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Date: 20020419

Dossier: 2001-1176-IT-I

ENTRE :

TERRANCE BROWN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            M. Terrance Brown interjette appel au moyen de la procédure informelle pour les années d'imposition 1983 à 2001 inclusivement. Il demande une déduction pour personnes handicapées pour les années 1983 à 1987 et un crédit d'impôt pour personnes handicapées, pour les années 1988 à 2001.

[2]            M. Brown a subi un traumatisme crânien à la suite d'un accident qu'il a subi en septembre 1975, à l'âge de 10 ans. Il est resté inconscient environ huit semaines après l'accident. Ce n'est toutefois qu'en 1999 que M. Brown a commencé à recevoir des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada car, avant cela, selon ses dires, il ne savait pas qu'il y avait droit. De même, il n'a pas demandé de déduction pour personnes handicapées ou de crédit d'impôt pour les années pertinentes avant juin 2000, lorsqu'il a déposé un avis d'opposition pour les années 1983 à 1998.

[3]            M. Brown a parlé de son enfance et de sa jeunesse comme d'une époque où il pensait qu'il était différent et que quelque chose n'allait pas, sans savoir pourquoi. Il a fait sa 12e année et, pendant un certain temps, il a travaillé comme aide-soignant, mais il a été mis à pied de ce poste. Lorsqu'il était aide-soignant, il s'occupait d'une personne qui souffrait d'un traumatisme crânien. Cette expérience lui aurait fait prendre conscience de ses propres difficultés, ce qui l'a amené à faire deux choses : d'abord consulter des médecins pour obtenir des soins médicaux et, ensuite, obtenir l'aide financière du gouvernement.

[4]            M. Brown vit seul, parce qu'il y a été obligé d'après le témoignage de sa soeur. Personne ne s'était rendu compte de la gravité de son traumatisme crânien avant que M. Brown lui-même ne cherche à comprendre ses difficultés. Il semble avoir été pas mal laissé à lui-même pendant toute sa jeunesse.

[5]            M. Brown dit qu'il a une aptitude limitée à comprendre et à mémoriser. Il affirme qu'il se laisse facilement distraire, qu'il a du mal à s'organiser et qu'il s'énerve très vite. Il aime écouter de la musique et se promener dans les bois. Il dit qu'il joue de la guitare depuis 23 ans, mais en réponse à des questions, il avoue ne connaître que des extraits de trois ou quatre chansons.

[6]            Les médecins auxquels M. Brown s'est adressé lui ont prescrit des médicaments. Malheureusement, ces médicaments le font somnoler et il a cessé de les prendre. Il ne prend pas de médicaments, mais il fume de la marijuana régulièrement pour, comme il dit, l'aider à penser. Il a résumé son état comme ceci : « mon lobe frontal est détraqué, et il s'agit du clavier du cerveau » .

[7]            En ce qui concerne l'analyse que les spécialistes ont effectuée de l'état de M. Brown, je me réfère à trois rapports pertinents, qui ont été présentés en preuve malgré l'absence des spécialistes eux-mêmes. En premier lieu, le Certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées, daté du 27 février 1998 et signé par le Dr Strobele, qui a coché « Non » en réponse à la question suivante : « Votre patient est-il capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie si nécessaire? » Le Dr Strobele a répondu « Oui » à la question 9, libellée ainsi : « La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne même en utilisant des appareils appropriés, des prothèses, en prenant des médicaments ou en suivant une thérapie? » .

[8]            Après avoir établi son certificat, le Dr Strobele a reçu, en novembre 1998, un rapport du Dr Van Reekum contenant les indications suivantes :

[TRADUCTION]

[...]

L'évaluation neuropsychologique menée le 30 septembre 1998 sous la supervision du Dr Fulton montre que son QI est normal. Il manifeste des déficits neuropsychologiques liés à son traumatisme du lobe frontal droit, une déficience kinesthésique de l'apprentissage moteur de la main gauche, une faiblesse du côté gauche, de la lenteur et une dextérité réduite, une diminution du traitement de l'information et une déficience grave au niveau de la mémoire à court terme. [...]

Il poursuit :

[TRADUCTION]

[...]

En somme, Terry a subi un grave traumatisme crânien à l'âge de 10 ans, ainsi que de multiples traumatismes musculosquelettiques. Ce n'est que récemment qu'il en a pris conscience. Ces traumatismes ont toutefois entraîné des déficits cognitifs, de la douleur chronique, un effet désinhibiteur et des difficultés affectives. Il présente également des antécédents d'alcoolisme et de toxicomanie paternels, et Terry a subi de mauvais traitements physiques et émotionnels infligés par son père. La prise de conscience récente de ses antécédents et des répercussions de ses traumatismes aidera Terry à chercher des services de réadaptation et à recevoir une compensation, mais c'est douloureux pour lui. Il en a beaucoup perdu, et il en est de plus en plus conscient. Il ressent beaucoup de colère contre le système, le manque de réadaptation et de soutien. J'estime qu'il a raison de ressentir cette colère et cette frustration, car il est vraiment « passé entre les mailles du filet » . Il souffre également de phobie sociale, probablement à cause de son manque d'aptitudes sociales et de contact social et il a des crises de panique dans la foule. Il a énormément souffert et il est clairement très handicapé.

[9]            Enfin, le rapport de Linda McGovern, psychométricienne, et de W.A. Fulton, psychologue, suite à leur examen de M. Brown en septembre 1998, contient notamment le passage suivant :

[TRADUCTION]

En somme, les résultats de l'examen ont révélé plusieurs aspects du déficit sur les mesures de la fonction cognitive, mnésique et psychomotrice. En particulier, la configuration des résultats est compatible avec un traumatisme du lobe frontal droit. S'y ajoutent des difficultés au niveau de la mémoire, de la distractibilité et du fonctionnement directeur. En particulier, M. Brown manifeste des difficultés avec la planification et le séquençage, l'initiative, le raisonnement divergent et la résolution de problèmes et l'apprentissage non verbaux. En revanche, ses aptitudes intellectuelles générales sont intactes. Compte tenu des déficits ci-dessus, son « accès » à des aptitudes intellectuelles intactes est limité, surtout dans les situations inédites où il doit s'adapter à l'information qu'il capte. Puisque ses aptitudes verbales et conversationnelles sont restées relativement intactes, les déficits cognitifs de M. Brown ne sont pas toujours évidents à ceux qui ont des rapports avec lui.

Vu l'ampleur des déficits neurocognitifs de M. Brown, il semble impossible pour lui de reprendre un emploi dans un cadre compétitif à l'heure actuelle. Étant donné que plus de vingt ans se sont écoulés depuis son traumatisme, ses déficits peuvent certainement être considérés de nature permanente. Il peut être capable de fonctionner de manière adéquate dans un contexte où il est soutenu, supervisé ou protégé, mais il ne serait capable d'entreprendre des initiatives en matière d'emploi dans un contexte compétitif, vu ses déficiences mnésiques et neuropsychologiques.

[10]          Malgré ces handicaps significatifs, M. Brown a réussi à atteindre un certain degré d'indépendance. Comme il le dit d'ailleurs, « tout ce que j'ai fait, je l'ai fait moi-même » .

[11]          L'attitude de M. Brown à la barre des témoins était celle d'une personne sincère mais qui s'embrouille souvent. Il avait du mal à suivre les documents, perdait le fil de sa pensée et oubliait ce qu'il était sur le point de dire.

[12]          L'intimée a fait référence à un commentaire du Dr Fulton, dans une lettre datée du 12 janvier 2001 :

[TRADUCTION]

[...] Même si la capacité de M. Brown à percevoir et à se souvenir est clairement très réduite sur le plan neuropsychologique, il ne répond pas à la définition normalisée, dans le sens qu'on ne pourrait dire en toute honnêteté de lui qu'il est incapable de « gérer ou d'initier ses soins personnels sans supervision constante » . Néanmoins, M. Brown est certainement atteint d'une variété de déficiences neurocognitives qui sont les effets secondaires d'un traumatisme crânien grave. [...]

[13]          En ce qui concerne les dates auxquelles les avis d'objection ont été présentés, la chronologie qui se dégage de la réponse à l'avis d'appel est la suivante :

[TRADUCTION]

7.              Lorsqu'il a établi le montant d'impôt à payer par l'appelant pour les années d'imposition 1983 et 1984 (avis qu'aucun impôt n'était payable, respectivement datés du 26 avril 1984 et du 10 avril 1985), le ministre du Revenu national (le « ministre » ) n'a pas admis de déduction pour personnes handicapées et, lorsqu'il a établi le montant d'impôt à payer par l'appelant pour les années d'imposition 1985, 1986 et 1987 (avis de cotisation datés du 29 avril 1986, du 24 avril 1987 et du 26 septembre 1988), le ministre n'a pas admis de déduction pour personnes handicapées.

8.              Lorsqu'il a établi le montant d'impôt à payer par l'appelant pour les années d'imposition 1988 à 1998 (avis de cotisation respectivement datés du 6 juin 1989, du 23 mai 1990, du 20 juin 1991, du 27 mai 1992, du 17 mars 1994, du 21 avril 1994, du 30 mars 1995, du 24 mai 1996, du 3 juillet 1998, du 14 mai 1998 et du 4 mai 2000), le ministre n'a pas accordé de crédits d'impôt non remboursables pour personnes handicapées. Lorsqu'il a établi le montant d'impôt à payer par l'appelant pour l'année d'imposition 1999 (avis qu'aucun impôt n'était payable daté du 4 mai 2000), le ministre n'a pas accordé de crédits d'impôt non remboursables pour personnes handicapées et, lorsqu'il a établi le montant d'impôt à payer par l'appelant pour l'année d'imposition 2000 (avis de cotisation daté du 6 avril 2001), le ministre n'a pas accordé de crédits d'impôt non remboursables pour personnes handicapées.

9.              Lorsqu'il a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1989 (avis de nouvelle cotisation daté du 27 décembre 1991), le ministre a augmenté le revenu d'emploi de l'appelant et a accordé des crédits pour les cotisations au Régime de pensions du Canada, des primes d'assurance-chômage et les retenues fiscales relativement au revenu d'emploi supplémentaire. Il n'a pas accordé de crédits d'impôt non remboursables pour personnes handicapées.

10.            Lorsqu'il a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1994 (avis de nouvelle cotisation daté du 7 juillet 1995), le ministre a accordé à l'appelant le crédit d'impôt pour études et pour frais de scolarité que celui-ci a demandé. Aucun crédit d'impôt non remboursable pour personnes handicapées n'avait été demandé ni accordé.

11.            Par Avis d'opposition daté du 28 juin 2000, l'appelant a demandé un « crédit d'impôt pour personnes handicapées » pour les années d'imposition 1983 à 1998 inclusivement.

12.            Par correspondance datée du 14 juillet 2000, l'appelant a été avisé par la Division des appels du Centre fiscal de Summerside que son Avis d'opposition, mentionné au paragraphe 11 ci-dessus, ne concernait que l'année d'imposition 1998.

13.            L'Avis de ratification par le ministre daté du 28 novembre 2000 ratifie la cotisation établie pour l'impôt de l'année d'imposition 1998.

[14]          Lorsqu'il a présenté son appel à cette cour, M. Brown a ajouté les années 1999, 2000 et 2001.

[15]          L'intimée soutient que, pour les années 1983 à 1997, M. Brown n'a pas présenté d'Avis d'opposition dans les délais impartis et, par conséquent, je ne puis accorder le redressement demandé pour ces années. En ce qui concerne l'année 1999, l'intimée affirme qu'aucun Avis d'opposition n'avait été présenté, tout en indiquant qu'aucun impôt n'était à payer pour 1999 de toute façon. À l'égard des appels pour 2000 et 2001, les avis d'opposition ont été présentés avant les cotisations. J'abonde dans le sens des observations de l'intimée. La cotisation la plus récente pour les années 1983 to 1997 est celle de 1997, datée du 14 mai 1998. D'autre part, l'Avis d'opposition pour cette année-là n'avait été déposé que le 28 juin 2000, bien après le délai prévu par l'article 166.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour demander une prolongation du délai au ministre du Revenu national (le « ministre » ). L'appelant s'y est pris trop tard. M. Brown a fait valoir, avec passion, que son traumatisme crânien l'avait empêché de présenter ses déclarations de revenu dans les délais impartis, et qu'il ne devrait pas être pénalisé par la déficience même pour laquelle il cherche un redressement. Lorsque M. Brown s'est rendu compte de l'ampleur de son problème, il s'est mis à la recherche de solutions médicales et financières. Toutefois, le fait qu'il ignorait, jusqu'à la fin des années 1990, la nature de son état et des dispositions éventuellement applicables de la Loi ne le dispense pas de l'obligation de respecter les délais stricts de présentation des avis d'opposition et d'appel qui sont prévus par la Loi. Même si M. Brown est convaincu de pouvoir bénéficier du crédit d'impôt pour personnes handicapées rétroactivement à son 18e anniversaire, il m'est impossible de passer outre aux délais qui sont clairement impartis. Il a présenté en retard son Avis d'opposition pour 1983 à 1997, et il n'a pas demandé au ministre de prolonger ce délai avant la limite prévue à l'article 166.1 de la Loi. Les appels pour 1983 à 1997 n'ont donc pas été présentés en bonne et due forme et sont annulés.

[16]          En ce qui concerne 1999, aucun Avis d'opposition n'a été présenté et je mets donc fin à l'appel pour cette année-là. Quoi qu'il en soit, il n'y avait pas d'impôt à payer pour 1999.

[17]          En ce qui concerne les années d'imposition 2000 et 2001, l'avis d'opposition de M. Brown daté du 18 juin 2000 a été déposé avant l'établissement de la cotisation de ces années. Je ne tiens pas à empêcher M. Brown de demander un redressement pour ces années-là; par conséquent, même si j'annule les appels, cela ne doit être interprété comme une limitation du droit de M. Brown à contester les cotisations de 2000 et 2001 s'il se sent lésé par ces dernières.

[18]          Le fond de l'appel interjeté par M. Brown, soit l'applicabilité du crédit d'impôt pour personnes handicapées, ne vise plus que l'année d'imposition 1998. Le crédit d'impôt pour personnes handicapées est régi par le paragraphe 118.3(1) de la Loi, qui prévoit notamment:

118.3(1) Un montant est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

a)            le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1)         les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ou le serait en l'absence de soins thérapeutiques qui, à la fois:

(i)             sont essentiels au maintien d'une fonction vitale du particulier,

(ii)            doivent être administrés au moins trois fois par semaine pendant une durée totale moyenne d'au moins 14 heures par semaine,

(iii)           selon ce à quoi il est raisonnable de s'attendre, n'ont pas d'effet bénéfique sur des personnes n'ayant pas une telle déficience;

a.2)          l'une des personnes suivantes atteste, sur le formulaire prescrit, qu'il s'agit d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ou le serait en l'absence des soins thérapeutiques mentionnés à l'alinéa a.1):

(i)             un médecin en titre,

(i.1)          s'il s'agit d'un trouble de la parole, un médecin en titre ou un orthophoniste,

(ii)           s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste,

(iii)          s'il s'agit d'une déficience auditive, un médecin en titre ou un audiologiste;

(iv)          s'il s'agit d'une déficience quant à la capacité à marcher ou à s'alimenter et à s'habiller, un médecin en titre ou un ergothérapeute,

(v)           s'il s'agit d'une déficience sur le plan de la perception, de la réflexion et de la mémoire, un médecin en titre ou un psychologue;

b)             le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

[...]

[19]          Ce texte doit être interprété à la lumière de l'article 118.4, libellé comme suit :

Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:

a)           une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b)           la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c)           sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier:

(i)             la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii)            le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii)           le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv)           le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v)            les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi)           le fait de marcher,

d)            il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[20]          L'intimée n'a pas présenté d'observations quant à l'applicabilité de ces dispositions à la situation de M. Brown, me laissant étudier les rapports médicaux et les résultats de tests psychologiques pour déterminer si l'aptitude de M. Brown à accomplir les activités courantes de la vie quotidienne était limitée de façon marquée. Prises ensemble, les dispositions que je viens de citer veulent dire qu'une activité courante de la vie quotidienne (dans ce cas, la perception, la réflexion et la mémoire) est grandement limitée si, la plupart du temps, la personne est incapable de percevoir, de réfléchir ou de se souvenir, ou si elle doit y consacrer un temps excessif. En somme, les conditions que M. Brown doit remplir pour obtenir le crédit sont :

1.              une déficience mentale grave et prolongée;

2.              des effets de la déficience d'une telle ampleur que M. Brown est incapable, presque toujours, de percevoir, de réfléchir et de se souvenir;

3.              la présentation au ministre d'un certificat rempli par un médecin ou un psychologue, dans la forme prescrite, afin d'attester des deux points ci-dessus.

[21]          En ce qui concerne la première condition, à la lecture du rapport mentionné plus haut, surtout des passages cités, je suis convaincu que l'accident de M. Brown a causé une déficience mentale grave et certainement prolongée. Les spécialistes ont parlé de réduction du traitement de l'information, de déficience grave de la mémoire à court terme, de douleur chronique, de handicap grave, de déficit certainement considéré comme de nature permanente et de déficiences neuropsychologiques. Ces termes sont compatibles avec une déficience mentale grave et prolongée.

[22]          Quant à la troisième condition, un certificat a-t-il été déposé? Oui. Un certificat a été produit, qui était signé par le Dr Strobele et qui attestait que la déficience de M. Brown était assez grave pour limiter les activités courantes de la réflexion, de la perception et de la mémoire. Cette condition est donc remplie.

[23]          La dernière condition exige que l'on comprenne bien l'aptitude de M. Brown à réfléchir, à percevoir et à se souvenir. Ces concepts ont été débattus par le juge en chef adjoint Bowman dans l'affaire Radage c. La Reine, C.C.I., no 95-1014(IT)I, 6 août 1996 ([1996] 3 C.T.C. 2510). Il a conclu en établissant plusieurs principes sur lesquelles il a appuyé sa décision. Les principes suggérés sont les suivants :

[...]

a) L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b) La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique.

[...]

[...] Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L'article 12 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

c) S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

d) Les significations que j'ai tenté d'attribuer aux termes « la perception, la réflexion [la pensée] et la mémoire » correspondent davantage à des lignes directrices qu'à des définitions, soit :

               .

La perception : Réception et reconnaissance de données sensorielles sur le monde extérieur d'une manière raisonnablement conforme à l'expérience humaine commune.

La pensée : Compréhension, sélection, analyse et organisation rationnelles de ce que la personne a perçu et formulation de conclusions y afférentes ayant une utilité pratique ou une valeur théorique.

La mémoire : Activité mentale consistant à emmagasiner des données perçues et à les récupérer d'une manière qui permette à la personne d'accomplir raisonnablement l'activité qu'est la pensée.

[...]

e) Enfin, il faut considérer - et c'est le principe le plus difficile à formuler - les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d'une telle gravité que la personne a droit au crédit, c'est-à-dire que la capacité de cette personne de percevoir, de penser et de se souvenir est limitée de façon marquée au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d'une gravité telle qu'elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d'accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

[24]          Si j'applique ces principes à la situation devant moi, je suis convaincu que M. Brown mérite l'interprétation de ces dispositions empreinte d'humanisme et de bienveillance qui a été suggérée par le juge en chef adjoint Bowman et adoptée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnston c. La Reine, C.A.F., no A-347-97, 6 février 1998 (98 DTC 6168). Voici un homme qui a subi un grave traumatisme crânien dans sa jeunesse et qui a atteint l'âge adulte en pressentant qu'il était différent, mais sans savoir pourquoi. Sa famille ne le fait pas soigner mais le laisse à lui-même, et il s'adapte. En s'adaptant, prouve-t-il que sa déficience mentale n'est pas assez grave pour le rendre incapable de percevoir, de réfléchir ou de se souvenir? L'adaptation est une notion relative. Il s'adapte en écoutant de la musique, en jouant des extraits de trois ou quatre chansons à la guitare et en se promenant à la campagne. Parmi ses mécanismes d'adaptation, il n'a mentionné aucune activité qui exige une réflexion rationnelle et organisée au-delà d'un niveau très primaire. Il a survécu malgré sa déficience, mais il n'a pas surmonté sa déficience.

[25]          Si j'adopte le sens du mot « perception » proposé par le juge en chef adjoint Bowman, je suis convaincu que M. Brown reçoit et reconnaît effectivement des données au sujet de son environnement qui sont raisonnablement conformes à l'expérience humaine normale. Sinon, il ne serait pas capable de se promener dans les bois comme il le fait. Toutefois, son aptitude à percevoir n'est pas illimitée. Il voulait que je l'appelle « Brother Nature » , il s'énervait parce que l'avocat ne pouvait se rendre compte que sa façon de voir les choses était anormale, il manifestait parfois l'innocence d'un enfant : ces comportements me donnent tous à penser que, même s'il a conscience de son environnement et qu'il est capable de témoigner, il manque de ce qu'on pourrait appeler le sens de la réalité.

[26]          Les deux éléments suivants m'amènent à constater que M. Brown manifeste des limites lui donnant droit au crédit. Il avait du mal à formuler ses réponses et semblait tourmenté par son intention de donner une bonne réponse. Il était totalement incapable de donner des explications précises sur les documents qui lui étaient présentés. Il lui arrivait d'oublier ce qu'il était sur le point de dire. Il ne pouvait accepter qu'on lui oppose le fait qu'il n'avait pas présenté ses demandes dans les délais et il n'y avait qu'une seule conclusion qu'il pouvait tirer, c'est qu'il devait tout de même obtenir un crédit d'impôt. Si l'on insistait, il se mettait en colère. Il avait une façon de voir les choses et, si les questions prenaient une autre tournure, il s'embrouillait ou se fâchait parfois. Il semble qu'il n'y ait guère de possibilité que M. Brown parvienne à formuler des conclusions rationnelles différentes à partir des données présentées. J'ai été frappé par les observations du Dr Fulton, en janvier 2001:

[TRADUCTION]

[...] Il semble incapable de retourner au travail dans un contexte compétitif (contre rémunération). Ses déficiences sont masquées par le fait qu'il est capable de s'exprimer oralement assez bien. Toutefois, ses processus mentaux sont tout à fait désorganisés et, depuis plusieurs années, il n'est pas capable d'accomplir une séquence complète d'activités orientées sur un objectif à cause de son traumatisme crânien et de son inaptitude à se concentrer. [...]

[27]          À mon avis, son traumatisme crânien est si grave qu'il influence ou imprègne sa vie à un tel point qu'il n'est pas capable d'atteindre un niveau de réflexion qui lui permettrait de fonctionner en toute indépendance et avec un degré raisonnable de compétence dans la vie quotidienne. Cette conclusion est indépendante du fait qu'il fonctionne dans la société, de façon aussi peu normale que ce soit. C'est à son crédit qu'il a fonctionné à l'aide de compétences limitées. Il attribue cela à sa foi.

[28]          Ma conclusion concernant la gravité de la déficience et, plus précisément, son impact sur l'aptitude de M. Brown à vivre sa vie, n'est pas exempte de doute. Je m'en remets toutefois au principe énoncé par le juge en chef adjoint Bowman, selon lequel en cas de doute, celui-ci devrait s'exercer en faveur du demandeur. C'est ce que je fais ici, et j'admets l'appel de l'appelant pour l'année d'imposition 1998. Je défère la question au ministre pour nouvelle cotisation en tenant compte du présent jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'avril 2002.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de décembre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1176(IT)I

ENTRE :

TERRANCE BROWN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 9 avril 2002, à Hamilton (Ontario), par

l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Pour l'appelant :                                                                     l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                                             Me James Gorham

JUGEMENT

                Les soi-disant appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1983 à 1997, 1999, 2000 et 2001 sont annulés.

                L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1998 est admis, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de recevoir le crédit d'impôt pour personnes handicapées pour l'année en cause, selon les motifs du jugement ci-joints.

                L'appelant n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'avril 2002.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de décembre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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