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Date: 20021214

Dossier: 2000-761-IT-G

ENTRE :

RAYNALD GRENIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audience

le 26 septembre 2002 à Québec (Québec)

et modifiés pour plus de clarté)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Docteur Raynald Grenier interjette appel à l'encontre de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1993 à 1996 inclusivement. D'une part, le ministre a refusé dans le calcul du revenu de docteur Grenier une partie de ses pertes provenant d'une entreprise agricole pour les années 1994 à 1996. Le ministre est d'avis que la principale source de revenus du docteur Grenier n'était ni l'agriculture ni une combinaison de l'agriculture et d'une autre source et qu'en conséquence le montant des pertes agricoles déductibles était assujetti aux restrictions prévues au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi).

[2]            D'autre part, le ministre a ajouté aux revenus de docteur Grenier pour les années d'imposition 1993 et 1994 des revenus non déclarés de 26 184 $ et de 29 368 $ respectivement. Docteur Grenier ne conteste pas l'inclusion de cette dernière somme pour l'année d'imposition 1994. Par contre, il soutient que le ministre n'avait pas le droit d'établir sa nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1993 parce qu'il l'a fait au-delà du délai normal de nouvelle cotisation. Le ministre, quant à lui, soutient que docteur Grenier a fait à l'égard de cette année une présentation erronée des faits par négligence ou inattention et que la nouvelle cotisation a été établie conformément au paragraphe 152(4) de la Loi.

Faits

[3]            Docteur Grenier est né dans une ferme dans la région de Thetford Mines. À l'âge de douze ou treize ans, il devient pensionnaire. Il termine ses études chez les Eudistes à Québec et fait des études en médecine à l'Université Laval. Pendant ses congés scolaires, il travaille dans la ferme de son père. Il a commencé sa pratique de la médecine générale en 1966 dans la région du lac Mégantic et dit avoir investi moins de 1 000 $ pour meubler son cabinet médical. En 1971, il a commencé une spécialisation en dermatologie. À partir de 1975, il pratique comme dermatologue à Québec.

[4]            Docteur Grenier a fait son premier achat d'une terre forestière en 1967 au prix de 15 000 $. Il s'agissait d'une terre de deux cent soixante-douze acres. Au cours des trente années suivantes, il a acquis une soixantaine d'autres lots dans différentes régions du Québec : Thetford Mines, Québec et le canton de Leeds. Il affirme être devenu un des plus gros producteurs sylvicoles de la région de Québec. Cependant, docteur Grenier n'utilise pas de registres comptables et n'a été en mesure de fournir de réponses très détaillées et précises ni sur ses revenus agricoles bruts ni sur une partie de ses dépenses.

[5]            Il affirme avoir investi pratiquement toutes ses économies dans cette activité agricole et y avoir consacré aussi une grande partie de son temps libre. Il dit qu'il n'est pas amateur de télévision ni de golf. Il n'a pas suivi de cours en sylviculture, mais est un autodidacte, ayant acquis une partie de ses connaissances en consultant des ingénieurs forestiers. De façon générale, il fait dresser par un ingénieur forestier des plans d'aménagement forestier, qui constituent une sorte de guide général d'aménagement pour un lot donné. Ces plans d'aménagement lui permettent notamment d'obtenir des remboursements allant jusqu'à 85 % des taxes foncières et d'obtenir aussi des subventions pour la mise en valeur des terres forestières, subventions qui consistent notamment dans le paiement de jusqu'à 80 % du coût des arbres plantés. Un plan d'aménagement forestier coûte environ 250 $, dont un montant de 100 $ est payé par docteur Grenier et le reste par le ministère des Ressources naturelles.

[6]            Il dit avoir, au cours de sa carrière de sylviculteur, planté avec l'aide de sa famille environ cinq cent mille arbres, investi environ 750 000 $ dans l'achat de terres forestières et au moins 300 000 $ dans les opérations agricoles. Docteur Grenier est inscrit comme producteur forestier auprès du ministère des Ressources naturelles et il est membre de l'Union des producteurs agricoles depuis 1966. Il a gagné en 1989 un prix comme « bâtisseur de forêts » dans la région de Québec, qui lui a été remis par le ministre des Ressources naturelles. Il participe même à une commission parlementaire qui se penchait sur les problèmes reliés à la production sylvicole. Il est abonné à différentes revues et différents journaux portant sur la sylviculture.

[7]            Les pertes agricoles qu'il a déclarées de 1980 à 2000 s'élèvent à plus de 385 000 $ alors que ses revenus nets tirés de sa profession de médecin pour la même période s'élèvent à 2 908 504 $ sur des revenus bruts de 3 663 807 $.

[8]            Durant la période pertinente, soit les années 1994 à 1996, il consacrait au moins quatre jours par semaine à la pratique médicale. Au début de sa pratique de la médecine, a-t-il indiqué, il travaillait trois demi-journées à l'hôpital et consacrait le reste de son temps à la plantation sur ses terres forestières. Il a reconnu qu'il acceptait toujours de nouveaux patients et que le nombre d'actes médicaux qu'il faisait en 1993 était moins élevé que présentement. Ses revenus bruts tirés de la pratique de la médecine de 1993 à 1996 étaient les suivants : en 1993, 254 932 $; en 1994, 261 146 $; en 1995, 257 864 $; en 1996, 255 661 $.

[9]            Il dit avoir rempli lui-même ses déclarations de revenus en 1993 et 1994 et qu'il n'a pas remarqué l'omission de revenus tirés de la médecine de 26 184 $ en 1993 et de 29 368 $ en 1994. Comme cela est le cas pour son entreprise agricole, il ne tient pas de livres comptables pour son entreprise professionnelle. Il reçoit des relevés de la Régie de l'assurance maladie aux deux, trois ou quatre semaines et les additionne à la fin de l'année. Il a refusé d'utiliser les services informatiques d'une entreprise de comptabilité en raison de sa préoccupation de respecter la confidentialité des renseignements personnels de ses patients. À la fin de l'année 1993, il n'a pas obtenu un relevé global annuel de la Régie de l'assurance maladie. Il n'a pas non plus vérifié le total des chèques qu'il avait déposés dans son compte bancaire. Docteur Grenier ne connaît pas la source de son erreur. Par contre, il croit que les montants non déclarés peuvent correspondre à l'équivalent de deux relevés qui auraient pu être égarés ou même volés de sa résidence. Il a corrigé la situation en partie en demandant à la Régie de faire des dépôts directs dans son compte bancaire à compter de mai 1993.

[10]          La preuve ne révèle que très peu de récoltes forestières au cours des années 1980 à 2000 : il n'y en a pratiquement pas eu, sauf durant la période de 1997 à 2000. Il semble y avoir eu des revenus provenant des activités forestières de 26 193 $ en 1997, de 37 537 $ en 1998, de 44 087 $ en 1999 et de 17 735 $ en 2000. Toutefois, il n'est pas clair si ces revenus provenaient uniquement de la coupe de bois. Par contre, les ventes plus élevées que de coutume pourraient s'expliquer par des problèmes fiscaux résultant de cotisations du ministre refusant au docteur Grenier la déduction de ses pertes agricoles. Il aurait eu besoin d'argent pour payer ses dettes fiscales. Les ventes de bois pouvaient aussi lui permettre de faire état de bénéfices dans ses déclarations de revenus. En effet, pour les années 1997, 1998 et 1999, il déclare des bénéfices tirés de son entreprise agricole de 7 827 $ en 1997, de 3 409 $ en 1998 et de 9 621 $ en 1999. Docteur Grenier a dit qu'il avait cultivé et vendu des sapins de Noël dans les années 1970, mais avait arrêté en 1989 en raison de l'introduction de la TPS. Je note toutefois que la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise n'a été mise en vigueur qu'à compter de 1991.

[11]          Aucune explication claire n'a été fournie à la Cour pour le peu de récoltes. L'impression donnée, c'est que docteur Grenier semble vouloir reporter ces activités à sa retraite. Il faut ajouter aussi que la production sylvicole se fait sur une longue période : les résineux prennent entre quarante et soixante-dix années pour devenir matures. Toutefois, comme l'a fait remarquer le procureur de l'intimée, on aurait pu s'attendre à ce qu'une partie de la récolte puisse être disponible au cours de la période pertinente et des années antérieures. Je note de plus que les revenus bruts que docteur Grenier a tirés de la sylviculture sont souvent constitués de subventions et de remboursements de taxes foncières. Par exemple, pour les années 1994 et 1995, ces sommes représentent 60 % et 79 % de ces revenus bruts déclarés par docteur Grenier.

[12]          Docteur Grenier est maintenant âgé de 64 ans et il songe, dit-il, à transférer une partie de ses terres forestières à ses enfants.


Analyse

Pertes agricoles restreintes

[13]          Je vais d'abord traiter la question des pertes agricoles restreintes soulevée par l'application de l'article 31 de la Loi. Cet article a donné lieu à beaucoup de difficultés dans son application et, par conséquent, il n'est pas surprenant de constater l'existence d'un grand nombre de décisions jurisprudentielles souvent, en apparence, contradictoires. D'ailleurs, les procureurs des parties en ont cité plusieurs.

[14]          À mon avis, les trois décisions les plus importantes pour dégager les principes juridiques pertinents quant à l'application de l'article 31 sont les suivantes. Tout d'abord, il y a la décision Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, 77 DTC 5213, qui est la décision la plus souvent citée de la plus haute instance canadienne, la Cour suprême du Canada. Ensuite, il y a deux décisions de la Cour d'appel fédérale qui sont, à ma connaissance, les décisions les plus récentes qui fournissent une analyse détaillée de l'application de l'article 31 de la Loi. Il s'agit de Watt c. Canada, [2001] A.C.F. no 517, et de Canada c. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513, [1997] A.C.F. no 1351.

[15]          J'aimerais d'abord citer le passage suivant où le juge Dickson, dans l'affaire Moldowan, [1978] 1 R.C.S. décrit la portée de l'article 31 (à l'époque l'article 13), aux pages 487 et 488 de la décision :

À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d'agriculteur :

(1) le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

(2) le contribuable ne considère par l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;

(3) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la 1re catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à $5,000. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale « source » de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la 1re catégorie uniquement parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.

                                                                                                [Je souligne.]

[16]          Dans l'affaire Donnelly, le juge Robertson, parlant au nom de la Cour d'appel fédérale, énonçait ce qui suit aux paragraphes 8 et 9 :

Pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable, il faut établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l'autre source de revenu du contribuable sous l'angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s'agit d'un critère à la fois relatif et objectif. Ce n'est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d'eux n'est décisif. Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu: il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale. Si la règle de droit était différente, la Cour de l'impôt n'aurait aucun moyen d'établir une comparaison entre les montants relatifs censés être tirés de l'agriculture et de l'autre source de revenu, ainsi que le prévoit l'article 31 de la Loi. J'approfondirai un peu plus loin la question de la mesure dans laquelle le fardeau de preuve pour ce qui est de la rentabilité diffère de celui qui régit l'expectative raisonnable de profit.

En résumé, les capitaux investis, le temps consacré à l'activité et la rentabilité sont les facteurs cumulatifs qui détermineront si l'agriculture sera considérée comme une "entreprise secondaire" visée par les dispositions relatives à la perte agricole restreinte. Ces principes directeurs découlent des décisions suivantes: Moldowan (supra); Timpson (R.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 55 (C.A.F.); Succession Poirier (B.) c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 9 (C.A.F.); Connell (J.P.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 182 (C.A.F.); Roney (C.H.) c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 280 (C.A.F.); Morrissey c. Canada, [1989] 2 C.F. 418 (C.A.); Gordon (R.T.) c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 280 (C.F. 1re inst.); Mott (P.S.) c. M.R.N., [1988] 2 C.T.C. 127 (C.F. 1re inst.); et Mohl (G.) c. Canada, [1989] 1 C.T.C. 425 (C.F. 1re inst.).

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[17]          Dans l'affaire Watt, le juge Sexton a cité au paragraphe 13, le passage suivant tiré de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Morrissey :

Nous estimons que le juge de la Cour de l'impôt a appliqué correctement la loi quant à cette question comme notre Cour l'a fait remarquer dans La Reine c. Morrissey :

Selon une bonne application du test proposé dans l'arrêt Moldowan, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on considère improbable la rentabilité de l'entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l'agriculture n'est pas une source principale de revenu pour l'agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l'argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans rentabilité réelle ou possible, l'agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu'il s'adonnait à l'agriculture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l'agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribuable.

                                                                                                                                [Je souligne.]

[18]          Appliquons ces principes juridiques aux faits de ces appels. Malheureusement pour lui, docteur Grenier n'a pas réussi à démontrer qu'il était, durant les années pertinentes, un agriculteur de la première catégorie décrite par la Cour suprême du Canada dans Moldowan. En d'autres mots, il n'a pas réussi à démontrer que la source principale de ses revenus était l'agriculture ou une combinaison de l'agriculture et d'une autre source de revenu.

[19]          Les principaux critères pour déterminer si l'agriculture constitue une source principale de revenu sont le temps consacré aux activités agricoles, les capitaux investis et la rentabilité présente et future. De façon générale, je dois constater que la preuve présentée par docteur Grenier a été insuffisante en ce qui concerne ces trois critères. Le critère à l'égard duquel il a le mieux fait sa preuve - ce qui ne signifie quand même pas que cette preuve était entièrement satisfaisante - est celui des capitaux investis. La seule preuve à cet égard est une estimation de docteur Grenier selon laquelle il aurait investi un minimum d'entre 500 000 $ et 800 000 $ dans ses immobilisations, principalement les terres forestières, et entre 300 000 $ et 350 000 $ dans les opérations. Je n'ai aucun doute que docteur Grenier a investi plus d'argent dans son entreprise agricole que dans sa pratique médicale. Toutefois, même quant à cet aspect, la preuve est loin d'avoir été des plus précises. Docteur Grenier n'a pas présenté de bilans qui auraient permis de déterminer le montant du capital investi dans son entreprise agricole et dans son entreprise professionnelle. De plus, la seule preuve concernant le coût d'acquisition du mobilier nécessaire à l'exploitation de l'entreprise qu'était sa pratique médicale se rapporte au début de sa carrière au lac Mégantic; il a dépensé à ce moment-là moins de 1 000 $ pour l'acquisition de son mobilier. Rien n'a été dit au sujet des immobilisations utilisées lorsqu'il exerçait en dermatologie à Québec durant les années d'imposition pertinentes.

[20]          Quant au temps consacré aux activités agricoles, il n'existe pas de données précises pour le quantifier. Docteur Grenier a été vague dans ses réponses. Dans sa plaidoirie, son procureur a soutenu que docteur Grenier était constamment préoccupé par la sylviculture. Il n'y a, cependant, aucune preuve précise établissant que docteur Grenier a consacré plus de temps à ses activités agricoles qu'à ses activités professionnelles. Il a affirmé avoir planté, avec l'aide de sa famille, un minimum de cinq cent mille arbres sur ses nombreuses terres (68 en 2001) acquises au cours d'une trentaine d'années. Il n'y a pas de doute que docteur Grenier a dû consacrer beaucoup d'heures à la plantation de ces arbres. Toutefois, comme l'a reconnu le procureur de docteur Grenier, il ne s'agit pas là d'une activité qui exige que l'on y consacre un nombre important d'heures tout au cours de l'année, comme cela est le cas, par exemple, de l'élevage laitier.

[21]          Quant au temps consacré à ses activités professionnelles, il ressort de l'ensemble de la preuve que docteur Grenier devait consacrer entre quatre et quatre journées et demie par semaine à sa pratique médicale. Les revenus bruts qu'il tirait de sa profession sont passés de 79 226 $ en 1980, la première année pour laquelle la preuve fournit des données, et ils se sont maintenus durant la plus grande partie des années 1980 aux alentours de 100 000 $. En 1989, les revenus ont augmenté de façon considérable, à plus de 210 000 $, et se sont maintenus durant les années 1990 entre 220 000 $ et 261 000 $. Durant les années pertinentes, ces revenus s'élevaient à 254 932 $ en 1993, à 261 146 $ en 1994, à 257 864 $ en 1995 et à 255 661 $ en 1996. Pour l'année 2000, la dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, son revenu professionnel brut s'élevait à 247 756 $. Ces chiffres révèlent donc que l'activité professionnelle de docteur Grenier s'est maintenue à un niveau très élevé par rapport à ce qu'elle avait été au début de sa carrière, ce qui ne révèle aucunement un changement d'orientation professionnelle.

[22]          Pendant la période de 1980 à 2000, l'entreprise agricole de docteur Grenier n'a cessé de produire des pertes. Il est vrai que, pour les années 1997, 1998 et 1999 - c'est-à-dire après qu'il eut engagé les services d'un comptable -, on constate de faibles revenus nets de 7 827 $ pour 1997, de 3 409 $ pour 1998 et de 9 621 $ pour 1999. Par contre, selon toute vraisemblance, ces chiffres ne reflètent pas la véritable situation financière de l'entreprise agricole. En effet, on a omis de déduire des taxes foncières pour ces trois années d'imposition. Les montants des taxes foncières payées au cours des années 1993 à 1996 variaient entre 17 954 $ et 45 644 $ alors que, pour les années 1997, 1998 et 1999, le montant indiqué n'est que de 2 607 $ pour 1997, de 907 $ pour 1998 et de 938 $ pour 1999. Le montant des taxes foncières revient à 40 261 $ pour l'année d'imposition 2000.

[23]          Même si l'on ne retenait comme chiffre annuel des taxes foncières qu'une somme de 35 000 $, le contribuable aurait subi également des pertes importantes pour les années 1997 à 1999, soit des pertes cumulatives de 79 691 $ au lieu d'un bénéfice cumulatif de 20 857 $. Le contribuable aurait donc subi des pertes agricoles pour chacune des vingt et une dernières années d'exploitation agricole pour lesquelles la preuve fournit des données. Les pertes cumulatives de 1980 à 2000 seraient alors non pas de 385 126 $ mais plutôt de 485 674 $.

[24]          Cette constatation m'amène à traiter du troisième critère, celui de la rentabilité présente et future de l'entreprise. Quant à la question de la rentabilité présente, les chiffres déjà mentionnés y répondent adéquatement. Quant à la rentabilité future de l'entreprise, la preuve produite par docteur Grenier consiste en ses affirmations que ses nombreuses terres forestières vaudraient quelques millions de dollars et que la croissance annuelle de ses arbres représenterait une valeur économique annuelle de 200 000 $.

[25]          Ces affirmations sont tout à fait insuffisantes pour établir la rentabilité de l'entreprise agricole, élément que je distingue de l'espoir raisonnable de profit que peut avoir docteur Grenier. La Cour ne possède aucun élément objectif lui permettant de conclure que, même au moment de sa retraite, docteur Grenier pourrait réaliser des profits importants. Il n'est pas impossible que l'activité de docteur Grenier puisse générer des profits importants. Toutefois, la preuve ne l'a pas établi selon la prépondérance des probabilités. Aucune preuve n'a été présentée ni sur la valeur des terres possédées par docteur Grenier ni sur la question de savoir si l'exploitation de ces terres boisées pourrait générer des bénéfices importants. Même pour les années 1997 à 1999, au cours desquelles il y a eu vraisemblablement certaines ventes de bois, le contribuable a continué à subir des pertes. Dans son témoignage, l'ingénieur forestier a même reconnu qu'une coupe sélective de bois sur des terres forestières pourrait se révéler peu rentable.

[26]          Il est troublant aussi de constater que docteur Grenier a fait peu de coupe et de récolte de bois durant ces vingt et une années. Les seules activités de coupe de bois, modestes d'ailleurs, au cours des années d'imposition 1997 à 2000 semblent avoir été le résultat de difficultés financières découlant des cotisations par lesquelles le ministre refusait une partie des pertes agricoles.

[27]          Docteur Grenier ne semble pas s'être préoccupé d'effectuer des coupes de bois. Sa seule stratégie semble avoir été de planter le plus grand nombre d'arbres possible de la façon la plus efficace possible en suivant les plans d'aménagement forestier suggérés par les ingénieurs. À ce propos, il a produit des plans d'aménagement qui constituent une indication générale de l'approche qui devait être suivie. Toutefois, aucune preuve documentaire n'a été présentée pour confirmer l'existence de prescriptions en matière sylvicole qui énonçaient une démarche plus précise dans l'exploitation de l'entreprise sylvicole.

[28]          Il n'y a aucune donnée précise quant à la valeur du bois cultivé par docteur Grenier[1] qui ne me permette de conclure à la rentabilité des activités de ce dernier. Même s'il existe un agent pouvant effectuer la vente de bois cultivé par docteur Grenier, rien n'indique que cela puisse constituer une opération rentable. Je note que, dans l'année 2000, il y a eu une vente de bois clairement indiquée, pour une somme de 17 735 $, et que les coûts directs reliés à la coupe de ce bois semblent s'être élevés à 8 326 $, ce qui représente donc 47 % du produit de la vente. À ces coûts, il faut ajouter notamment les frais fixes.

[29]          Vu le manque flagrant de preuve quant à la rentabilité de l'activité agricole de docteur Grenier, son procureur a suggéré que la Cour tienne compte de sa connaissance judiciaire. Tout d'abord, la Cour n'a pas cette connaissance et ne peut conjecturer sur le caractère raisonnable des estimations effectuées par docteur Grenier lors dans son témoignage. De plus, j'ai pris connaissance d'articles publiés dans deux magazines produits en preuve par docteur Grenier pour démontrer qu'il s'était abonné à des magazines traitant de sylviculture et qu'il agissait comme un producteur agricole sérieux. Dans le magazine Le Progrès forestier de janvier 1992, un article de Jacques Hébert définit le sylviculteur artisan ainsi à la page 43 :

[...] celui qui est propriétaire de ses lots; celui qui est connaissant de ses techniques sylvicoles et qui a le souci de la recherche évolutive de son art; celui-ci fait lui-même ses travaux avec sa famille et ils en vivent.

[30]          Dans le magazine Forêt Conservation de février 1993, on trouve à la page 8, un article de madame Louise Desautels, et on peut y lire ce qui suit :

Ce n'est pas d'hier qu'on parle de fermes forestières au Québec. Mais ce concept selon lequel des gens pourraient vivre décemment des multiples ressources de leur forêt n'a encore jamais été vraiment appliqué dans la réalité.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[31]          À la page 9, elle écrit, après avoir mentionné qu'en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent on a élaboré deux projets sérieux qui visaient à transformer la théorie en pratique :

[...] Dans les deux cas, l'objectif est d'établir des fermes forestières, c'est-à-dire des unités sur lesquelles l'aménagement polyvalent et l'exploitation durable des ressources par des individus deviendraient des activités permanentes capables de générer des revenus annuels décents.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[32]          En parlant d'un projet qui s'exécute sur le territoire du Témiscouata, elle dit ce qui suit, à la même page :

[...] Actuellement, une petite forêt privée de ce secteur couvre 80 ha en moyenne, alors que 250 ha représenteraient la superficie minimum pour qui songerait à vivre de sa forêt.

[33]          Un peu plus loin, à la page 10, elle cite un certain Richard Savard :

De toute façon, estime le coordonnateur du projet, la formule va permettre un premier test du concept de fermes forestières. « L'argument qu'on oppose sans cesse à ceux qui proposent de telles fermes est la non-rentabilité à long terme, explique-t-il. Alors, avant d'élaborer le projet, nous avons réuni une équipe d'ingénieurs forestiers et d'économistes pour faire des calculs et des simulations informatiques. »

La conclusion du groupe est claire. Trois facteurs font obstacle à la rentabilité des fermes forestières : le trop faible prix payé par les acheteurs de bois; les frais d'hypothèque lorsque le fermier a dû acheter sa terre; et le suréquipement, qui consiste en l'acquisition d'une machinerie trop grosse et ne fonctionnant que quelques jours par année. [. . .]


Cette perspective de non rentabilité préoccupe également Gérald Tremblay, porte-parole du Comité forestier de la région de Matane.

                                                                                [Je souligne.]

[34]          Finalement, madame Desautels écrit à la page 12 :

[...] « Assez rapidement, calcule Gérald Tremblay, le salaire annuel d'un fermier se situerait autour de 25 000 $. » Ce revenu proviendrait des aménagements subventionnés, de la vente de bois et, selon le potentiel du territoire, d'une ou deux activités connexes : accueil de pêcheurs ou de randonneurs, élevage de cerfs, etc.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[35]          Ces passages ne font pas la preuve que la sylviculture ne peut être rentable, puisqu'il s'agit d'une preuve qui aurait dû être faite par un ou plusieurs témoins experts. Toutefois, ils révèlent à tout le moins que la rentabilité de la sylviculture est loin d'être évidente et qu'il aurait été nécessaire que docteur Grenier établisse la rentabilité dans son cas par une preuve probante, plus probante que le simple fait d'exprimer sa conviction qu'il réalisera des millions sur la vente de son bois et de ses terres lorsqu'il serait à la retraite. Pour faire un bénéfice, il faut engager des dépenses et c'est en soustrayant des recettes toutes les dépenses que l'on peut déterminer la rentabilité d'une activité économique. Vu le défaut d'une preuve probante de la rentabilité de l'exploitation agricole de docteur Grenier, je conclus qu'une preuve portant sur la question de la rentabilité n'aurait pas été favorable à la position de celui-ci.

[36]          Par conséquent, il ne m'est pas possible de conclure à la rentabilité de l'exploitation sylvicole du docteur Grenier ni de conclure que l'entreprise agricole ou une combinaison de l'agriculture et d'une autre source constituait sa source principale de revenus. Il est donc loin d'être évident que docteur Grenier était un agriculteur de la première catégorie décrite par le juge Dickson.

[37]          Avant de terminer, j'aimerais citer certains passages tirés des décisions Donnelly et Watt, qui présentent des faits assez semblables à ceux des présents appels. Il n'est donc pas surprenant que certains des commentaires et certaines des affirmations qu'ont faits les juges dans ces décisions soient tout à fait applicables en l'espèce. Au paragraphe 1 de ses motifs, dans Donnelly le juge Robertson parle de contribuables « qui gagnent leur revenu à la ville et le perdent à la campagne » . Ici, il n'est aucunement en preuve que docteur Grenier habitait sur l'une de ses terres forestières. Au contraire, au moment où il est venu témoigner, docteur Grenier habitait dans la ville de Québec. Sur ses déclarations de revenus pour les années 1993 à 2000 ainsi que sur les plans d'aménagement forestier, l'adresse indiquée est son adresse à Québec ou à Sillery. Je n'ai aucune raison de croire qu'il habitait ailleurs puisque c'est à Québec qu'il exerçait sa profession de médecin.

[38]          Dans Donnelly, même si le contribuable consacrait quarante heures par semaine à son exploitation agricole et vingt-quatre heures seulement à sa pratique médicale, cela n'a pas empêché la Cour d'appel fédérale de conclure que sa pratique médicale constituait la source principale de ses revenus. Au paragraphe 3, le juge Robertson conclut que le contribuable « vivait, mangeait et élevait des chevaux » . Ici, je n'ai aucun doute que docteur Grenier était passionné par la plantation de ses arbres et qu'il a, grâce à cette activité, apporté une contribution importante et valable à la reforestation au Québec. D'ailleurs, le prix qu'on lui a remis témoigne éloquemment de cet apport de docteur Grenier. Par contre, une telle reconnaissance n'établit pas que le docteur Grenier était, aux fins de l'article 31 de la Loi, un agriculteur de la première catégorie.

[39]          En outre, il est intéressant de noter les propos suivants du juge Robertson sur la question du manque de preuve, au paragraphe 13 de l'arrêt Donnelly :

En l'espèce, il incombait au contribuable de démontrer ce qu'il aurait raisonnablement pu gagner n'eussent été les deux contretemps qui sont à l'origine de la perte, à savoir le décès de M. Rankin et la baisse des prix des chevaux. Je dis cela parce que le juge de la Cour de l'impôt a conclu que sans ces deux contretemps le contribuable aurait tiré la majeure partie de son revenu de l'agriculture au cours des trois années d'imposition en question. Il ne fait aucun doute que la perte de M. Rankin et les modifications qui ont été apportées aux lois fiscales américaines ont eu un effet négatif et inattendu sur l'entreprise, mais le contribuable n'a fourni aucun élément de preuve sur les bénéfices qu'il aurait pu réaliser si ces événements ne s'étaient pas produits ni sur la question de savoir si le montant aurait été jugé considérable par rapport à son revenu de profession libérale. Le contribuable ne pouvait pas se contenter d'affirmer qu'il pourrait avoir réalisé un bénéfice. Il aurait dû


fournir assez d'éléments de preuve pour permettre au juge de la Cour de l'impôt d'évaluer à combien ce bénéfice aurait pu s'élever.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[40]          Un peu plus loin, au paragraphe 14, il ajoute ce qui suit :

[...] Le juge de la Cour de l'impôt n'a pas effectué d'analyse du bénéfice que le contribuable aurait pu réaliser au cours de chacune des trois années d'imposition en cause. Nul doute que cette omission est en partie attribuable au fait que le contribuable n'a pas produit les éléments de preuve nécessaires, comme le fait ressortir le témoignage du Dr McCarthy. Ce témoignage a porté sur la question de savoir si l'entreprise d'élevage de chevaux avait une expectative raisonnable de profit. Le témoin a reconnu qu'il n'avait jamais examiné les livres comptables du contribuable ni comparé les recettes et les dépenses de l'entreprise [...]. Il a été incapable d'émettre une opinion sur la rentabilité future de cette entreprise.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[41]          Comme cela a été fait dans l'arrêt Donnelly, au paragraphe 16, on pourrait affirmer ici (en faisant, bien sûr, les adaptations nécessaires) :

[...] que le revenu supplémentaire provenant de l'exercice de la médecine [servait] à acheter de nouveaux chevaux. On peut soutenir que les actes du contribuable ne traduisaient aucun désir de tirer un revenu de son entreprise d'élevage de chevaux au cours des années d'imposition en question. Au contraire, il semblerait que le fait qu'il réinvestissait périodiquement dans de nouveaux chevaux dénotait un désir d'améliorer ses écuries, peut-être dans l'espoir de prendre sa retraite un jour et de vivre du revenu tiré de son entreprise d'élevage à ce moment-là.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

Ici, docteur Grenier ne semble s'intéresser, tel qu'il est mentionné plus haut, qu'à la plantation des arbres et il ne semble avoir espoir de vivre de ses terres que lorsqu'il sera à la retraite. Or, il est surprenant de constater que docteur Grenier songe plutôt à transférer ses terres à ses enfants[2] lorsqu'il arrivera à l'âge de la retraite.

[42]          Finalement, rappelons les propos suivants tenus par le juge Robertson au paragraphe 21 :

Peut-être bien qu'en droit fiscal il faut établir une distinction entre le fermier qui va à la ville et le citadin qui va à la campagne. Les personnes qui insisteront à l'avenir pour obtenir un allégement fiscal dans des circonstances semblables aux circonstances de l'espèce devraient le faire par les voies législatives et non par l'entremise de la Cour canadienne de l'impôt. Le système judiciaire ne peut plus se permettre d'encourager les contribuables ou leurs avocats à engager de telles poursuites dans l'attente du triomphe de l'espoir sur l'expérience.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

Est-il nécessaire de rappeler que docteur Grenier vivait et gagnait son revenu à la ville et le perdait à la campagne?

[43]          Il y a finalement ces commentaires du juge Sexton au paragraphe 15 de l'arrêt Watt, auxquels je souscris sans aucune réserve :

En rejetant le présent appel, nous ne voulons pas que le présent arrêt soit interprété comme un manque de compassion envers les fermiers dans la situation de l'appelant. De toute évidence, l'appelant était véritablement impliqué dans l'exploitation de la ferme. Cependant, l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu et les décisions dans lesquelles cet article a été examiné appliquent un critère qui peut, dans certains cas, sembler inéquitable. Bien que nous nous sentions obligés aux termes de la jurisprudence de notre Cour de rejeter le présent appel, nous ne pouvons pas nous empêcher de remarquer les nombreuses causes ayant trait à l'article 31 portées devant la Cour de l'impôt et la Cour qui donnent parfois lieu à des résultats contradictoires. En dépit de l'apparence d'injustice dans certaines de ces causes, lorsqu'un contribuable qui occupe un emploi bien rémunéré est également impliqué de façon importante dans une entreprise agricole déficitaire qui n'est pas une "ferme d'agrément", le législateur n'a pas réexaminé cette disposition que le juge Dickson a décrit en 1977 comme étant un "paragraphe difficile, mal formulé". La Cour suprême du Canada ne s'est pas non plus penchée de nouveau sur cette question depuis 1977. Peut-être est-il temps de modifier ou du moins de clarifier cette disposition pour la rendre plus contemporaine.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

Année prescrite

[44]          Maintenant, je vais traiter la question de l'année prescrite, pour 1993. À mon avis, le ministre s'est acquitté de la charge de démontrer que le contribuable a fait une présentation erronée des faits par négligence ou inattention. Je suis convaincu que docteur Grenier ne l'a pas fait par omission volontaire et c'est à bon droit que le ministre a annulé la pénalité. Toutefois, comme l'a reconnu le juge Strayer dans l'affaire Venne c. Canada, [1984] A.C.F. 314, 84 DTC 6247, le fardeau du ministre est moins lourd quand il est question de réouverture d'une année prescrite. Voici ce que disait le juge Strayer :

Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes « présentation erronée des faits, par négligence » , en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[45]          Ici, la négligence du docteur Grenier a consisté à ne se fier qu'aux relevés qui ont été envoyés par la Régie de l'assurance maladie à la suite de chacune de ses demandes de paiement d'honoraires et qu'il a conservés dans ses classeurs, et à ne pas avoir vérifié le total des chiffres figurant sur ces relevés en le comparant avec celui de ses dépôts des chèques émis par la Régie, ou à ne pas avoir demandé à la Régie le total de ses honoraires à la fin de l'année. Comme il ne tenait pas de livres et qu'il avait décidé, pour des raisons d'éthique, de ne pas retenir les services d'un comptable, qui aurait pu faire une conciliation entre les sommes qu'il avait réclamées à la Régie et les relevés fournis par elle, le docteur Grenier aurait dû

faire preuve de diligence raisonnable en faisant à tout le moins le total de ses dépôts ou, encore mieux, en demandant le relevé annuel à la Régie.

[46]          Pour tous ces motifs, les appels de docteur Grenier sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2002.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.No DU DOSSIER DE LA COUR :                            2000-761(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 RAYNALD GRENIER

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    5 septembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      1er octobre 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    Me Daniel Bourgeois

Pour l'intimée :                                                       Me Michel Lamarre

Me Valérie Tardif

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                                       Me Daniel Bourgeois

                                Étude :                                     Pothier Delisle

                                                                                                Sainte-Foy (Québec)

Pour l'intimé :                                                         Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-761(IT)G

ENTRE :

RAYNALD GRENIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 5 septembre 2002 et jugement rendu oralement

le 26 septembre 2002 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                                          Me Daniel Bourgeois

Avocats de l'intimée :                                                          Me Michel Lamarre

Me Valérie Tardif

Jugement

                Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour d'octobre 2002.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Qui aurait dû être vendu par l'intermédiaire de l'Office des producteurs de bois, l'agent de vente exclusif des producteurs, selon ce que prétend le procureur du docteur Grenier.

[2] Est-ce que cela signifie que ce serait alors la génération suivante qui pourrait peut-être réaliser suffisamment de bénéfices pour vivre de ces terres?

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