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Référence : 2003CCI557

Date : 20030828

Dossier : 2002-4659(GST)G

ENTRE :

FRANÇOIS LAMBERT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement sur le banc le 24 juillet 2003 à Montréal (Québec)

et édités à Ottawa (Canada) le 28 août 2003)

La juge Lamarre Proulx

[1]          Cet appel porte sur une cotisation établie sous le régime de l'article 323de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ). Cette disposition de la Loi prévoit la responsabilité de l'administrateur d'une société dans le cas de défaut par cette société de verser la taxe nette.

[2]      La question en litige est de savoir si l'appelant a exercé la position d'administrateur de la Société sautage Expert Sautex Inc. (la « Société » ) et, si le cas échéant, au sens du paragraphe 323(1) de la Loi, il a exercé la diligence qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercée dans des circonstances comparables pour les périodes en litige se trouvant dans les années 1998 et 1999.

[3]      L'appelant et monsieur Yvon Boisselle ont témoigné pour la partie appelante. Personne n'a témoigné pour la partie intimée.

[4]      L'appelant, en 1985, à l'âge de 22 ans, a commencé à travailler pour l'entreprise de dynamitage de son oncle, monsieur Tansey. Il était apprenti et son salaire était de 20 000 $. En 1998, il était devenu directeur des opérations ou directeur de chantier et son salaire était passé à 70 000 $.

[5]      Il a expliqué que bien qu'il ait été secrétaire de la Société, il n'a jamais participé à la gestion financière de l'entreprise. C'était son oncle qui s'occupait de cet aspect. Ce n'était pas son champ de compétence. Ainsi, il ne s'y connaît pas en ordinateur. De plus, il n'a pas participé avec son oncle à la gestion corporative de la Société. Ainsi, il ne participait pas aux réunions du conseil d'administration et il n'a pas signé les résolutions. Il n'avait pas le pouvoir de signer les chèques. Il n'avait que le pouvoir de faire des dépôts bancaires. Il a signé des documents à titre de secrétaire de l'entreprise à la demande de son oncle.

[6]      Lors du contre-interrogatoire, plusieurs pièces ont été déposées. La pièce I-2 est une résolution de la Société en date du 10 mai 1990. L'appelant est devenu actionnaire de la Société à cette date. Il a reçu cinq actions de classe A. Selon cette résolution, l'appelant n'était pas présent ni même administrateur.

[7]      La pièce I-3 est une résolution de la Société en date du 1er février 1991. Cette résolution mentionne la démission d'un administrateur, monsieur René Massé, et l'élection à titre d'administrateur de l'appelant qui aurait été pressenti pour occuper le siège vacant et qui y aurait consenti. Cette résolution n'est pas signée.

[8]      La pièce I-4 est un procès-verbal d'une assemblée des administrateurs, en date du 1er février 1991, autorisant la vente des actions détenues dans la société Les explosifs Richelieu (1988) Inc. La présence de monsieur Lambert y est mentionnée parmi les trois personnes présentes. Le document n'est signé que par monsieur Tansey.

[9]      La pièce I-5 est composée des déclarations annuelles de la Société de 1995 à 1999 à l'Inspecteur général des institutions financières. Parmi les administrateurs se trouve le nom de l'appelant, à titre de secrétaire du conseil d'administration. L'appelant n'a signé aucun de ces documents.

[10]     La pièce I-6 est un document bancaire. Il s'agit d'une résolution bancaire générale en date du 29 octobre 1999. Les signataires des chèques seront Douglas Tansey « et » Yvon Boisselle ou André Létourneau. Il y a aussi une attestation des dirigeants et des administrateurs. Les dirigeants nommés sont monsieur Tansey, monsieur Roy et l'appelant. Les mêmes personnes sont mentionnées comme administrateurs de la Société. Le président et le secrétaire, soit l'appelant, ont signé cette attestation. Les deux mêmes personnes ont signé le règlement d'emprunt.

[11]     La pièce I-7 est un contrat de vente des foreuses en date du 26 janvier 2000. Accompagnant ce contrat de vente se trouve la résolution de la Société autorisant monsieur Tansey à vendre. La certification de la résolution est signée par l'appelant, à titre de secrétaire de la Société.

[12]     La pièce I-8 est un document d'achat de véhicules automobiles par contrat de vente à tempérament. L'appelant a signé la résolution d'autorisation d'acquisition des véhicules automobiles à titre de secrétaire de la Société.

[13]     Monsieur Yvon Boisselle a témoigné à la demande de la partie appelante. Il a relaté qu'il a agi à titre de comptable externe de la Société depuis 1988 jusqu'à la fin. Il a expliqué les débuts de l'entreprise. Monsieur Tansey travaillait pour Dupont Canada. Quand cette entreprise s'est départie de sa section d'explosifs, monsieur Tansey et un associé, monsieur Gilles Lalonde, l'ont acquise. C'était au début une entreprise plutôt rentable. Mais, monsieur Tansey retirait beaucoup d'argent de la Société et en 1999, il y a eu une conjoncture de circonstances qui a rendu l'exploitation difficile. Il y a eu une baisse de prix et en même temps, une acquisition coûteuse, soit celle des foreuses. Ces foreuses acquises en 1998 et 1999 ont été revendues en 2000, mais la Société n'a pas pu reprendre une vie profitable.

[14]     Monsieur Boisselle a expliqué que monsieur Tansey était une personne qui opérait tout seul. L'appelant n'était pas impliqué dans la gestion financière de la Société. Il ne voyait pas les déclarations de revenu de la Société. Seul, monsieur Tansey, gérait les finances de cette dernière.

Analyse et conclusion

[15]     Les documents produits comme pièces par l'avocat de l'intimée pourraient porter à croire que l'appelant a agi comme administrateur. Mais le témoignage de monsieur Boisselle a été déterminant en ce qu'il a confirmé la situation plausible décrite par l'appelant, à l'effet qu'il n'avait pas eu d'implication dans la gestion financière de l'entreprise.

[16]     Ainsi que l'énonce la Cour d'appel fédérale dans la décision Soper c. Canada, 1998 1 F.C. 124, la question de savoir si un administrateur a satisfait à la norme de prudence est une question de fait qu'il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de ce dernier.

[17]     Il faut donc considérer les connaissances personnelles et l'expérience de l'appelant. Il était le neveu de monsieur Tansey. Il a commencé à travailler à l'âge de 22 ans pour cette entreprise à titre d'apprenti. Son oncle avait alors le rôle de dirigeant en chef. Ce rôle, selon la preuve présentée, n'a jamais été véritablement modifié. L'appelant n'a jamais eu sa propre entreprise. Son rôle a été limité aux opérations de l'entreprise de la Société.

[18]     L'avocat de l'intimée s'est référé à la décision du juge Margeson de cette Cour dans l'affaire Penney et al c. La Reine, 2000 GTC 674. Dans cette affaire, le juge Margeson était convaincu que l'administratrice en cause avait agi par aveuglement volontaire et qu'il ne peut s'agir d'une défense de diligence raisonnable. Je suis d'accord avec cette vue mais les circonstances de l'affaire Penney sont différentes de celles en l'espèce. Dans cette affaire, le juge Margeson avait trouvé que l'appelante connaissait la gestion financière d'une entreprise. Elle s'occupait de la gestion complète d'une clinique. De plus, elle avait été pendant 20 ans membre du conseil d'administration d'une organisation charitable. Ce qui n'est pas le cas de l'appelant selon la preuve présentée. Il n'a jamais eu d'expérience dans la gestion financière d'une entreprise.

[19]     Je reviens à la décision Soper (supra) à la page 142 : « L'administrateur n'est pas tenu de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, un degré d'habileté supérieur à celui qu'on pourrait raisonnablement attendre d'une personne ayant ses connaissances et son expérience. ... »

[20]     À l'instar de la décision du juge Bowman dans l'affaire Emilio Dirienzo c. La Reine, [2000] A.C.I. no 287 (Q.L.) (décision à laquelle s'est référé l'avocat de l'appelant), je suis d'avis qu'il s'agit d'une affaire semblable à celle décidée par le juge Mogan de cette Cour dans Fitzgerald et al. c. La Reine, 2000 A.C.I. no 917 (Q.L.). Il s'agit d'entreprises de famille où la génération plus jeune n'a guère à dire dans la gestion financière de l'entreprise.

[21]     En conclusion, je suis d'avis d'une part que la preuve n'a pas révélé avec certitude que l'appelant était un véritable administrateur de l'entreprise. D'autre part, même s'il l'avait été, il a agi comme une autre personne raisonnablement prudente aurait agi, compte tenu de ses connaissances personnelles et de son expérience. En effet, selon la prépondérance de la preuve, l'appelant n'avait pas acquis d'expérience dans le domaine des affaires relatives à la gestion financière et son rôle, dans une société gérée par un oncle qui n'entendait pas partager la gestion de ses affaires avec quiconque, était cantonné dans les opérations de l'entreprise.

[22]     L'appel est en conséquence accordé avec dépens en faveur de l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'août 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :

2003CCI557

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4659(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

François Lambert et Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 22 juillet 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 5 août 2003

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 24 juillet 2003

MOTIFS ÉDITÉS DU JUGEMENT :

le 28 août 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me J.L. Marc Boivin

Pour l'intimée :

Me Denis Emond

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me J.L. Marc Boivin

Étude :

J.L. Marc Boivin, Avocat

Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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