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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

96-4767(IT)I

ENTRE :

DAVID P. PRINCE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 6 novembre 1997, à Halifax (Nouvelle-Écosse), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Avocat de l'appelant:                 Me Joseph M. J. Cooper

Avocat de l'intimée :                  Me Marcel Prevost

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19980116

Dossier: 96-4767(IT)I

ENTRE :

DAVID P. PRINCE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]      Les présents appels résultent de l'assertion de l'appelant selon laquelle, dans le calcul de son revenu suivant l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, il avait le droit de tenir compte de ce qu'il qualifie de pertes d'entreprise. En août 1995, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une nouvelle cotisation à son égard pour ces trois années, au motif que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de tirer un profit de la présumée entreprise et que celle-ci n'était donc pas une véritable entreprise. J'aimerais attirer l'attention, à ce moment-ci, sur le fait que le ministre a admis les pertes subies dans l'année d'imposition 1992 relativement à une malheureuse entreprise de pisciculture de saumons.

[2]      M. Prince a pris sa retraite en 1993 après avoir fait carrière dans la fonction publique de la Nouvelle-Écosse. Quelque temps après, son épouse, qui travaillait à la bibliothèque municipale de Dartmouth, a elle aussi pris sa retraite. Avant de quitter leurs emplois, ils ont réfléchi aux moyens qu'ils pourraient prendre pour accroître leurs revenus de retraite communs par le truchement d'une activité commerciale quelconque. En 1992, M. Prince a fait enregistrer la raison sociale « Principality Marketing » sous le régime des lois de la Nouvelle-Écosse, même s'il ne savait pas encore avec exactitude à ce moment-là quel genre d'entreprise il était susceptible d'exploiter sous cette raison sociale. Il a envisagé un certain nombre de possibilités, dont une entreprise de location de bateaux et la fabrication de cannes sur mesure pour les personnes handicapées. En bout de ligne, il a décidé de se lancer dans la confection et la vente de tricots.

[3]      À cette fin, il a créé quelques patrons, et son épouse, qui tricotait depuis longtemps dans ses moments de loisir, a confectionné des prototypes. Certains ont été vendus à l'occasion d'expositions d'artisanat locales, mais ni la production ni les ventes n'ont jamais atteint un niveau commercial, pour ainsi dire. Dans son témoignage, M. Prince a attribué la situation au fait qu'il n'arrivait pas à embaucher des gens disposés à accepter les taux de salaire qu'il jugeait acceptables pour réaliser les tricots ou pour vendre les produits. En fait, seule une personne, exclusion faite de Mme Prince, a confectionné des tricots pour lui, et il semble qu'elle en ait peu faits. La fille de M. Prince et deux autres personnes ont essayé de vendre des tricots pour le compte de l'appelant, mais sans grand succès.

[4]      L'appelant n'a presque rien investi dans l'entreprise, qui ne comptait aucun employé, hormis son épouse. Il n'avait aucune expérience ni aucune formation dans ce genre d'entreprise. Il n'avait préparé rien qui puisse être qualifié à juste titre de plan d'affaires. Je ne crois pas qu'il ait consacré beaucoup de temps et d'énergie à la présumée entreprise. Ainsi qu'il l'a affirmé dans son témoignage, il était simplement le propriétaire de l'entreprise - il ne tricotait pas.

[5]      De son côté, Mme Prince achetait la laine et confectionnait les prototypes. Elle n'avait nullement l'intention de devenir tricoteuse. Ses fonctions consistaient à embaucher les tricoteuses et les préposés aux ventes et à gérer l'entreprise. Les efforts qu'elle a déployés pour embaucher des employés sont demeurés vains, les employés éventuels voyant bien que les possibilités de faire beaucoup d'argent étaient inexistantes. M. Prince n'avait pas les fonds nécessaires pour acheter des machines à tricoter ou pour faire de la publicité. Au total, une vingtaine d'articles ont été vendus en 1992, et 19 environ en 1993. Il s'agissait pour la plupart de chandails, de chapeaux et de gants.

[6]      Je conclus que cette activité est dépourvue de tout caractère commercial et que l'appelant n'avait certainement aucune attente raisonnable de profit. L'activité n'était pas une entreprise et n'aurait jamais pu en devenir une. Les revenus et dépenses déclarés, et les pertes dont la déduction a été demandée, démontrent très clairement non seulement qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit en l'espèce, mais aussi que le ministre était fondé à considérer la demande de l'appelant comme un cas d'abus fiscal.

                                    1992                        1993                        1994

         Revenus               680 $                       818 $                     343 $

         Dépenses         12 297 $[1]                   9 446 $                     992 $

         Pertes               11 617 $                    8 628 $                     649 $

[7]      Le montant total des dépenses déclarées par l'appelant pour les trois années s'établit à 22 735 $, dont 19 150 $ au titre de l'utilisation de sa maison (1 800 $), de son automobile (1 657 $) et du salaire versé à son épouse (15 693 $).

[8]      M. Prince s'est employé, au cours de son témoignage, à démontrer l'existence de cette présumée entreprise en la reliant à une entreprise totalement différente, soit l'élevage de saumons destinés au marché. À l'automne 1991, il avait acheté une partie des stocks d'une pisciculture de saumons située dans la baie Mahone, soit 4 000 jeunes saumons (quatre unités de 1 000 saumons chacune); le vendeur s'était engagé à faire l'élevage des saumons jusqu'à ce qu'ils atteignent la taille voulue pour être vendus sur le marché, et à les vendre ensuite pour le compte de l'appelant. Pour sa part, l'appelant avait convenu de payer des honoraires mensuels de 100 $ par unité de 1 000 saumons. Il prévoyait que la vente des saumons, de 18 à 24 mois plus tard, allait lui rapporter le double de l'investissement initial de 12 000 $. En fait, les saumons sont tous morts par suite d'une tempête, et l'appelant a perdu tout l'argent investi. Il a soutenu que cette entreprise faisait partie de l'entreprise de Principality Marketing, et que, si on examinait celle-ci dans son intégralité, on devait conclure qu'il y avait une attente raisonnable de profit.

[9]      Cette assertion n'est pas fondée. La pisciculture de saumons et le tricot étaient deux activités totalement distinctes et indépendantes. Si elles avaient toutes deux été rentables, ce qui n'était évidemment pas le cas, elles auraient été des entreprises distinctes et des sources de revenu distinctes[2]. En établissant la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre a admis que l'investissement dans la pisciculture de saumons visait une entreprise ayant une attente raisonnable de profit, et il a permis à l'appelant de porter les pertes subies en déduction de son autre revenu. Quelles que puissent avoir été les possibilités de profit de l'entreprise de pisciculture de saumons, elles ne pouvaient faire de l'activité de tricot une entreprise ayant une attente de profit.


[10]     Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2003.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]            J'ai soustrait des dépenses déclarées cette année-là le montant se rapportant à la pisciculture de saumons.

[2]     Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, juge L'Heureux-Dubé, aux pages 361 et 362, et juge Iacobucci, à la page 393.

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