Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20010926

Dossiers : 2000-286-IT-I,

2000-238-IT-I,

2000-663-IT-I

ENTRE :

DOMINIQUE ABOUANTOUN,

JEAN ABOUANTOUN,

GRITTA SAROUFIM,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

(prononcés oralement à l'audiencele 9 février 2001 à Montréal (Québec)

et modifiés pour les rendreplus clairs et plus complets)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Madame Gritta Saroufim, monsieur Jean Abouantoun et monsieur Dominique Abouantoun interjettent appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (ministre). Le ministre a refusé les crédits d'impôt demandés par ces appelants à l'égard de prétendus dons de bienfaisance effectués en faveur de l'Ordre Antonien Libanais des Maronites (l'Ordre). Le ministre prétend que les appelants n'ont pas fait véritablement les dons suivants :

1991

1992

1993

1994

Gritta Saroufim

2 000 $

1 500 $

2 000 $

Dominique Abouantoun

1 500 $

2 500 $

3 000 $

2 600 $

Jean Abouantoun

2 500 $

4 000 $

3 500 $

[2]            L'intimée reconnaît que certaines des cotisations ont été établies hors de la période normale de cotisation et qu'elle a la charge d'établir que les appelants ont fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou ont commis quelque fraude en produisant leurs déclarations de revenu. L'intimée reconnaît qu'elle a cette charge à l'égard de toutes les années d'imposition visées par les appels de madame Saroufim et à l'égard des années d'imposition antérieures à 1993 pour les deux autres appelants. Elle a aussi la charge de la preuve à l'égard des pénalités que le ministre a imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) pour chacune des années d'imposition pertinentes.

Faits

Preuve de l'intimée

[3]            Deux représentants du ministre, soit un enquêteur du Service des enquêtes criminelles et une vérificatrice, ont décrit le stratagème frauduleux (stratagème) mis en place par l'Ordre. Dans certains cas, l'Ordre établissait en faveur d'un contribuable un reçu indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui avait versé par chèque et en même temps rendait au contribuable en espèces une partie de cette somme. Souvent, il s'agissait d'un remboursement de 80 % de la somme apparaissant sur le chèque. Dans d'autres cas, l'Ordre établissait un reçu en faveur d'un contribuable en y indiquant un don en argent d'un certain montant, alors que le contribuable n'avait rien versé ou avait versé une somme bien inférieure au montant indiqué, soit, généralement, 20 % de celui-ci. De plus, certains de ces reçus indiquaient faussement que le prétendu don avait été effectué au cours de l'année précédant où l'Ordre a reçu l'argent et a établi le reçu. En d'autres mots, les reçus étaient antidatés.

[4]            C'est l'épouse séparée de l'un des dirigeants de l'Ordre, une médecin, qui a dénoncé au ministre en mars 1994 l'existence du stratagème. Elle a reconnu, dans une déclaration qui, avec l'accord des appelants, a été produite à l'audience pour tenir lieu de son témoignage, qu'elle avait bénéficié de ce stratagème à l'égard de trois années d'imposition, soit les années 1988 à 1990 inclusivement. Elle aurait versé à l'Ordre un montant équivalent à 50% du montant du reçu.

[5]            À la suite de cette dénonciation, une vérificatrice du ministre est allée vérifier les registres comptables de l'Ordre de même que ses relevés bancaires. Son travail s'est effectué au cours des mois de septembre et d'octobre 1994 et son analyse lui a permis de conclure que la dénonciation du stratagème des faux reçus était bien fondée. Notamment, elle a constaté que les chèques de don fournis par des professionnels ayant des revenus assez substantiels étaient déposés à la banque et qu'il y avait des retraits importants dans les jours suivants, alors que, pour les dons effectués par des contribuables aux revenus plus modestes, les chèques déposés ne représentaient qu'une fraction du montant du reçu émis par l'Ordre.

[6]            Le dossier a alors été confié au Service des enquêtes criminelles qui a effectué une perquisition le 8 novembre 1995. Lors de cette perquisition, le ministre a pu mettre la main sur des documents confirmant l'existence du stratagème mis en place par l'Ordre. Parmi ces documents, on retrouve un chiffrier électronique (Bibliorec) provenant d'un ordinateur de l'Ordre et fournissant des données pour 1993. Sur ce chiffrier, se trouvent 356 inscriptions visant 352 reçus, soit ceux numérotés de 32 à 383. Les inscriptions indiquent le nom du donateur, son numéro de téléphone, le numéro du reçu, le montant du prétendu don (avec indication, si le montant avait été versé en espèces, que tel était le cas), le montant à rembourser au donateur, le montant remboursé et le solde à rembourser, la part, si part il y avait, qui appartenait à l'Ordre, et souvent, le pourcentage que représentait le montant appartenant à l'Ordre par rapport au montant du prétendu don, ainsi que le nom codé de l'intermédiaire par lequel les " donateurs " avaient été mis en contact avec l'Ordre. Malheureusement pour le ministre, le chiffrier ne fournit pas la liste de tous les donateurs à qui l'Ordre a émis des reçus de don. Par contre, on y retrouve le nom des 3 appelants et des renseignements permettant de conclure qu'ils n'ont versé réellement que 15 ou 20 % du montant des reçus.

[7]            En plus du témoignage de la médecin, il y a eu celui de deux autres contribuables, qui ont reconnu à l'audience qu'ils avaient tenu compte, dans le calcul de leurs crédits d'impôt pour dons de bienfaisance, de montants supérieurs à ceux versés à l'Ordre et qu'ils avaient remis au ministre des faux reçus fournis par l'Ordre. Parmi les documents d'enquête produits par l'intimée, on retrouve des rapports d'entrevue de l'enquêteur dans lesquels un certain nombre de contribuables (environ 80, dont, dans certains cas, le nom n'apparaît même pas au Bibliorec) reconnaissent avoir participé au stratagème.

[8]            Lors de son témoignage, l'enquêteur a aussi révélé que plus de 1 000 donateurs avaient fait l'objet de nouvelles cotisations dans lesquelles le ministre refusait des crédits d'impôt à l'égard de dons pour lesquels l'Ordre avait émis des reçus pour les années d'imposition 1989 à 1995. Sur ce nombre, de 500 à 600 ont produit un avis d'opposition. Beaucoup de ces dossiers ont été réglés au stade de l'opposition sur la base suivante : le ministre renonçait à imposer la pénalité et, dans certains cas, il accordait même le crédit d'impôt relativement au montant véritablement versé par le contribuable. Moins de 100 contribuables auraient interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt.

[9]            L'enquêteur a également révélé qu'un certain nombre de donateurs qui avaient demandé des montants substantiels à titre de crédit d'impôt ont plaidé coupables à l'égard d'accusations portées contre eux en vertu de l'article 239 de la Loi relativement au stratagème. Par contre, aucune poursuite n'avait pu être entreprise contre les pères de l'Ordre qui avaient été impliqués dans le stratagème puisque ces derniers avaient quitté le Canada.

Preuve des appelants

[10]          Monsieur Dominique Abouantoun et madame Saroufim sont arrivés au Canada en décembre 1988. Ils fuyaient le Liban où la guerre sévissait depuis 1975. Le premier est âgé de 31 ans alors que la deuxième a 19 ans. Ils s'étaient mariés au Liban avant d'émigrer au Canada. Une soeur de madame Saroufim habite au Canada depuis 1980. Le couple habite un appartement de trois pièces situé à Laval. De religion catholique maronite, le couple affirme avoir fréquenté régulièrement l'église St-Antoine appartenant à l'Ordre et se trouvant à Outremont. Jean Abouantoun est le frère de Dominique. Tous ont affirmé avoir effectué véritablement les dons à l'Ordre pour lesquels ils ont demandé des crédits d'impôt. Ces dons auraient été remis en espèces dans des petites enveloppes lors de la quête dominicale à l'église St-Antoine.

Analyse

[11]          Lors de sa plaidoirie, maître Lessard, procureure de l'intimée, a exposé correctement les principes de droit relatifs à la charge de la preuve et les règles concernant l'appréciation de la preuve circonstancielle. Elle a notamment cité la décision de la Cour suprême du Canada dans Hickman Motors Ltd c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, à la page 378, où madame la juge L'Heureux-Dubé affirme : " Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités ". En ce qui concerne le fardeau de la preuve dans les affaires où il est question de l'application d'une pénalité civile, la procureure a cité le passage suivant tiré de l'arrêt Continental Insurance c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164, à la page 169, arrêt auquel s'est référée madame la juge L'Heureux-Dubé dans Hickman Motors :

Chaque fois qu'il y a une allégation de conduite moralement blâmable ou qui peut revêtir un aspect criminel ou pénal et que l'allégation se présente dans le cadre d'un litige civil, le fardeau de la preuve qui s'applique est toujours celui de la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[12]          Quant à l'appréciation de la preuve, la procureure a cité notamment à cet égard l'auteur Jean-Claude Royer, La preuve civile, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, en particulier le paragraphe 175, à la page 100 :

La preuve directe est préférée à la preuve indirecte — La preuve directe est celle qui porte immédiatement sur le fait litigieux. La preuve indirecte, indiciaire ou par présomption a pour objet des faits pertinents qui permettent d'inférer l'existence du fait litigieux.

[...]

La preuve testimoniale directe est supérieure à la preuve par présomption. Cette règle n'est toutefois pas absolue dans certaines circonstances, le tribunal peut préférer une preuve indiciaire à une preuve directe.

Elle a aussi cité une décision de la Cour d'appel du Québec, Légaré v. The Shawinigan Water and Power Co. Ltd., [1972] C.A. 372, dans laquelle le juge en chef Tremblay s'est exprimé comme suit :

Légaré adresse au premier juge deux reproches principaux.

Il lui fait grief d'avoir mis de côté son témoignage et celui de Bureau, alors qu'ils n'étaient pas contredits. Mais, les tribunaux ne sont pas tenus de croire les témoins, même s'ils ne sont pas contredits par d'autres témoins. Leur version peut être invraisemblable par suite de circonstances révélées par la preuve ou par suite des règles du simple bon sens. Le maintien et l'attitude du témoin sont aussi des facteurs importants.

[13]          Dans un premier temps, il est important de préciser qu'il ne s'agit pas ici de poursuites criminelles : personne n'est accusé de rien. La question est de savoir si les trois appelants ont droit à leurs crédits d'impôt pour dons de bienfaisance. Il faut aussi déterminer si des pénalités civiles sont justifiées en raison de la présence dans les déclarations des appelants de faux énoncés attribuables notamment à une faute lourde.

[14]          Chaque appel doit être décidé en fonction de la preuve faite devant le tribunal. Par exemple, dans l'affaire Ghadban c. La Reine (1999-4736(IT)I, décision rendue oralement et non publiée), le contribuable prétendait aussi avoir fait des dons à l'Ordre. Après avoir entendu son témoignage, j'en suis venu à la conclusion qu'il avait effectivement fait les dons. Je dois mentionner toutefois que dans son cas, contrairement à ce qu'il en est en l'espèce, l'intimée n'avait pas de preuve qui rattachait les dons au stratagème de l'Ordre. Le nom de monsieur Ghadban n'apparaissait pas dans le Bibliorec. Il y a aussi la décision rendue par ma collègue la juge Lamarre dans l'affaire Korkemaz c. R., 2000 CarswellNat 2583, qui soulevait la même question relativement à des prétendus dons à l'Ordre. La juge Lamarre n'a pas été convaincue de l'existence de ces dons.

[15]          Ici, j'ai entendu le témoignage des trois appelants et des témoins présentés par l'intimée. Essentiellement, j'accepte presque tous les motifs avancés par la procureure de l'intimée à l'appui des cotisations du ministre. Je n'ai pas l'intention de tous les exposer ici, je me bornerai plutôt à ceux qui m'apparaissent les plus importants. De plus, je vais relever certains aspects du témoignage des appelants qui, à la fin de la première journée d'audience, suscitaient beaucoup de doute dans mon esprit parce que leur témoignage était souvent évasif et parfois contradictoire ou invraisemblable.

[16]          Il y a tout d'abord le fait que les montants des dons qui auraient été faits sont des montants importants par rapport aux revenus qui ont été gagnés par chacun des appelants et sont souvent près du montant maximum à l'égard duquel ils pouvaient demander les crédits d'impôt[1]. Il faut se rappeler le contexte dans lequel les appelants se trouvaient à cette époque-là. Ils étaient tous des immigrants récemment arrivés au Canada et ils occupaient des emplois précaires, comme le démontre leur recours à des prestations d'assurance-emploi. Notamment, en 1991, la première année au cours de laquelle il s'est décidé à faire un don (de 1 500 $) à l'Ordre, Dominique Abouantoun tirait son revenu principalement de prestations d'assurance-emploi (12 600 $ sur 12 993 $ de revenu total). En 1992, il a demandé un crédit pour un don de 2 500 $ alors que ses prestations d'assurance-emploi représentaient 13 662 $ sur un revenu total de 13 762 $.

[17]          Au début de son témoignage, madame Saroufim a dit avoir envoyé avant 1991 de l'aide de l'ordre de 1 000 $ à 1 500 $ à sa famille restée au Liban mais, vers la fin de son témoignage, elle a affirmé le contraire. Il y a aussi son témoignage assez surprenant selon lequel elle aurait diminué le montant de cette aide pour pouvoir faire des dons à l'Ordre. Il est aussi assez troublant que les appelants, et en particulier madame Saroufim, aient refusé de nommer les messagers utilisés pour transporter l'argent au Liban pour les membres de leur famille. Aucun motif sérieux — comme l'illégalité d'une telle activité — n'a été fourni. L'impression qui s'en dégage c'est qu'ils n'ont pas mentionné de nom de crainte qu'on ne puisse aller vérifier la véracité de leurs explications.

[18]          Un autre élément troublant dans ces appels est le fait qu'il n'y a aucune preuve établissant l'existence des dons : aucun chèque, aucun représentant du prétendu donataire pour confirmer la réception de tels dons. Malheureusement pour les appelants, ils les auraient tous effectués en espèces. Compte tenu des moyens financiers limités des appelants à cette époque et de l'importance des dons, il est surprenant qu'ils n'aient pas rencontré personnellement un des prêtres de l'Ordre pour lui remettre en main propre l'argent. Évidemment, il y a les reçus mais la preuve accablante présentée par l'intimée révèle que l'Ordre avait mis en place un stratagème consistant à faire des faux reçus; ils ont donc peu ou point de valeur probante.

[19]          On a refusé de nommer les personnes qui avaient pu renseigner les appelants sur la possibilité de faire des dons à l'Ordre ou on disait ne pas connaître leur nom. Il est quand même assez surprenant qu'on puisse ne pas connaître le nom de ces personnes lorsqu'on va à l'église à tous les dimanches, ou presque, ou qu'on y va au moins deux fois par semaine, comme dans le cas de monsieur Jean Abouantoun. Comment peut-on ne pas connaître alors le nom des personnes avec qui on a des rapports sociaux à ces occasions[2]?

[20]          J'ai été aussi assez surpris — au point d'ailleurs de me demander sérieusement si c'était vraiment le cas — d'apprendre que madame Saroufim allait à l'église à tous les dimanches de 1988 à 1994. Tout d'abord, elle a eu un peu de difficulté à se rappeler du nom de l'église et elle ne semblait pas savoir que l'église St-Antoine était aussi appelée un monastère. De plus, j'ai été très étonné qu'elle ait été incapable de me décrire le trajet entre Laval et Outremont (où était situé le monastère), trajet qu'elle aurait parcouru au moins 600 fois[3]. Plutôt intriguant! Et rien pour donner de la crédibilité au témoignage de madame Saroufim. Un autre élément qui m'a frappé est le fait qu'elle et son beau-frère, même s'ils sont pratiquement voisins à Laval, ne se sont jamais rendus ensemble à l'église St-Antoine, alors qu'elle a dit aller visiter de façon régulière, presque quotidiennement, ses beaux-parents, qui habitent avec son beau-frère.

[21]          On peut aussi mentionner le fait que les appelants semblent avoir fait peu de démarches pour obtenir de l'Ordre des éléments de preuve corroborants lorsque le ministre leur a refusé les crédits d'impôt. Au contraire, pour avoir accès à certains documents, comme leurs relevés bancaires, il a fallu que les procureurs de l'intimée leur envoient un subpoena.

[22]          Il y a aussi l'affirmation de madame Saroufim qu'elle avait entendu en 1994 des rumeurs au sujet du stratagème, qu'elle avait songé à se prévaloir de celui-ci et que, finalement, elle a décidé de ne pas le faire. Or, la perquisition n'a eu lieu qu'en novembre 1995 et des articles n'auraient commencé à être publiés dans les journaux qu'au début de 1996. Évidemment il est possible que madame Saroufim ait eu vent de la vérification effectuée au cours des mois de septembre et octobre 1994. Mais alors comment se fait-il qu'il n'y ait eu aucun don en 1994 alors que les appelants affirment qu'ils remettaient quasi hebdomadairement l'argent dans des enveloppes lors des quêtes dominicales? Se pourrait-il que madame Saroufim ait obtenu des reçus antidatés? Cela semble d'ailleurs être le cas[4]. De plus, comment se fait-il que Dominique et Jean Abouantoun affirment qu'ils n'ont pas eu vent du stratagème avant 1995 ou 1996? Si madame Saroufim avait entendu des rumeurs en 1994, on se serait attendu à ce que son mari et son beau-frère en aient eu connaissance et aient cessé eux aussi leurs prétendus dons à l'Ordre.

[23]          Finalement, il y a le comportement des témoins durant leur témoignage. J'ai senti madame Saroufim assez nerveuse pendant qu'elle témoignait. Même si à de nombreuses reprises j'ai eu à leur faire des rappels à ce sujet, tous avaient beaucoup de difficulté à m'adresser leurs réponses : ils les dirigeaient plutôt vers les procureurs de l'intimée.

[24]C'est en raison de tous ces faits que je doutais à la fin de la première journée de la véracité de la version des appelants. Or, ce doute s'est changé en conviction la deuxième journée lorsque l'intimée a mis en preuve le fait que le nom des trois appelants apparaissait dans le fameux Bibliorec et qu'on y retrouvait également la preuve qu'ils n'avaient versé que 15 ou 20 % du montant du reçu que leur avait remis l'Ordre. J'en viens donc à la conclusion que l'ensemble de la preuve révèle, selon la prépondérance des probabilités, que les trois appelants ont participé au stratagème et qu'ils ont fait l'achat de faux reçus de don de bienfaisance.

[25]Comme l'a soutenu maître Lessard dans sa plaidoirie, il faudrait faire preuve d'aveuglement pour ne pas conclure qu'il s'agit en l'espèce d'un cas d'achat de faux reçus de don. Il ne peut être question ici de dons parce que je ne peux déceler aucune intention libérale de la part des appelants, c'est-à-dire une intention d'appauvrir leur propre patrimoine pour enrichir l'Ordre. Tout ce qui a été fait c'est la vente et l'achat d'un bout de papier qui devait procurer aux appelants, frauduleusement ou, à tout le moins, de façon indue, un avantage fiscal.

[26]Cette approche peut paraître contraire à celle que j'adoptais dans Paradis c. R., 1996 CarswellNat 2262, où j'affirmais :

38         Traitons d'abord de la première condition. Le ministre prétend que la motivation principale de M. Paradis en acquérant les tableaux et en les transférant aux donataires était strictement d'obtenir un avantage fiscal et non de se dépouiller en leur faveur. Je ne nie pas que cette motivation ait joué un rôle important dans les gestes qu'a posés M. Paradis au cours des années pertinentes. Toutefois, je ne crois pas qu'il soit pertinent de tenir compte de l'avantage fiscal pour déterminer la validité d'un don en droit québécois. Je crois que cette question doit se décider strictement dans le cadre de la relation juridique établie entre M. Paradis et chacun des donataires.

39         Prenons le cas du don du tableau Messier-Leduc. Par son achat de la Galerie des Maîtres Anciens, M. Paradis est devenu le propriétaire de ce tableau. En vertu de l'entente de don, M. Paradis l'a aliéné sans contrepartie versée par le Musée de Joliette et par conséquent le Musée de Joliette s'est enrichi d'un nouveau tableau et M. Paradis s'est appauvri de la valeur de ce tableau. Je ne crois pas que l'on puisse considérer le reçu pour fins fiscales comme une contrepartie du tableau. Le reçu ne constitue qu'un document établissant la réception d'un don par le Musée de Joliette. Il est vrai que ce document est nécessaire pour réclamer la valeur du don pour les fins du crédit d'impôt pour dons. Par contre, la mesure dans laquelle M. Paradis aura droit à cet avantage ne dépend pas du Musée de Joliette. C'est la Loi qui la détermine. À mon sens, cet avantage fiscal ne doit pas être pris en compte pour déterminer si M. Paradis s'est appauvri.

40         S'il fallait en tenir compte, plusieurs dons pourraient ne pas être admissibles pour les fins du calcul du crédit d'impôt pour dons. Je ne crois pas que cette approche soit conforme à l'esprit de la Loi. C'est d'ailleurs l'approche qu'a adoptée la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Friedberg c. La Reine, (5 décembre 1991) A-65-89, [92 DTC 6031].* Voici les propos que tenait le juge Linden à la page 3:

Par conséquent, un don est le transfert volontaire du bien d'un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d'avantage ni de contrepartie (voir le juge Heald dans La Reine c. Zandstra, [1974] 2 C.F. 254, à la p. 261). L'avantage fiscal qui est conféré par un don n'est généralement pas considéré comme un "avantage" au sens où on l'entend dans cette définition car s'il en était ainsi, bien des donateurs seraient dans l'impossibilité de se prévaloir des déductions relatives aux dons de charité.

                                                                [Je souligne.]

[27]Elle peut aussi paraître contraire à l'approche suivie par la Cour d'appel fédérale en confirmant dans l'arrêt Duguay c. R., 2000 CarswellNat 2413, 2000 DTC 6620, une décision de mon collègue le juge (tel était alors son titre) Garon :

8           Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a appliqué aux transactions visées les principes du Code civil du Bas-Canada qui, à l'époque, gouvernaient les libéralités, notamment les articles 755 et 776. Il a conclu que les conditions essentielles à l'existence d'une donation, soit l'intention libérale, la remise du bien et l'acceptation par le donataire, étaient remplies. Appliquant l'arrêt Friedberg v. R. (1991), 92 D.T.C. 6031 (Fed. C.A.) de notre Cour, il a statué que l'obtention d'un avantage fiscal, même si c'était là la motivation principale des intimés en l'espèce, n'effaçait pas l'intention libérale des donateurs. Il fut aussi d'avis que l'obtention d'un reçu de la part de l'organisme bénéficiaire ne pouvait être considérée comme une contrepartie éliminant le caractère gratuit et libéral de la transaction.

9           Enfin, l'objet même des dons lui est apparu suffisamment déterminé et il était satisfait que les biens donnés sont devenus la propriété des organismes de bienfaisance qui ont émis les reçus pour fins d'impôt.

10         À mon avis, le juge s'est bien instruit quant aux principes juridiques applicables en l'espèce. De même, je n'ai pas été convaincu qu'il a erré dans l'application de ces principes aux faits qui lui ont été soumis. En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.

                                                                                                [Je souligne.]

[28]Toutefois, la situation m'apparaît fort différente ici. Il n'est pas question d'un don en nature à l'égard duquel il pouvait y avoir divergence d'opinions quant à sa valeur. Il y a ici plutôt un simulacre de don. On prétend avoir fait des dons d'argent alors qu'il s'agit en réalité du prix versé pour l'achat d'un faux reçu de don permettant l'obtention d'un avantage fiscal indu. Cet avantage indu pouvait offrir un rendement de plus 200% sur le coût d'achat du faux reçu[5]. C'est d'ailleurs ce qu'a reconnu implicitement l'un des témoins, un participant au stratagème, en admettant franchement qu'il n'avait nullement été préoccupé par l'usage fait de l'argent remis à l'Ordre. Tout ce qui l'intéressait c'était l'avantage fiscal recherché.

[29]Ayant conclu que les appelants n'ont pas effectué de véritables dons, il faut décider si le paragraphe 163(2) de la Loi s'applique aux faits de ces appels. Ce paragraphe impose une pénalité à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration pour une année d'imposition ou y participe, y consent ou y acquiesce. Plus précisément, le paragraphe 163(2) se lit comme suit :

163(2)          Faux énoncés ou omissions

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse — appelé " déclaration " au présent article — rempli ou produit pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total :

[...]

[30]          L'intimée prétend que dans la mesure où l'on conclut que les appelants ont participé au stratagème et qu'ils connaissaient bien le contenu de leur déclaration, il faut conclure aussi qu'il y a lieu d'appliquer la pénalité. Elle affirme que compte tenu de " la grossièreté du stratagème qui est de ne payer qu'une fraction [du montant du reçu], il faudrait s'aveugler volontairement en ayant les connaissances des appelants pour ne pas comprendre que ce n'est pas correct. " Et elle ajoute :

Et dans la mesure, également, où ils nient complètement avoir participé au stratagème, c'est un autre élément qui laisse croire qu'ils n'en étaient pas ignorants [...] [S]'ils avaient pensé que c'était correct, ils avoueraient tout simplement avoir fait ce qu'ils ont fait en pensant que c'était correct et que ça leur donne droit à un crédit, mais ce n'est pas le cas.

[31]          Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que les appelants ont sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans leurs déclarations de revenu en demandant des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance et en fondant ces demandes de crédits sur des faux reçus qu'ils ont achetés. Il faudrait faire preuve d'aveuglement volontaire pour ne pas réaliser qu'on ne peut avoir droit à 100 % de tels crédits lorsqu'on ne verse que de 15 à 20 % du montant du reçu. Il s'agissait d'un stratagème éhonté indigne d'un organisme religieux et certaines des personnes qui y ont participé ont dû se reconnaître coupables d'une infraction criminelle prévue par la Loi. Ici, cependant, il est question non pas d'une telle infraction mais de l'application d'une pénalité civile. À mon avis, la pénalité est pleinement justifiée dans le cas des trois appelants. Il va donc sans dire que le ministre a établi selon la prépondérance des probabilités qu'ils ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou ont commis quelque fraude en produisant leur déclaration. Le ministre pouvait en conséquence établir des cotisations au-delà de la période normale de cotisation.

[32]          Pour tous ces motifs, les appels sont rejetés.

Signé à Montréal (Québec), ce 26e jour de septembre 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :                2000-286(IT)I

                                                                                                                2000-238(IT)I

                                                                                                                2000-663(IT)I

INTITULÉS DE LA CAUSE :                                              DOMINIQUE ABOUANTOUN

                                                                                                                JEAN ABOUANTOUN

                                                                                                                GRITTA SAROUFIM

                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    8 et 9 février 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      15 février 2001

COMPARUTIONS :

                Pour les appelants :                                              Les appelants eux-mêmes

                Pour l'intimée :                                                       Me Simon Crépin

                                                                                                                Me Nathalie Lessard

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

                Pour l'appelant :

                                                Nom :                      

                                                Étude :                    

                Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                                Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

2000-2101(IT)I

ENTRE :

RENAUD BÉLAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Serge Béland (2000-2097(IT)I), Joé Béland (2000-2098(IT)I), Joël Béland (2000-2099(IT)I), Chantale Béland (2000-2102(IT)I)

et René Béland (2000-2103(IT)I)

le 31 août 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                    Me Claude D. Marleau

                                                                  

Avocate de l'intimée :                                    Me Anne Poirier

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 13339 et est daté du 23 avril 1999,              est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


2000-2097(IT)I

ENTRE :

SERGE BÉLAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Renaud Béland (2000-2101(IT)I), Joé Béland (2000-2098(IT)I), Joël Béland (2000-2099(IT)I), Chantale Béland (2000-2102(IT)I)

et René Béland (2000-2103(IT)I)

le 31 août 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                    Me Claude D. Marleau

                                                                  

Avocate de l'intimée :                                    Me Anne Poirier     

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 13338 et est daté du 23 avril 1999,              est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


2000-2098(IT)I

ENTRE :

JOÉ BÉLAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Renaud Béland (2000-2101(IT)I), Serge Béland (2000-2097(IT)I), Joël Béland (2000-2099(IT)I), Chantale Béland (2000-2102(IT)I)

et René Béland (2000-2103(IT)I)

le 31 août 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                    Me Claude D. Marleau

                                                                  

Avocate de l'intimée :                                    Me Anne Poirier     

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 13336 et est daté du 23 avril 1999,              est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


2000-2099(IT)I

ENTRE :

JOËL BÉLAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Renaud Béland (2000-2101(IT)I), Joé Béland (2000-2098(IT)I), Serge Béland (2000-2097(IT)I), Chantale Béland (2000-2102(IT)I)

et René Béland (2000-2103(IT)I)

le 31 août 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                    Me Claude D. Marleau

                                                                  

Avocate de l'intimée :                                    Me Anne Poirier     

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 13335 et est daté du 23 avril 1999,              est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


2000-2102(IT)I

ENTRE :

CHANTALE BÉLAND,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Serge Béland (2000-2097(IT)I), Joé Béland (2000-2098(IT)I), Joël Béland (2000-2099(IT)I), Renaud Béland (2000-2101(IT)I)

et René Béland (2000-2103(IT)I)

le 31 août 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                  Me Claude D. Marleau

                                                                  

Avocate de l'intimée :                                    Me Anne Poirier     

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 13334 et est daté du 23 avril 1999,              est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


2000-2103(IT)I

ENTRE :

RENÉ BÉLAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Serge Béland (2000-2097(IT)I), Joé Béland (2000-2098(IT)I), Joël Béland (2000-2099(IT)I), Chantale Béland (2000-2102(IT)I)

et Renaud Béland (2000-2101(IT)I)

le 31 août 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                    Me Claude D. Marleau

                                                                  

Avocate de l'intimée :                                    Me Anne Poirier     

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 13337 et est daté du 23 avril 1999,              est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.




[1] En 1992, Jean Abouantoun a fourni un reçu de 2 500 $ alors que le montant maximum de dons à l'égard duquel il aurait pu demander un crédit d'impôt était de 2 952 $. En 1993, il a fourni un reçu de 4 000 $ alors que le montant maximum admissible était de 4 130 $. En 1994, il a fourni un reçu de 3 500 $ alors que ce montant maximum était de 3 912 $.

[2] Or, selon le témoignage du vérificateur et selon les indications retrouvées au Bibliorec, ce serait un certain monsieur Michel Jamous qui a servi d'intermédiaire pour Jean Abouantoun.

[3] En effet, si j'en crois sa version, selon laquelle elle allait à l'église à tous les dimanches, madame Saroufim s'y serait rendue 312 fois en six années (6 années x 52 semaines).

[4] Voir les pièces I-26, I-15 (onglet 3) et I-18.

[5] Ce rendement a été calculé en prenant comme hypothèse un débours de 15 % du montant du reçu et un taux d'imposition de 50 %. (Ce calcul ne tient pas compte que le taux d'imposition applicable aux premiers 250 $ de dons représente le taux le plus bas.) Par exemple, l'achat d'un faux reçu de 1 000 $ à 150 $ permettait de demander un crédit d'impôt de 500 $ (50 % de 1 000 $), ce qui représente un bénéfice net de 350 $, soit un rendement de 233 % (350/150). Ce rendement tombe à 150 % si le coût du faux reçu s'élève à 20 % du montant du reçu.

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