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Date: 20021212

Dossier: 2000-2403-IT-G

ENTRE :

GASTON BOLDUC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Paulin Bolduc vivait en 1992 avec son épouse et ses quatre enfants dans la région pittoresque du lac Massawippi. Depuis novembre 1991, il était toutefois confronté à un sérieux problème : son assureur refusait de renouveler à son échéance, soit le 27 février 1992, l'assurance sur sa Jeep Wagon 1990 parce qu'il avait été accusé d'importation de drogue. Pour résoudre ce problème, Paulin Bolduc a demandé à son frère, Gaston Bolduc, l'appelant en l'espèce, de devenir le propriétaire inscrit du véhicule. Les registres de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) indiquent pour le 6 février 1992 que Gaston Bolduc a acquis la Jeep Wagon par donation de Paulin Bolduc et, en raison de leur lien de parenté, aucune taxe de vente n'était exigible[1], même si la valeur du véhicule s'élevait à 19 450 $.

[2]            Le 4 décembre 1992, le ministre du Revenu national (ministre) a établi à l'égard des années d'imposition 1986 à 1990 des nouvelles cotisations augmentant la dette fiscale de Paulin Bolduc d'au moins 111 715 $. En fait, le total de la dette fiscale au 6 février 1992 s'élevait à 264 603 $. Comme ses mesures de perception ne lui avaient pas permis de recouvrer toutes les sommes dues par Paulin Bolduc, le ministre a, le 12 février 1996, établi une cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) tenant Gaston Bolduc solidairement responsable de la dette fiscale de son frère jusqu'à concurrence de 19 450 $.

[3]            Les parties s'entendent pour reconnaître que la seule question en litige concerne l'existence d'un transfert du véhicule effectué par Paulin Bolduc en faveur de Gaston Bolduc le 6 février 1992. Ce dernier prétend qu'il n'y a eu aucun transfert puisqu'il n'agissait qu'en tant que prête-nom. La preuve faite au cours de l'audience semble confirmer cette assertion. En effet, Gaston Bolduc n'a jamais utilisé ce véhicule à des fins personnelles. Au contraire, il l'a remis à son frère et à sa belle-soeur, qui étaient les deux principaux conducteurs du véhicule. C'est ce que Gaston Bolduc aurait indiqué au courtier d'assurances par l'intermédiaire duquel il avait obtenu l'assurance pour le véhicule[2].

[4]            Au cours de l'été de l'année suivante, le véhicule, alors conduit par Paulin Bolduc, a pris feu et l'expert en sinistres a reconnu la perte totale du véhicule, dont il a fixé la valeur à 14 108 $. Gaston Bolduc a reçu ce montant comme indemnité et l'a utilisé en partie pour louer le 3 novembre 1993 une nouvelle voiture, une GMC Suburban. Un acompte de 7 061 $ a été versé lors de la signature du contrat de location et Gaston Bolduc s'est engagé à verser un loyer un 633 $ par mois. Ce véhicule fut alors remis à l'épouse de Paulin Bolduc, qui a été apparemment la seule conductrice de la fourgonnette, Paulin Bolduc étant à cette époque à l'extérieur du pays.

[5]            Quelques mois plus tard, l'épouse de Paulin Bolduc a eu aussi un accident. À nouveau, l'assureur de Gaston Bolduc a dû verser la valeur du véhicule, selon toute vraisemblance à GMAC. Selon le témoignage de Gaston Bolduc, le solde restant de l'indemnité versée pour la perte de la Jeep Wagon, soit une somme de 471 $, a été remis à l'épouse de Paulin Bolduc. Par la suite, c'est elle qui a fait l'acquisition d'un véhicule d'occasion pour ses propres besoins.


Position des parties

[6]            Le procureur de Gaston Bolduc soutient que l'article 160 de la Loi ne s'applique pas ici parce qu'il n'y a pas eu véritablement de transfert le 6 février 1992 et que Gaston Bolduc n'a tiré aucun avantage de l'opération en question. Il s'agissait d'un transfert simulé. Gaston Bolduc n'agissait que comme prête-nom pour le bénéfice de son frère et, par conséquent, n'a acquis aucun bien le 6 février 1992. Contrairement à ce qui est indiqué dans les registres de la SAAQ, il n'y a pas eu de don véritable effectué par Paulin en faveur de son frère Gaston parce qu'il n'y a eu aucune intention libérale : il ne s'est produit aucun appauvrissement du patrimoine de Paulin Bolduc et aucun enrichissement de celui de Gaston Bolduc. Le procureur se fonde sur les décisions rendues par cette cour dans les affaires Wink v. M.N.R., 88 DTC 1654, et Delisle v. The Queen, 95 DTC 650. Dans ces deux affaires, cette cour a décidé que l'article 160 de la Loi ne s'applique pas lorsqu'il y a transfert d'un bien a un prête-nom ou à un mandataire.

[7]            Le procureur de l'intimée invoque deux arguments. Tout d'abord, il se fonde sur l'article 1212 du Code civil du Bas-Canada (C.c.B.C.) pour conclure qu'il y a eu transfert de la Jeep Wagon en vertu du contrat apparent de donation. Cet article édicte ce qui suit :

1212. Les contre-lettres n'ont leur effet qu'entre les parties contractantes; elles ne font point preuve contre les tiers.

[8]              À l'appui de sa position, le procureur de l'intimée cite la décision rendue par la juge Danielle Côté de la Cour du Québec dans Haeck c. Le sous-ministre du Revenu du Québec, en ligne : Société québécoise d'information juridique < http:// www.soquij.qc.ca/cgi-bin/jugement2.doc > . Dans cette affaire, le procureur du sous-ministre se fondait sur l'article 1452 du Code civil du Québec[3] (C.c.Q.), qui est analogue à l'article 1212 C.c.B.C., pour refuser la perte en capital déclarée par le contribuable. Le sous-ministre se fondait sur un acte apparent révélant un prix de vente de 175 000 $ alors que, selon une contre-lettre, le prix réel ne s'élevait qu'à 148 750 $[4]. La juge Côté a distingué entre le rôle de « cotiseur » du sous-ministre et son rôle de percepteur. Lorsqu'il agit comme « cotiseur » , il n'est pas considéré comme un tiers aux fins de l'article 1452 C.c.Q. C'est à bon droit, à mon avis, qu'elle a décidé que, lorsque le sous-ministre agit comme « cotiseur » , il doit calculer l'impôt dû par un contribuable selon la situation réelle. À cet égard, elle se fondait en partie sur la décision rendue par ma collègue la juge Lamarre Proulx dans Transport Desgagnés Inc. c. M.N.R., 91 DTC 264.

[9]            Par contre, lorsque le sous-ministre agit comme percepteur, il devrait être considéré comme un tiers visé par l'article 1452 C.c.Q. Voici ce que la juge Côté écrit au paragraphe 33 de ses motifs :

Par ailleurs, une fois l'impôt dû établi, il est normal que le contribuable ne puisse opposer au sous-ministre une contre-lettre ayant pour effet de l'empêcher de percevoir cet impôt. Le sous-ministre est alors un tiers ayant intérêt à invoquer l'acte apparent pour sauvegarder les droits qu'il détient contre le contribuable à savoir : le droit d'obtenir, à même le patrimoine de ce dernier, le paiement de l'impôt réellement dû.

[10]          La juge Côté s'est fondée aussi sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Transport H. Cordeau Inc. v. The Queen, 99 DTC 5765. Dans cette affaire, la cour avait à déterminer si le ministre pouvait, lors d'une saisie-arrêt en mains tierces, se voir opposer par le tiers saisi une contre-lettre intervenue entre lui et le débiteur du ministre. La Cour d'appel a donc eu à se pencher sur la portée de l'article 1452 C.c.Q. et à déterminer si le ministre pouvait être considéré comme un tiers de bonne foi qui a subi un préjudice par suite de l'acte apparent. De plus, la Cour d'appel s'est demandé s'il fallait que le ministre ait été visé par la simulation. Voici ce que le juge Létourneau écrit, aux paragraphes 20 à 23 de ses motifs sur la première question :

[20] Aussi bien en droit français qu'en droit québécois, les tiers de bonne foi peuvent invoquer l'acte apparent même en l'absence de préjudice résultant de la simulation. Au surplus, il n'est pas nécessaire comme dans l'action paulienne (maintenant devenue au Québec sous le nouveau Code une action en déclaration d'inopposabilité, art. 1631) que la simulation ou la tromperie ait été dirigée contre la personne qui se prévaut de l'acte apparent. Reprenant ce principe, le juge Rivard de la Cour d'appel du Québec écrit dans l'affaire Gilbert, ès-qualité, précitée :

Il n'y a même pas lieu de distinguer si la simulation occasionnait ou non, originairement, aux créanciers un préjudice: ce serait confondre les conditions de l'action paulienne et celle du recours en simulation.

[21] Les propos des auteurs Baudry-Lacantinerie et Barde vont dans le même sens :

Enfin, il n'est pas nécessaire qu'ils [les tiers] établissent que la contre-lettre occasionnait, à l'origine, un préjudice; il suffit qu'au moment où on la leur oppose, ils aient intérêt à la repousser.

[22] Il est erroné de prétendre ou de croire dans le présent litige que l'intimée ne peut se prévaloir de l'acte ostensible que s'il lui a servi à déterminer et fixer le montant de la cotisation de l'impôt dû par son débiteur. C'est, d'une part, exiger que l'intimée subisse, de la simulation, un préjudice dès l'origine. Ce serait, d'autre part, restreindre de manière injustifiée la portée et le champ d'application de l'article 1452 du Code en le limitant au cas où l'acte apparent a contribué en tout ou en partie à la détermination du montant de la créance détenue par le créancier chirographaire. Or, cette créance n'a pas à naître ou à subir l'influence de l'acte apparent ou de la convention des parties: elle peut naître d'un délit ou, comme en l'espèce, de la loi. Cet extrait des auteurs Planiol et Ripert résume bien le principe applicable en semblable matière :

Les tiers ne sont pas seulement ceux qui, en passant un contrat, ont pris en considération l'acte apparent et compté sur la situation qu'il crée, par exemple, ont acquis des droits réels du propriétaire apparent. Les créanciers chirographaires du propriétaire apparent sont également des tiers. Ils sont à l'abri de la revendication, par le porteur d'une contre-lettre qui le reconnaît propriétaire du bien qu'ils ont saisi, sans qu'il soit nécessaire que, lorsqu'ils sont devenus créanciers, leur débiteur en fut déjà propriétaire apparent. De même, ils peuvent écarter le concours d'un créancier, dont le titre est une contre-lettre, sans qu'il soit nécessaire que leurs titres soient antérieurs au sien, ni que la simulation ait eu pour but de causer préjudice à leurs droits.

[23] Il suffit, comme c'est le cas pour l'intimée au moment où elle veut exécuter sa créance, qu'elle ait un intérêt à se prévaloir de l'acte apparent et à repousser la contre-lettre.

[11]          Quant à la deuxième question, le juge Létourneau a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'avoir voulu tromper le fisc pour que l'article 1452 C.c.Q. s'applique. Il décrit ainsi le fondement de cette règle du Code civil :

[29] De fait, au terme de l'article 1452, le tiers de bonne foi a le choix de se prévaloir de l'acte ostensible ou de la contre-lettre, selon son meilleur intérêt. Il s'agit là de la sanction de la simulation par contre-lettre car, comme le mentionnent les auteurs Mazeaud, précités, à la page 925, même si les contractants n'ont pas cherché à tromper le fisc ou leurs créanciers par leur simulation, il ne faut pas "oublier que les parties ne se contentent pas de ne point révéler le contrat; elles font plus: pour assurer le secret de l'acte, elles créent une apparence mensongère, elles passent un acte ostensible, qui est faux; elles trompent toutes les personnes qui auront connaissance de cet acte simulé". Le législateur a voulu protéger le tiers qui se prévaut de l'acte ostensible après "avoir accordé aux apparences une confiance qui mérite de n'être pas trompée".

[30] Les auteurs Mazeaud, précités, à la page 926, décrivent ainsi l'approche choisie par le législateur français dans sa lutte à la simulation :

Il déroge aux règles normales des effets et de l'opposabilité des contrats : d'une part, en déclarant que, dans certains cas, les parties sont tenues d'exécuter non le contrat véritable qu'elles ont conclu, mais l'acte apparent; d'autre part, en permettant à toutes personnes qui ont été trompées par l'acte apparent, de se prévaloir de cet acte et de méconnaître le contrat véritable lorsqu'elles y ont intérêt. Dans tous les cas, l'acte apparent l'emporte sur l'acte réel; les règles de la contre-lettre constituent une application de la théorie générale de l'apparence.

Il permet à toute personne intéressée à rétablir la situation véritable de faire constater la simulation, en intentant l'action en déclaration de simulation. Cette fois, c'est l'acte réel qui l'emporte sur l'acte apparent.

Cette approche n'est pas différente de celle retenue par le législateur québécois dans l'article 1452 du Code.

[12]          Comme deuxième argument, le procureur de l'intimée soutient qu'en l'absence d'un commencement de preuve, la preuve de la contre-lettre ne pouvait être faite par une simple preuve testimoniale. Il a cité à cet égard l'article 2863 C.c.Q., qui édicte :

Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve.

Analyse

[13]          Le procureur de Gaston Bolduc soutient que son client ne devrait pas être tenu responsable de l'impôt de son frère puisqu'il n'a tiré aucun avantage du transfert apparent du véhicule effectué en février 1992. Son patrimoine ne s'est pas enrichi du véhicule de son frère. Tout d'abord, il n'est pas nécessaire, pour que l'article 160 de la Loi s'applique, qu'il y ait eu un avantage conféré au bénéficiaire du transfert. La notion d'avantage est absente de cette disposition. Tout ce qu'il prévoit, c'est que la responsabilité du bénéficiaire est limitée au montant représentant la différence entre la juste valeur marchande du bien transféré et la juste valeur marchande de la contrepartie qu'il a donnée.

[14]          À mon avis, le premier argument invoqué par l'intimée est bien fondé. Comme le révèlent les passages précités tirés de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Transport H. Cordeau Inc., lorsque le ministre agit comme percepteur, il peut se prévaloir d'un article comme l'article 1212 C.c.B.C.; et l'établissement d'une cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi est une mesure de perception. Comme le transfert simulé a eu lieu en 1992, avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, il faut appliquer ici les dispositions de l'ancien Code et, en particulier, l'article 1212 C.c.B.C.

[15]          Rien dans la Loi ne s'oppose à ce que le ministre puisse, dans l'application de la Loi au Québec, bénéficier des dispositions du C.c.B.C. et du C.c.Q. portant sur les effets d'un contrat intervenu au Québec. De plus, l'article 1212 C.c.B.C. est une règle de preuve applicable dans les procédures relevant de l'autorité législative du Parlement canadien et exercées dans la province du Québec (article 40 de la Loi sur la preuve du Canada). Nous sommes ici en présence d'une simulation puisqu'on trouve les deux composantes requises, soit l'élément
matériel et l'élément intentionnel. Ces éléments sont bien décrits par le professeur Royer dans La preuve civile, 2e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1995 au no 1568 :

L'élément matériel consiste dans l'existence de deux actes distincts, soit l'acte apparent qui renferme ce que les parties veulent faire croire aux tiers et l'acte secret qui exprime l'accord véritable. Si ce dernier est écrit, on le désigne sous le nom de contre-lettre.

L'élément intentionnel consiste dans la volonté de tromper les tiers sur l'existence ou le contenu d'une convention.

                                                                                                [Je souligne.]

[16]          Gaston Bolduc et son frère Paulin se sont présentés au bureau de la SAAQ et ont indiqué que Paulin transférait la voiture à Gaston par donation (contrat apparent)[5]. De plus, lorsque Gaston a obtenu l'assurance pour ce véhicule, il s'est déclaré le propriétaire de celui-ci. Or, aux termes d'une entente verbale secrète (contrat secret), Gaston n'agissait qu'en tant que simple prête-nom pour son frère et, contrairement à ce qui est indiqué dans les registres de la SAAQ, il n'est pas devenu le véritable propriétaire du véhicule. L'assureur est le tiers qu'on a voulu tromper. Or, il ressort de l'article 1212 C.B.C.[6] qu'on ne peut opposer à un tiers une contre-lettre. Même si l'entente verbale ne constitue pas une contre-lettre au sens étroit, car une contre-lettre doit être un document écrit, je suis d'avis que cet article s'applique à tout acte de simulation. C'est aussi la conclusion qu'adoptait la Cour du Banc du Roi dans Gilbert v. Lefaivre (1927), 43 B.R. 557, aux pages 559 et 560[7] :

Telle que formulée, la règle suppose l'existence d'une contre-lettre; mais l'article 1212 ne concerne vraiment que les effets de l'opération concernée dans la contre-lettre, et elle doit s'appliquer au cas de simulation, quand même elle serait établie autrement que par contre-lettre.

[...]

S'il en était autrement, il faudrait dire que les conventions secrètes ayant pour but d'annuler l'effet d'un acte apparent ont plus de force, quand elles sont verbales, que si elles sont faites par une contre-lettre écrite, qui prouve directement la simulation.

[17]          De plus, cette approche est en conformité avec l'interprétation adoptée par le juge Tremblay dans Jennewein et Le ministre du Revenu National, 91 DTC 594, aux pages 598 et 599 :

La lecture de ces deux textes semble claire. Toute contre-lettre est inopposable aux tiers. Dans un premier temps, on peut se demander si une contre-lettre doit être écrite. La jurisprudence et la doctrine québécoises, fortement inspirées par la doctrine française, sont claires à cet effet. Il ne fait plus aucun doute que toute simulation implique nécessairement une contre-lettre bien qu'il n'y ait aucun écrit.

[18]          En vertu de l'acte apparent, la Jeep Wagon a été transférée par Paulin à son frère Gaston et ces derniers ne peuvent opposer les effets de l'acte secret au ministre, qui a agi comme percepteur. Par conséquent, il y a eu transfert et toutes les conditions d'application de l'article 160 de la Loi sont réunies.

[19]          Même si ce n'est pas requis, je vais me prononcer sur le deuxième argument invoqué par le procureur de l'intimée : celui selon lequel on ne peut contredire par un témoignage un document écrit. Je crois qu'il est mal fondé. Nous sommes ici dans une situation singulière. Il n'est pas en preuve que la donation s'est faite par acte notarié. Il semble plutôt qu'il y ait eu entente verbale de don, accompagnée de délivrance, ce qu'on appelle communément un don manuel. Dans ce cas, le Code civil n'exige pas un acte notarié (article 776 C.c.B.C.). On ne peut donc pas opposer l'exception voulant qu'on ne puisse contredire un acte écrit[8].

[20]          De plus, même s'il y avait eu acte notarié, le procureur de l'intimée ne s'est pas opposé en temps utile à la présentation d'une preuve testimoniale contredisant un acte écrit. Il ne s'y est opposé que dans sa plaidoirie. Il aurait fallu qu'il le fasse au cours du témoignage des frères Bolduc. Au stade de la
plaidoirie, il était trop tard. Voici ce qu'écrit le professeur Ducharme, dans Précis de la preuve, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1996 au no 1347 :

1347. Devant le tribunal de première instance, une partie doit également faire preuve de diligence lorsqu'elle veut s'opposer à une preuve illégale. Est certainement faite en temps utile l'objection formulée au moment même où la partie adverse s'apprête à faire une preuve illégale ou immédiatement après que cette preuve a été faite. Si, cependant, une partie ne s'oppose pas sur-le-champ à une telle preuve, peut-elle le faire plus tard? Même s'il existe des décisions où l'on a donné effet à une objection faite après la clôture de l'enquête, nous estimons que, à ce stade, toute objection devrait être considérée comme tardive et être rejetée. Nous invoquons à ce propos les motifs de M. le juge Taschereau dans la cause Gervais c. McCarthy :

Nous sommes d'avis qu'une partie qui assiste à une enquête et n'objecte pas à une preuve illégale offerte par la partie adverse ne peut ensuite se prévaloir de l'illégalité de cette preuve. Si l'objection eut été prise lorsque la preuve a été offerte, il est possible qu'un commencement de preuve par écrit, une preuve complète peut-être, eût pu être faite. Mais tendre un piège à son adversaire, éviter soigneusement de le mettre sur ses gardes, afin d'invoquer contre lui plus tard une telle illégalité quand il ne lui sera plus possible d'y remédier, ou afin de permettre à la cour de le faire d'office, comme il a été fait par la Cour supérieure dans l'instance, c'est ce qui pourrait être permis[9].

                                                                                                                                [Notes omises.]

[21]          De plus, la Cour n'avait pas d'obligation d'intervenir.

1108. La prohibition de l'article 2863 C.c.Q. n'est pas d'ordre public. Si une partie, en l'absence de toute objection de la part de son adversaire, a recours à une preuve testimoniale afin de contredire les termes d'un écrit, le tribunal ne pourra pas, comme


le prévoit l'article 2859 C.c.Q., intervenir d'office afin d'écarter cette preuve et il devra en tenir compte aux fins de la solution du litige.[10]

[Notes omises.]

[22]          Avant de terminer, j'aimerais faire un dernier commentaire. Contrairement à l'impression donnée lors de l'audience, ce n'est pas la première fois que cette cour a eu à décider si le ministre peut se prévaloir de l'article 1212 C.B.C. ou de l'article 1452 C.c.Q. dans l'application de la l'article 160 de la Loi. En effet, le juge Tremblay, dans les affaires Martel v. The Queen, 98 DTC 2012, et Jennewein (précitée) a conclu à l'applicabilité des articles 1212 C.B.C. et 1452 C.c.Q. dans le contexte de l'article 160 de la Loi. Dans l'affaire Martel, on avait aussi cité l'affaire Delisle (précitée) mentionnée par le procureur de Gaston Bolduc. C'est d'ailleurs probablement en raison de cette affaire que le juge Tremblay s'est demandé si le résultat obtenu au Québec en appliquant l'article 1452 C.c.Q. pourrait être différent dans les provinces canadiennes de common law. Voici ce qu'il écrit au paragraphe 36 :

On peut se demander si les faits en cause se passaient dans une autre province où n'existent pas le Code civil ni la contre-lettre, est-ce que l'appel devrait être accordé. La réponse est "non" parce qu'on appliquerait la théorie de l'Estoppel par représentation.

[23]          Pour tous ces motifs, l'appel de monsieur Gaston Bolduc est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-2403(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 GASTON BOLDUC

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    25 avril 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      12 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    Me Ronald Fecteau

Pour l'intimée :                                                       Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

                                Nom :                                       Me Ronald Fecteau

                                Étude :                                     MONTY COULOMBE

                                                                                                Sherbrooke (Québec)

Pour l'intimé(e) :                                                    Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-2403(IT)G

ENTRE :

GASTON BOLDUC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 25 avril 2002 à Sherbrooke (Québec) par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                                          Me Ronald Fecteau

Avocat de l'intimée :                                                            Me Simon-Nicolas Crépin

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation portant le numéro 09264 émis en vertu du paragraphe 160 (2) de la Loi de l'impôt sur le revenu est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Article 80.1 de la Loi sur la taxe de vente du Québec, L.R.Q. ch. T-0.1.

[2] Il s'agissait d'un courtier différent de celui dont Paulin Bolduc utilisait auparavant les services.

[3] L'article 1452 C.c.Q. se lit ainsi :

1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

[4] Voir les paragraphes 4 à 6 de la décision.

[5] Voir les pièces I-2 et I-3.

[6] L'article 1452 C.c.Q. va plus loin que l'article 1212 C.c.B.C. et donne le choix au tiers de bonne foi de se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, selon son intérêt.

[7] Voir aussi A. Nadeau et L. Ducharme, Traité de droit civil du Québec, 9, Montréal, Wilson et Lafleur, no 410.

[8] Les documents de la RAAQ constatant le transfert de l'immatriculation ne sont pas les actes constitutifs du don.

[9] (1904), 35 R.C.S. 14.

[10] Ducharme, op. cit.

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