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Dossier : 2002-1233(EI)

ENTRE :

CHRISTIAN LEBEL,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 25 août 2003 à Trois-Rivières (Québec)

Devant : L'honorable J.F. Somers, juge suppléant

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Stéphan Charles-Grenon

Avocat de l'intimé :

Me Sébastien Gagné

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), ce 17e jour d'octobre 2003.

« J.F. Somers »

Juge suppléant Somers


Référence : 2003CCI693

Date : 20031017

Dossier : 2002-1233(EI)

ENTRE :

CHRISTIAN LEBEL,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Somers

[1]      Cet appel a été entendu à Trois-Rivières (Québec), le 25 août 2003.

[2]      L'appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) selon laquelle l'emploi exercé au cours de la période en litige, soit du 1er août 2000 au 13 juillet 2001 auprès de Groupe Captel Inc., le payeur, était assurable parce que cet emploi rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services; il y avait une relation employeur-employé entre lui et le payeur.

[3]      Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) se lit en partie comme suit :

Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[4]      Le fardeau de la preuve incombe à l'appelant. Ce dernier se doit d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[5]      En rendant sa décision, le Ministre, s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises ou niées par l'appelant :

a)          le payeur exploitait une entreprise de service et d'installation d'équipements en télécommunication; (admis)

b)          le payeur faisait affaires sous la raison sociale de Servitel; (nié)

c)          les clients du payeur étaient Rogers, AT & T, Cantel, Hydro-Québec; (nié)

d)          le payeur embauchait de 60 à 80 employés par année; (nié)

e)          l'appelant est un technicien en électronique et en télécommunication; (nié)

f)           l'appelant était un employé salarié du payeur depuis 1994; (admis)

g)          en août 2000, l'appelant a demandé au payeur d'être considéré comme travailleur autonome; (nié)

h)          les tâches de l'appelant consistaient à installer ou à réparer des équipements électroniques en chantier et à l'occasion en atelier; (nié)

i)           durant la période en litige, l'appelant ne rendait des services qu'au payeur; (nié)

j)           l'appelant n'a pas enregistré de raison sociale; (nié)

k)          l'appelant ne fait pas partie d'aucun organisme professionnel; (admis)

l)           les clients étaient les clients du payeur; (nié)

m)         l'appelant était contacté par le payeur et l'appelant établissait une soumission pour les travaux à effectuer; (nié)

n)          l'appelant effectuait le même genre de travail que les techniciens salariés du payeur; (nié)

o)          l'appelant avait un horaire de travail qui était le même que les autres techniciens du payeur; (nié)

p)          l'appelant ne pouvait pas s'absenter sans avertir le payeur; (nié)

q)          le payeur fixait à l'appelant les délais à respecter; (nié)

r)           l'appelant devait remettre des rapports techniques au payeur; (nié)

s)          le travail de l'appelant était vérifié par l'ingénieur du payeur ou par les techniciens d'essai du payeur ou par les clients du payeur; (nié)

t)           l'appelant ne pouvait pas faire exécuter son travail par quelqu'un d'autre sans l'approbation du payeur; (nié)

u)          si l'appelant avait besoin d'aide, c'est le payeur qui en assumait les coûts en lui fournissant son propre personnel de technicien; (nié)

v)          l'appelant facturait le payeur selon un taux horaire; (nié)

w)         l'appelant utilisait pour ses déplacements les véhicules du payeur et à l'occasion son propre véhicule; (nié)

x)          l'appelant se faisait rembourser par le payeur ses frais de déplacement pour le logement, les repas et le kilométrage lorsqu'il utilisait son véhicule; (nié)

y)          l'appelant utilisait son coffre d'outils; (admis)

z)          tout le matériel, fils, connections, composantes était fourni par le payeur; (nié)

aa)        les équipements de test utilisés par l'appelant appartenaient au payeur; (nié)

bb)        le travail de l'appelant faisait partie intégrante des activités du payeur. (nié)

[6]      Le payeur exploitait une entreprise de service et d'installation d'équipement en télécommunication, faisait affaires sous la raison sociale « Servitel » et employait de 60 à 80 employés par année.

[7]      Les clients du payeur étaient Rogers, AT & T, Cantel et Hydro-Québec.

[8]      L'appelant a témoigné qu'il était un technicien en électronique et en télécommunication en plus d'être ingénieur et électricien licencié.

[9]      L'appelant a admis qu'il était salarié chez le payeur de 1994 à 1998. L'appelant a avisé le payeur de ses intentions de devenir travailleur autonome. Cependant il a continué à faire des travaux pour les clients du payeur. Tel qu'en fait foi une lettre de Jean-Pierre Séguin, Directeur Ingénierie et Estimation, en date du 23 avril 2002 déposée sous la cote A-1 (cahier des pièces de l'appelant), le payeur a consenti à cet arrangement.

[10]     De 1994 à 1998, l'appelant en tant que salarié recevait un taux horaire de 12,00 $ à 14,35 $. L'appelant a expliqué que pendant la période en litige il facturait le payeur, pour le travail accompli à un taux horaire de 35,00 $ lorsqu'il travaillait sur les chantiers et 23,00 $ lorsqu'en atelier.

[11]     Il a ajouté qu'il devait assumer ses propres dépenses, soit les frais d'entretien de son propre véhicule. Le territoire qu'il desservait était le Québec, la Nouvelle-Écosse, la Baie James et les États-Unis.

[12]     Ses tâches consistaient à installer ou à réparer les équipements électroniques sur les chantiers et, à l'occasion, en atelier : 90 % de son travail était exécuté sur les chantiers et 10 % en atelier.

[13]     L'appelant a expliqué que pendant la période en litige, alors qu'il rendait des services au payeur, il était à la recherche de clients. Il a déposé en preuve sous la cote A-1 une liste de clients potentiels qu'il avait sollicités de 1998 à 2001, dont Hydro-Québec qui a accusé réception, par lettre en date du 1er mai 2000, de son formulaire d'inscription en tant que fournisseur potentiel.

[14]     Il a mentionné qu'il a travaillé à raison de 50 % de son temps pour le payeur pendant la période en litige alors qu'avant 1998, à titre de salarié chez le payeur il a dévoué 100 % de son temps.

[15]     L'appelant a enregistré sa raison sociale seulement le 1er octobre 2001 tel qu'il appert à la pièce A-2. Il a obtenu son certificat d'inscription relatif à la TVQ le 12 novembre 1998.

[16]     L'appelant détenait une police d'assurance qui avait été émise le 18 août 1998 et laquelle, à sa demande, a été annulée le 17 septembre 2001. Cependant pendant la période en litige il était couvert par l'assurance-responsabilité du payeur.

[17]     Avant 1998, il utilisait un véhicule du payeur, mais par la suite il utilisait son propre véhicule aux fins de son travail et devait en assumer les frais d'entretien.

[18]     L'appelant s'est procuré un ordinateur, un cellulaire, un télécopieur, une ligne de fax et trois lignes de téléphone; cet équipement était installé dans une pièce à son domicile.

[19]     Pendant la période en litige, le travail se faisait chez les clients du payeur, soit Rogers, AT & T, Cantel et Hydro-Québec.

[20]     Selon l'appelant, il a téléphoné souvent à Jean-Pierre Séguin au bureau du payeur pour obtenir des contrats et lui envoyait des soumissions pour des travaux à effectuer.

[21]     L'appelant a expliqué qu'avant 1998 il était un technicien d'essai mais que pendant la période en litige il est devenu technicien.

[22]     Selon l'appelant, il n'avait pas d'horaire fixe de travail chez le payeur pendant la période en litige et il ne participait pas à un travail d'équipe. Il a ajouté qu'il pouvait s'absenter selon ses désirs.

[23]     L'appelant a nié qu'il avait des délais à respecter sauf ceux imposés par les clients du payeur.

[24]     L'appelant faisait des rapports techniques aux clients et au payeur mais ceux-ci ne faisait pas partie intrinsèque de son travail. Il a ajouté que son travail n'était pas surveillé. De plus, s'il devait reprendre certains travaux, il le faisait à ses frais.

[25]     L'appelant a admis qu'il n'a jamais engagé quelqu'un pour faire son travail et à cet effet il se réfère aux paragraphes 7 et 9 de la lettre en date du 23 avril 2002 de Jean-Pierre Séguin confirmant que l'appelant a toujours effectué tous les travaux selon les plans et devis et qu'il ne s'est jamais absenté ni fait remplacer. De plus, selon cette lettre, l'appelant n'a jamais eu recours aux services des ingénieurs du payeur.

[26]     L'appelant a expliqué qu'il n'a pas utilisé l'aide des employés du payeur. Jean-Pierre Séguin dans sa lettre du 23 avril 2002 a écrit ceci :

Je n'ai jamais fourni à Christian Lebel la possibilité d'utiliser de nos employés pour l'aider à effectuer des travaux établis par contrats. J'ai cependant déjà utilisé ses services pour effectuer du travail à l'heure en collaboration avec nos propres employés.

[27]     L'appelant a affirmé que 70 % du travail a été exécuté à forfait (voir les lettres adressées au payeur en date des 15 et 17 novembre 2001 - pièce A-1). Le reste du temps le payeur était facturé par des bons de commande et sur ces factures (pièce A-1) des montants pour la TPS et la TVQ y sont indiqués.

[28]     L'appelant assumait ses frais d'hébergement qui étaient inclus dans son forfait et il a donné à titre d'exemple les factures 0102B et 0103 en date du 20 février et du 5 mars 2001 déposées sous la pièce A-1, mais lorsqu'il y avait un travail complexe et pour une période non définie, la location du camion et les dépenses y associées (carburant, assurances etc.) étaient en sus.

[29]     L'appelant a admis qu'il possédait son coffre d'outils mais que le payeur fournissait le matériel et l'équipement spécialisé dont la valeur est considérable.

[30]     En contre-interrogatoire, l'appelant a affirmé ne pas avoir refusé de contrat du payeur qui était son seul client pendant la période en litige. Il a ajouté qu'il a fait des efforts pour obtenir d'autres contrats et d'autres clients.

[31]     L'appelant a admis qu'il n'a pas enregistré de raison sociale avant le 1er octobre 2001, soit après la période en litige.

[32]     Pendant la période en litige, l'appelant avait une assurance pour blessures personnelles mais était couvert par une assurance-responsabilité payée par le payeur.

[33]     L'appelant a admis en contre-interrogatoire qu'il faisait parfois du travail en équipe; donc il travaillait à un taux horaire. Il a admis qu'il faisait des rapports au payeur.

[34]     Selon la facture 0102B datée du 20 février 2001 le matériel et le véhicule étaient fournis par le payeur. Il a expliqué qu'il a fait du co-voiturage car le chantier était situé à Chibougamau (Québec).

[35]     L'appelant était le seul témoin pour la partie appelante.

[36]     Monsieur Jean-Pierre Couture, vice-président des finances chez le payeur, était le témoin de l'intimé. Ce témoin est un employé du payeur depuis 21 ans.

[37]     Selon ce témoin, l'appelant était un technicien d'essai chez le payeur avant 1998 et à partir d'août 1998, il est devenu technicien d'installation et à ce titre, il faisait le filage et les réparations électroniques.

[38]     Il a affirmé que 90 % du travail se faisait sur les chantiers et que le taux horaire était établi par le client.

[39]     Tenant compte de sa disponibilité, l'appelant avait le même horaire de travail que les autres employés.

[40]     Les outils spécialisés dispendieux étaient la propriété du payeur. Les matériaux, soit le câblage, les fils électroniques, etc. étaient fournis par le payeur ainsi que les véhicules. Cependant quand l'appelant se servait de son véhicule, il facturait le payeur au kilométrage. De plus, l'appelant facturait le payeur pour l'hébergement.

[41]     L'appelant facturait le payeur à tous les mois soit à un taux horaire ou à forfait; il était donc payé à tous les mois.

[42]     L'appelant devait aviser le payeur s'il devait s'absenter et dans ce cas il était remplacé pour un employé du payeur.

[43]     En contre-interrogatoire, monsieur Couture a admis qu'il n'a pas négocié les conditions de travail avec l'appelant, ce qui était la responsabilité de monsieur Séguin.

[44]     Il a admis que sa responsabilité chez le payeur était aux finances et non à la surveillance des employés.

[45]     Ce témoin a admis que si l'appelant devait reprendre des travaux il le faisait à ses frais. L'appelant pouvait offrir ses services à d'autres clients et avait le loisir de refuser des contrats avec le payeur.

[46]     Le taux horaire des techniciens du payeur était 20 $ l'heure et le payeur payait les cotisations à la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) ainsi que d'autres frais.

[47]     L'appelant facturait le payeur à un taux horaire de 35 $ et le payeur ne payait pas les cotisations à la CSST. Cependant la police d'assurance-responsabilité du payeur couvrait l'appelant. L'appelant n'était pas payé pour le temps supplémentaire sauf, peut-être, à une occasion.

[48]     Pendant la période en litige, il y a eu cinq factures selon un taux horaire et sept à forfait.

[49]     Le procureur de l'appelant a envoyé au soussigné une lettre en date du 28 août 2003, soit après que la preuve eut été close, par laquelle il désirait compléter le témoignage de l'appelant quant à son salaire, soit ses revenus et retenues pour la période finissant le 27 juin 1998.

[50]     Le procureur de l'intimé s'est objecté à la réouverture de l'enquête par la présentation de ce document. L'objection est maintenue car l'appelant a eu amplement l'opportunité de présenter cette preuve à l'audition de cette cause.

[51]     Monsieur Jean Vézina, agent des appels depuis 1985, a témoigné dans cette cause et a déposé son rapport en date du 28 janvier 2002 sous la cote I-1.

[52]     Son enquête a consisté en des conversations téléphoniques avec l'appelant le 23 octobre 2001 et le 7 janvier 2002 et Jean-Pierre Couture, vice-président des finances du payeur, le 30 novembre 2001 et le 14 janvier 2002.

[53]     Ce témoin a souligné au paragraphe 5 de son rapport :

L'appelant devait faire une soumission au payeur avant de travailler pour les clients du payeur, il avait l'opportunité de refuser un travail. Tout le travail exécuté par l'appelant était pour les clients du groupe Captel. Ceux-ci pouvaient vérifier le travail de l'appelant en cours d'exécution, et ils fixaient les délais et échéanciers à rencontrer.

[54]     À la page 5 de son rapport sous la rubrique « Note importante » , il a écrit :

Il est à remarquer que l'appelant n'a aucunement changé sa description de tâches, il n'a que voulu changer son statut de travail. De plus, nous avons constaté plusieurs contradictions apportées par les parties concernant les faits suivants notamment :

- la description des tâches de l'appelant,

- l'horaire de travail,

- la disponibilité,

- la supervision des travaux exécutés,

- l'équipement utilisé,

- l'ajout d'aide au travail,

- l'avis d'absence au travail.

[55]     Afin de bien distinguer le contrat de louage de services du contrat d'entreprise, il faut examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties. Une jurisprudence constante reconnaît quatre éléments de base pour faire cette distinction : a) le degré ou l'absence de contrôle exercé par l'employeur; b) la propriété des outils; c) les chances de bénéfice et les risques de perte; et d) l'intégration du travail de l'employé dans l'entreprise du payeur (voir l'arrêt Wiebe Door Services c. M.R.N., [1986] 3 F.C. 553).

[56]     L'appelant a travaillé pour le payeur en tant que salarié de 1994 à 1997 et, en 1998, l'appelant a voulu établir sa propre entreprise et être considéré comme travailleur autonome. Le payeur, par l'entremise de Jean-Pierre Séguin, a consenti à ce que l'appelant oeuvre à titre de travailleur autonome, tel qu'en fait foi la lettre en date du 23 avril 2002 (pièce A-1) et celle-ci confirme l'entente verbale intervenue entre les parties pour la période ultérieure à l'année 1998, incluant la période en litige.

[57]     La preuve a révélé que l'appelant a travaillé exclusivement pour le payeur pendant la période en litige.

[58]     Dans la cause Katherine Rudzik et M.R.N. (dossier 97-532(UI)), le juge O'Connor de cette Cour s'est référé à l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 et en a cité le passage suivant :

            Comme M. Bendel l'a souligné [professeur Michael Bendel dans The dependent contractor: An unnecessary and flawed development in Canadian labour law (1982), 32 U.T.L.J. 374) le critère d'organisation est maintenant [Traduction] « bien accepté au Canada » . Dans l'extrait suivant, il en explique l'intérêt ...

[Traduction]

...D'après la Commission, il est bien évident qu'une entreprise ne peut prospérer si sa croissance est totalement liée aux opérations d'un certain client. L'indépendance de l'entrepreneur est le facteur principal qui permet de le distinguer de l'employé... Dans les cas où le soutien financier du chauffeur est inextricablement lié aux activités de l'intimé, nous croyons qu'il ne peut être considéré comme un entrepreneur indépendant.

En analysant l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties, le Juge O'Connor a conclu, dans la cause précitée, que l'appelante était engagée en vertu d'un contrat d'entreprise.

[59]     Donc, le fait que l'appelant, dans la cause sous étude, a travaillé exclusivement pour le payeur pendant la période en litige n'est pas un facteur déterminant. Il faut donc analyser les quatre critères énoncés plus haut.

Le contrôle

[60]     Dans la cause Vulcain Alarme Inc. c. M.R.N. (dossier A-376-98), la Cour d'appel fédérale s'est exprimée en ces termes :

            À notre avis, toutes ces données factuelles sont aussi compatibles avec un contrat d'entreprise. Un entrepreneur par exemple qui travaille en sous-traitance sur un chantier ne dessert pas ses clients, mais ceux du payeur, i.e., l'entrepreneur général qui a retenu ses services. Le fait que M. Blouin ait dû se présenter chez la demanderesse une fois par mois pour prendre ses feuilles de service et ainsi connaître la liste des clients à servir et, conséquemment, le lieu d'exécution de la prestation de ses services n'en fait pas pour autant un employé. L'entrepreneur qui exécute des tâches pour une entreprise, tout comme l'employé dans un contrat de travail, doit connaître les lieux où ses services sont requis et leur fréquence. La priorité d'exécution des travaux requise d'un travailleur n'est pas l'apanage d'un contrat de travail. Les entrepreneurs ou sous-entrepreneurs sont aussi souvent sollicités par divers clients influents qui les forcent à établir des priorités quant à leur prestation de services ou à se conformer à celles qu'ils dictent.

[...]

            Ce n'est pas de contrôler un travail que de fixer la valeur de la rémunération ou de définir le but recherché. Le contrat d'entreprise comporte ces éléments aussi bien que le contrat de louage de services. À plus forte raison, le contrôle ne réside pas dans l'acte de paiement, que ce soit par chèque ou autrement.

            Il en va de même bien entendu du remboursement des dépenses et du système inévitable de facturation qui s'y greffe.

            Dans le cas présent, la preuve ne révèle pas que la demanderesse contrôlait M. Blouin en lui donnant des ordres et des instructions quant à la manière d'accomplir son travail. Au contraire, ce dernier était totalement maître de la façon dont il pouvait fournir ses services, sauf qu'il devait les rendre dans les 30 jours. Personne ne lui imposait de contrôle ou n'exerçait de supervision sur sa prestation de services et M. Blouin fixait son propre horaire. ...

[61]     Dans la cause sous étude, l'appelant a fixé deux taux horaires, soit 35 $ sur les chantiers et 23 $ en atelier et ces taux ont été acceptés par le payeur.

[62]     L'appelant devait subséquemment soumettre un rapport démontrant les heures travaillées et le taux convenu. L'appelant ajoutait à sa facture un montant pour la TPS et la TVQ, ainsi que ses frais de voyage, soit le kilométrage et les frais d'hébergement.

[63]     L'appelant a témoigné qu'il n'était pas supervisé par l'ingénieur du payeur contrairement au témoignage de Jean-Pierre Couture. Il est à noter que Jean-Pierre Couture était le vice-président de l'entreprise et n'allait pas sur les chantiers; donc l'affirmation de l'appelant sur ce point doit être acceptée, l'appelant étant un témoin crédible.

[64]     Jean-Pierre Séguin, dans une lettre en date du 23 avril 2002, a écrit ce qui suit au paragraphe 9 :

À titre de travailleur autonome, Christian Lebel n'a pas demandé ni recouru aux services de nos ingénieurs. Cela n'était pas requis car il exécutait tout simplement du travail d'installation d'équipements selon les devis fournis.

[65]     L'appelant donnait ses disponibilités au payeur; il travaillait parfois seul et parfois en équipe. Si l'appelant s'absentait il devait en aviser le payeur et ce dernier trouvait un remplaçant mais, selon la lettre de Jean-Pierre Séguin, cette situation ne s'est jamais présentée.

[66]     Quant à l'horaire de travail de l'appelant, Jean-Pierre Séguin a écrit ceci dans ladite lettre du 23 avril 2002 :

Christian Lebel comme tout sous-contractant, était sujet à un échéancier mais à aucun horaire de travail établi par nous. Il devait cependant se conformer aux conditions de l'entente prise entre nous et notre client (travaux de nuit à l'occasion).

[67]     D'après la jurisprudence, le degré de contrôle exercé sur le travailleur est un élément important pour déterminer la nature du contrat de travail conclu entre les parties. Selon la preuve, la Cour ne peut conclure que le payeur exerçait un contrôle sur le travail de l'appelant.

b)       la propriété des outils

[68]     Dans la cause Vulcain Alarme Inc. c. M.R.N. (dossier A-376-98), la Cour d'appel fédérale s'est exprimé ainsi :

            Reste la question de l'appareil spécial de détection fourni par la demanderesse. Deux remarques s'imposent à cet égard. Tout d'abord, cet appareil spécial n'est pas disponible sur le marché et M. Blouin ne peut se le procurer. Deuxièmement, compte tenu de l'élément « sécurité » en cause et du fait que la demanderesse engage sa responsabilité en cas de défaillance, celle-ci désirait exercer un contrôle strict sur l'appareil spécial de détection pour en assurer la fiabilité ainsi que pour respecter les normes réglementaires auxquelles elle était soumise. Dans un tel contexte, il n'y a certes rien d'exhorbitant pour la demanderesse d'exiger dans ses contrats d'entreprise que les entrepreneurs dont elle retient les services se servent d'un instrument spécialisé qu'elle leur fournit. Cette seule spécification ou exigence de la demanderesse n'a pas pour effet de transformer un contrat d'entreprise en un contrat de travail. Sur ce point, nous faisons nôtres les propos suivants de notre collègue, le juge Décary, dans l'affaire Charbonneau c. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1996] F.C.J. No. 1337, p. 1, à la p. 2]

[Traduction] Il est rare qu'une personne confie des travaux et ne veille pas à ce que ces travaux soient exécutés conformément à ses spécifications et aux endroits convenus. Le contrôle du résultat des travaux ne doit pas être confondu avec le contrôle de l'ouvrier.

[69]     Dans la cause sous étude, l'appelant a témoigné qu'il avait un ordinateur, trois lignes téléphoniques, dont un cellulaire et une ligne d'affaires. Il possédait également un télécopieur et une ligne de téléphone pour celui-ci et un bureau à son domicile. Il possédait son coffre d'outils qu'il a acheté du payeur. Le payeur payait l'appelant pour les frais de kilométrage, les frais d'utilisation de son camion ainsi que pour les déplacements aux sites des travaux. Le payeur fournissait à l'appelant un équipement spécialisé d'une valeur de 70 000 $; le matériel était fourni par le payeur.

[70]     À la lumière de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Vulcain Alarme, précité, l'ensemble des faits relatifs à la propriété des outils et/ou équipement tendent à démontrer qu'il s'agissait plutôt d'un contrat d'entreprise que d'un contrat de louage de services.

c)        les changes de bénéfice et les risques de perte

[71]     L'appelant avait des contrats à forfait et d'autres à taux horaire. S'il commettait une erreur dans le calcul du prix forfaitaire, il assumait une perte ou réalisait un profit. Si l'appelant devait reprendre des travaux, il devait le faire à ses frais. De plus, l'appelant n'était pas rémunéré pour le temps supplémentaire; donc il pouvait subir une perte.

[72]     Dans ladite lettre du 23 avril 2002, Jean-Pierre Séguin s'est exprimé en ces termes :

Aucun des contrats à montant forfaitaire que nous avons conclu ensemble, n'a vu son prix être modifié suite à une diminution ou une augmentation imprévue des heures de travail nécessaires à la réalisation du contrat. Christian Lebel n'a jamais demandé ni obtenu aucun supplément d'argent pour réaliser les contrats obtenus de notre entreprise. Il n'y a jamais eu d'avenant aux contrats que nous avons conclus non plus.

[73]     Selon ces faits, l'appelant serait lié au payeur en vertu d'un contrat d'entreprise.

d)       l'intégration de l'employé dans l'entreprise de l'employeur

[74]     L'appelant et le payeur se sont entendus en 1999 que l'appelant deviendrait un travailleur autonome et en ce sens a obtenu, le 12 novembre 1998, un certificat d'inscription relatif à la taxe de vente du Québec. Sur les factures qu'il remettait au payeur, l'appelant ajoutait un montant pour la TPS et la TVQ et le payeur les acceptait. Le fait d'obtenir l'immatriculation d'une personne physique exploitant une entreprise individuelle seulement le 1er octobre 2001, ne peut affecter le caractère d'entreprise.

[75]     De plus, le fait d'avoir exécuté des contrats exclusivement pour le payeur durant la période en litige ne peut affecter le caractère de travailleur autonome. L'appelant a fait un effort dans le but d'établir une clientèle et cet effort démontre ses intentions de faire affaires avec d'autres clients que ceux du payeur. En vertu de ce critère, la Cour conclut que l'appelant était un travailleur autonome.

[76]     Tenant compte de la relation globale entretenue entre les parties, la Cour conclut que l'appelant et le payeur étaient liés par un contrat d'entreprise en vertu de la Loi.

[77]     L'appelant était un travailleur autonome alors qu'il exécutait des travaux pour le payeur pendant la période en litige.

[78]     L'appel est admis et la décision du Ministre est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'octobre 2003.

« J.F. Somers »

Juge suppléant Somers


RÉFÉRENCE :

2003CCI693

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-1233(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Christian Lebel et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 25 août 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge suppléant

J.F. Somers

DATE DU JUGEMENT :

Le 17 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Stéphan Charles-Grenon

Pour l'intimé :

Me Sébastien Gagné

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Stéphan Charles-Grenon

Étude :

Charles-Grenon et Dion

Shawinigan (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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