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Date: 20010815

Dossier: 2000-2127-IT-I

ENTRE :

BRUNO MALTAIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel relatif à l'année d'imposition 1998; l'appel concerne une demande de crédit d'impôt pour déficience présentée en vertu de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") qui se lit comme suit :

(1)            Crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique - Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

                a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1)           les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2)           l'une des personnes suivantes atteste, sur formulaire prescrit, qu'il s'agit d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

(i)                un médecin en titre,

(ii)               s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste,

(iii)              s'il s'agit d'une déficience auditive, un médecin en titre ou un audiologiste;

b)              le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c)              aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

[2]            Seul l'appelant a témoigné au soutien de son appel. Il a soutenu avoir droit au crédit parce que son épouse était limitée et affectée de façon marquée dans sa capacité de penser, de percevoir et de se souvenir, c'est-à-dire toujours ou presque toujours. En 1998, selon l'appelant, son épouse était incapable d'accomplir des activités sans y consacrer un temps excessif.

[3]            La preuve documentaire a été produite de consentement. Cette même preuve documentaire a établi que la conjointe de l'appelant était atteinte, en 1998, d'une maladie grave.

[4]            L'appelant a soutenu que la maladie affectant son épouse était une maladie grave avec des conséquences nombreuses et pénibles sur tous les membres de la famille. Cette appréciation de la gravité de la maladie a, en quelque sorte, été confirmée par la fréquence et la durée des nombreux séjours de cette dernière à l'hôpital.

[5]            Il y a lieu de reproduire la pièce I-3, décrivant le nombre et la durée des séjours à l'hôpital :

                ...

OBJET : Attestation d'hospitalisation

                                Nom : FORTIN Claire

                                Date de naissance 1947-09-11

...

                La présente attestation certifie que madame Claire Fortin a été hospitalisée à 19 reprises au Centre hospitalier Robert-Giffard sous les soins du docteur Jean-Charles Lavallée :

                                - Du 27 janvier 1987 au 13 mars 1987;

                                - Du 8 juin 1989 au 28 juin 1989;

                                - Du 21 novembre 1989 au 23 janvier 1990;

                                - Du 4 février 1990 au 1er mars 1990;

                                - Du 24 avril 1990 au 15 mai 1990;

                                - Du 16 novembre 1990 au 7 décembre 1990;

                                - Du 6 février 1991 au 8 février 1991;

                                - Du 14 mars 1991 au 11 juin 1991;

                                - Du 13 août 1991 au 10 septembre 1991;

                                - Du 13 septembre 1991 au 19 septembre 1991

                                - Du 3 octobre 1992 au 20 novembre 1992;

                                - Du 17 décembre 1992 au 6 janvier 1993;

                                - Du 4 mars 1993 au 1er avril 1993;

                                - Du 29 août 1993 au 15 septembre 1993;

                                - Du 3 novembre 1993 au 24 novembre 1993;

                                - Du 28 juin 1995 au 3 août 1995;

                                - Du 7 août 1995 au 28 décembre 1995;

                                - Du 29 septembre 1996 au 12 juin 1997;

                                - Du 25 septembre 2000 au 7 décembre 2000

[6]            Finalement, je reproduis également les extraits pertinents du questionnaire complété par le médecin traitant quant à la nature de la maladie et la question no 4 ainsi que la réponse : (pièce I-2)

               

...

1.              Combien de fois avez-vous rencontré madame Fortin en 1996, 1997 et 1998?

R.             20 fois

2.              Expliquez concrètement les limites de madame Fortin concernant sa capacité de percevoir en 1998.

R.             Elle souffre d'une maladie psychotique depuis 1987 qui a amené des déficits au niveau des capacités supérieures, de baisse du jugement, de la volition de l'énergie, de l'organisation au quotidien.

3.              Expliquez concrètement les limites de madame Fortin concernant sa capacité de réfléchir en 1998.

R.             Elle est plutôt distraite, inattentive et souvent ralentie, déprimée et toujours en conséquence à l'évolution de la maladie.

4.              Expliquez concrètement les limites de madame Fortin concernant sa capacité de se souvenir (mémoire) en 1998.

R.             Si elle était inattentive, distraite, préoccupée par ses symptômes, ses pleurs, elle avait peine à se rappeler.

5.              Quelles étaient les conséquences de ces limites sur la réalisation de ses activités courantes de la vie quotidienne en 1998?

R.             Tous les déficits énumérés ne pouvaient pas faciliter, loin de là, ses tâches, activités quotidiennes.

6.              Comment avez-vous apprécié ces conséquences sur la réalisation des activités courantes de la vie quotidienne en 1998?

R.             Pas personnellement mais des gens du C.L.S.C. et la famille ont pu observer.

7.              Comment faisait-elle pour vivre seule en 1998?

R.             Elle vivait avec son mari et ses enfants. Elle ne vivait pas seule, ni autonome.

8.              Que voulez-vous dire quand vous prétendez que son état s'est stabilisé en 1998?

R.             Les symptômes psychotiques et dépressifs étaient atténués, en rémission mais la maladie, la vulnérabilité y était encore, tout comme les déficits

...

[7]            La preuve documentaire révèle donc d'une façon objective que l'épouse de l'appelant est atteinte d'une maladie grave avec des conséquences et séquelles qui pouvaient l'empêcher durant de longues périodes de penser et réfléchir raisonnablement.

[8]            Bien que l'appelant ait admis lors du contre-interrogatoire, que son épouse était capable et en mesure de réfléchir, de percevoir et de se souvenir et bien qu'il ait indiqué que son épouse avait un permis de conduire et qu'elle pouvait avoir un comportement raisonnablement acceptable, particulièrement lorsqu'elle prenait tous les médicaments qui lui étaient prescrits, ma lecture et compréhension des dispositions de la Loi sont à l'effet que le degré d'incapacité physique ou mentale qui affecte une personne doit faire en sorte que la personne affectée ne soit jamais, ou presque jamais, en mesure d'être autonome. Lorsqu'il s'agit d'un problème physique ou mécanique, il est beaucoup plus facile d'en faire l'appréciation et d'évaluer l'importance des séquelles.

[9]            L'appelant a indiqué que son épouse avait de bonnes et moins bonnes périodes. À mes questions, il a répondu que son épouse pouvait magasiner, faire des achats et utiliser une carte de crédit à certaines périodes. Est-ce en soi suffisant pour conclure que l'incapacité n'était pas suffisamment grave et prolongée? Je ne le crois pas.

[10]          Quand il s'agit d'un problème d'incapacité mentale, l'exercice est beaucoup plus difficile et compliqué du fait que les signes extérieurs ne sont pas toujours évidents ou apparents. En outre, la personne affectée d'une telle incapacité peut flancher en tout temps sans laisser voir aucun indice ou signe avertisseur.

[11]          Dans les faits, les bonnes périodes décrites par les membres de l'entourage sont essentiellement temporaires et ponctuelles puisque la maladie ou l'incapacité est toujours présente et est susceptible de produire des effets en tout temps sans préavis.

[12]          Il s'agit d'une situation où il n'est pas facile de trancher, d'autant plus qu'il semble exister une jurisprudence contradictoire.

[13]          Je dois trancher à partir d'une preuve qui revêt une dimension médicale où en plus de ne pas avoir toutes les connaissances requises pour en apprécier tous les détails et nuances, je dois en outre évaluer une preuve qui, à certains égards, est contradictoire.

[14]          Dans les circonstances, je m'en remets à la seule donnée objective de la preuve, à savoir les nombreux et longs séjours que l'épouse de l'appelant a faits à l'hôpital. Je crois que d'aussi nombreux et longs séjours à l'hôpital attestent de la gravité de la maladie et surtout de l'incapacité à accomplir certaines activités de la vie quotidienne et cela, d'une façon marquée.

[15]          Dans un second temps, je tiens compte du jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Friis c. Canada, [1998] no 823, où le juge Linden s'exprimait de la façon suivante :

                À mon avis, la présente demande fondée sur l'article 28 devrait être accueillie compte tenu de l'arrêt de la Cour Johnston c. Canada [1998] F.C.J. No 169, qui a été rendu après la décision du juge de la Cour de l'impôt en l'espèce. Dans cette affaire, le juge Létourneau, citant le juge Bowman dans une autre affaire Radage v. R. [1996] 3 C.T.C. 2510, a fait savoir que la " disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante " et ne doit pas " recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l'intention du législateur, voire irait à l'encontre de celle-ci ", cette intention étant " d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes ".

[17]          J'interprète donc les faits de manière humaine et compatissante et accueille l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'août 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-2127(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Bruno Maltais et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 18 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                                      le 15 août 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                     L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                            Me Stéphane Arcelin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-2127(IT)I

ENTRE :

BRUNO MALTAIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 18 juin 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                  Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est accueilli, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'août 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


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