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Dossiers : 2004-2536(CPP)

ENTRE :

MARGO ZUPET,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 janvier 2005 à Edmonton (Alberta).

Devant : L'honorable juge en chef adjoint D.G.H. Bowman

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Tim P. Kirby

Me Richard W. Kirby

Avocate de l'intimé :

Me Lesley Akst

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] ____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Il est ordonné que l'appel de la décision du ministre du Revenu national rendue en vertu du Régime de pensions du Canada soit admis et que soit annulée la décision selon laquelle l'appelante occupait chez Starcycle Management Inc. un emploi ouvrant droit à pension.


Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2005.

« D.G.H. Bowman »

Le juge en chef adjoint Bowman

Traudction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2005.

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2005CCI89

Date : 20050203

Dossiers : 2004-2536(CPP)

ENTRE :

MARGO ZUPET,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      La seule question à trancher dans cet appel est celle de savoir si l'appelante, en tant qu'unique actionnaire, administratrice et dirigeante de son entreprise, peut conclure avec son entreprise un contrat de services par opposition à un contrat de louage de services.

[2]      L'intimé a décidé que l'appelante occupait un emploi ouvrant droit à pension en vertu de l'alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada ( « RPC » ) durant la période du 1er janvier 2002 au 29 mai 2003 eu égard aux sommes reçues de son entreprise, Starcycle Management Inc. ( « Starcycle » ). La définition du terme « emploi » donnée à l'article 2 du RPC est la suivante :

« emploi » L'accomplissement de services aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d'occupation d'une fonction; »

[3]      L'appelante détient un diplôme de baccalauréat en commerce décerné par la University of Alberta et a aussi obtenu le titre de comptable agréée en 1983. Les éléments suivants de l'avis d'appel sont admis :

                    [TRADUCTION]

1.       Pendant toute la période en question, Starcycle a exerçé des activités commerciales incluant, entre autres, l'installation de systèmes informatiques, l'exploitation de plusieurs immeubles locatifs ainsi que la possession de terrains détenus à des fins d'investissement à long terme.

2.       Pendant toute la période en question, l'appelante a détenu la totalité des actions émises et en circulation du capital social de Starcycle.

3.       Pendant toute la période en question, l'appelante a été la seule administratrice et la présidente de Starcycle.

6.       L'appelante est inscrite au registre de la taxe sur les produits et services ( « TPS » ).

11.     Starcycle n'a pas donné de formation à l'appelante ou pour son bénéfice.

13.     L'appelante était libre de s'absenter comme bon lui semblait au cours de la journée de travail pour faire des courses personnelles.

15.     L'appelante était propriétaire du matériel suivant et s'en servait dans le cadre de la prestation de services à Starcycle :

a.     matériel informatique (notamment un écran, un clavier, un lecteur de disque dur amovible, une imprimante) ainsi que des logiciels;

18.     Le 2 juin 2003, l'intimé a rendu une décision selon laquelle l'appelante occupait un emploi exclu et ouvrant droit à pension auprès de Starcycle durant la période du 1er janvier 2002 au 29 mai 2003.

19.      L'appelante a interjeté appel de la décision quelque temps entre le 2 juin 2003 et le 25 juin 2003, mais l'intimé a confirmé la décision au moyen d'un avis daté du 23 février 2004.

[4]       Les affirmations suivantes contenues dans l'avis d'appel sont rejetées dans la réponse :

[TRADUCTION]

4.       Pendant toute la période en question, l'appelante a, séparément de toute entreprise exploitée par Starcycle, exercé une activité commerciale consistant en l'exploitation et en la location de systèmes informatiques.

12.     L'appelante n'était pas tenue de communiquer avec Starcycle lorsqu'elle se trouvait dans l'impossibilité de fournir des services à Starcycle, et Starcycle n'est en aucune façon intervenue en ce qui regarde les heures où l'appelante travaillait pour Starcycle.

14.     L'appelante avait toujours la liberté de déléguer chez Starcycle un fournisseur de services de remplacement si elle devait elle-même s'absenter ou ne pouvait assurer les services à Starcycle durant la période en question (toutefois, cela n'a jamais été nécessaire).

16.     L'appelante était chargée de fournir tout le matériel informatique à ses frais sans que Starcycle ne lui verse une rémunération supplémentaire.

[5]       L'intimé soutient qu'il n'avait nulle connaissance des affirmations suivantes figurant dans l'avis d'appel, affirmations que d'ailleurs il met en cause :

[TRADUCTION]

5.       Pendant toute la période en question, l'intention de l'appelante et de Starcycle était que l'appelante fournisse à Starcycle des services en tant qu'entrepreneuse indépendante et non pas à titre d'employée, ce que toutes deux considéraient être le cas.

10.     L'appelante n'était pas tenue d'assister à des réunions avec Starcycle.

15.     L'appelante possédait les fournitures et le matériel suivants et s'en servaient dans le cadre de la prestation de ses services à Starcycle :

         [...]

b.     bureau et chaise d'ordinateur, classeur, télécopieur, téléphone, calculatrice, poubelle, lampe, étagères;

c.     disques de mise en mémoire dans l'ordinateur, articles de papeterie : stylos, surligneurs, chemises de classement, dossiers suspendus, papier, etc.

17.     L'appelante payait tous les frais de réparation et d'entretien du matériel informatique utilisé pour la prestation des services à Starcycle. Celle-ci ne lui remboursait aucune partie des coûts de réparation et d'entretien de l'ordinateur.

Le paragraphe 7 de l'avis d'appel dit ceci :

[TRADUCTION]

7.       Pendant toute la période en question, l'appelante a personnellement loué à Starcycle certaines pièces de matériel informatique et lui a aussi fourni des services d'exploitation de systèmes informatiques.

L'intimé admet seulement que l'appelante fournissait à Starcycle des services d'exploitation de systèmes informatiques mais rejette le reste du paragraphe 7.

Le paragraphe 8 de l'avis d'appel est libellé comme suit :

[TRADUCTION]

8.       L'appelante a facturé à Starcycle les heures passées à lui rendre des services, au tarif de 40 $ l'heure plus TPS.

[6]      L'intimé admet que parfois l'appelante a facturé à Starcycle le tarif de 40 $ l'heure plus TPS, mais autrement il rejette le paragraphe 8.

Le paragraphe 9 de l'avis d'appel dit ceci :

[TRADUCTION]

9.       Il revenait en tout temps à l'appelante d'établir son propre horaire de travail, et elle n'était pas tenue de travailler des heures précises pendant la période en question.

Tout ce que l'intimé reconnaît, c'est qu'il revenait à l'appelante de fixer son propre horaire de travail. Le reste du paragraphe 9 est rejeté.

[7]      Il n'existait aucune entente écrite entre l'appelante et Starcycle. L'appelante exploitait une entreprise dont l'objet consistait en la prestation de différentes solutions de système d'information. Le mot « solutions » en est un qui semble actuellement à la mode dans le domaine de la technologie. Il a probablement un lien avec les services de consultation ou de conseil.

[8]      En d'autres termes, l'appelante exploitait une entreprise à titre de consultante en technologie desservant divers clients. Elle fournissait aussi à Starcycle des conseils spécialisés que celle-ci mettait à profit dans le cadre de ses activités. L'appelante dispensait personnellement les services aux clients de Starcycle. Une chose est claire, son intention était que sa relation avec Starcycle en soit une d'entrepreneuse indépendante. Elle est suffisamment versée en la matière pour savoir très bien faire la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant.

[9]      L'affaire soulève une question théorique qui, à ma connaissance, n'a jamais encore été tranchée. C'est un fait bien reconnu qu'on peut être employé de sa propre entreprise. Toutefois, que l'on soit un employé d'une entreprise ou un entrepreneur indépendant, qu'il s'agisse d'une société à propriétaire unique ou d'une société ouverte, cela dépend au moins en partie de la nature du contrat conclu entre la personne et l'entreprise ainsi que de plusieurs autres facteurs dont je parlerai ci-après.

[10]     Il faut reconnaître qu'il y a un certain sentiment d'irréalité à dire qu'une personne puisse être employée d'une entreprise entièrement possédée et contrôlée par elle. Pour qu'il y ait une relation employeur-employé (ou, si l'on préfère l'expression relevant davantage de la pensée du 19e siècle, maître-serviteur), il faut qu'il y ait pour le moins un certain élément de contrôle ou de subordination. Mais alors, qui contrôle qui? Je n'ai pas d'objections à dire que l'unique actionnaire et administrateur d'une entreprise contrôle cette entreprise. Cette notion s'insère très aisément dans le concept juridique reconnu de contrôle de l'entreprise. Voir la décision Buckerfield's Ltd. et al. v. M.N.R., 64 DTC 5301 à 5303 :

[TRADUCTION]

[...] À mon avis, toutefois, le mot « contrôlait » , à l'article 39 de la Loi de l'impôt sur le revenu, vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d'un certain nombre d'actions donnant droit à la majorité des voix à l'élection du conseil d'administration. Voir British American Tobacco Co. v. I.R.C., [1943] 1 A.E.R. 13, à la p. 15, où le Vicomte Simon, lord chancelier dit :

Les détenteurs de la majorité des voix dans une compagnie sont ceux qui ont le contrôle réel de ses affaires et de ses destinées.

Voir aussi Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd. [1947] A.C. 109 [2 DTC 927], selon Lord Greene M. R., à la p. 118, où il a été décidé que le simple fait qu'une entreprise détient moins de 50 pour 100 des actions d'une autre compagnie établit « "péremptoirement" » que l'une des compagnies n'est pas « "contrôlée" » par l'autre, au sens de l'article 6 de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu.

[11]     Je penserais que même les avocats ayant l'habitude de jongler dans leur tête avec une variété de fictions juridiques qui ne ressemblent en rien à la réalité pourraient avoir quelque difficulté philosophique à accepter l'idée qu'une personne virtuelle dont le seul cerveau est celui d'une personne qui le possède exerce sur cette personne un degré de contrôle suffisant pour établir une relation de maître-serviteur.

[12]     Et pourtant, c'est exactement ce que les tribunaux ont fait.

[13]     L'on commence d'abord avec l'arrêt Salomon v. Salomon [1897] A.C. 22 qui établit le principe voulant que le propriétaire de toutes les actions d'une société et la société elle-même soient des personnes morales distinctes. La progression logique de ce principe veut que l'unique actionnaire puisse établir une relation contractuelle avec sa propre entreprise. Cela est un fait reconnu de réalité commerciale (ou, si l'on veut, d'irréalité commerciale). Quelqu'un peut vendre des produits à son entreprise ou en acheter d'elle ou encore louer des biens à son entreprise ou en louer d'elle. Et quelqu'un peut être l'employé de sa propre entreprise. Je comprends qu'il est généralement admis que l'accord des volontés soit un ingrédient essentiel dans un contrat. On pourrait se demander comment il peut y avoir accord des volontés lorsqu'il n'y a qu'une volonté) - en fait, il s'agit d'une identité ou d'une fusion de volontés. Il semble, toutefois, que cela ne préoccupe personne.

[14]     On peut en trouver un exemple récent dans la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Meredith c. Canada, 2002 C.A.F 258, 2002 DTC 7190, où le juge d'appel Malone dit aux paragraphes 11 à 15 :

[11]       D'après mon analyse, le juge a commis plusieurs erreurs lorsqu'il a statué sur la présente affaire. Premièrement, le juge a « percé le voile corporatif » dans la mesure où il est passé outre à l'entité corporative elle-même pour évaluer les actes du demandeur. Les motifs de son jugement regorgent d'exemples en ce sens. Ainsi, il a conclu que, malgré l'existence d'un lien contractuel entre les tiers et Stem, il était « évident que Roeslein and Ball faisait appel à l'expertise [de Meredith], et non pas aux services de la compagnie en soi puisque celle-ci n'employait personne d'autre » . Il a également déclaré « [qu']il est clair que [Meredith] contrôle la compagnie et l'utilise à son propre avantage de temps à autre, lorsque cela est pratique. La compagnie ne l'utilise pas. » En outre, le juge a aussi parlé des méthodes par lesquelles Meredith était payé par Stem de même que des ententes que Stem avait avec sa banque, y compris les garanties personnelles fournies par Meredith.

[12]       La levée du voile corporatif est contraire aux principes établis depuis longtemps en droit corporatif. En l'absence d'allégation selon laquelle la société constitue un « trompe-l'oeil » ou un véhicule permettant à des actionnaires putatifs de commettre des fautes et en l'absence d'autorisation légale, les tribunaux doivent respecter les rapports juridiques créés par un contribuable (voir Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22; Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 2). Les tribunaux ne peuvent pas qualifier autrement les véritables rapports en fonction de ce qu'ils jugent être la réalité économique qui les sous-tend (voir Continental Bank Leasing Corp. c. La Reine, [1998] 2 R.C.S. 298; Shell Canada Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622; Ludco Enterprises Limited c. La Reine, 2001 CSC 62, au par. 51). Il s'ensuit donc que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il s'est penché sur la réalité économique du rapport entre Stem et Meredith, alors que ni la loi ni la common law ne l'autorisaient à le faire.

[13]       Je suis également convaincu que le juge a commis une autre erreur en concluant que le demandeur n'était pas un employé de Stem. Lorsqu'il a appliqué l'analyse de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. MRN, 87 DTC 5025 (CAF) (approuvée dans l'arrêt 671122 Ontario Limited c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59), le juge n'a pas tenu compte du principe bien établi selon lequel une société possède sa propre personnalité juridique, distincte de celle de ses actionnaires (voir les arrêts Salomon et Kosmopoulos, précités). Ce principe s'applique également aux sociétés fermées comme Stem (Salomon, précité).

[14]       Le juge a eu raison de conclure que Stem détenait les outils et l'équipement, et que cela indiquait l'existence d'un lien d'emploi; il s'est toutefois trompé dans ses conclusions relatives au contrôle, aux chances de profits et aux risques de pertes.

[15]       L'arrêt récemment rendu par la Cour dans Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (MRN), 2002 CAF 144, est instructif sur la question du contrôle. Dans cet arrêt, le juge Noël, s'exprimant au nom de la Cour, a indiqué qu'il ne s'agissait pas de savoir si la société exerçait ou non le contrôle, mais plutôt de savoir si elle était en position de le faire. Ce qu'il faut déterminer, c'est le pouvoir légal de la société de contrôler les employés, et non pas la question de savoir si les employés se sentent assujettis à ce contrôle. Ce pouvoir existe dans la présente affaire, où Stem a conclu un contrat avec des tiers avec lesquels elle n'avait aucun lien de dépendance. C'est avec Stem, et non pas avec le demandeur, que les tiers ont conclu un contrat pour bénéficier de l'expertise de Meredith, et Stem a le pouvoir légal, en tant que société, de contrôler Meredith. Par conséquent, vu la structure corporative en place, il n'importe pas que Meredith soit le seul actionnaire et directeur de Stem. Compte tenu des arrêts susmentionnés, le juge a commis une erreur en concluant que le demandeur, à titre personnel, jouissait du contrôle.

[15]     Dans l'affaire Lee v. Lee's Air Farming Ltd., [1961] A.C. 12, la question était celle de savoir si le défunt, unique actionnaire, pouvait être un employé de son entreprise au moment de son décès. Voici ce que Lord Borth-Y-Gest a dit aux pages 24 à 27 :

[TRADUCTION]

      La Cour d'appel a reconnu qu'un administrateur d'une société peut dûment conclure une convention de services avec sa propre entreprise. Toutefois, elle considérait qu'en l'espèce, pour autant que le défunt fut l'administrateur en chef à qui était dévolue l'entière responsabilité de la gestion et du contrôle de l'entreprise ne pouvait pas aussi être une serviteur de l'entreprise. Après avoir, dans son jugement, fait référence à la délégation au défunt de la presque totalité des pouvoirs de la société, le juge North a dit ceci : « Ces pouvoirs lui ont de plus été délégués à vie, et il ne reste « à la société aucun pouvoir de gestion qui soit. Un des premiers gestes qu'il a posés a été celui de se désigner lui-même le seul pilote de l'entreprise car, même si l'article 33 laisse présager cette nomination, un contrat ne pouvait cependant prendre effet qu'après que l'entreprise a été constituée en société. Par conséquent, il est devenu, dans les faits, à la fois employeur et travailleur. Oui, le contrat de travail était passé entre lui-même et la société : Voir Booth v. Helliwell, mais il lui incombait à la fois de donner des ordres et de s'y conformer. À notre avis, les charges sont manifestement incompatibles. Nul pouvoir de contrôle ne pouvait exister et, par conséquent, la relation maître-serviteur n'a pas été créée. »

      La question importante qui se pose, ainsi que leurs seigneuries le pensent, est celle de savoir si le défunt était un « travailleur » au sens de la Workers' Compensation Act de 1922, modifiée. Était-il une personne qui avait conclu une convention de services ou qui travaillait pour le compte d'un employeur en vertu d'un contrat de louage de services? La Cour d'appel a pensé que sa position particulière en tant qu'administrateur en chef l'empêchait d'être un serviteur de l'entreprise. À cet égard, il est difficile de savoir quels étaient son statut et son poste lorsqu'il exécutait les tâches ardues et les manoeuvres difficiles de pilotage d'un avion appartenant à l'entreprise de même que lorsqu'il effectuait dans les airs le traitement en surface de terres agricoles. Il touchait une rémunération pour cette tâche. L'entreprise tenait un registre où étaient consignées les sommes versées à ce titre. Le travail exécuté l'était à la demande des agriculteurs dont les droits et obligations contractuels visaient uniquement l'entreprise. On ne peut pas supposer que lorsque le défunt exerçait les activités mentionnées plus haut, il s'acquittait de ses responsabilités d'administrateur en chef. Leurs seigneuries jugent impossible de ne pas en arriver à la conclusion que les activités aériennes étaient accomplies parce que le défunt avait une relation contractuelle quelconque avec l'entreprise. Cette relation découle du fait que le défunt, en tant que personne morale, acceptait volontiers de travailler pour l'entreprise, qui était une autre personne morale, et acceptait de conclure avec elle un contrat. Une relation contractuelle ne pouvait exister que s'il y avait consensus entre deux parties contractantes. Jamais n'a-t-on laissé entendre (et de l'avis de leurs seigneuries cela n'aurait pu raisonnablement être le cas) que l'entreprise était fictive ou tout simplement une apparence. Il est bien établi que le simple fait que quelqu'un soit administrateur d'une société ne l'empêche pas de conclure un contrat de prestation de services à l'entreprise. Si on accepte alors que la société intimée ait été une personne morale, leurs seigneuries ne voient aucune raison de contester la validité des obligations contractuelles, quelles qu'elles soient, qui ont été créées entre l'entreprise et le défunt. Dans ce contexte, on peut faire référence à un passage du discours prononcé par Lord Halsbury L.C. dans l'affaire Salomon v. Salomon & Co. : « Vos seigneuries, les savants juges ne semblent absolument pas savoir en leur for intérieur s'il faut considérer l'entreprise comme étant une réalité ou pas. Si c'était une réalité, si elle avait une existence juridique et si, conséquemment, la loi lui attribuait certains droits et responsabilités dans sa constitution en société, il me semble alors qu'il s'ensuit l'impossibilité de nier la validité des opérations qu'elle a effectuées. » Une façon semblable de voir s'est dégagée du discours de Lord MacNaghten lorsqu'il a affirmé que « c'est devenu chose courante que de désigner les sociétés de cette catégorie comme étant des « "entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée" » . C'est un pseudonyme qui accroche mais qui n'est pas d'une grande utilité comme argument. Il est censé transmettre l'idée qu'une société qui est sous le contrôle absolu d'une seule personne n'en est pas une légalement constituée et bien que les exigences de la Loi de 1862 ont probablement été respectées, il est inexact et propre à induire en erreur s'il veut simplement dire qu'il y a un associé prédominant qui exerce une influence écrasante et qui a le droit d'encaisser la plus grande partie des bénéfices, il n'y a rien là, à ce que je peux voir, qui aille à l'encontre de l'intention véritable de la Loi de 1862 ou qui soit un déni de l'intérêt public ou un préjudice pour les créanciers. »

      Et ce n'est pas non plus l'avis de leurs seigneuries que des obligations aient été invalidées par le fait que le défunt était l'unique administrateur en chef à qui était dévolue l'entière responsabilité de la gestion et du contrôle de l'entreprise. En supposant toujours qu'il ne s'agissait pas d'une société fictive, on ne saurait alors attaquer le fait qu'elle soit habilitée à conclure un contrat avec le défunt simplement parce que, dans le cadre des négociations menées par la société, celui-ci agissait comme son mandataire. Le défunt peut avoir conclu un contrat ferme de prestation de services à l'entreprise pour un nombre fixe d'années. Si au cours de cette période il avait pris sa retraite comme administrateur en chef et que d'autres personnes avaient été nommées à ce poste, cela n'aurait pas eu d'incidence sur son contrat. Le fait qu'en sa qualité d'actionnaire il pouvait contrôler le cours des événements n'aurait pas en soi influé sur la validité de sa relation contractuelle avec l'entreprise. Lorsque, par conséquent, il est dit qu' « un de ses premiers gestes a été de se désigner comme « "le seul pilote de la société" » , on doit reconnaître que la nomination a été faite par la société et qu'elle n'en était pas moins valide du fait que c'était le défunt lui-même qui avait agi comme mandataire de cette société au moment où cette décision a été prise. De l'avis de leurs seigneuries, c'est une conséquence logique de la décision dans l'affaire Salomon qu'une personne puisse cumuler des fonctions. Il n'y a donc aucune raison de rejeter la possibilité qu'une relation contractuelle ait été créée entre le défunt et la société. Si l'on en arrive à cet état de choses, leurs seigneuries ne voient alors pas pourquoi l'étendue des relations contractuelles éventuelles n'inclurait pas un contrat de services, et si le défunt, en tant que mandataire de la société, pouvait négocier un tel contrat entre la société et lui-même, il n'y a pas de raison pour laquelle un contrat de louage de services ne pourrait pas aussi être négocié. C'est là, paraît-il, que réside la difficulté, parce qu'il est dit que le défunt ne pouvait à la fois exercer la responsabilité de donner des ordres et aussi celle de s'y conformer. Mais il ne s'ensuit pas de cette manière d'envisager la situation que c'est l'entreprise et non le défunt qui donnerait des ordres. Le contrôle demeure celui de l'entreprise quel que soit le mandataire qui l'exerce. Le fait que tant et aussi longtemps que le défunt continuerait d'être l'administrateur en chef, avec tous les pouvoirs que cela suppose, il lui reviendrait d'agir comme mandataire de la société en ce qui regarde les ordres à donner ne change en rien le fait que la société et le défunt sont deux personnes morales distinctes. Si le défunt avait conclu un contrat de louages de services avec la société, alors cette dernière avait un droit de contrôle. La manière dont ce contrôle serait exercé n'affecterait ni ne réduirait le droit de l'exercer. Toutefois, l'existence d'un droit de contrôle ne peut être niée une fois reconnue la réalité de l'existence juridique de la société. Tout comme la société et le défunt étaient des personnes morales distinctes de façon à permettre l'établissement entre eux d'une relation contractuelle, de même étaient-ils des personnes morales distinctes de façon à permettre à la société de donner des ordres au défunt.

(C'est moi qui souligne.)

Et aux pages 29 et 30, il dit ceci :

[TRADUCTION]

            Dans la présente affaire, leurs seigneuries estiment qu'il n'y a aucune raison de douter qu'une relation contractuelle valide puisse exister entre l'entreprise intimée et le défunt bien que ce dernier ait agi à titre de mandataire de l'entreprise dans sa création. Si une telle relation pouvait être établie, leurs seigneuries ne voient pas pourquoi elle ne pourrait pas prendre la forme d'une relation de maître-serviteur. Les faits en l'espèce n'apportent rien qui justifierait la prétention que si un contrat existait, c'était un contrat de services. L'article 33, énoncé plus haut, démontre que ce qui avait été pensé et envisagé était qu'après sa constitution en société, l'entreprise intimée, en tant que maître, embaucherait le défunt comme serviteur, à titre de pilote en chef de la société. Tous les faits et toutes les preuves concernant ce qui a réellement eu lieu pointent vers la conclusion que ce qui était censé être un contrat de louage de services a été conclu et mis en oeuvre. À moins que cela n'ait été impossible en droit, le défunt était alors un travailleur selon la définition statutaire dont il est fait mention plus haut. Il est dit que le défunt ne pouvait pas à la fois donner des ordres et s'y conformer et qu'il n'existait aucun droit de contrôle sur lui. Il est vrai qu'une enquête visant à savoir si une personne est ou n'est pas un employé selon les modalités voulant que, dans le cadre de son emploi, il obéisse aux ordres du maître peut se révéler une enquête importante si l'on veut déterminer dans un cas particulier l'existence ou non d'un contrat de louage de services par opposition à un contrat de services. Voir Simmons v. Heath Laundry Co. et Short v. J. & W. Henderson Ltd. Mais dans le cas présent, leurs seigneuries ne peuvent rien trouver pour appuyer la prétention qu'il y avait ou qu'il aurait pu y avoir un contrat de services mais non un contrat de louage de services.

      Ex facie, il y avait un contrat de louage de services. Leurs seigneuries concluent, par conséquent, que la question réellement en litige en l'espèce est celle de savoir si la position du défunt en tant qu'unique administrateur en chef rendait impossible pour lui d'être un serviteur de la société en sa qualité de pilote en chef de l'entreprise. Selon leurs seigneuries, pour les raisons qui ont été invoquées, il n'y avait pas une telle impossibilité. Il apparaît ne pas être plus difficile de soutenir qu'un homme exerçant une fonction particulière puisse se donner des ordres en tant que personne exerçant une autre fonction qu'il n'y en a à soutenir qu'un homme qui, exerçant une fonction déterminée, puisse conclure avec lui-même un contrat en tant que sujet exerçant une autre fonction. La société et le défunt étaient des personnes morales distinctes. L'entreprise avait le droit de décider quels seraient les contrats de traitement aérien en surface de terres agricoles qu'elle accepterait d'exécuter. Le défunt était le mandataire de l'entreprise lorsqu'il s'agissait de prendre les décisions nécessaires. Tout bénéfice réalisé appartiendrait à l'entreprise et non au défunt. Si l'entreprise passait un contrat avec un agriculteur, elle était alors en droit et avait le pouvoir de donner à son pilote en chef la directive d'effectuer certaines opérations. Le droit de contrôle existait même s'il revenait au défunt, en tant que mandataire de l'entreprise, de décider des ordres à donner. La société était investie d'un droit de contrôle, et l'application des principes établis dans la décision Salomon démontre que la société était distincte du défunt. Comme il a été souligné plus haut, le moment aurait pu venir où le défunt aurait toujours été tenu par contrat de rendre à l'entreprise des services à titre de pilote en chef bien qu'il se soit retiré de la fonction d'administrateur en chef. Leurs seigneuries considèrent, par conséquent, que le défunt était un travailleur et que la réponse à donner à la question posée dans l'affaire citée devrait en être une d'affirmative.

[16]     Si les tribunaux veulent bien accepter de mettre de côté leur non-croyance et de soutenir qu'une personne peut conclure un contrat de louage de services avec sa propre entreprise, il n'y a alors pas de raison pour laquelle la même mise de côté de leur non-croyance ne permettrait pas à la cour de juger que cette même personne peut conclure un contrat de services avec sa propre entreprise. À n'en pas douter, l'extrait des propos de Lord Borth-Y-Gest dans la décision Lee que j'ai cité en italique atteste cette possibilité même.

[17]     Et qu'avons-nous ici? Lorsqu'il s'agit de savoir si une personne est un entrepreneur indépendant ou un employé, la première question qui se pose est celle-ci : « En quoi consiste le contrat entre les parties? » . Fréquemment, il n'y a pas de contrat écrit précis mais s'il en existe un, il est bien entendu pertinent mais non déterminant si la conduite des parties indique que la vraie relation n'est pas celle qui est présentée dans la convention écrite. La deuxième question est celle de savoir si les relations juridiques énoncées sont authentiques et obligatoires ou simplement une façade ou encore, en d'autres termes, un trompe-l'oeil. Vient ensuite la question importante de savoir ce qu'en réalité les parties ont fait. Avec quel genre de relation leur comportement est-il le plus compatible? Cela est important, qu'il y ait ou non une convention écrite, mais devient encore plus important lorsqu'il n'y en a pas puisque que cette pièce serait la meilleure et probablement la seule preuve de l'existence d'une vraie relation. Finalement - et c'est un critère qui semble ces dernières années comporter une signification de plus en plus grande - quel genre de relation les parties avaient-elles l'intention d'établir? Bien souvent on ne peut pas répondre à ces questions en les séparant l'une de l'autre. Elles se chevauchent, et la réponse qu'on donne à l'une peut être influencée par celle donnée à l'autre. En dernière analyse, on doit considérer tous les faits et attribuer à chacun l'importance qui est requise dans le contexte de leur ensemble.

[18]     Rien ne laisse supposer que l'entreprise était fictive ou que la relation juridique entre l'appelante et son entreprise était sans effet simplement parce qu'il n'y avait par de contrat écrit. À vrai dire, la Couronne pourrait difficilement faire valoir cela, étant donné que la prémisse sur laquelle le ministre a appuyé sa décision voulait que l'appelante ait un contrat de louage de services avec son entreprise. La question est donc de savoir quelle était la nature du contrat que l'appelante avait avec son entreprise.

[19]     Manifestement, le contrat est un contrat de services. L'appelante fournissait ses propres outils (essentiellement du matériel informatique). J'accepte comme ayant été établies en preuve par l'appelante les affirmations aux paragraphes 4, 5, 7, 10, 12, 15, 16 et 17. Elle exploitait une entreprise de consultation en son propre nom et pour son propre compte, et l'une des personnes auxquelles elle fournissait des services était son entreprise. Elle décidait de ses heures de travail et fixait son propre horaire. Elle louait le matériel informatique à Starcycle. Elle facturait à Starcycle ses services au taux de 40 $ l'heure. Elle pouvait établir les taux qui étaient négociés entre elle-même et l'entreprise. Aussi était-elle libre de charger une autre personne de rendre les services à Starcycle si elle n'était pas disponible.

[20]     Elle travaillait de manière autonome et avait la possibilité de réaliser des bénéfices comme elle risquait également de subir des pertes. Si les activités de l'entreprise ne produisaient pas de revenu, cela se reflétait dans les commandes qu'elle en obtenait. À vrai dire, elle pouvait déterminer la mesure dans laquelle la société lui faisait appel. Si la société faisait de bonnes affaires, il en résultait un accroissement de sa propre activité.

[21]     Une fois appliqués, les critères établis dans les décisions Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 2 C.C.I. 200, et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. [2001] 4 C.C.I. 139 pointent tous vers un contrat de services. Il est, comme la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada l'ont observé dans ces affaires, difficile à leur appliquer le critère de l'intégration. Mais, chose certaine, en se basant sur les autres critères, il n'y avait pas de contrat de travail.

[22]     Dans la mesure où il est pertinent de considérer l'intention - et cela semble l'être à la lumière des décisions Poulin c. M.R.N., [2003] C.A.F. 50 et Wolf v. Canada, 2002 D.T.C. 6853, - Mme Zupet, manifestement, à la fois en sa qualité personnelle et en sa qualité de cerveau contrôlant la société, envisageait d'être un entrepreneur indépendant. Une preuve qui corrobore cette conclusion, outre son propre témoignage, est le fait qu'elle percevait la TPS de son entreprise. Je suis conscient que l'intention est un facteur qui a été souligné dans des causes instruites en vertu du Code civil du Québec. Néanmoins, j'estime que c'est une considération qu'on ne saurait ignorer dans les affaires instruites dans les provinces régies par la common law. Il est possible, d'après les modalités du contrat lui-même, d'après la conduite des parties et, à vrai dire d'après leurs propres témoignages, de déterminer quelle était leur intention.

[23]     Conséquemment, la décision selon laquelle l'appelante occupait un emploi ouvrant droit à pension est annulée.

Signé à Ottawa (Canada) ce 3e jour de février 2005.

« D.G.H. Bowman »

Le juge en chef adjoint Bowman

Traudction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2005.

Joanne Robert, traductrice

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