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Date: 20011009

Dossier: 1999-2627-GST-G

ENTRE :

JAMES I. CASSELS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      L'appelant interjette appel de décisions rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) le 8 mars 1999, dans lesquelles ce dernier confirmait des cotisations établies antérieurement en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ), par suite du défaut, de la part de Reed's China (Northgate) Ltd. ( « Northgate » ), de Reed's China Southgate Ltd. ( « Southgate » ) et de Reed's China (West Edmonton) Ltd. ( « West Edmonton » ) de verser la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) conformément au paragraphe 228(2) de la Loi. Étant donné que, durant toutes les périodes pertinentes, l'appelant était l'unique administrateur et actionnaire des sociétés en question et qu'il participait activement à la gestion de ces sociétés, qui exploitaient une entreprise de détail à Edmonton (Alberta), le ministre a choisi de le tenir personnellement responsable au titre de l'arriéré de taxe, calculé au paragraphe 15 de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ). Les avocats des parties ont informé la Cour que les sommes en cause n'étaient pas contestées et ont convenu que les documents suivants seraient produits à titre de pièces :

          Pièce A-1 - rapport de vérification concernant Southgate, préparé par Wendy Pierce pour la période du 1er janvier 1991 au 30 septembre 1993.

Pièce A-2 - recueil de documents intitulé Examination for Discovery Documents (documents d'interrogatoire préalable) (onglets 1 à 44); l'appelant s'est fondé sur les documents que l'on retrouve aux onglets 3, 11, 12, 22, 23 et 40, tandis que l'intimée s'est fondée sur le document classé à l'onglet 9.

Pièce A-3 - photocopies de chèques émis par Revenu Canada à l'ordre de Southgate et de Reed's China Manulife Ltd.

Pièce R-1 - renseignements téléchargés - imputation dans le cadre de la vérification - 28 juillet 1993 - Southgate.

Pièce R-2 - renseignements téléchargés - imputation dans le cadre de la vérification - 28 juillet 1993 - Northwood [sic].

Pièce R-3 - renseignements téléchargés - imputation dans le cadre de la vérification - 25 mai 1993 -West Edmonton.

Pièce R-4 - Relevé de compte (taxe sur les produits et services) - Southgate (19 juin 2001).

Pièce R-5 - Relevé de compte (taxe sur les produits et services) - Northgate (19 juin 2001).

Pièce R-6 - Relevé de compte (taxe sur les produits et services) - West Edmonton (19 janvier 2001).

[2]      Lors de son témoignage, James Ian Cassels a indiqué qu'il réside à Victoria (Colombie-Britannique) et qu'il travaille comme vendeur. Après avoir terminé ses études secondaires, il a d'abord travaillé dans un restaurant puis est devenu vendeur dans un magasin de vêtements pour hommes. En 1981, il a ouvert au centre-ville de Victoria son propre magasin de vente au détail de porcelaine et de cadeaux. En 1990, Reed's China, vieille société familiale d'Edmonton (Alberta), lui a proposé de reprendre deux de ses magasins, Northgate et West Edmonton, situés dans les grands centres commerciaux du même nom. M. Cassels a déclaré qu'il avait décidé de se lancer dans cette entreprise et que, par le truchement du magasin de Victoria, il a fait un apport de stocks d'une valeur de 250 000 $ environ, dans le but d'assurer la viabilité des magasins d'Edmonton, après quoi les ventes courantes dans chaque magasin serviraient aux acquisitions subséquentes de stocks, en fonction des besoins. Un autre magasin, Southgate, a été ouvert plus tard au Southgate Mall d'Edmonton. Les magasins étaient ouverts 12 heures par jour, tous les jours; on y vendait du linge de maison, des couverts et des cadeaux. Chaque magasin appartenait à une société distincte, était exploité par cette société et était supervisé par un gérant. Deux gérants avaient travaillé pour Reed's China avant que M. Cassels prenne le contrôle de l'entreprise. Un directeur général assurait la supervision des activités dans les trois magasins. M. Cassels travaillait à son entreprise de Victoria, ville où se trouvait sa résidence principale, mais il se rendait à Edmonton toutes les deux semaines, durant toute l'année, ou même toutes les semaines durant les périodes les plus achalandées, afin de s'occuper des dossiers relatifs à ses magasins de détail. Le directeur général avait travaillé pour La Baie, à Calgary, avant d'occuper un emploi au sein du groupe de sociétés de M. Cassels; les gérants recevaient un salaire de base de 20 000 $, à quoi s'ajoutaient certaines primes qui pouvaient leur permettre de gagner le double de ce montant. À Victoria, des commis comptables consignaient les opérations effectuées dans le cadre de l'exploitation des trois entreprises à Edmonton, et M. Cassels faisait appel à un cabinet de comptables agréés de Victoria pour la préparation des états financiers et des déclarations de revenu requis. Un contrôleur a été embauché par la suite pour la supervision des besoins des différentes entreprises en matière de comptabilité générale. Chacun des gérants travaillant à Edmonton effectuait un calcul quotidien des ventes, et un rapport mensuel, accompagné des documents nécessaires, était transmis au bureau de Victoria à des fins de suivi des stocks. Chaque société exploitant un magasin avait son propre compte bancaire; les commis comptables établissaient les chèques et les présentaient à M. Cassels aux fins de paiement. M. Cassels a dit que, au cours de cette période, il travaillait de 80 à 100 heures chaque semaine, étant donné qu'il avait en outre ouvert un magasin à Red Deer (Alberta) et que, après avoir pris l'avion pour Edmonton, il se rendait en automobile à ce magasin. Au cours de ses séjours en Alberta, il tenait des réunions avec les gérants pour discuter de différentes procédures relatives à l'entreprise; toutefois, les gérants possédaient une bonne formation en matière de ventes, de service et de préparation de rapports sur les ventes. Le directeur général était capable de commander des stocks, et c'est à lui que les gérants de magasin présentaient leurs demandes lorsqu'ils voulaient obtenir certaines marchandises. Lorsque les dispositions relatives à la TPS sont entrées en vigueur, tous les magasins exploités par les sociétés de M. Cassels ont été inscrits et ce dernier a obtenu des renseignements aussi complets que possible en consultant des brochures et des manuels ainsi qu'en faisant appel aux conseils de commis comptables. Il devait superviser l'achat de nouvelles caisses enregistreuses permettant de consigner la taxe; de plus, du fait que la province de l'Alberta n'avait jamais imposé de taxe à l'égard des achats des consommateurs, le personnel de vente a dû recevoir une formation sur les méthodes de perception de la TPS. En cas de problème, les employés pouvaient se prévaloir d'un service téléphonique sans frais pour obtenir des précisions auprès de fonctionnaires de Revenu Canada. Une vérification au titre de la TPS a été effectuée à l'égard des magasins, et seuls des rajustements mineurs ont été requis. Plus tard, une autre vérification a été menée et une modification a été apportée par rapport à l'achat des caisses enregistreuses, M. Cassels avait demandé un montant de crédit de taxe sur les intrants (CTI) sur cinq des caisses enregistreuses, alors qu'une seule donnait droit à des CTI. Il y a aussi eu la question des ventes à l'exportation par les magasins d'Edmonton - c'est-à-dire les ventes à des clients résidant à l'étranger, en général aux États-Unis - qui n'étaient pas assujetties à la TPS. M. Cassels a déclaré qu'il connaissait bien cet aspect du régime de perception de la taxe, étant donné que les ventes à l'exportation du magasin de Victoria représentaient entre 20 et 40 % des ventes totales. Par suite de la vérification, une cotisation a été établie le 18 avril 1994, et M. Cassels a donné comme directive qu'un avis d'opposition (pièce A-2, onglet 12) soit produit; cependant, la cotisation a été confirmée par voie d'avis de décision (pièce A-2, onglet 11) daté du 18 mai 1995. La cotisation concernait le magasin de Northgate, mais l'avis d'opposition était établi, de façon erronée, au nom de Reed's China (Northwood) Ltd. M. Cassels a déclaré que, après avoir reçu avis de la décision, il n'avait pas jugé bon de poursuivre la procédure de contestation, étant donné qu'il connaissait mal les méandres du droit fiscal entourant la TPS et que, de toute manière, la situation financière des sociétés concernées rendait la chose inutile, d'autres cotisations ayant été établies à l'égard de Southgate et de West Edmonton. M. Cassels a dit avoir parlé à un agent de recouvrement de Revenu Canada et avoir convenu d'une méthode de remboursement selon laquelle chaque magasin paierait un montant mensuel de 3 000 $ au titre des arriérés, en plus des versements courants effectués conformément aux exigences de production en vigueur. Cette méthode a été appliquée jusqu'à ce que les ventes commencent à baisser et qu'il ne soit plus possible d'effectuer des remboursements aussi élevés. Selon M. Cassels, après la vérification et les cotisations qui en ont découlé, le personnel de tous les magasins a reçu une formation sur les méthodes à utiliser pour consigner les différentes opérations - y compris celles où des acomptes étaient versés pour des catégories d'achat particulières -, dont certaines n'avaient pas toujours fait l'objet du traitement adéquat aux fins de la TPS de la part des commis jusque-là. De plus, certains employés avaient oublié de percevoir la TPS sur des articles achetés conformément à un régime de paiements à l'avance, l'acheteur effectuant une série de paiements jusqu'à ce que le prix d'achat ait été entièrement acquitté. M. Cassels a fait mention du rapport de vérification (pièce A-1) se rapportant à la période du 1er janvier 1991 au 30 septembre 1993, dans lequel la vérificatrice avait fait état de certaines procédures devant faire l'objet de précisions, mais dans l'ensemble n'avait décelé que peu de points pouvant poser problème. M. Cassels a déclaré qu'il s'était efforcé de se conformer à tous les aspects du régime de TPS dans le cadre des activités des différents magasins dont il était responsable. En 1993, son groupe de sociétés exploitait cinq magasins à Edmonton, dont trois dans les centres commerciaux de Northgate, de Southgate et de West Edmonton, un au Centre Manulife et le dernier à Red Deer. Les ventes brutes totalisaient plus de 4 millions de dollars par année. M. Cassels a indiqué que, de temps en temps, il rencontrait des percepteurs de Revenu Canada à Victoria et qu'il discutait régulièrement avec différents fonctionnaires de Revenu Canada au sujet des arriérés de TPS. Il a constaté que les intérêts et pénalités [TRADUCTION] « ne cessaient d'augmenter » et a décidé de demander le conseil des comptables tenant les comptes des sociétés au sujet de la situation financière de l'ensemble des entreprises exploitées par les différentes sociétés qui lui appartenaient et qu'il contrôlait. On lui a dit que les entreprises devraient être liquidées et que, de cette manière, il serait possible de rembourser entièrement l'arriéré de TPS, étant donné que Revenu Canada aurait préséance sur tous les autres créanciers. La société de Victoria appartenant à M. Cassels avait au départ injecté 250 000 $ dans les magasins situés en Alberta et avait acquis un premier droit réel sur des biens meubles mais n'a pu recouvrer en bout de ligne que 4 000 $ à la suite de la liquidation de ces entités. Lors de la liquidation des sociétés, M. Cassels était conscient que les créanciers et fournisseurs ne recevraient pas l'intégralité des montants qui leur étaient dus, mais les calculs effectués montraient qu'il n'y aurait aucun problème à acquitter le montant payable à Revenu Canada. Entre 1991 et 1992, les ventes de Northgate ont augmenté, mais le revenu ainsi gagné a servi à constituer des stocks, tandis que les frais de publicité étaient élevés; il demeurait donc possible d'enregistrer une perte en dépit de l'augmentation des ventes. Des cinq magasins situés en Alberta, trois ont fait l'objet d'une mise sous séquestre tandis que les deux autres ont simplement fermé leurs portes. La société de Victoria qui était distincte a poursuivi ses activités. M. Cassels a indiqué que dans les états préparés par les comptables, les données relatives à la TPS n'étaient pas facilement identifiables et que, au cours des 10 ou 11 premiers mois d'exploitation, les magasins avaient droit à des remboursements. Les choses évoluant, il s'est prévalu de ses sources de crédit personnelles pour injecter 50 000 $ dans les entreprises, et il s'est accordé seulement 60 000 $ de salaire en quatre ans, soit un montant, selon ses calculs, nettement inférieur au salaire minimum. M. Cassels a déclaré qu'il s'était fié à l'avis de ses experts-conseils voulant qu'il y ait suffisamment de stocks pour qu'il soit possible de rembourser l'arriéré de TPS, même si ces stocks étaient vendus dans les magasins à des prix fortement réduits au cours de la liquidation. Malheureusement, cela n'a pas été le cas et les honoraires et frais des liquidateurs, syndics, séquestres et comptables se sont élevés à plus de 100 000 $. L'une des banques sur laquelle des chèques postdatés avaient été tirés au nom du receveur général en vue de rembourser les arriérés de TPS a décidé de fermer le compte et les chèques ont été renvoyés sans avoir fait l'objet d'une compensation. M. Cassels a mentionné les états de compte (pièces R-4, R-5 et R-6) sur lesquels ont été consignés les importants remboursements d'arriérés. Son avocat a attiré son attention sur le paragraphe 19 de la réponse, et l'appelant a convenu que les hypothèses sur lesquelles s'était fondé le ministre étaient exactes, exception faite de l'alinéa 19k), en ce sens qu'une proportion importante d'articles du magasin de West Edmonton étaient vendus à des touristes - il s'agissait en effet d'une destination touristique populaire - et que ces ventes, c'est-à-dire des ventes à l'exportation, n'étaient pas assujetties à la TPS. Il a bien sûr rejeté les hypothèses formulées aux alinéas 19w) et 19x) que l'on présume être, non des hypothèses de fait, mais l'énoncé d'une conclusion - en droit - qui constitue - en fait - le coeur du présent appel. Voici quelles sont ces hypothèses :

          [TRADUCTION]

a)          Les faits énoncés et admis ci-avant.

b)          Northgate a été constituée en société sous le régime des lois de l'Alberta le 24 juillet 1990.

c)          Northgate était située dans le centre commercial Northwood d'Edmonton (Alberta) et était parfois appelée « Reed's China (Northwood) Ltd. » .

d)          Southgate a été constituée en société sous le régime des lois de l'Alberta le 7 mars 1991.

e)          West Edmonton a été constituée en société sous le régime des lois de l'Alberta le 24 juillet 1990.

f)           Les entreprises exploitées consistaient en boutiques de vente au détail de porcelaine et de cadeaux.

g)          Durant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a été l'unique administrateur et actionnaire des sociétés, et il participait activement à la gestion des entreprises.

h)          Durant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a résidé en Colombie-Britannique et se rendait périodiquement aux locaux des sociétés.

i)           Les sociétés étaient des inscrits aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS) pour l'application de la Loi.

j)           Les sociétés devaient produire des déclarations trimestrielles de TPS et, durant toutes les périodes pertinentes, elles ont perçu ou étaient tenues de percevoir la TPS sur leurs fournitures taxables.

k)          La totalité ou la presque totalité des fournitures des sociétés durant la période pertinente étaient taxables au taux de 7 %.

l)           Aux termes du paragraphe 228(2) de la Loi, les sociétés étaient tenues de verser la taxe nette au titre de la TPS perçue, mais elles ne se sont pas acquittées de cette obligation.

m)         Le 30 novembre 1995, Southgate a fait cession de ses biens dans le cadre d'une faillite.

n)          Le 1er décembre 1995, Northgate et West Edmonton ont fait cession de leurs biens dans le cadre d'une faillite.

o)          Le 24 janvier 1996, le ministre a déposé à l'égard de Southgate une preuve de réclamation au montant de 34 011,97 $, soit un montant de taxe nette de 24 318,17 $, des intérêts de 4 792,33 $ et des pénalités de 4 901,47 $.

p)          Le 25 janvier 1996, le ministre a déposé à l'égard de Northgate une preuve de réclamation au montant de 47 421,76 $, soit un montant de taxe nette de 41 006,49 $, des intérêts de 3 254,18 $ et des pénalités de 3 161,09 $.

q)          Le 25 janvier 1996, le ministre a déposé à l'égard de West Edmonton une preuve de réclamation au montant de 46 600,39 $, soit un montant de taxe nette de 33 596,26 $, des intérêts de 6 532,31 $ et des pénalités de 6 471,82 $.

r)           Entre le 14 avril 1994 et le 2 janvier 1998, le ministre a recouvré une partie de la taxe nette payable par les sociétés, et les soldes impayés ont été calculés en conséquence au paragraphe 15 de la présente réponse.

s)          Northgate a été rayée du registre des sociétés de l'Alberta le 15 octobre 1998.

t)           Southgate a été rayée du registre des sociétés de l'Alberta le 1er septembre 1997.

u)          West Edmonton a été rayée du registre des sociétés de l'Alberta le 15 octobre 1998.

v)          L'appelant était informé de l'obligation de versement de la taxe nette à laquelle devaient se conformer les sociétés.

w)         L'appelant était informé, ou aurait raisonnablement dû être informé, de tout problème d'ordre comptable des sociétés et de leur défaut de versement de la taxe nette.

x)          L'appelant n'a pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le défaut de versement de la taxe nette par les sociétés ainsi que le prévoyait la Loi que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[3]      En contre-interrogatoire, James Cassels a déclaré avoir 45 ans et avoir terminé ses études secondaires mais ne pas avoir fait d'études postsecondaires, si l'on fait exception de cours de formation dans le domaine des ventes. Il a indiqué qu'il connaissait peu les ordinateurs, mais qu'il savait parfaitement utiliser une calculatrice. En 1981, il a mis sur pied une société en vue d'exploiter un magasin de détail, Limited Edition, à Victoria, et cette société a poursuivi ses activités jusqu'en 1999. À un certain moment, il exploitait trois autres magasins de détail, dont un magasin de vêtements, par le truchement d'une société distincte dans chaque cas, et deux de ces magasins étaient encore ouverts lorsqu'il a commencé à exercer des activités en Alberta. Il a toujours été l'unique administrateur et actionnaire des entités constituées en sociétés. Lorsqu'il a commencé à exploiter Limited Edition, de concert avec un magasin satellite de ce dernier, il continuait d'occuper un emploi à temps plein; toutefois, en 1984, il a décidé de quitter son emploi et a travaillé à partir de ce moment à titre de superviseur général des activités de détail, en plus d'effectuer l'examen des rapports mensuels. À un certain moment, son groupe de sociétés exploitait douze magasins de détail distincts et vendait en outre des produits par l'entremise d'un service de vente par correspondance. Il a toujours été l'unique fondé de signature de chaque société prenant part à l'exploitation des différentes entreprises. Il savait que, dans son rapport (pièce A-1), la vérificatrice, Wendy Pierce, avait établi à 3 % seulement la proportion des ventes consistant en ventes à l'exportation, d'après une moyenne applicable aux magasins de Southgate; toutefois, ce pourcentage ne correspondait pas à la réalité selon lui, étant donné que les ventes de West Edmonton à des touristes étaient plus élevées que celles de n'importe quel autre magasin, même si Southgate et Northgate comptaient également des touristes de l'étranger parmi leur clientèle. M. Cassels a admis, ainsi que cela était mentionné au paragraphe D de la page 2 du rapport de vérification, qu'il n'avait pas calculé un autre pourcentage des ventes à l'exportation, que la vérificatrice aurait pu envisager à titre de solution de rechange préalablement à l'établissement de la cotisation. Les gérants des magasins étaient responsables des activités quotidiennes, de la consignation des ventes et de tous les dépôts bancaires. Les renseignements pertinents étaient ensuite transmis au bureau de Victoria. M. Cassels a dit qu'il passait de 8 à 16 jours par mois en Alberta. Tous les commis travaillant dans les magasins avaient à tout le moins terminé leurs études secondaires et recevaient le salaire minimum, qui était de 5 $ l'heure environ à l'époque où l'appelant a commencé à exercer des activités à Edmonton. L'ensemble des ventes, des paiements et des dépôts étaient consignés dans un grand livre général. Les rubans de caisse enregistreuse, les rapports mensuels sur les ventes et les autres données pertinentes étaient transmis au siège social de Victoria, où travaillaient l'appelant ainsi qu'un ou deux commis comptables, un contrôleur se joignant à l'équipe quelques années plus tard. L'un des commis comptables suivait des cours en vue d'obtenir un titre professionnel comptable; un autre commis comptable possédait une grande expérience, ayant travaillé pour diverses entreprises au fil des ans. M. Cassels a déclaré qu'il examinait les données qui lui étaient transmises, y compris les montants de TPS perçus. Un cabinet d'experts-comptables préparait les déclarations de revenu et les états financiers à la fin de l'année. Les déclarations de TPS étaient préparées et produites par les commis comptables d'après les données transmises par les gérants des différents magasins à partir des rubans de caisse enregistreuse. Il est toutefois arrivé à l'occasion, dans les premiers temps, que les trois magasins d'Edmonton ne perçoivent pas la TPS sur certaines opérations, ce qui signifie que certains totaux calculés à partir des rubans ne rendaient pas compte de la totalité de la taxe à percevoir. Les gérants de magasin pouvaient payer de menues dépenses à même les rentrées de fonds de leurs magasins. Entre 1991 et le milieu de 1993, les magasins d'Edmonton avaient en général droit à un remboursement de TPS à la suite de la production de leurs déclarations trimestrielles. Southgate n'a commencé à être exploitée qu'en 1992. Les magasins du Centre Manulife et de Red Deer n'étaient pas visés par la vérification; l'ouverture du magasin de Southgate et la constitution de ses stocks avaient été onéreuses, mais les autres entreprises donnaient de bons résultats et les ventes étaient en hausse depuis 1990. L'avocat de l'intimée a attiré l'attention de l'appelant sur les états financiers relatifs à West Edmonton (pièce A-2, onglet 9), qui faisaient état de ventes de 493 671 $ en 1991, les achats s'élevant pour leur part à 510 762 $. En 1992, les ventes avaient été de 666 394 $ tandis que les achats avaient totalisé 424 303 $. La plus grande partie des dépenses, exception faite des salaires, donnaient droit à des CTI, soit un montant de près de 200 000 $ en 1992. M. Cassels a précisé que le montant maximum de TPS qui pouvait être payable à la fin de l'année représentait 7 % de 40 000 $, c'est-à-dire la différence entre la TPS perçue sur les ventes taxables et les CTI applicables, accumulés durant l'année. De même, les états financiers relatifs à Northgate (pièce A-2, onglet 22) semblent montrer que le montant maximum payable serait égal à 7 % de 25 000 $; toutefois, l'appelant a admis qu'il n'avait pas effectué un tel calcul lorsqu'il a reçu les états financiers. Il savait que les sociétés possédaient cinq véhicules qui étaient utilisés par les employés, et il croyait savoir que cela avait une incidence sur la TPS parce qu'il s'agissait d'un avantage taxable qui leur était offert. Les sommes payables par les trois magasins selon les cotisations établies pour une période de trois ans s'établissaient à 65 000 $ environ, étant donné que les ventes avaient représenté plus de 5 millions de dollars. M. Cassels a dit qu'il effectuait des comparaisons entre les chiffres de vente et les données indiquées dans les déclarations de TPS, et il était tout à fait raisonnable selon lui que des remboursements soient reçus, étant donné les achats de stocks importants lorsque les magasins étaient créés et que leurs stocks étaient constitués. L'avocat a attiré l'attention de l'appelant sur les pièces R-1, R-2 et R-3, qui retraçaient les déclarations de revenu de Southgate, de Northwood [sic] - il s'agit en fait de Northgate - et de West Edmonton, respectivement. M. Cassels a déclaré qu'il ignorait qu'un remboursement avait été demandé dans les déclarations de TPS dans les cas où les ventes (fournitures) étaient supérieures aux achats. Il savait que les ventes n'étaient pas toutes assujetties à la TPS, étant donné que des ventes importantes, atteignant 15 000 $ en une occasion, étaient destinées à l'exportation et n'étaient pas passibles de la taxe. Il supposait que les rubans de caisse enregistreuse faisaient état de données exactes et que les déclarations avaient été préparées comme il se doit, mais il n'effectuait pas de calcul particulier à des fins de validation. Différentes cotisations ont été établies par le ministre relativement à la période allant du 1er janvier 1991 au 30 septembre 1993. Les sommes dues par Northgate, Southgate et West Edmonton s'élevaient respectivement à 22 249,50 $, 21 145,92 $ et 25 286,52 $. Lorsque l'on ajoutait les intérêts et pénalités - au 15 avril 1994 -, la somme payable par les trois magasins dépassait 80 000 $, et la dette totale a fait l'objet d'un arrangement aux termes duquel les sociétés devaient fournir des chèques postdatés de 3 000 $ pour chaque période de paiement déterminée afin de rembourser l'arriéré. Parallèlement, on a fait part aux gérants de magasin d'erreurs dans les rapports, les déclarations de TPS ont été produites en temps opportun et les montants de remboursement de l'arriéré ont été versés jusqu'à ce qu'il devienne impossible de payer les montants prévus en raison de la chute des ventes. Dans le cas de la cotisation applicable à la période se terminant le 30 septembre 1993, il semble, d'après le relevé de compte (pièce R-6) que West Edmonton ait remboursé environ 23 000 $ sur l'arriéré, qu'elle ait produit les déclarations requises et qu'elle ait effectué les versements conformément aux calculs contenus dans lesdites déclarations. D'après le relevé de compte (pièce R-4) relatif à Southgate, sept chèques ont été émis afin de rembourser l'arriéré, mais quatre ont été refusés par la banque, de sorte que 6 000 $ seulement ont été remboursés. M. Cassels a indiqué que, dans les déclarations produites pour les cinq périodes de déclaration suivant le 30 septembre 1993, le montant des CTI était égal à la TPS perçue sur les ventes, par suite des transferts de stock entre magasins dans le cadre d'un mécanisme de comptabilisation simplifiée relativement au paiement de la taxe. Le magasin de Northgate a remboursé environ 6 000 $ de l'arriéré, et quatre chèques, chacun établi au montant de 3 000 $, ont été refusés par la banque. On a mentionné à M. Cassels les tableaux exposés au paragraphe 15 de la réponse concernant Northgate, Southgate et West Edmonton, qui montrent que, du 1er avril 1994 au 30 septembre 1995, Northgate déclarait la taxe nette payable mais ne la versait pas, tandis que Southgate et West Edmonton, si elles produisaient les déclarations requises en respectant les échéances applicables, n'ont versé aucun montant de taxe au titre des ventes courantes après le 1er octobre 1993, et ce, jusqu'à ce qu'elles cessent leurs activités après la période de déclaration du 30 septembre 1995. Selon M. Cassels, plusieurs facteurs expliquaient pourquoi il n'avait pas été possible de verser la TPS nette - les magasins tentaient de rembourser les arriérés se rapportant à une période antérieure et le marché de détail connaissait un déclin. L'avocat a mentionné à M. Cassels que plus de 62 000 $ de TPS avaient été perçu dans le cadre des entreprises exploitées à Edmonton et que, d'après les renseignements figurant dans les déclarations de TPS, ce montant aurait dû être versé durant la période en question.

[4]      En réinterrogatoire, James Cassels a dit qu'il n'était pas au courant du fait que la vérificatrice avait essayé de communiquer avec lui concernant la demande de réduction au titre de ventes à l'exportation additionnelles. À un certain moment, il a voulu savoir ce qu'il en coûterait pour procéder à une vérification portant sur chaque société, et il a ainsi appris que les frais annuels dépasseraient 10 000 $ par société. Il a toujours communiqué des données financières sur les activités des sociétés au cabinet d'experts-comptables. Lorsqu'il a commencé à exercer des activités en Alberta, il s'y rendait chaque semaine; plus tard, lorsqu'il a compris que la situation n'irait pas en s'améliorant, il a cherché à obtenir des conseils de spécialistes sur la meilleure manière de rembourser les arriérés de TPS, puis a procédé à la liquidation et à la mise sous séquestre des différents magasins de détail appartenant aux sociétés.

[5]      Lors de son témoignage, Allan Tocher a déclaré qu'il travaillait à titre de personne-ressource à l'Agence des douanes et du revenu du Canada depuis 1996, et qu'il connaît le dossier de l'appelant parce qu'il était agent de perception en 1997 et que, plus récemment, il a travaillé à titre d'agent des cas complexes. Il savait qu'une vérification sur place portant sur les magasins Reed's China avait été effectuée en 1991, une déclaration avec solde créditeur ayant constitué l'élément déclencheur. La procédure suivie par la suite par l'ADRC comportait l'examen des livres et registres en vue de valider les CTI sur lesquels était fondée la demande de crédit dans la déclaration produite. M. Tocher a indiqué que le travail du vérificateur portait sur les déclarations de TPS et que la vérification en question avait été effectuée en avril 1991 à la suite de la production de la première déclaration. Si l'on se fie à la pratique courante, il a dû falloir environ une heure au vérificateur pour effectuer la vérification relative aux trois magasins de détail d'Edmonton.

[6]      En contre-interrogatoire, Allan Tocher a dit qu'il n'avait jamais discuté avec le vérificateur, mais qu'il avait examiné les notes prises par ce dernier.

[7]      L'avocat de l'appelant a indiqué que, lorsque l'on se penche sur la question de la responsabilité personnelle de l'appelant en sa qualité d'administrateur d'une société ayant omis de payer la taxe, il faut se rappeler qu'aucun administrateur n'est tenu de jouer le rôle de caution à l'égard d'une dette de ce genre. L'avocat a mentionné les éléments de preuve établissant que des procédures adéquates avaient été établies au cours de la période visée par la première vérification, que la TPS avait été créée peu avant le début de la période pertinente en l'espèce et que c'était la première fois de toute l'histoire de la province que les magasins de l'Alberta devaient percevoir une taxe de vente. Il a également mentionné que, lorsque le ministre a établi une cotisation, l'appelant a déposé un avis d'opposition portant sur le montant payable mais que, lorsque le ministre a émis un avis de ratification de la cotisation, l'appelant a choisi d'y souscrire et a par la suite convenu avec Revenu Canada (nom que l'ADRC portait à l'époque) un arrangement en vue de payer l'arriéré. L'avocat a exposé les mesures prises de bonne foi par l'appelant, sur les conseils de spécialistes, afin de liquider ses stocks et de mettre les magasins sous séquestre, de façon que l'arriéré de TPS puisse être payé intégralement, en tenant compte de la préséance de Revenu Canada par rapport aux fournisseurs dans le contexte de la liquidation. Le principal point faible de ce plan a été le coût très élevé - près de 100 000 $ - imputable aux professionnels qui ont pris part à la procédure de liquidation. L'avocat a en outre rappelé que l'appelant avait investi 50 000 $ à même ses ressources financières personnelles dans les entreprises d'Edmonton, ne s'accordant que 60 000 $ de salaire sur quatre ans, ce qui illustrait bien sa volonté de poursuivre l'exploitation des entreprises, et que la société de Victoria, dont l'appelant était l'unique actionnaire, avait investi 250 000 $ dans les magasins et n'avait reçu que 4 000 $ à la suite de leur fermeture.

[8]      L'avocat de l'intimée a fait valoir qu'il n'y avait aucune allégation voulant que l'appelant ait été malhonnête ou qu'il y ait eu faute lourde de sa part. La preuve montre toutefois selon lui que l'appelant avait omis d'effectuer des calculs rudimentaires portant sur les ventes et les CTI d'après les chiffres inscrits dans les déclarations de TPS, ce qui aurait servi à montrer qu'un magasin particulier n'avait pas droit à un remboursement de taxe. L'avocat considère que, en l'espèce, l'appelant aurait dû prendre des précautions additionnelles pour s'assurer que le personnel de vente dans les magasins de l'Alberta avait reçu une formation adéquate en matière de perception de la nouvelle taxe de vente, ajoutant qu'un examen des déclarations de TPS et des états financiers aurait permis de voir que, en 1993, aucun des magasins n'avait droit à un remboursement mais que, au contraire, des montants étaient payables à Revenu Canada. L'appelant étant, d'une part, un homme d'affaires chevronné, et d'autre part l'unique administrateur et actionnaire des sociétés concernées, l'avocat de l'intimée a soutenu qu'il ne s'était pas acquitté entièrement de l'obligation qui lui était imposée par la Loi, choisissant de payer certains comptes plutôt que de verser la TPS au moment de la production des déclarations; cela signifie que les magasins, en plus de ne pouvoir respecter le calendrier de remboursement des arriérés, conformément aux engagements pris à cet égard, omettaient de verser les montants dus pour les périodes visées par les déclarations trimestrielles de TPS - ainsi qu'on peut le constater au moyen du tableau figurant au paragraphe 15 de la réponse -, ce qui se traduisait par de nouveaux arriérés.

[9]      La question à trancher dans le présent appel consiste à savoir si l'appelant est tenu, aux termes du paragraphe 323(1) de la Loi, de payer les montants énoncés dans la réponse au titre du défaut, de la part de Northgate, Southgate et West Edmonton, de verser la taxe nette pour la période allant du 1er juillet 1993 au 30 septembre 1995 en application du paragraphe 228(2) de la Loi. Voici le libellé des dispositions pertinentes de la Loi :

323(1) Responsabilité des administrateurs - Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

323(3) Diligence - L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[10]     Le jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407) était étroitement lié à la question de la responsabilité personnelle des administrateurs relativement à des retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu qui n'avaient pas été versées par une société. Le libellé de la disposition pertinente de la Loi de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire le paragraphe 227.1(3), est identique à celui du paragraphe 323(3) de la Loi, qui constitue la disposition pertinente en l'espèce. Dans le cadre de son jugement, le juge Roberston de la Cour d'appel a examiné l'historique et le cadre législatifs des dispositions sur la responsabilité personnelle des administrateurs ainsi que la norme de prudence telle qu'elle ressort de la jurisprudence dans ce domaine. Voici ce que déclarait le juge Robertson à la page 155 (DTC : à la page 5416) et aux pages suivantes :

Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

V. ANALYSE

Il existe un nombre considérable de décisions qui portent sur l'article 227.1 de la Loi. Une façon de saisir l'ampleur du droit existant consiste à classer les décisions pertinentes par catégories. En fait, cette tâche a déjà été accomplie en grande partie par quelques-uns des commentateurs : voir, p. ex. Moskowitz, précité, aux pages 556 à 566; voir aussi R.L. Campbell, « Director's Liability for Unremitted Employee Deductions » (1993), 14 Adv. Q. 453.

À titre d'exemple, dans certains cas, la question pertinente sera de savoir si une personne était, dans les faits ou en droit, un administrateur à l'époque pertinente aux fins d'imposer une responsabilité personnelle ou si cette personne avait cessé d'exercer ses fonctions au moyen d'une démission valide. Dans d'autres cas, comme ceux qui concernent une faillite et une mise sous séquestre, la question centrale sera un contrôle de droit. Dans d'autres cas encore, notamment les situations dans lesquelles un administrateur dominant est en mesure de limiter l'influence exercée par les autres sur les affaires de la société, il s'agira d'un contrôle de fait. J'entends m'attarder à la catégorie de décisions relative à la distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes puisqu'il s'agit de la jurisprudence qui est la plus pertinente dans le cadre du présent appel.

Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

Dans certaines affaires, il est facile de voir pourquoi les administrateurs internes ont été tenus responsables. C'est vrai pour l'affaire Barnett, précitée, qui est la première affaire dans laquelle la défense de diligence raisonnable a été examinée. Dans cette affaire, le contribuable, à titre d'administrateur et d'unique actionnaire de la société, avait retenu les services d'un contrôleur. Quand celui-ci a avisé le contribuable que la société était à court d'argent, le contribuable lui a répondu que les principaux fournisseurs devraient être payés en premier. Dans les circonstances, la Cour de l'impôt a rejeté l'appel interjeté par le contribuable contre la cotisation du ministre qui tenait le contribuable personnellement responsable des retenues à la source qui avaient été faites mais n'avaient pas été versées. Il est également compréhensible que des administrateurs internes aient été tenus responsables dans les affaires suivantes : Quantz (C.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2276 (C.C.I.); et Beutler (O.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2414 (C.C.I.).

[11]     En l'espèce, il serait difficile d'imaginer un homme d'affaires plus chevronné que l'appelant. M. Cassels exploitait sa propre entreprise de vente au détail depuis 1981 et, à un certain moment, avait une douzaine d'entreprises de vente au détail distinctes exploitées par l'entremise de différentes sociétés, dont il était le propriétaire et l'administrateur exclusif. Il ne saurait correspondre davantage à la définition du concept d'administrateur interne. De ce fait, le critère applicable dans son cas sera relativement rigoureux comparativement à d'autres administrateurs pouvant par ailleurs remplir différents rôles selon les circonstances, ainsi que cela est exposé dans l'affaire Soper, précitée.

[12]     Dans l'affaire Drover c. Sa Majesté La Reine, C.A.F., no A-331-97, 13 mai 1998 ([1998] G.S.T.C. 45), la Cour d'appel fédérale a conclu que les administrateurs n'avaient pas pour seule obligation de veiller à ce que la TPS calculée soit remise, mais qu'ils devaient également s'assurer que ledit montant de TPS avait été correctement calculé. Ainsi que l'a mentionné le juge Robertson de la Cour d'appel à la page 7 (G.S.T.C. : à la page 45-4) :

         

[...] La légèreté est tout aussi inacceptable au niveau du calcul qu'au niveau du versement. L'obligation de calculer correctement le montant de la TPS découle du paragraphe 228(1) de la Loi sur la taxe d'accise qui dispose que :

[228.(1) Calcul de la taxe nette] L'inscrit tenu de produire une déclaration en application de la présente section doit y calculer sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée.

[13]     Puis, à la page 7 (G.S.T.C. : à la page 45-5), le juge Robertson a déclaré :

Reprenant les termes utilisés dans l'arrêt Soper, on peut reformuler de la manière suivante la question qui se pose en l'espèce : la contribuable a-t-elle fait preuve de toute la prudence voulue afin d'assurer que la Conestoga ne manquerait pas à son obligation de calculer correctement et de verser au receveur général le montant de la TPS? Compte tenu des circonstances, ainsi que de l'expérience et du sens des affaires que l'on reconnaît à la contribuable, aurait-elle dû savoir qu'il y avait un problème au niveau du calcul de la TPS? Corrélativement, si la contribuable savait ou aurait dû savoir qu'il y avait un problème au niveau du calcul correct de la TPS dont la compagnie était redevable, a-t-elle fait preuve de toute la prudence voulue afin de s'assurer que le problème serait réglé. La contribuable était une « administratrice interne » (c'est-à-dire qu'elle participait à l'activité quotidienne de l'entreprise) et il est clair que d'autres personnes, y compris un comptable, étaient chargées du calcul et du versement de l'ensemble des impôts. Il y a lieu d'ajouter que n'a été portée à l'attention de la Cour aucune preuve confirmant que la contribuable aurait effectivement été au courant de l'existence d'un problème concernant le calcul correct de la TPS.

[14]     Dans l'arrêt Drover, l'affaire était renvoyée à la Cour de l'impôt pour que celle-ci prenne en compte certains aspects rattachés à la défense de diligence raisonnable, qui n'avait pas été invoquée par l'appelant en raison d'une certaine confusion découlant d'un compromis auquel on était parvenu sur une partie des questions en litige.

[15]     Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. McKinnon (C.A.), [2001] 2 C.F. 203 (2000 DTC 6593), la Cour d'appel fédérale devait examiner la question de la responsabilité personnelle d'administrateurs à l'égard de montants de TPS et de retenues à la source non versés. Outre les considérations habituelles touchant la diligence raisonnable, il était également question de la perte du contrôle de fait de la part des administrateurs en raison de la décision soudaine, de la part de la banque de la société, de réduire la marge de crédit de cette dernière et de rejeter des chèques établis à l'ordre du receveur général au titre de retenues à la source.

[16]     Après avoir procédé à un examen approfondi de la jurisprudence portant sur des situations factuelles similaires, le juge Evans de la Cour d'appel déclarait ceci à la page 232 (DTC : à la page 6603) et aux pages suivantes :

J'estime qu'il est essentiel de ne pas perdre de vue la question qui est au coeur du présent appel, savoir si les administrateurs en l'espèce ont exercé la diligence raisonnable requise pour prévenir le défaut de versement de la compagnie. Il ne s'agit pas nécessairement de la même chose que de se demander s'il était raisonnable de leur part, du point de vue commercial, de continuer à exploiter l'entreprise. Pour être en mesure d'invoquer le moyen de défense tiré du paragraphe 227.1(3), il faut normalement qu'ils aient pris des mesures positives qui, si elles aboutissaient, auraient pu prévenir le défaut de versement. Il faut donc examiner si ce qu'ont fait ces administrateurs pour prévenir le défaut satisfait à la norme de soin, de diligence et d'habileté qu'aurait observée une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables.

Il ne suffira normalement pas que les administrateurs aient continué à exploiter l'entreprise, sachant qu'un défaut de versement était probable mais dans l'espoir que la compagnie reprendrait pied avec une reprise de l'économie ou une amélioration de sa position sur le marché. Dans ces conditions, les administrateurs seront généralement tenus pour avoir accepté le risque inhérent à la gageure que la compagnie serait subséquemment en mesure de verser les sommes dues. Le public n'a pas à assurer contre son gré ce risque, aussi raisonnable qu'il soit du point de vue commercial pour les administrateurs de continuer à exploiter l'entreprise sans rien faire pour prévenir les défauts de versement à l'avenir.

Cette conclusion a été récemment tirée dans Ruffo c. R., [1998] 2 C.T.C. 2203 (C.C.I.), décision confirmée par notre Cour le 13 avril 2000 (2000), 2000 DTC 6317, et où Mme le juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l'impôt s'est prononcée en ces termes (paragraphe 20) :

Je suis d'avis que la jurisprudence de notre Cour est constante sur la diligence qui doit avoir été exercée par l'administrateur d'une corporation pour lui permettre d'échapper à la responsabilité prescrite par le paragraphe 227.1(1) de la Loi. Elle est la diligence qui s'est préoccupée de prévenir le manquement et peut dans bien des cas, se différencier de la diligence que doit exercer l'administrateur envers la corporation.

Un peu plus loin, elle a cité avec approbation cette affirmation du juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt dans K. Merson c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 2074 (à la page 2083) :

La prudence qu'exige le paragraphe 227.1(3) pour agir avec soin, diligence et habileté diffère de celle que doit exercer l'administrateur qui exécute ses fonctions, en vertu du droit des compagnies, quoique le paragraphe 227.1(3) et l'alinéa 122(1)b) de la Loi sur les sociétés par actions, par exemple, emploient des mots identiques. Le soin, la diligence et l'habileté que le paragraphe 227.1(3) exige de l'administrateur ne reposent pas sur les obligations de ce dernier envers la corporation; ils reposent sur l'une des obligations de la corporation en vertu de la Loi et l'omission, par la corporation, d'exécuter cette obligation. On s'attend à ce que l'administrateur qui gère une entreprise prenne des risques pour accroître la rentabilité et c'est à cette attente que se mesurent les obligations du soin, de la diligence et de l'habileté. Le degré de prudence qu'exige le paragraphe 227.1(3) ne laisse aucune place au risque.

Je n'interprète pas l'affirmation faite par le juge Rip que « le degré de prudence qu'exige le paragraphe 227.1(3) ne laisse aucune place au risque » comme signifiant que l'article 227.1 impose une présomption de responsabilité aux administrateurs dont la compagnie se révèle en fin de compte incapable d'acquitter les sommes en souffrance. Pareille conception serait indubitablement contraire au paragraphe 227.1(3), qui n'entre en jeu que dans le cas où Revenu Canada ne peut recouvrer l'argent que la compagnie aurait dû verser.

Je pense au contraire qu'il a voulu dire par là que si les administrateurs décident de maintenir l'entreprise en activité dans l'espoir que la compagnie sera remise à flot et sera en mesure de rattraper les défauts de versement après coup, et que la compagnie fasse quand même faillite sans avoir payé ce qu'elle devait au fisc, ils ne peuvent arguer en défense qu'une personne raisonnable aurait accepté le risque qu'ils ont couru. Le moyen de défense tiré du paragraphe 227.1(3) ne peut servir que si les administrateurs peuvent prouver qu'ils ont agi avec le soin, la diligence et l'habileté qu'un homme d'affaires raisonnablement prudent aurait exercé dans des circonstances comparables pour prévenir le défaut.

Que les administrateurs aient fait preuve ou non de diligence raisonnable pour prévenir le défaut est à la fois un point de droit et un point de fait. Sur le plan juridique, la responsabilité d'un administrateur en cas de défaut de versement des retenues à la source et de la TPS ne se cristallise qu'une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies. Qui plus est, si les sommes dues sont par la suite intégralement réglées, même tardivement, ces administrateurs ne seront pas tenus responsables du défaut par la compagnie de les verser en premier lieu.

Cependant, le fait qu'avant de se cristalliser, la responsabilité de l'administrateur soit latente n'est pas incompatible avec la conclusion qu'il y a eu défaut de versement si aucun versement n'a été fait à la date qui, selon les textes applicables, est la date d'échéance. Par exemple, le paragraphe 108(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, prévoit que les sommes retenues sur les salaires des employés dans un mois donné en application du paragraphe 153(1) de la Loi, doivent être versées au receveur général du Canada au plus tard le 15e jour du mois suivant.

Il s'ensuit, à mon avis, que les administrateurs d'Abel ne pouvaient prétendre au bénéfice du paragraphe 227.1(3) par la simple assertion qu'ils avaient poursuivi l'exploitation de l'entreprise en s'en remettant raisonnablement à l'avis de M. Humphreys que celle-ci pourrait se remettre à flot dans les 18 mois et que l'économie serait dans une meilleure conjoncture économique entre-temps. À supposer même que la compagnie ait pu se mettre en état de tirer parti de la conjoncture économique favorable et soit devenue rentable, elle serait devenue tout au plus capable d'acquitter les sommes dues et de prévenir les défauts de versement à l'avenir. L'adoption de ce conseil ne pouvait pas prévenir les défauts de versement qui devaient survenir antérieurement au renflouement de la compagnie, à supposer même que cette prévision se soit avérée exacte.

Étant donné les restrictions que leur imposait le contrôle de fait exercé par la banque sur les finances de la compagnie, je conclus des faits de la cause que les administrateurs ont exercé, pour prévenir les défauts de versement, le même degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Le fait que Mme McKinnon ait continué à préparer les chèques de versement, manifestement sans l'espoir réaliste que la banque les honorerait tous, indique aussi que ces administrateurs n'ignoraient pas la dette de la compagnie envers Revenu Canada.

[17]     Dans l'affaire McKinnon, précitée, la banque avait supervisé étroitement les activités de la société pendant plusieurs mois et avait augmenté la marge de crédit de cette dernière pour que les employés et les principaux fournisseurs puissent être payés. Toutefois, la banque a décidé de refuser d'accepter les chèques émis au titre des retenues à la source, même si les administrateurs avaient discuté de cette question avec la banque, sans qu'aucune entente ferme ne soit conclue à cet égard.

[18]     Il importe de se rappeler la différence qui existe entre la responsabilité des administrateurs par suite du défaut de verser les retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu, des cotisations d'assurance-emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada, d'une part, et d'autre part leur responsabilité en cas de défaut de versement des montants de TPS payables au moment de la production de la déclaration pour la période visée. Bien que les retenues à la source soient un concept théorique, ainsi que l'explique le juge Robertson de la Cour d'appel dans l'affaire Soper, précitée, et que les employeurs ne mettent pas réellement les fonds en question de côté chaque fois qu'un chèque de paie est émis, les dispositions réglementaires dont est assortie la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient à tout le moins que les fonds retenus doivent être versés au plus tard le quinzième jour du mois suivant la fin du mois où les retenues ont été effectuées. Par conséquent, il est facile de concevoir que l'employeur éprouve de graves difficultés financières lorsque les fonds en question, qui appartiennent aux employés et sont détenus dans le cadre d'une fiducie en faveur de Sa Majesté du chef du Canada, ne peuvent être versés au receveur général. Sauf dans le cas où le défaut serait attribuable à un problème temporaire touchant l'organisation financière d'une entreprise et pouvant être corrigé dans un délai raisonnable, les ennuis éprouvés par l'entité vont augmenter progressivement et l'arriéré va s'accumuler. Dans un tel cas, les administrateurs de la société prendront conscience - du moins le devraient-ils - assez rapidement qu'il existe un problème, et que ce problème n'est pas hypothétique mais bien réel. Ils sauront, ou du moins le devraient-ils, que des mesures doivent être prises pour éviter tout autre défaut de versement des montants payables au titre des retenues à la source; après tout, cet argent n'appartient pas à la société et ne doit pas être employé dans le cadre des efforts déployés à seule fin de maintenir à flot une entreprise en difficulté, sans se préoccuper de l'obligation de payer les retenues en question. Si la banque, les fournisseurs et les actionnaires de la société estiment que l'entreprise n'est plus viable, pourquoi le receveur général ou les employés auxquels se rapportent les sommes retenues à la source qui servent à financer la poursuite des activités, devraient-ils jouer sans le vouloir le rôle de sauveteurs ou, plus probablement, faire office d'instruments qui ne serviront qu'à retarder l'effondrement inévitable de l'entreprise. Par contre, dans le cas de la TPS, la période de déclaration de certaines petites entreprises est d'un an et l'échéance des versements peut se situer quelques mois après la fin de la période de déclaration annuelle. Il peut donc arriver que, à l'intérieur de l'année en question, les CTI soient plus élevés que la taxe perçue sur les ventes. Si l'on retenait une date située au milieu de la période de déclaration, il pourrait arriver que le propriétaire ou le dirigeant d'une société exploitant une entreprise ait participé à plusieurs salons professionnels et ait acquis des stocks importants à l'égard desquels la TPS est exigible au moment où les paiements sont effectués aux fournisseurs. Par la suite, les ventes de ces stocks seront réparties sur une longue période et la quasi-totalité des dépenses d'entreprise, exception faite des traitements et salaires, donneront droit à des CTI. La capacité d'une personne agissant à titre d'administrateur d'éviter le défaut de versement de la TPS de la part d'une société, dans l'éventualité où la taxe perçue est supérieure aux CTI, dépendra de la mise sur pied d'un système permettant de consigner adéquatement la taxe perçue ainsi que de l'existence, dans le cadre d'une entreprise gérée efficacement, des procédures requises pour la préparation et la production des déclarations de TPS - dans lesquelles les montants pertinents sont calculés correctement -, puis pour le versement des sommes payables, le cas échéant. Dans le cas des taxes de vente provinciales, il n'existe pas d'équivalent des CTI, de sorte qu'aucun montant ne vient contrebalancer la taxe de vente perçue auprès des clients, la somme ainsi perçue devant généralement être versée à l'organisme provincial correspondant au receveur général dans les 15 ou 20 premiers jours du mois suivant la période de perception. Dans une telle situation, comme c'était le cas pour les retenues à la source, l'administrateur d'une société qui participe à la gestion des activités quotidiennes de l'entreprise prendra vite conscience de l'existence d'un problème grave au niveau des flux de trésorerie. La raison pour laquelle le régime de TPS a été instauré, surtout du point de vue des entreprises de détail, était de mettre en place un système de CTI grâce auquel, au cours de la période de démarrage ou durant une période de croissance rapide d'une entreprise, où il est normal que les achats et les dépenses soient supérieurs aux ventes, des remboursements soient accordés jusqu'à ce que le seuil de rentabilité soit atteint et que les revenus de ventes soient suffisants pour acquitter les autres dépenses, y compris le coût des biens. Parfois, dans le cadre d'un appel ayant trait à la responsabilité des administrateurs, l'avocat du ministre demandera à un appelant si les administrateurs d'une société ont pris des mesures pour que la TPS soit détenue dans un compte distinct. La réponse à cette question est invariablement un non sans équivoque, probablement parce que, à de nombreux moments durant l'année, on aura constaté que l'entreprise avait en fait droit à un remboursement. L'une des solutions serait peut-être que le ministre procède à des examens pour établir si des mesures raisonnables ont été prises afin que, durant toutes les périodes pertinentes, des fonds suffisants soient détenus dans les vastes coffres fédéraux pour assurer le paiement de tout remboursement payable à l'inscrit. Au départ, les nouveaux inscrits devaient toujours produire des déclarations trimestrielles; le sous-alinéa 245(2)a)(ii) de la Loi prévoit maintenant une déclaration annuelle, ce qui est probablement attribuable à la prise en compte des hausses et des baisses de la taxe perçue par rapport aux CTI accumulés au cours d'un exercice. De plus, les périodes de déclaration de beaucoup de petites entreprises, de trimestrielles qu'elles étaient au départ, sont devenues annuelles, avec le consentement des parties. Dans le présent appel, les sociétés appartenant au groupe de M. Cassels produisaient des déclarations trimestrielles, étant donné le fort volume des ventes. L'examen des pièces R-1, R-2 et R-3, décrites comme étant des feuilles de renseignements téléchargés aux fins d'imputation dans le cadre de la vérification, permet de voir que, de 1991 jusqu'à une certaine date en 1993, les sociétés avaient droit à des remboursements de TPS parce que les achats dépassaient les ventes (fournitures taxables) durant la période de déclaration. Il faut aussi tenir compte des ventes à l'exportation, c'est-à-dire les ventes à des personnes vivant à l'étranger; ces ventes, bien qu'elles soient détaxées, doivent malgré tout être prises en compte dans la catégorie prévue aux fins de déclarer le montant des ventes taxables pour la période pertinente. L'appelant a déclaré lors de son témoignage qu'il était convaincu que le volume des ventes à l'exportation du magasin de West Edmonton et les montants correspondants n'avaient pas été pris en compte comme il se doit lors de la vérification. Il a déposé un avis d'opposition mais, par la suite, n'a pas fourni à la vérificatrice d'autres chiffres fondés sur des données précises concernant les ventes et n'a pas fait appel de la décision du ministre confirmant les différentes cotisations. Il a plutôt choisi de conclure des arrangements avec les fonctionnaires du service de perception afin de rembourser les arriérés selon un calendrier déterminé, de façon que les montants de TPS payables par chacune des trois sociétés exploitant les magasins de détail puissent être intégralement remboursés. L'un des points faisant partie intégrante de cet arrangement était que les versements trimestriels requis, le cas échéant, soient conformes aux données figurant dans les déclarations et soient effectués au moment de la production de celles-ci. Or, non seulement y a-t-il eu des retards au chapitre des remboursements prévus dans l'arrangement, mais les versements de TPS pour les périodes de déclaration courantes n'ont pas été effectués par les différentes sociétés, ainsi que le montrent les tableaux exposés au paragraphe 15 de la réponse. Du 1er avril 1994 au 30 septembre 1995, Northgate a perçu la TPS mais ne l'a pas versée, de sorte que la somme payable au receveur général, y compris les pénalités et les intérêts, s'établissait à 46 262,75 $. Au cours de la période allant du 1er octobre 1993 au 30 septembre 1995, Southgate a perçu la TPS mais n'en a pas effectué le versement, aussi la somme payable par cette société s'établissait-elle à 33 180,70 $. Enfin le magasin West Edmonton n'a effectué aucun versement de TPS au cours de la même période et devait 38 192,59 $.

[19]     L'appelant a déclaré qu'il avait demandé à des spécialistes de lui fournir des conseils et qu'on lui avait dit que la liquidation des magasins permettrait de dégager des revenus suffisants pour rembourser entièrement les sommes payables à Revenu Canada. Malheureusement, le processus a été plus long que prévu, le marché de détail à Edmonton connaissait un déclin et les frais relatifs à l'ensemble de la procédure de liquidation, de mise sous séquestre et de liquidation des sociétés ont été beaucoup plus élevés qu'on ne l'avait anticipé. Cela explique que les fonds pouvant être affectés au remboursement de la TPS payable ont été insuffisants. Ce dénouement n'est absolument pas comparable aux situations où un séquestre ou une banque refuse d'honorer des versements réguliers, sans qu'intervienne le débiteur fiscal, et donne la préséance à d'autres créanciers. Dans le présent appel, certains chèques ont été refusés, puis remplacés par la société concernée dans le but de rembourser les arriérés accumulés attribuables aux cotisations initiales.

[20]     À mon sens, il ressort de la preuve que, après le 30 septembre 1993, l'appelant, en tant que dirigeant unique des différentes sociétés, a choisi de ne pas verser la TPS dûment payable et d'utiliser les fonds en question dans le cadre de son entreprise. Pire encore, les arriérés accumulés au départ n'étaient plus remboursés, en dépit des engagements pris. Je ne vois aucun élément de preuve indiquant qu'un plan visant à redresser la situation avait été mis en oeuvre à quelque moment que ce soit avant que l'on décide finalement de cesser d'exploiter les entreprises. Le fait de conserver des sommes payables au receveur général dans le but de se maintenir à flot est une solution de dernier recours qui s'avère généralement périlleuse. L'appelant savait parfaitement que les versements n'étaient pas effectués et, à partir du moment où il tolérait ce défaut, il n'agissait plus avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente, possédant une expérience et un sens des affaires comparables, dans les mêmes circonstances.

[21]     La situation n'est toutefois pas la même dans le cas de la période antérieure au 30 septembre 1993. Les magasins étaient en pleine expansion et la perception de la TPS, à compter de janvier 1991, avait un caractère de nouveauté pour tous les détaillants canadiens, surtout en Alberta, où aucune taxe directe sur les ventes n'avait jamais été imposée. Malgré la formation reçue au sujet des aspects entourant la TPS, le personnel a fait plusieurs erreurs, plus précisément en ce qui touche la déclaration des ventes à l'exportation, les plans de paiement à l'avance et les autres acomptes. L'appelant a veillé à ce que chaque magasin dispose d'un système de déclaration des ventes, et les gérants, dont deux travaillaient auparavant pour la société familiale, étaient compétents et bien formés. Il y avait un directeur général résidant à Edmonton et, plus tard, un contrôleur à Victoria. Le siège social était situé à Victoria, et l'appelant avait fait appel aux services de deux commis comptables expérimentés; également, il consultait périodiquement, selon les besoins, un cabinet d'experts-comptables. Il a examiné le chiffre des ventes, les déclarations de TPS et les états financiers pour les années 1991, 1992 et 1993. Les états financiers de Northgate pour l'année se terminant le 31 juillet 1992 montraient que les ventes s'étaient chiffrées à 554 743 $ mais que les achats avaient totalisé 341 564 $ et que les autres dépenses, exception faite des salaires, s'élevaient à 186 000 $. La perte nette de la société était de 21 361 $. L'appelant estimait qu'une fraction, petite mais néanmoins importante, du revenu déclaré au titre des ventes était imputable à des ventes à l'exportation, sur lesquelles aucun montant de TPS n'était perçu puisqu'il s'agissait de ventes détaxées. J'estime raisonnable de conclure, au vu de la preuve, que les cotisations établies le 18 avril 1994 à l'égard de Northgate et de Southgate et le 14 avril 1994 à l'égard de West Edmonton, ont pris l'appelant quelque peu par surprise car, préalablement à la vérification antérieure, il n'avait aucun motif de penser qu'un problème existait à l'intérieur du système assez bien rodé et perfectionné en vigueur dans son entreprise en matière de perception et de déclaration de la TPS. Il avait mis en place toutes les composantes requises pour se conformer aux exigences relatives à la TPS; entre autres, il avait mis les différentes brochures pertinentes à la disposition du personnel, qu'il incitait à utiliser le service téléphonique d'aide sans frais. Il ne faut pas oublier que les administrateurs sont tenus d'agir comme le ferait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Après tout, la perfection ne figure pas encore au nombre des exigences prévues par la Loi, et il convient de répéter que l'appelant ne faisait pas fonction de caution relativement à la moindre déficience pouvant survenir dans le cadre de l'exploitation de ses entreprises. Je conclus que, pour la période antérieure au 30 septembre 1993, l'appelant s'est adéquatement acquitté de l'obligation qui lui était imposée par la disposition pertinente de la Loi sur la taxe d'accise et qu'il n'a pas à être tenu personnellement responsable du défaut, de la part des sociétés, de verser la TPS dans les circonstances.

[22]     Ainsi que cela a déjà été mentionné, les circonstances en question ont changé du tout au tout lorsque, subséquemment, le défaut de verser la TPS a acquis un caractère délibéré et s'est produit régulièrement, à la suite de la vérification lors de laquelle l'appelant est devenu pleinement conscient des obligations et responsabilités découlant du régime de la Loi et de la nécessité pour lui d'étayer le montant et la nature des ventes à l'exportation, au lieu de s'en remettre à l'intuition ou à la preuve anecdotique fournie par les gérants de magasin. Les cotisations du ministre pour la période postérieure au 30 septembre 1993, aux termes desquelles l'appelant était tenu personnellement responsable du défaut de remettre la TPS de la part des sociétés nommément désignées, sont tout à fait exactes et doivent être maintenues.

[23]     Conformément à cette analyse, l'appel est accueilli et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait suivant :

l'appelant n'encourt pas de responsabilité personnelle aux termes du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise relativement au défaut, de la part de Northgate, de Southgate et de West Edmonton, de verser la taxe pour la période débutant avant le 1er juillet 1993 et allant jusqu'au 30 septembre 1993.

[24]     L'appelant n'a pas droit à ses frais et dépens, étant donné que, pour l'application de l'article 18.3009 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, le montant en litige était supérieur à 7 000 $.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 9e jour d'octobre 2001.

« D.W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de mai 2002.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2627(GST)G

ENTRE :

JAMES I. CASSELS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 22 juin 2001 à Victoria (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge suppléant D.W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me George Jones

Avocat de l'intimée :                   Me Eric Douglas

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont les avis sont datés du 2 janvier 1997 et portent les numéros 32882, 32883 et 32884, est admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 9e jour d'octobre 2001.

« D.W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de mai 2002.

Martine Brunet, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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