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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2626(EI)

ENTRE :

3562710 MANITOBA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de 3562710 Manitoba Ltd. (2000-5096(CPP)) le 9 mai 2001 à Winnipeg (Manitoba) par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Représentante de l'appelante :               Barbara Dixon

Avocat de l'intimé :                              Me Lyle Bouvier


JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 24e jour de septembre 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-5096(CPP)

ENTRE :

3562710 MANITOBA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de 3562710 Manitoba Ltd. (1999-2626(EI)) le 9 mai 2001 à Winnipeg (Manitoba) par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Représentante de l'appelante :               Barbara Dixon

Avocat de l'intimé :                              Me Lyle Bouvier


JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 24e jour de septembre 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010924

Dossier: 1999-2626(EI)

2000-5096(CPP)

ENTRE :

3562710 MANITOBA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1]      Le présent appel a été entendu le 9 mai 2001 à Winnipeg (Manitoba).

[2]      L'appelante a interjeté appel de la décision du 11 mars 1999 par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a décidé que des cotisations au Régime de pensions du Canada (le « Régime » ) étaient payables relativement à la rémunération versée à Maurice James Charette (le « travailleur » ) pour la période du 1er janvier 1997 au 6 juillet 1998, pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]

Maurice James Charette était employé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, il était un employé.

La décision aurait été rendue en vertu du paragraphe 27.2(3) du Régime et elle était fondée sur l'alinéa 6(1)a) dudit Régime.

[3]      Selon les faits pertinents, le travailleur a été engagé par l'appelante pour conduire un taxi appartenant à cette dernière et faisait partie du parc de Duffy's Taxi Cabs ( « Duffy's » ) à Winnipeg, pendant toute la période en question. L'entente conclue entre les parties était verbale et n'a jamais été couchée par écrit. L'appelante, représentée par Barbara Dixon, son principal actionnaire, a soutenu que l'entente était un contrat d'entreprise conclu avec un entrepreneur indépendant. Le ministre a décidé, au contraire, qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services conclu avec un employé. C'est la question en litige entre les parties.

[4]      Le ministre a rendu une décision semblable sous le régime de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'a.-e. » ). Cependant, l'appelante n'a pas interjeté d'appel à cet égard, car l'entente était clairement visée par les dispositions spéciales de l'alinéa 6e) du Règlement sur l'assurance-emploi (le « Règlement » ) touchant les chauffeurs de taxi. Aucune disposition de cette nature n'est toutefois prévue dans le Régime.

Le droit

[5]      La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer si une relation de travail particulière relève d'un contrat de louage de services et, par conséquent, constitue une relation d'emploi, ou relève d'un contrat d'entreprise et, par conséquent, constitue une relation avec un entrepreneur indépendant, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, 87 D.T.C. 5025. La Cour d'appel fédérale a par la suite expliqué plus en détail le critère à appliquer dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., n º A-531-87, 15 janvier 1988, 88 D.T.C. 6099. Plusieurs décisions rendues subséquemment par la Cour canadienne de l'impôt montrent comment les lignes directrices exposées par la Cour d'appel fédérale ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée dans les termes suivants :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice, les risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

[...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés. [C'est moi qui souligne.]

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : « Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents. »

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[6]      Les critères mentionnés par la Cour peuvent se résumer ainsi :

a)        le degré de contrôle ou l'absence de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b)       la propriété des instruments de travail;

c)        les chances de bénéfice et les risques de perte;

d)                 l'intégration du travail du prétendu employé dans l'entreprise du prétendu employeur.

[7]      Je prends bonne note également des propos qu'a tenus le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, où il a approuvé le point de vue adopté par les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (pp. 738-739) :

[TRADUCTION]

Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte? » Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une d'entreprise qu'elle dirige actuellement.

[8]      J'ajouterai à ces propos ceux du juge Décary, dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (M.R.N.), n º A-831-95, 20 septembre 1996, [1996] A.C.F. no 1337, où, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, il a déclaré :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utiles de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas [...] un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

[9]      Pour ce qui est du deuxième aspect de la décision du ministre, voici le libellé de l'alinéa 6g) du Règlement :

l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence. DORS/97-31, art.1.

[10]     Dans l'affaire Vulcain Alarme Inc. c. Ministre du Revenu national, n º A-376-98, 11 mai 1999, 249 N.R. 1, la Cour d'appel fédérale a examiné la question à nouveau. Le juge Létourneau a dit ceci :

[...] Ces critères jurisprudentiels sont importants mais, faut-il le rappeler, ils ne sauraient compromettre le but ultime de l'exercice, soit d'établir globalement la relation entre les parties. Cet exercice consiste à déterminer s'il existe entre les parties un lien de subordination tel qu'il faille conclure à l'existence d'un contrat de travail au sens de l'article 2085 du Code civil du Québec ou s'il n'existe pas plutôt entre celles-ci ce degré d'autonomie qui caractérise le contrat d'entreprise ou de service [...]

Il a ajouté plus loin :

Un entrepreneur par exemple qui travaille en sous-traitance sur un chantier ne dessert pas ses clients, mais ceux du payeur, i.e., l'entrepreneur général qui a retenu ses services. Le fait que M. Blouin ait dû se présenter chez la demanderesse une fois par mois pour prendre ses feuilles de service et ainsi connaître la liste des clients à servir et, conséquemment, le lieu d'exécution de la prestation de ses services n'en fait pas pour autant un employé. L'entrepreneur qui exécute des tâches pour une entreprise, tout comme l'employé dans un contrat de travail, doit connaître les lieux où ses services sont requis et leur fréquence. La priorité d'exécution des travaux requise d'un travailleur n'est pas l'apanage d'un contrat de travail. Les entrepreneurs ou sous-entrepreneurs sont aussi souvent sollicités par divers clients influents qui les forcent à établir des priorités quant à leur prestation de services ou à se conformer à celles qu'ils dictent.

Puis :

Bien que les revenus de M. Blouin étaient calculés sur une base horaire, le nombre d'heures de travail était déterminé par le nombre de feuilles de services qu'il recevait de la demanderesse. Il n'y avait donc aucun revenu garanti pour M. Blouin et sa société. Contrairement aux techniciens oeuvrant comme employés à l'interne chez la demanderesse et dont la rémunération hebdomadaire était constante, les revenus de M. Blouin fluctuaient selon les appels de service. De fait, vers la fin de son contrat avec la demanderesse, M. Blouin ne faisait plus que l'équivalent de 40 heures par mois car il recevait peu de feuilles de service.

De plus, M. Blouin, qui utilisait son propre véhicule pour travailler, a dû assumer les pertes découlant d'un accident dans lequel il fut impliqué et se procurer un autre véhicule.

Les faits

[11]     Pour rendre sa décision, le ministre se serait fondé, selon sa réponse à l'avis d'appel signée pour son compte, sur les hypothèses de fait suivantes :


                   [TRADUCTION]

a)                   l'appelante exploite une entreprise de services de taxi;

b)                   le travailleur a été embauché comme chauffeur de taxi;

c)                   le travailleur avait un horaire de travail régulier de 3 h à 15 h, du lundi au vendredi;

d)                   l'appelante employait aussi un autre chauffeur, dont le quart de travail était à l'opposé de celui du travailleur;

e)                   le travailleur recevait 50 p. 100 des recettes de la journée, déduction faite de la TPS;

f)                     le travailleur ne pouvait négocier les tarifs;

g)                   le travailleur avisait l'appelante s'il ne pouvait effectuer son quart de travail;

h)                   l'appelante fournissait le taxi, dont elle était propriétaire;

i)                     le travailleur ne louait pas le taxi de l'appelante;

j)                     le travailleur ne pouvait utiliser le taxi à des fins personnelles;

k)          l'appelante prenait en charge tous les frais d'exploitation;

l)                      le travailleur ne pouvait pas se faire remplacer;

m)                le travailleur relevait d'un répartiteur, dont il recevait des instructions;

n)                  le travailleur devait consigner le kilométrage parcouru;

[12]     Seule Barbara Dixon a témoigné. Elle a admis les hypothèses énoncées aux alinéas 6 a), b) (bien qu'elle préfère le terme [TRADUCTION] « engagé » au terme [TRADUCTION] « embauché » , c), d) (encore une fois, elle préfère le terme [TRADUCTION] « engageait » au terme [TRADUCTION] « employait » ), e), g), h), i), j) (bien qu'elle l'ignorerait s'il l'avait fait), k) et n).

[13]     Elle a nié les hypothèses qui figurent aux alinéas f), l) et m).

[14]     Mme Dixon m'a semblé être un témoin sincère et honnête, et je n'ai aucune hésitation à accepter son témoignage dans son intégralité. Je ne doute pas non plus qu'elle estimait sincèrement que l'entente était telle qu'elle l'a décrite.

[15]     L'entente, telle que Mme Dixon l'a décrite, est intervenue au moment où sa société a acheté le taxi en question au mois de novembre 1996. Elle avait besoin d'un chauffeur. Elle a discuté avec des représentants de Duffy's, qui lui ont recommandé le travailleur. Pour faire partie du bassin de chauffeurs de Duffy's, le chauffeur qu'elle engageait devait être jugé acceptable par Duffy's, critère auquel le travailleur a satisfait. L'entente conclue avec Duffy's prévoyait l'utilisation de son logo et de son service de répartition, pour lequel Mme Dixon payait un tarif mensuel, peu importe l'utilisation du taxi.

[16]     Le travailleur a été embauché pour travailler de 3 h à 15 h. Mme Dixon a cru comprendre, suivant leur discussion, que le travailleur travaillerait à son compte. Après déduction de la TPS, il toucherait 50 p. 100 des recettes de la journée et remettrait les 50 p. 100 restants, ainsi que la totalité de la TPS, à Mme Dixon. Cette dernière devait lui faire confiance, le compteur n'étant doté d'aucun système d'impression. La société de Mme Dixon payait tous les frais d'entretien du taxi et toutes les autres dépenses s'y rapportant. Le travailleur était responsable de tout dommage causé au taxi du fait de sa propre négligence et de toute franchise d'assurance.

[17]     Le travailleur devait conserver toutes ses recettes dans une enveloppe spéciale, que Mme Dixon achetait à Duffy's. Il pouvait utiliser l'argent dans cette enveloppe pour payer l'essence et l'huile; il devait alors mettre les reçus s'y rapportant dans l'enveloppe. Il inscrivait sur celle-ci toutes les courses qu'il effectuait. Mme Dixon ne disposait cependant d'aucun moyen de vérifier les dires du travailleur et devait le croire sur parole. S'il se faisait payer une course en espèces alors que le compteur était éteint, elle n'avait aucun moyen de le savoir. Elle ignore si cela s'est produit ou non.

[18]     S'il ne pouvait conduire le taxi, le travailleur prenait des dispositions pour se faire remplacer. Le remplaçant devait figurer sur la liste des chauffeurs approuvés par Duffy's. Mme Dixon ne savait pas nécessairement qui conduisait le taxi à un moment ou à un autre.

[19]     Elle a déclaré que le travailleur obtenait des courses soit par l'intermédiaire du service de répartition, ce pour quoi, entre autres choses, Mme Dixon payait des frais d'adhésion à Duffy's, soit directement dans la rue, soit par les appels qu'il recevait sur son téléphone cellulaire.

[20]     Mme Dixon avait, avec le travailleur, des rencontres périodiques au cours desquelles ce dernier lui remettait l'enveloppe et les recettes.

[21]     Voilà les faits importants tels que je les comprends.

Application aux faits du critère à quatre volets

[22]     Tout d'abord, je ne dois pas oublier que ce n'est pas tant le titre que les parties donnent à une entente de travail que la substance véritable de l'entente que la Cour doit prendre en considération. Il n'appartient pas au ministre ni à la Cour de modifier l'entente que les parties ont conclue. Si elles donnent un titre quelconque à leur entente, la Cour doit le respecter s'il n'existe aucune raison valable de passer outre à ce choix. Si, par contre, dans les faits, la substance de l'entente n'est pas compatible avec le titre que lui ont donné les parties, c'est la substance qui doit prévaloir.

[23]     En réalité, on peut difficilement déterminer quel titre les parties ont donné à l'entente en question puisque celle-ci n'a pas été couchée par écrit. Il y a cependant certains éléments de preuve qui indiquent que les parties entendaient conclure un contrat d'entreprise. Mme Dixon a témoigné dans ce sens, et il est clair qu'elle n'a fait aucune retenue à la source sur la moitié des recettes que le travailleur conservait.

[24]     Contrôle : Dans l'examen de cet aspect du critère, je ne dois pas oublier que ce n'est pas tant la question de savoir si un contrôle a effectivement été exercé dans une situation donnée qui importe que la question de savoir si un droit de contrôle existait. Plus le travailleur est compétent, professionnel et habile, moins il est susceptible de faire l'objet de supervision. Cependant, c'est le droit d'exercer un certain degré de contrôle que je dois prendre en considération.

[25]     L'appelante a indiqué que Mme Dixon ignorait bien des aspects du travail que le travailleur effectuait. Elle n'avait d'autre choix que de lui faire confiance. C'était, cependant, la nature de l'entente qu'elle avait conclue avec le travailleur. Elle aurait pu établir d'autres modalités de son choix, tant que Duffy's et le travailleur les jugeaient acceptables. Dans les faits, elle avait la mainmise sur le taxi et pouvait demander au travailleur de se rendre, avec le taxi, à toute heure à tout endroit. Elle a établi les modalités financières relatives à l'utilisation des enveloppes, au moyen desquelles le travailleur devait lui rendre des comptes. Elle pouvait choisir le genre de travailleur à qui elle confiait le véhicule. Cependant, elle ne lui donnait aucune directive sur sa façon de conduire au quotidien car il était un chauffeur de taxi de métier et en savait probablement plus long qu'elle sur la façon d'accomplir son travail. Pour Mme Dixon, c'était son placement alors que, pour le travailleur, c'était son travail. Ce qui importe, toutefois, c'est qu'elle aurait pu lui donner des directives de cette nature si elle l'avait souhaité. Elle était propriétaire du taxi et elle aurait pu mettre fin à l'entente à n'importe quel moment. Elle disposait du contrôle effectif bien que, dans les faits, elle n'en ait pas fait grand usage.

[26]     À mon avis, ce critère indique davantage l'existence d'un contrat de louage de services que celle d'un contrat d'entreprise.

[27]     Instruments de travail et équipement : Il est clair que, dans ce cas, les principaux instruments de travail étaient le taxi lui-même ainsi que le compteur, l'appareil radio pour le système de répartition et les enveloppes, qui étaient tous fournis par l'appelante. Le travailleur ne fournissait que son téléphone cellulaire. De toute évidence, l'investissement dans cette activité provenait principalement de l'appelante, et non du travailleur, qui n'avait aucune mise de fonds à cet égard. Il ne faisait que travailler. Cet aspect du critère indique l'existence d'un contrat de louage de services.

[28]     Bénéfices et pertes : Le chauffeur travaillait à la commission -50 p. 100 - après déduction de la TPS. Avec les 50 p. 100 qui restaient, l'appelante payait toutes les dépenses. Il est clair que, plus il travaillait, plus le travailleur gagnait de l'argent. Toutefois, on ne peut considérer qu'il s'agissait de bénéfice au sens où ce terme est utilisé dans ce contexte-ci. Il existait cependant un élément de bénéfice entrepreneurial dont le travailleur pouvait profiter. Le fait d'être habile à se trouver des clients et d'offrir un bon service contribuait à son succès, tout comme sa relation avec le service de répartition.

[29]     Cependant, en ce qui concerne les pertes, il semble que le chauffeur ait assumé peu de risques, sauf s'il endommageait le véhicule par inattention, auquel cas il était tenu de payer au moins la franchise.

[30]     Dans ce cas-ci, il existe des caractéristiques propres à une entreprise. Dans cette mesure, cet aspect du critère est quelque peu ambivalent. Dans l'ensemble, je suis d'avis que, aux fins de ce critère, le travailleur était beaucoup plus un employé travaillant à la commission sous le régime d'un contrat de louage de services qu'un travailleur engagé aux termes d'un contrat d'entreprise.

[31]     Intégration : Il est clair que l'appelante exploitait une entreprise. La question est de savoir si le travailleur exploitait lui aussi une entreprise à son compte ou s'il travaillait pour l'entreprise de l'appelante et en faisait partie. Il faut se demander à qui appartient l'entreprise du point de vue du travailleur. Ce dernier n'a fait aucun investissement. Il se contentait d'aller travailler et de toucher une commission. Il ne prenait aucune part à la prestation de ce service et ne traitait avec personne d'autre. Il faisait simplement son travail. Si les choses en étaient venues là, il aurait dû effectuer ce travail conformément aux directives qu'il aurait reçues de l'appelante. S'il avait mis fin à cette entente, il n'aurait rien conservé, aucune clientèle, par exemple. Il aurait simplement dû trouver du travail ailleurs. Compte tenu de ces circonstances, le travailleur n'était pas suffisamment indépendant de l'entreprise de l'appelante, sur le plan entrepreneurial, pour que l'on puisse dire qu'il exploitait une entreprise à son compte. À mon avis, sous cet aspect du critère, il s'agit beaucoup plus d'un contrat de louage de services que d'un contrat d'entreprise.

Conclusion

[32]     L'avocat du ministre a invoqué l'affaire Nadoryk (s/n Duffy's Taxi 296) c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), nos 95-939(UI) et 95-57(CPP), 23 décembre 1996, [1996] A.C.I. no 1708, une décision rendue par mon collègue le juge Sarchuk de notre Cour, mettant en cause un autre taxi faisant partie du parc de Duffy's à Winnipeg. Très honnêtement, je ne vois aucune caractéristique qui distingue l'affaire dont je suis saisi de cette décision, et je ne peux non plus m'écarter de la logique formulée par le juge Sarchuk. Cette décision pèse donc énormément sur la mienne.

[33]     Au-delà de cette considération, si je prends du recul et que je regarde la forêt plutôt que les arbres, je vois très clairement se dessiner un contrat de louage de services et non un contrat d'entreprise.

[34]     En terminant, j'aimerais attirer l'attention du ministre sur une question qui préoccupe la Cour. Mme Dixon, qui, comme je l'ai dit, est sans aucun doute un témoin complètement fiable et honnête, a témoigné que, lorsqu'elle a acheté le taxi, elle a communiqué avec Revenu Canada (tel était alors le nom de l'organisme) et demandé des renseignements sur la façon dont elle devait traiter la situation. Elle a été avisée que, aux fins de l'assurance-emploi, le chauffeur devait être traité comme un employé et qu'il fallait effectuer des retenues à la source et les verser conformément au règlement spécial touchant les chauffeurs de taxi. C'est ce qu'elle a fait, et elle n'a jamais changé quoi que ce soit à cette situation. Cependant, elle a été amenée à croire qu'aux fins du Régime de pensions du Canada la situation était différente puisqu'il n'existait aucun règlement spécial semblable à l'alinéa 6e) du Règlement. Elle n'a donc effectué aucune retenue à ce titre. Aujourd'hui, elle fait l'objet d'une cotisation à cet égard, et on lui réclame aussi des pénalités et des intérêts, ce qui semble parfaitement injuste dans les circonstances. Il existe nul doute qu'elle doive payer les cotisations au Régime. Par contre, cela n'a aucun sens de l'obliger à payer des pénalités et des intérêts, et je prierais instamment le ministre de revoir cet aspect de la cotisation.

[35]     En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 24e jour de septembre 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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