 $ 0,00 $
7 293,45 $ 2 456,91 $ 4 836,54 $
Honoraires professionnels :
Avocat 8 3 193,60 $ 0,00 $ 3 193,60 $
Notaire 9 3 745,34 $ 0,00 $ 3 745,34 $
Comptable 10 1 139,55 $ 500,00 $ 639,55 $
8 078,49 $ 500,00 $ 7 578,49 $
Représentations
Télécommunications - 90 % affaires 11 1 001,18 $ 278,11 $ 723,07 $
Fournitures de bureau 12 131,05 $ 131,05 $ 0,00 $
Associations et cotisations 13 207,60 $ 207,60 $ 0,00 $
Amortissement de l'équipement 14 90,00 $ 90,00 $ 0,00 $
1 429,83 $ 706,76 $ 723,07 $
Automobile - 50 % pour fins d'affaires :
Amortissement
Assurances
Immatriculations
Entretien et réparations
Carburant et huile
Stationnements
Perte de l'entreprise 11 331,68 $ 1 820,99 $ 9 510,69 $
Moins : frais de loyer (bureau à domicile) 1 823,36 $ 614,23 $ 1 209,13 $
Perte de l'entreprise réduite des frais de loyer 9 508,32 $ 1 206,76 $ 8 301,56 $
ANNEXE 2
Année 1996
Re: Info-Caraïbes Import-Export Réclamées Accordées Refusées
Dépenses :
Loyer : 25 % des dépenses suivantes : 3 280,64 $ 867,83 $ 2 412,82 $
Déneigements 1 250,00 $ 0,00 $ 250,00 $
Capital et intérêts sur prêt 2 9 401,27 $ 0,00 $ 9 401,27 $
Taxes municipales 3 1 248,80 $ 1 248,80 $ 0,00 $
Taxes scolaires 4 386,42 $ 386,42 $ 0,00 $
Chauffage 5 967,29 $ 967,29 $ 0,00 $
Électricité 6 455,68 $ 455,68 $ 0,00 $
Assurances 7 413,11 $ 413,11 $ 0,00 $
13 122,57 $ 3 471,30 $ 9 651,27 $
Honoraires professionnels :
Avocat 8 2 850,00 $ 0,00 $ 2 850,00 $
Notaire 9 0,00 $ 0,00 $ 0,00 $
Comptable 10 600,00 $ 0,00 $ 600.00 $
3 450,00 $ 0,00 $ 3 450,00 $
Représentations 11 300,00 $ 0,00 $ 300,00 $
Télécommunications - 90 % 12 997,90 $ 277,20 $ 720,70 $
Fournitures de bureau 13 73,16 $ 73,16 $ 0,00 $
Associations et cotisations 14 79,61 $ 79,61 $ 0,00 $
Amortissement de l'équipement 15 72,00 $ 72,00 $ 0,00 $
1 522,67 $ 501,97 $ 1 020,70 $
Automobile - 50 % pour fins d'affaires : 1 417,93 $ 698,46 $ 719,47 $
Amortissement 16 1 242,00 $ 1 200,00 $ 42,00
Assurances 17 397,95 $ 397,95 $ 0,00
Immatriculations 18 224,00 $ 224,00 $ 0,00
Entretien et réparations 19 371,90 $ 371,90 $ 0,00
Carburant et huile 20 550,00 $ 550,00 $ 0,00
Stationnements 21 50,00 $ 50,00 $ 0,00
2 835,85 $ 2 793,85 $ 42,00
Perte de l'entreprise 9 671,24 $ 2 068,26 $ 7 602,98 $
Moins : frais de loyer (bureau à domicile) 3 280,64 $ 867,83 $ 2 412,82 $
Perte de l'entreprise réduite des frais de loyer 6 390,60 $ 1 200,43 $ 5 190,17 $