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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2003CCI298

Date : 20030506

Dossier : 2002-4442(IT)I

ENTRE :

MICHAEL FURMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

.

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Edmonton (Alberta) le 9 avril 2003.)

Le juge Miller, C.C.I.

[1]      Me Michael Furman en appelle, sous le régime de la procédure informelle, de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour son année d'imposition 1998. Le ministre a rejeté certaines dépenses d'employé réclamées par Me Furman, à savoir des frais de repas, de représentation, de déplacement et de téléphone cellulaire.

[2]      Me Furman est avocat. Il a exercé à titre d'employé au sein du cabinet d'avocats Hladun & Company de 1987 à 2001. En 1998, il était un employé de ce cabinet. Il recevait un salaire mensuel de base de 5 000 $, en plus d'un pourcentage des honoraires professionnels facturés et reçus supérieurs ou égaux à une moyenne mensuelle de 10 500 $. Le feuillet T4 de Me Furman pour l'année 1998 montre des revenus de commissions d'environ 10 000 $.

[3]      Le cabinet Hladun & Company exigeait que Me Furman génère sa propre clientèle, ce qu'il faisait, quoiqu'il n'existât aucune exigence formelle envers une personne ou un endroit en particulier. Me Furman a insisté sur l'importance de faire du réseautage et a expliqué que c'est la raison pour laquelle il est devenu membre du conseil d'administration d'une ligue de touch-football. Il a estimé que les deux tiers de ses journées étaient consacrées à donner des services juridiques, c'est-à-dire à une journée de travail normale, et que le tiers restant était consacré à faire de la promotion. Sa pratique professionnelle était principalement composée de contentieux pénal et civil, ainsi que d'un peu de droit commercial, peut-être dix pour cent. Ses clients étaient les clients du cabinet.

[4]      Relativement à ses efforts de promotion, Me Furman a réclamé des frais de déplacement avoisinant 3 800 $ pour une conférence très coûteuse qui a eu lieu à Hawaï. Ce voyage a été fait à la demande d'un médecin de qui Me Furman espérait obtenir du travail. Quoiqu'il était trop tard pour s'enregistrer à la conférence, il a néanmoins passé du temps avec des médecins, croyant que cela solidifierait ses liens avec eux. Il reconnaît que ce voyage aurait été beaucoup trop onéreux s'il ne s'agissait pas d'un voyage d'affaires. Son épouse l'a accompagné lors de ce voyage. Me Furman a également fait plusieurs autres voyages pour assister à des tournois de touch-football à Kelowna, à Regina et à Saskatoon, voyages qui ont engendré des frais de déplacement d'environ 2 400 $. Selon Me Furman, ces voyages étaient également une occasion de faire du réseautage avec plusieurs des 400 membres ainsi que de remplir ses engagements auprès du conseil. Selon Me Furman, le travail qu'il effectuait pour le conseil visait strictement l'obtention de clients potentiels.

[5]      Me Furman travaillait dans les environs d'Edmonton et comparaissait devant les tribunaux de Sherwood Park, de St. Albert, de Vegreville, de Camrose et ainsi de suite. Les frais de kilométrage pour ces déplacements ont été accordés par le ministre. Seuls les frais de déplacement à des fins de promotion ont été refusés.

[6]      En ce qui a trait à ses frais de représentation et de repas, qui s'élèvent à 12 414 $ et dont la moitié est réclamée en vertu de l'article 67.1 de la Loi, Me Furman indique qu'ils étaient liés à des activités locales de promotion. Me Furman a déposé un formulaire T2200 puis un formulaire T2200 modifié auprès de l'Agence des douanes et du revenu du Canada pour l'année 1998. Le formulaire a été rempli par Me Furman et signé par Me Hladun. Voici quelques questions et réponses tirées de ces formulaires[1].

1.          Selon son contrat de travail, l'employé devait-il payer les frais qu'il a engagés pour l'exécution des tâches qui lui étaient confiées?

Le premier formulaire indiquait « Non » , le second indiquait « Oui » .

2.          Demandiez-vous régulièrement que cet employé travaille ailleurs qu'à votre établissement ou à différents endroits?

Les deux formulaires indiquaient « Oui » .

5.          Cet employé a-t-il reçu un remboursement pour les frais qu'il a payés dans l'exécution des tâches qui lui étaient confiées?

Le premier indiquait « Non » , le second « Oui » .

6.          Avez-vous exigé que cet employé engage d'autres frais pour lesquels il n'a reçu ni allocation ni remboursement?

Le premier indiquait « Non » , mention qui a été rayée pour indiquer « Oui » , et le second formulaire indiquait « Oui » .

7 a)       Cet employé a-t-il été rémunéré, en totalité ou en partie, sous forme de commissions ou d'autres sommes semblables fixées selon le volume de ventes effectuées ou de contrats négociés?

Les deux disaient « Oui » .

   b)       Si oui, indiquez le genre de biens vendus ou de contrats négociés.

La mention [traduction] « services juridiques » était inscrite.

Le point de départ pour analyser les dépenses liées à l'emploi est le paragraphe 8(2) de la Loi, qui se lit ainsi :

Seuls les montants prévus au présent article sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi.

[7]      Il ressort clairement que, pour être déductibles, les dépenses de Me Furman doivent être couvertes par l'un des paragraphes de l'article 8. Selon Me Furman, les dispositions pertinentes étaient les alinéas 8(1)f), h) et h.1). Prenons en premier lieu l'alinéa 8(1)f), qui se lit comme suit :

8(1)f)    dépenses de vendeur - lorsque le contribuable a été, au cours de l'année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

(i)          il était tenu, en vertu de son contrat, d'acquitter ses propres dépenses;

(ii)         il était ordinairement tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur;

(iii)        sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions ou autres rétributions semblables fixées par rapport au volume des ventes effectuées ou aux contrats négociés;

(iv)        il ne recevait pas, relativement à l'année d'imposition, une allocation pour frais de déplacement [...]

les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année pour gagner le revenu provenant de son emploi (jusqu'à concurrence des commissions [...])

Aux fins du présent jugement, je n'ai pas besoin de lire le reste de la disposition.

[8]      Manifestement, plusieurs conditions doivent être remplies pour que Me Furman puisse se qualifier en vertu de ce paragraphe. La première de ces conditions est que Me Furman doit avoir été employé relativement à la vente de biens ou à la négociation de contrats. Me Furman prétend que le recrutement de clients fait partie intégrante de son exercice du droit et que cela constitue la négociation de contrats. Avec égards, je ne puis accepter cet argument. Toute entreprise nécessite que l'on ait une clientèle. Ce serait déformer le sens clair de ces mots que d'en étendre la portée afin de prétendre qu'une personne dont le revenu provient de la prestation de services juridiques est employée pour remplir des fonctions liées à la négociation de contrats. À titre d'avocat, Me Furman travaillait-il dans le domaine des ventes? Je ne le crois pas. Je n'ai pas été convaincu que, parce que le travail de Me Furman exigeait qu'il génère des clients pour le cabinet, cela impliquait que ses fonctions étaient « liées à la négociation de contrats » . Elles sont liées à la prestation de services juridiques. C'est là ce qu'il faisait et ce pourquoi il était rémunéré.

[9]      Me Furman a présenté un argument intéressant lorsqu'il a demandé ce qu'il en serait s'il était employé uniquement comme « chasseur de clients » , qu'il ne fournissait pas de services juridiques et qu'il était payé uniquement selon le nombre de clients qu'il recrutait. Perdrait-il alors le droit de réclamer les déductions de l'alinéa 8(1)f) s'il fournissait des services juridiques? Cela pourrait être une question de degré. Cela requerrait également, bien entendu, une analyse des autres conditions visées par l'alinéa 8(1)f). Je puis concevoir qu'un avocat puisse être engagé uniquement comme chasseur de clients, c'est-à-dire pour trouver des clients pour le cabinet. La preuve ne correspond cependant pas à cela.

[10]     Me Furman a été engagé comme avocat pour fournir des services juridiques. Une partie de son travail consistait, comme c'est le cas pour plusieurs membres de la profession juridique, à bâtir la clientèle du cabinet. Les activités de représentation n'entrent cependant pas dans ma conception de la négociation de contrats. C'est de la promotion. Me Furman ne négociait pas les détails des mandats lorsqu'il rencontrait les clients possibles. Ces activités n'étaient pas de la négociation de contrats. Je ne dis pas qu'elles ne faisaient pas partie de son travail. On s'attendait certainement à ce qu'il le fasse, mais le fait de s'attendre à ce que les avocats du cabinet recrutent des clients potentiels n'est cependant pas suffisant pour donner une nouvelle teinte à l'alinéa 8(1)f), qui a été interprété depuis de nombreuses années comme s'appliquant aux seuls employés de vente. Me Furman n'était pas employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats. Je conclus que son travail n'était pas du genre visé par l'alinéa 8(1)f) et qu'aucune déduction n'est possible en vertu de cet article.

[11]     Puisque je suis parvenu à cette conclusion, il ne m'est pas nécessaire d'analyser les autres arguments de l'avocate de l'intimée à propos de l'application de l'alinéa 8(1)f), sauf pour dire qu'ils constitueraient de formidables obstacles pour Me Furman. Je passerai à l'alinéa 8(1)h), qui se lit comme suit :

8(1)h) frais de déplacement - lorsque le contribuable, au cours de l'année, à la fois :

(i)          a été habituellement tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur ou à différents endroits,

(ii)         a été tenu, en vertu de son contrat d'emploi, d'acquitter les frais de déplacement qu'il a engagés pour l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

les sommes qu'il a dépensées pendant l'année [...] pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi [...]

Cet article ne s'appliquerait au mieux qu'aux seuls frais de déplacement réclamés par Me Furman, à l'exclusion des frais de repas, de représentation ou de téléphone cellulaire.

[12]     Encore ici, certaines conditions doivent être remplies. La première est qu'il soit habituellement tenu d'exercer des fonctions ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur. Le ministre a reconnu que Me Furman remplissait cette condition en lui accordant des frais de déplacement de 200 $ pour le voyage qu'il a fait à Vancouver en se rendant à Hawaï. Ces dépenses ont été accordées, reconnaissant par cela que l'obligation de Me Furman de fournir des services juridiques exigeait qu'il travaille ailleurs qu'au bureau. Les frais de déplacement que Me Furman cherche à réclamer ne sont cependant pas liés à son obligation de fournir des services juridiques, mais, comme il le dit, à son obligation de recruter de nouveaux clients.

[13]     L'intimée soutient que cette disposition ne s'applique tout simplement pas aux frais de déplacement déboursés pour faire du recrutement d'affaires. Son argument repose en partie sur la proposition que les efforts de promotion que déployait Me Furman n'étaient pas exigés de son employeur et qu'ils étaient volontaires. Ce n'est pas ainsi que je vois les choses. Me Furman recevait bel et bien un salaire de base mais, s'il voulait augmenter son revenu, il devait générer du travail. Il est clair que l'employeur de Me Furman n'allait pas lui fournir une pleine charge de travail juridique. De fait, l'employeur n'allait fournir aucun travail à Me Furman. Me Furman devait lui-même se trouver du travail. Le monde juridique a adopté une expression assez déplaisante pour décrire les différentes variations de cet arrangement : « eat what you kill » (trouvez vos propres clients). Si Me Furman n'amenait pas de clients, non seulement son revenu n'aurait jamais excédé son salaire de base, mais il est douteux qu'il aurait conservé longtemps celui-ci. Dans ces circonstances, je ne puis dire que le fait de trouver du travail était volontaire.

[14]     Appliquant cela aux exigences de l'alinéa 8(1)h), il me semble avéré que Me Furman était habituellement tenu d'exercer ses fonctions de prestation de services juridiques ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur. Je suis également convaincu qu'il devait recruter des clients. Mais là où l'argument de Me Furman échoue, c'est qu'il n'était pas tenu de quitter Edmonton pour trouver ces clients. Il n'était pas tenu d'aller à Hawaï ni d'aller à des parties de touch-football. Il n'était pas nécessaire d'établir une clientèle à la grandeur de l'Alberta ou du Canada. Il n'avait besoin que de trouver assez de clients pour avoir une charge de travail aussi complète que possible.

[15]     Les réponses au formulaire T2200 n'aident pas Me Furman, puisque l'obligation de travailler ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur ne visait pas le côté promotionnel des responsabilités de Me Furman. En l'absence de preuves provenant de l'employeur de Me Furman, je ne suis pas disposé à supposer que c'était là ce qu'on voulait dire.

[16]     Il me reste à faire un commentaire sur l'alinéa 8(1)h). Pour être déductibles, les montants doivent ultimement avoir été dépensés « dans l'exercice des fonctions de son emploi » . Il existe toujours une marge étroite entre les activités que fait un avocat dans des desseins promotionnels et qui entrent donc dans l'exercice de ses fonctions et les activités qu'il exerce par plaisir, par civisme, dans un but de bienfaisance ou à d'autres fins. On peut espérer de manière altruiste que les avocats participent à des activités bénévoles, caritatives, sportives ou autres parce qu'ils s'intéressent sincèrement à contribuer à la promotion de ces organismes, que ce soit comme bénévole, comme administrateur, comme entraîneur, comme professeur, peu importe. Suggérer que de telles activités s'inscrivent dans « l'exercice des fonctions de l'emploi d'un avocat » n'est franchement pas la manière dont je voudrais que le public perçoive l'implication sociale d'un avocat.

[17]     Je ne crois pas que les voyages de Me Furman à des parties de touch-football soient des voyages faits dans l'exercice de ses fonctions. De même, j'ai de la difficulté à conclure qu'un luxueux voyage à Hawaï soit un voyage effectué principalement dans l'exercice de ses fonctions. Je ne doute pas qu'il a tiré des avantages commerciaux de ces voyages. Il y faisait alors de la promotion. Cependant, non seulement une telle promotion extravagante n'était pas exigée par son employeur, mais à mon avis elle n'a pas eu lieu dans l'exercice de ses fonctions.


[18]     Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mai 2003.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de novembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Pièces A-1 et A-2.

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