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Référence : 2003CCI355

Date : 20030520

Dossier : 2000-1426(IT)I

ENTRE :

EVANGELOS KOLAKIS,

appelant,

Et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Edmonton (Alberta) le 22 septembre 2000)

Le juge Hershfield, C.C.I.

[1]               Comme je l'ai mentionné au début du procès, j'ai été quelque peu frustré de ne pas avoir de preuve attestée devant moi. Une juridiction de première instance est un juge des faits, et l'issue de la présente espèce dépend de conclusions de fait, comme dans tout autre cas. Avec du recul, je pense que j'aurais pu insister pour que l'appelant ait au moins un exposé conjoint des faits pour aller avec le recueil documentaire qu'il a présenté comme pièce et qui a été accepté par l'avocat de l'intimée sans protestation ou objection. Comme il s'agit ici d'un appel sous le régime de la procédure informelle et que les deux parties étaient représentées par des avocats disposés à me soumettre un recueil documentaire qu'ils considéraient comme suffisant pour le règlement de la question de droit qui m'a été posée, j'ai procédé en me fondant là-dessus; en d'autres termes, je suis parti du principe que les parties conviennent que les faits sur lesquels je dois me baser pour trancher la question de droit qui m'a été posée peuvent être dégagés du recueil documentaire. Les inférences factuelles à tirer du recueil documentaire devaient être tirées par moi. Les avocats étaient entièrement d'accord là-dessus. Toutefois, comme je l'ai dit, lorsque l'issue d'une affaire dépend de faits, ce n'est pas une façon satisfaisante de présenter une cause.

[2]               Tel étant le cas, bien que cet appel puisse par ailleurs justifier des motifs écrits, en vue de contribuer à l'ensemble de droit sur la question qui m'est soumise, j'estime que cela aurait une valeur limitée pour ce qui est de contribuer à la jurisprudence sur la question soulevée. Il n'y a pas de valeur de précédent, car il s'agit d'un appel sous le régime de la procédure informelle, et je n'ai pas été saisi de l'affaire comme c'est généralement requis dans une procédure contradictoire. On est loin d'un exposé de cause, car j'ai dû tirer mes propres inférences factuelles des données sans déposition de témoin ou exposé conjoint des faits. Je vais néanmoins procéder comme l'ont demandé les avocats. Je vais rendre mes motifs oralement, ainsi que je l'ai mentionné.

[3]               Cet appel concerne de nouvelles cotisations pour les années d'imposition de l'appelant 1995, 1996, 1997 et 1998. Certains paiements d'entretien faits par l'appelant à son ancienne conjointe pour chacune de ces années-là n'ont pas été admis en tant que déductions. D'un commun accord entre les avocats de l'appelant et de l'intimée, la question a été ramenée à la déductibilité de certains de ces paiements en vertu de l'alinéa 60c) pour ce qui est de paiements antérieurs à 1997 et en vertu de l'alinéa 60b) pour ce qui est de paiements effectués dans les années 1997 et 1998 (ces deux dispositions législatives étant appelées dans les présents motifs les dispositions de déduction de l'article 60) ou en vertu du paragraphe 60.1(2). Les paiements en question sont des paiements d'entretien faits à un tiers après une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine remontant à novembre 1996, que j'appellerai l' « ordonnance en cause » .

[4]               En restreignant ainsi la question, l'intimée et l'appelant ont, par l'intermédiaire de leurs avocats, convenu dans le dossier que l'appelant aura gain de cause pour 1995 de manière à lui permettre pour cette année-là de déduire des paiements d'entretien de 6 893,23 $. De même, l'appelant aura gain de cause pour 1996 de manière à lui permettre pour cette année-là de déduire des paiements d'entretien de 6 323,25 $, plus le paiement à un tiers de décembre 1996 d'un montant de 545 $ s'il est conclu que l'ordonnance en cause ne modifie pas l'application de l'article 60 ou du paragraphe 60.1(2).

[5]               Les nouvelles cotisations pour 1997 et 1998 seront confirmées sous réserve de ce qui suit : d'un commun accord entre les avocats inscrits au dossier, 614 $ seront aussi admis pour 1997, et, pour 1997 et 1998, le paiement à un tiers d'un montant de 545 $ par mois sera également admis s'il est conclu que l'ordonnance en cause ne modifie pas l'application de l'article 60 ou du paragraphe 60.1(2).

[6]               Enfin, comme l'ordonnance en cause et toute autre entente ou ordonnance pertinente étaient en place avant 1997, il a été reconnu par les avocats de l'appelant et de l'intimée qu'il n'y avait pas de « date d'exécution » concernant les paiements postérieurs à avril 1997, l'effet étant que de tels paiements ont été traités de la même manière en vertu de l'article 60 que des paiements antérieurs à mai 1997.

[7]               Ces diverses reconnaissances entre les avocats ont limité la question en litige aux paiements mensuels de 545 $ faits à un tiers après l'ordonnance en cause, rendue en novembre 1996. Toutefois, comme je l'ai dit au début, les parties ont en outre convenu de ne pas appeler de témoins mais plutôt de me présenter une pièce conjointe, à savoir un recueil de documents, et j'ai été invité à examiner chaque document en vue de trancher la question juridique qui m'a été posée, quant à savoir si l'ordonnance en cause influait négativement sur la déductibilité des paiements à un tiers qui sont en question. Comme je l'ai dit, je pense que les parties ne comprenaient pas que l'incidence de l'ordonnance en cause dépendait de conclusions de fait aux fins desquelles servent mieux des témoignages directs. Néanmoins, comme je l'ai mentionné, j'irai de l'avant. Rejeter l'appel pour défaut de production de preuve adéquate serait faire preuve de dureté étant donné la position de l'intimée.

[8]               La position de l'avocat de l'intimée est que l'ordonnance en cause, du seul fait de son existence et de sa formulation, dicte une conclusion selon laquelle les paiements à un tiers n'étaient pas déductibles vu la décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Armstrong c. Canada, [1996] A.C.F. no 599. L'avocat de l'intimée est ferme sur ce point, comme en témoigne le fait qu'il est d'accord avec l'avocat de l'appelant pour dire que les paiements à un tiers antérieurs à décembre 1996, c'est-à-dire antérieurs à l'ordonnance en cause, étaient déductibles. En d'autres termes, il a été convenu qu'un accord antérieur concernant ces paiements répondait aux critères de la Loi en matière de déduction. C'est l'ordonnance intervenue qui fait qu'il n'est pas répondu à ces critères, et les paiements en question postérieurs à novembre 1996 ont été effectués conformément à cette ordonnance.

[9]               L'avocat de l'intimée soulignait que j'étais lié par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Armstrong sur cette question concernant les paiements à un tiers en vertu de l'ordonnance intervenue. Il m'a fait valoir cette proposition en dépit de jugements de notre cour qui font autorité et qui indiquaient clairement que, sur la foi de certains faits, l'arrêt Armstrong ne s'appliquerait pas. L'avocat de l'intimée était au courant de ces jugements; en fait, il en a inclus un certain nombre dans son recueil de textes faisant autorité, mais il soutenait que, comme il s'agissait uniquement d'affaires relevant de la procédure informelle, ces jugements n'avaient pas de poids jurisprudentiel et que j'étais lié par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Armstrong.

[10]             Je suis toutefois d'avis que ces jugements postérieurs à l'arrêt Armstrong ne sont pas contraires à cet arrêt. Ils font simplement valoir le principe que, dans une situation factuelle différente de ce qu'il en était dans l'affaire Armstrong, le paragraphe 60.1(2) n'est pas exhaustif pour ce qui est des dispositions législatives permettant la déduction de paiements d'entretien faits à un tiers.

[11]             Le paragraphe 60.1(2) représente toutefois un refuge absolu s'il en est fait expressément mention dans une ordonnance ou un accord. Toutefois, sans ce refuge, sans une mention expresse - dans un accord ou une ordonnance - des paragraphes 60.1(2) et 56.1(2), il ne doit pas y avoir d'inférence négative obligatoire quant à la possibilité que l'article 60 puisse permettre des déductions en matière de paiement à un tiers dans certaines situations débordant clairement le cadre factuel de l'affaire Armstrong.

[12]             Je ferai référence aux documents du recueil documentaire dont j'estime qu'ils m'ont aidé à trancher la question restreinte qui m'a été soumise. Tout d'abord, pour ce qui est de l'onglet 2 du recueil documentaire, nous avons le procès-verbal de transaction et d'accord relatif aux biens matrimoniaux qui a été produit dans l'action devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta et que l'appelant et son ancienne conjointe ont signé le 7 mars 1995. Le paragraphe 2.1 de l'entente à l'amiable se lit comme suit :

[TRADUCTION]

L'époux s'engage à verser à l'épouse - pour bien subvenir aux besoins desdits enfants mineurs issus du mariage - la somme de deux cent cinquante dollars (250 $) par mois par enfant, soit une somme mensuelle totale de sept cent cinquante dollars (750 $), à partir du [...]

Le paragraphe 2.2 poursuit en disant :

[TRADUCTION]

Les parties conviennent que les paiements d'entretien devant être faits par l'époux en vertu du présent document seront déductibles par l'époux et imposables entre les mains de l'épouse; en outre, les parties conviennent que, lorsqu'elles produiront leurs déclarations de revenu respectives, elles feront les choix requis pour donner effet à cette clause.

[13]             Je vais maintenant faire référence aux onglets 10 et 11, soit des affidavits de l'appelant et de son ancienne conjointe, respectivement, qui faisaient partie de la procédure ayant donné lieu à l'ordonnance en cause, laquelle remonte à novembre 1996. Ces affidavits ont été signés en septembre 1996 et octobre 1996 respectivement.

[14]             Examinons l'affidavit de l'appelant, c'est-à-dire le paragraphe 3 figurant à l'onglet 10; en ce qui a trait au procès-verbal de transaction et concernant ce qui est arrivé, le paragraphe 3 dit :

[TRADUCTION]

La requérante et moi avions également convenu que, jusqu'à ce qu'elle vende le bien qui lui avait été transféré conformément au procès-verbal de transaction, je paierais l'hypothèque de premier rang y afférente à l'Alberta Treasury Branch, en paiement partiel de pension alimentaire pour enfants. Le paiement hypothécaire était de 545 $ [plus un certain nombre de cents] par mois, et nous avions convenu que je paierais à la requérante la différence de 205 $ par mois [...]

[15]             Le paragraphe 5 figurant à l'onglet 11 de l'affidavit de l'ancienne conjointe de l'appelant se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Normalement, lorsqu'Evangelos [...]

[l'appelant]

[...] effectue un paiement hypothécaire mensuel pour moi, ce paiement est porté en diminution des obligations d'Evangelos en matière de pension alimentaire pour enfants. Cela n'a toutefois pas été le cas au cours de l'été 1996, à cause de la convention de location susmentionnée.

[16]             Permettez-moi de faire valoir deux points sur ces deux extraits, en guise d'explication. Premièrement, il est clair que le bien à l'égard duquel étaient faits les paiements hypothécaires appartenait seulement à l'ancienne conjointe de l'appelant et que celle-ci était la seule personne à avoir l'obligation d'effectuer les paiements hypothécaires.

[17]             Deuxièmement, il est clair que l'ancienne conjointe de l'appelant traitait normalement les paiements hypothécaires faits par l'appelant directement au créancier hypothécaire, comme des paiements dont elle permettait, à sa discrétion, qu'ils soient portés au crédit des paiements de pension alimentaire pour enfants. Cela me semble être assez clair en vertu du paragraphe 5 de son affidavit figurant à l'onglet 11. Ce qui est alors arrivé, c'est que l'ex-femme de l'appelant, qui détenait des terrains que l'appelant voulait utiliser, a, par voie de convention manuscrite figurant aussi à l'onglet 5, accepté de louer ces terrains à l'appelant. Toutefois, l'appelant devait payer le loyer en effectuant les paiements hypothécaires relatifs aux terrains de la conjointe. Cela fait deux exigences de paiement concernant la même hypothèque. Il y a une exigence de paiement en vertu de l'arrangement - entre l'appelant et son ancienne conjointe - selon lequel le paiement mensuel de 545 $ au créancier hypothécaire sera porté au crédit des obligations de l'appelant en matière d'entretien, et il y a une exigence de paiement en vertu d'une convention de location. L'épouse considérait que le loyer, d'un montant total de 3 000 $ payé au créancier hypothécaire, ne pouvait être porté au crédit des obligations d'entretien, car il était payé en tant que loyer et non en tant que pension alimentaire. En vue de la résolution de cette difficulté, c'est-à-dire pour que soit déterminé ce qu'étaient les crédits et ce qu'était l'arriéré de paiements de pension alimentaire, l'ordonnance de novembre 1996 a été demandée; elle a été demandée et reçue par consentement des parties. À mon avis, les parties ont consenti non pas à ce que soit modifiée l'incidence d'un arrangement, mais à ce que soit clarifiée la question de savoir comment les paiements hypothécaires devaient être portés au crédit des obligations d'entretien.

[18]             Sur ce point, je ferais référence aussi à l'onglet 8, où se trouve un registre du bureau du directeur de l'exécution des ordonnances alimentaires, lequel registre indique que, en novembre 1996, il y avait un arriéré de paiements d'entretien qui était supérieur à l'arriéré payable d'après l'appelant. L'ordonnance sur consentement a éclairci la question du montant de l'arriéré et était donc destinée non pas à modifier l'arrangement en cours, mais plutôt à le confirmer.

[19]             Je renvoie à l'onglet 15, où se trouvent des états de Revenu Canada concernant le revenu et les déductions de l'ancienne conjointe de l'appelant. Ces états ont été acceptés par l'avocat de l'intimée comme étant des documents desquels je peux tirer des inférences factuelles. Dans ces états, pour les années 1995, 1996 et 1997, il n'y a pas de corrélation entre les montants que Revenu Canada a permis à l'appelant comme déductions de paiements d'entretien    pour les années en question et les montants que l'ancienne conjointe de l'appelant a inclus. En fait, l'ancienne conjointe a inclus beaucoup plus. Par exemple, pour 1997, une déduction de 1 440 $ a été admise par l'intimée d'après la nouvelle cotisation pour 1997, mais le montant du revenu inclus par la conjointe de l'appelant au titre des paiements d'entretien était de 6 100 $. Il n'y a pas de correspondance entre le revenu et la déduction. Je n'ai aucun moyen de concilier les chiffres. Encore là, je n'ai aucun témoignage. Je n'ai aucune idée quant à la rationalisation relative aux montants inclus par rapport aux montants déduits. Il y a toutefois une anomalie, de laquelle je crois pouvoir tirer une inférence dans les circonstances, c'est-à-dire, encore là, étant donné l'absence de témoignages. L'ancienne conjointe de l'appelant a traité comme des revenus les paiements à un tiers qui sont considérés en l'espèce.

[20]             Enfin, examinons l'onglet 5, soit l'ordonnance en cause. Comme je l'ai mentionné, il s'agit d'une ordonnance sur consentement. C'est une ordonnance que les parties, je crois, ont demandée pour régler la situation de l'arriéré et éclaircir la question de savoir quels paiements hypothécaires avaient été faits au titre du loyer et lesquels avaient été faits au titre de la pension alimentaire. Le paragraphe 1 de l'ordonnance en cause se lit comme suit :

[TRADUCTION]

L'arriéré de pension alimentaire pour enfants dû par l'intimé est, par le présent document, confirmé comme s'élevant à 3 000 $.

Cela souligne d'après moi qu'il y a consentement dans cette ordonnance à ce que les paiements hypothécaires d'un montant de 3 000 $ soient considérés comme des paiements de loyer. La conjointe de l'appelant exerçait son pouvoir discrétionnaire, du moins jusqu'à ce moment-là, pour indiquer comment elle voulait recevoir ces sommes. En vertu du paragraphe 2 de l'ordonnance en cause, elle acceptait qu'il soit sursis à l'exécution des paiements d'arriéré jusqu'à ce que certains terrains soient vendus. Tout ce qui entoure l'ordonnance en cause souligne que l'objet de celle-ci était de traiter d'un arriéré.

[21]             Le paragraphe 3 de l'ordonnance en cause est le paragraphe sur lequel se fonde l'avocat de l'intimée. Il se lit comme suit :

[TRADUCTION]

À compter de décembre 1996, au lieu d'effectuer des paiements de pension alimentaire pour enfants, l'intimé fera à l'Alberta Treasury Branch les paiements hypothécaires mensuels de la requérante pour les terrains décrits officiellement [...] de plus, l'intimé versera à la requérante 205 $ à partir de janvier 1997 [...]

[22]             La thèse de l'intimée est que ce paragraphe fait que les paiements hypothécaires ne sont plus assimilables à des paiements d'entretien déductibles, et, comme je l'ai dit, l'intimée invoque l'arrêt Armstrong pour donner effet à cette thèse.

[23]             Comme je l'ai mentionné, l'objet de l'ordonnance est clair, à mon avis. L'ordonnance n'était destinée qu'à régler la question de l'arriéré. Il me semble que l'ordonnance traite expressément de la préoccupation de l'ancienne conjointe de l'appelant exprimée au paragraphe 5 de l'affidavit figurant à l'onglet 11, à savoir que les 3 000 $ versés au titre des paiements hypothécaires qu'elle devait effectuer étaient un loyer et ne pouvaient être considérés comme des crédits de pension alimentaire pour enfants. En outre, l'ordonnance corrigeait le montant de l'arriéré qui avait été inscrit comme arriéré dans les registres du bureau du directeur de l'exécution des ordonnances alimentaires et elle prévoyait du temps pour le paiement de l'arriéré. À mon avis, il ne convient pas de considérer que l'objet est supérieur du fait qu'il s'agit d'une ordonnance sur consentement. L'importance de cette ordonnance en tant qu'ordonnance sur consentement sera examinée dans un instant.

[24]             Cela m'amène à mon analyse des articles de la Loi. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'énoncer les articles de la Loi qui se rapportent à la présente espèce. Ces articles sont lourds, et leur forme a été critiquée à plusieurs reprises par notre cour. Pour comprendre ce qu'il en est, considérons simplement que les deux dispositions en matière de déduction dans le contexte de l'espèce sont le paragraphe 60.1(2) et l'article 60. Je traiterai d'abord du paragraphe 60.1(2). En vertu de cette disposition, si une ordonnance alimentaire ou un accord mentionne expressément les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2), alors, pour ce qui est de la déduction, le paragraphe 60.1(2) indique qu'une telle mention expresse répond à toutes les exigences en matière de déduction concernant des tiers, quant à savoir qui est le bénéficiaire, quant à savoir s'il s'agit d'un montant périodique, quant à savoir s'il s'agit d'une allocation et quant à savoir si le bénéficiaire pouvait utiliser le montant à sa discrétion. Toutes les questions sont réglées s'il est fait expressément mention des paragraphes 60.1(2) et 56.1(2).

[25]             Je reconnais que le recours à ce refuge absolu exige une mention expresse, dans l'accord ou l'ordonnance, des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2). De plus, je crois que c'est ce que détermine l'arrêt Armstrong dans la ratio decidendi, sur laquelle je suis d'accord. Je conclus donc que le paragraphe 60.1(2) n'aide pas l'appelant en l'espèce. L'ordonnance en cause ne fait pas référence à ces dispositions.

[26]             Cela nous amène à l'article 60 et à la question de savoir si cet article permet ou non la déduction de paiements d'entretien faits à un tiers. En vertu de l'article 60, il faut que l'ancienne conjointe de l'appelant soit la bénéficiaire des paiements d'entretien effectués par l'appelant. De plus, l'article 60 exige que le paiement soit une allocation, ce qui, avant les modifications de 1997, était défini au paragraphe 56(12) comme étant un montant qu'un ancien conjoint recevait et qu'il pouvait utiliser à sa discrétion. Il y a donc deux exigences dans cette situation. L'une est que l'ancienne conjointe de l'appelant ait été la bénéficiaire du paiement, et l'autre est que l'ancienne conjointe de l'appelant ait pu utiliser les montants à sa discrétion.

[27]             Pour ce qui est de paiements à un tiers, le problème est que, si de tels paiements sont faits directement à un tiers, par exemple à un créancier hypothécaire comme dans ce cas-ci, comment peut-on dire que le bénéficiaire était dans ce cas-ci l'ancienne conjointe du contribuable? Littéralement, le bénéficiaire était non pas l'ancienne conjointe du contribuable mais le créancier hypothécaire. Dans ce contexte, le paragraphe 60.1(1) fournit la réponse. Il prévoit que - indépendamment de la question de savoir qui est le bénéficiaire effectif du paiement -, lorsqu'il s'agit d'un paiement au profit de la mère, au profit de ses enfants ou à la fois au profit de la mère et de ses enfants, le montant du paiement est réputé avoir été reçu par la mère. Une telle disposition déterminative fait que la mère, dans ce cas-ci, est un bénéficiaire aux fins de l'article 60. L'intimée ne contestait pas cela.

[28]             Toutefois, comme on l'a fait remarquer dans l'arrêt Armstrong, l'analyse ne s'arrête pas là; elle doit aller plus loin. Outre qu'il doit être établi que la conjointe, dans ce cas-ci, est la bénéficiaire du paiement à un tiers, il faut également satisfaire à l'exigence selon laquelle il doit s'agir d'une allocation que cette personne peut utiliser à sa discrétion. Cela n'est pas réputé être le cas au paragraphe 60.1(1). L'arrêt Armstrong indique clairement que le paragraphe 60.1(2) ne peut aider à répondre à cette exigence. Comme ce paragraphe et le paragraphe 56.1(2) ne sont pas expressément mentionnés dans l'ordonnance en cause, je suis lié par cet arrêt et, soit dit en passant, je suis d'accord sur cet arrêt. Je ne pense toutefois pas que l'arrêt Armstrong indique davantage que le fait que le paragraphe 60.1(2) n'aide pas l'appelant en l'espèce.

[29]             Il reste la question de l'application de l'article 60 à des paiements faits à un tiers. En d'autres termes, est-ce que le bénéficiaire du paiement, qui est réputé être l'ancienne conjointe de l'appelant dans ce cas-ci en vertu du paragraphe 60.1(1), pouvait utiliser à sa discrétion les montants payés au créancier hypothécaire?

[30]             La thèse de l'intimée est que ces paiements ont été effectués en raison du paragraphe 3 de l'ordonnance en cause et non en raison de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Que ce soit des paiements au profit de l'ancienne conjointe de l'appelant ou au profit des enfants issus du mariage n'aurait pas d'importance selon l'intimée. Je ne suis toutefois pas d'accord pour dire que l'analyse s'arrête là si ce sont des paiements au profit de l'ancienne conjointe de l'appelant en l'espèce, ce qui semble clairement être le cas d'après les documents qui ont été présentés (des paiements hypothécaires sur un bien dont l'ancienne conjointe de l'appelant est propriétaire sont effectués par l'appelant au profit de son ancienne conjointe). Dans un tel cas, l'analyse se poursuit. En fait, comme ceci a été reconnu au début, notre cour a conclu que des paiements à un tiers peuvent être déduits en vertu de l'article 60 lorsque les faits, distincts de ce qu'il en était dans l'affaire Armstrong, indiquent que les parties entendaient que ces paiements soient faits au profit d'un bénéficiaire « réputé » . L'ancienne conjointe de l'appelant en l'espèce a clairement accepté d'exercer son pouvoir discrétionnaire quant à l'utilisation des paiements en consentant à ce que ceux-ci soient faits directement au tiers. La question de savoir si ce consentement est donné un paiement à la fois ou s'il est donné à l'égard d'une série de paiements à venir n'importe pas à mon avis. Ce consentement peut être donné dans un accord, induit des circonstances ou d'un consentement à une ordonnance prescrivant ce paiement à un tiers.

[31]             Selon des jugements postérieurs à l'arrêt Armstrong, il doit également y avoir une intention claire que le consentement ou l'accord soit donné en tenant compte du fait que la partie au profit de laquelle est effectué le paiement comprend bien les conséquences d'un tel exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Cela inclut une intention claire et une compréhension claire quant aux conséquences du point de vue de l'impôt sur le revenu. Il s'agit de questions de preuve, et il n'y a pas de refuge automatique ici pour ce qui est de déductions de paiement à un tiers selon l'article 60. Les critères à respecter pour que soient admis des paiements à un tiers selon une telle disposition comportent de grandes exigences en matière de preuve.

[32]             Comme je l'ai mentionné au début, je trouve regrettable en l'espèce que l'appelant m'ait demandé d'appliquer ces jugements postérieurs à l'arrêt Armstrong dans une affaire où je n'ai pratiquement aucune preuve de première main. Cependant, les inférences que je pouvais tirer des documents et que j'en ai effectivement tirées sont suffisamment fortes pour permettre d'aborder la question de l'intention et de la compréhension. Je vais donc maintenant examiner les façons dont la Cour canadienne de l'impôt a abordé l'application de l'article 60 dans ces circonstances. Je pense que l'on peut diviser cela en deux approches. Toutefois, les critères que j'ai mentionnés sont semblables dans le cas des deux approches.

[33]             Dans l'affaire Moore c. Canada, [1998] A.C.I. no 148, le juge Rip traitait d'une ordonnance rendue conformément au consentement des parties et il a conclu que l'intention des parties était claire et que les paiements étaient effectués au profit de la conjointe bénéficiaire visée; en outre, pour ce qui est de l'élément discrétionnaire, le juge Rip a dit au paragraphe 15 de ce jugement :

En adhérant à l'accord de séparation, Mme Moore a exercé son pouvoir discrétionnaire [...] quant à la manière dont les sommes devant lui être versées pouvaient être payées par l'auteur du paiement. Ainsi, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire quant à l'utilisation du montant. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire qu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire au moment où ce paiement est fait. Il suffit qu'elle l'ait exercé à l'avance, dans un accord conclu entre elle et l'appelant. On peut donc dire que l'appelant payait à Mme Moore une pension alimentaire ou une allocation au sens des alinéas 60b), c) ou c.1) lorsqu'il faisait des paiements en vertu de l'alinéa 2a) de l'accord de séparation.

[34]             Je suis d'accord quant à l'importance de cette conclusion. Conclure autrement signifierait qu'il faudrait que le pouvoir discrétionnaire s'applique à chaque paiement séparément. Le fait de dire « Je consens à ce que tu envoies le chèque de janvier directement à la société hypothécaire » devrait selon moi donner lieu au même résultat que le fait de dire « Je consens à ce que tu verses les six prochains chèques directement à la société hypothécaire » . Dans chacun des deux cas, il s'agit de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Il faut toutefois qu'il soit prouvé, comme je l'ai dit, que le bénéficiaire entendait, en consentant à cette série, exercer son pouvoir discrétionnaire à l'égard de tous les paiements. Et cela inclut la compréhension des conséquences fiscales. Ce sont à mon avis de difficiles questions de preuve.

[35]             Je fais maintenant référence à l'affaire Chute c. Canada, [1999] A.C.I. no 173, dans laquelle le juge Sarchuk a conclu, au paragraphe 7 :

[...] Je suis convaincu également que les paiements en litige dans le présent appel sont visés par l'alinéa 60b) car l'ancienne épouse de l'appelant a exercé sa discrétion quant à la façon dont l'argent devait être payé en consentant à l'ordonnance de 1994. Il est indiscutable que ces paiements à la fille ont été faits avec le consentement exprès de l'épouse et avec l'approbation de la Cour.

[36]             Dans l'affaire Upshaw c. Canada, [2000] A.C.I. no 468, le juge Hamlyn a conclu, au paragraphe 19 :

Comme en fait foi la lettre du 7 septembre 1993, l'ancienne conjointe de l'appelant a consenti à ce que l'appelant fasse des paiements à des tiers. Le jugement qui a été rendu par Mme le juge Bateman l'a été conformément à cette lettre indiquant que l'appelant et son ancienne conjointe étaient d'accord sur la méthode des paiements à des tiers et en reconnaissaient les conséquences fiscales.

Il poursuivait en disant, au paragraphe 21 :

De plus, je conclus que le consentement de la conjointe de l'appelant à l'ordonnance de paiement à des tiers et la reconnaissance des conséquences fiscales dans la lettre adressée au juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse indiquent que les paiements à des tiers pouvaient être utilisés à la discrétion de la conjointe de l'appelant. Les paiements sont donc des allocations, au sens du paragraphe 56(12) de la Loi, pouvant être utilisées à la discrétion de l'ancienne conjointe de l'appelant aux fins du paragraphe 60.1.

Bien que le juge Hamlyn renvoie à l'article 60.1, il semble qu'il aurait été suffisant de renvoyer à l'article 60, car c'est là qu'est l'exigence relative au pouvoir discrétionnaire, à moins qu'il soit réputé au paragraphe 60.1(2) qu'il est satisfait à cette exigence.

[37]             Comme je l'ai dit, l'approche que reflètent ces jugements qui sont postérieurs à l'arrêt Armstrong et qui admettent des déductions de paiement à un tiers en vertu de l'article 60 soulève de grandes exigences en matière de preuve quant à l'intention, et cela s'applique non seulement à une intention d'exercer le pouvoir discrétionnaire, concernant un paiement ou une série de paiements, mais aussi à une intention quant aux conséquences fiscales.

[38]             L'approche suivante adopte une analyse de la question de mandataire. Bien que cette approche soit différente d'un point de vue juridique, elle appliquerait les mêmes critères que ceux qui ont été énoncés précédemment. Le juge en chef adjoint Bowman, titre qu'il porte maintenant, a exposé l'approche fondée sur la question de mandataire dans l'affaire Hak c. Canada, [1998] A.C.I. no 921. Dans ce jugement, au paragraphe 17, le juge Bowman dit :

Il semble bien évident que Fazima Hak avait un pouvoir discrétionnaire à l'égard de la totalité de la somme de 1 000 $ et qu'elle a exercé ce pouvoir en faisant de son mari son mandataire pour qu'il paie pour elle certaines dépenses comme les frais de services publics et le loyer. Ce que Fazima Hak disait en fait à son mari c'est qu'il devait lui verser 1 000 $ par mois et qu'il pouvait satisfaire à une partie de cette obligation en payant pour elle certaines de ses factures.

[39]             Il est à noter que le juge Bowman estimait qu'il n'avait pas à se baser sur le paragraphe 60.1(1) en concluant que la conjointe était la bénéficiaire d'un paiement fait à un tiers. Il estimait qu'il était clair en droit que dans de tels cas la doctrine ou règle de droit relative à une recette « réputée » s'appliquerait et que, même sans le paragraphe 60.1(1), une recette « réputée » dans des cas comme celui-ci ferait que la bénéficiaire visée serait le bénéficiaire effectif aux fins de l'article 60.

[40]             Par conséquent, je ne trouve pas que l'un de ces jugements ou l'une ou l'autre de ces approches soit incompatible avec l'arrêt Armstrong. Dans cette affaire, il n'y avait pas de consentement; il n'y avait, sur la foi des faits, aucune indication claire quant à savoir ce que les parties entendaient réaliser en convenant d'une série de paiements à un tiers. Rien n'indiquait qu'il était probable que l'on avait compris les conséquences fiscales, et, me fondant là-dessus, je ne crois pas que l'arrêt Armstrong soit contraire aux jugements de la Cour canadienne de l'impôt que je viens de mentionner. Bien que l'arrêt Armstrong indique que, si les parties n'ont pas expressément fait référence au paragraphe 60.1(2), on peut en tirer une inférence négative, je n'irais pas jusqu'à dire qu'une telle inférence est obligatoire.

[41]             Cela conclut mon analyse, et quoique, je le répète, je n'apprécie guère comme juge des faits de ne pas avoir entendu le témoignage des parties, je suis d'avis que, sur la foi des documents que j'ai examinés, on ne peut dire que la clause fiscale contenue dans l'entente amiable de 1995 était destinée à être remplacée ou supplantée par l'ordonnance en cause.

[42]             Je crois que l'ordonnance en cause était destinée principalement, sinon exclusivement, à traiter d'un arriéré, ainsi que de la façon de répartir des paiements hypothécaires à un tiers entre des loyers et des paiements d'entretien. La preuve indique que l'ancienne conjointe a déclaré beaucoup plus comme revenu que ce qui a été admis comme déduction pour l'appelant, ce qui, je crois, reflète le fait que l'ancienne conjointe avait compris que son obligation en matière d'inclusion, même après l'ordonnance en cause, était basée sur l'engagement d'inclure les paiements d'entretien à un tiers selon l'accord initial, à sa discrétion. L'ordonnance en cause était une ordonnance sur consentement. Tout comme dans le cas de jugements de notre cour que j'ai cités, de telles ordonnances peuvent témoigner d'une intention d'utiliser un pouvoir discrétionnaire dans l'orientation de fonds vers des tiers.

[43]             En conséquence, j'admets les appels en partie. Je dis « en partie » parce que, comme je l'ai déjà décrit, il a été statué sur les appels par consentement en grande partie. Pour résumer où nous en sommes, je dirais que l'issue de l'appel est la suivante : l'appelant aura gain de cause pour 1995 de manière que soit admise pour cette année-là une déduction de paiement d'entretien de 6 893,23 $. L'appelant aura également gain de cause pour 1996 de manière que soit admise pour cette année-là une déduction du paiement d'entretien de 6 323,25 $, plus une déduction du paiement à un tiers de 545 $ de décembre 1996. En outre, pour 1997 et 1998, le montant de la déduction du paiement d'entretien est le montant admis dans la nouvelle cotisation pour ces années-là, plus les paiements à un tiers de 545 $ par mois effectués jusqu'à ce que le prêt hypothécaire soit complètement remboursé. Enfin, je répète que pour 1997, conformément à l'entente des avocats, l'appelant aura droit à une déduction supplémentaire de 614 $.

[44]             Il semble donc que l'appelant a gain de cause dans une proportion représentant plus de la moitié du montant de l'impôt, de sorte que je lui alloue des dépens conformément au tarif prévu dans les Règles.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mai 2003.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

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