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Dossier : 2003‑142(EI)

ENTRE :

CHRIS LIEFFERTZ,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 23 juillet 2003 à Nanaimo (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

Comparutions

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocat de l’intimé :

Me Raj Grewal

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 3e jour d’octobre 2003.

 

 

 

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de mars 2004.

 

 

 

 

 

Liette Girard, traductrice


 

 

 

 

 

Référence : 2003CCI704

Date : 20031003

Dossier : 2003–142(EI)

ENTRE :

CHRIS LIEFFERTZ,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L’appelant interjette appel à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») datée du 17 octobre 2002 dans laquelle ce dernier a décidé que l’emploi que l’appelant, M. Lieffertz, occupait auprès de G Q Enterprises Ltd. (la payeuse ou Enterprises) du 14 mai 2001 au 11 octobre 2001 et du 29 octobre 2001 au 3 mai 2002, n’était pas un emploi assurable en vertu des dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») parce que l’appelant et la payeuse étaient liés et que le ministre n’était pas convaincu que le contrat de travail aurait été à peu près semblable si la payeuse et l’appelant n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[2]     Chris Lieffertz a indiqué dans son témoignage qu’il réside à Duncan, en Colombie‑Britannique, et qu’il occupe un emploi d’expert‑comptable. Il détient un Baccalauréat en commerce et a exercé sa profession de comptable entre 1987 et 1996, année pendant laquelle il a participé activement à des activités de promotion immobilière et a décidé de transférer sa pratique comptable chez Enterprises, une société possédée par son fils, Paul Lieffertz, détenant 61 p. 100 des actions et Dan Graca, une personne non liée, détenant 39 p. 100 des actions. L’appelant a déclaré qu’il souhaitait que son fils exploite l’entreprise et qu’il continue d’offrir des services aux clients de cette pratique comptable. L’appelant a indiqué que le projet immobilier a rencontré de nombreuses difficultés, ce qui l’a plus tard amené à faire une cession volontaire de ses biens le 29 janvier 1998, sa libération ayant été prononcée le 29 octobre 1998. En 1997, l’appelant a commencé à travailler comme comptable, pour Enterprises, en utilisant une surface de bureaux d’environ 400 pieds carrés dans un édifice qu’il possédait à Duncan. Il travaillait de 9 h à 17 h, du lundi au vendredi, et il recevait 750 $ par semaine, un montant fondé sur un taux horaire de 18,75 $. Il était payé toutes les deux semaines au moyen de chèques émis par Enterprises et signés par Paul Lieffertz. L’appelant n’avait pas un pouvoir de signature pour le compte de la coopérative de crédit d’Enterprises. M. Lieffertz a déclaré qu’Enterprises exploitait une entreprise fruitière et vendait au détail des produits pétroliers et gaziers, mais n’exploitait pas de restaurant comme l’a supposé le ministre. L’appelant a déclaré que son fils, Paul Lieffertz, avait fait du travail de la tenue de la comptabilité dans le passé, mais qu’il [TRADUCTION] « n’en raffolait pas ». En dehors de certains classeurs et autres fournitures de bureau, l’équipement utilisé dans le cadre de la pratique comptable consistait en un ordinateur, accompagné d’une imprimante, qui avait été acheté par Enterprises le 12 février 1996 au montant de 500 $ (voir la facture déposée sous la cote A‑1). M. Lieffertz a déclaré que les actionnaires d’Enterprises ne participaient à aucun aspect des services de tenue de livres et de comptabilité offerts par lui‑même aux clients de l’entreprise qui étaient, en majorité, ses anciens clients pour qui il avait travaillé durant la période de neuf ans au cours de laquelle il avait exercé sa propre profession de comptable. Cependant, l’appelant a déclaré que la pratique actuelle offre des services à seulement huit anciens clients principaux provenant du bassin de clients de 1996 et que la plupart du travail actuel était accompli pour de nouvelles personnes ou entités. Tout au long de la période pertinente et aujourd’hui, l’entreprise comptable est exploitée, par Enterprises, sous le nom de Cowichan Accounting, comme l’ont approuvé les administrateurs dans le résolution, pièce A‑2, datée du 1er février 1996. M. Lieffertz a déclaré qu’il établissait les taux, variant entre 25 $ et 50 $ l’heure, facturés aux clients selon la nature du travail effectué. Il préparait les factures et les soumettait aux clients et gérait par ailleurs toute l’entreprise de comptabilité, y compris la perception des comptes débiteurs. Se tournant vers la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse »), l’appelant a admis que les hypothèses contenues aux sous‑paragraphes 5a) à 5e), inclusivement, était correctes. Comme on l’a mentionné ci‑dessus, il considérait que la nature du bassin de clients était différente de ce qu’avait supposé le ministre au sous‑paragraphe 5f), mais il a accepté les hypothèses subséquentes établies aux sous‑paragraphes 5g) à 5j), inclusivement. Au sous‑paragraphe 5k), le ministre a supposé que le fils de l’appelant, Paul Lieffertz, avait exploité un restaurant par l’entremise de G Q Enterprises. L’appelant a déposé, sous la cote A‑3, un État des résultats des activités d’une entreprise, pour une entreprise exploitée par Paul Lieffertz personnellement sous le nom de Café Rusticana. L’appelant a reconnu qu’il établissait ses propres heures de travail qui étaient normales et conformes à celles de la collectivité commerciale locale. Il établissait les priorités de la pratique comptable et utilisait la méthode du « premier arrivé, premier servi » lorsqu’il offrait des services aux clients, sauf pour les services de la paie qui avaient préséance sur les autres travaux. M. Lieffertz ne souscrivait pas à l’hypothèse du ministre, au sous‑paragraphe 5o) de la Réponse, selon laquelle les clients de Cowichan Accounting étaient ses propres clients. À son avis, ils étaient toujours les clients d’Enterprises même s’il accomplissait le travail. Tout l’équipement nécessaire pour effectuer le travail était la propriété d’Enterprises, à l’exception d’un bureau et de chaises que possédait l’appelant. M. Lieffertz a déclaré qu’il n’avait pas le droit à des primes ni aux profits en vertu d’un arrangement quelconque de partage, et il nie qu’il ne faisait qu’exploiter sa propre entreprise comptable par l’entremise d’Enterprises. Le relevé d’emploi (RE), pièce A‑4, daté du 6 mai 2002 et se rapportant à la période du 29 octobre 2001 au 3 mai 2002, a été signé par Paul Lieffertz au nom d’Enterprises et attestait que l’appelant avait travaillé 1 080 heures assurables pour une rémunération assurable totale de 20 250 $. Le RE, pièce A‑5, couvrait la période antérieure, soit du 14 mai 2001 au 11 octobre 2001, durant laquelle l’appelant avait travaillé 121 heures assurables et gagné le montant de 2 268,25 $. M. Lieffertz a déclaré que durant la période du 14 mai 2001 au 11 octobre 2001, il a continué de s’occuper du travail relatif au livre de paie et que le bureau possédait un répondeur pour enregistrer les messages des personnes qui appelaient. L’appelant a déclaré qu’il travaillait environ quatre heures par semaine durant la période de ralentissement, mais, qu’à l’occasion, il devait effectuer du travail qui nécessitait une période supplémentaire. Il a déclaré qu’il n’avait pas été licencié entre le 11 octobre 2001 et le 29 octobre 2002, mais qu’il avait travaillé pendant toute cette période jusqu’au 3 mai 2002. Entre 1997 et 2000, l’appelant a reçu des prestations d’assurance‑emploi (a.-e.) pendant les périodes suivantes :

 

         Du 18 mai 1997 au 22 novembre 1997

         Du 24 mai 1998 au 21 novembre 1998

         Du 16 mai 1999 au 27 octobre 1999

         Du 14 mai 2000 au 21 octobre 2000

 

[3]     L’appelant a déclaré que la réception des prestations d’assurance‑emploi avait été retardée à une occasion pendant près de quatre mois lorsqu’un vérificateur de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) avait examiné les détails de la relation employeur‑employé existant entre Enterprises et lui‑même. En 2001 et en 2002, sa demande de prestations d’assurance‑emploi a été rejetée par le ministre, et l’appelant s’est dit incapable de déterminer l’existence d’une différence entre les circonstances de sa relation de travail durant ces années et les années précédentes qui lui avaient donné le droit de recevoir des prestations d’assurance‑emploi pendant ses périodes de chômage. Le 9 août 2002, il a écrit une lettre, pièce A‑6, à M. S. Ball, de l’ADRC, indiquant sa position quant à son emploi auprès d’Enterprises. Il a également obtenu un rapport sur un appel, pièce A‑7, contenant la recommandation de B. Smith, agent des appels, à l’égard de son emploi. L’appelant a déposé, sous la cote A‑8, un état des prestations émis par Développement des ressources humaines Canada (DRHC) le 27 septembre 2000. L’appelant a déclaré qu’il a rempli un questionnaire, pièce A‑9, tout comme Paul Lieffertz, pièce A‑10, au nom d’Enterprises. L’appelant a indiqué qu’il n’y avait pas de prêts liés ni d’intérêts économiques communs entre lui‑même et Enterprises, même si le revenu gagné par Cowichan Accounting, uniquement par ses efforts personnels, constituait l’entière source du revenu de société d’Enterprises durant la période pertinente. M. Lieffertz a déclaré qu’il ne croyait pas que c’était particulièrement inhabituel puisque son fils exploitait l’entreprise du café‑restaurant principalement grâce à des employés. Quant au rapport sur un appel, pièce A‑7, M. Lieffertz a déclaré qu’il souscrivait à la conclusion tirée par l’agent des appels sous les intitulés [TRADUCTION] « Rémunération » et « Durée », à la page 10 dudit rapport, où le ministre a accepté que le taux de paie était négocié et payé à temps à intervalles réguliers comme l’atteste l’examen des chèques oblitérés. Pour ce qui est de la durée de l’emploi, il a été accepté que les services de l’appelant étaient déterminés par les besoins des clients de la collectivité commerciale et qu’il était raisonnable de conclure qu’en raison de la nature des services, principalement la préparation de déclarations de revenus devant être produites à la fin d’avril de chaque année, ou vers cette date, l’emploi était saisonnier. Pour ce qui est de la catégorie contenue dans le rapport, intitulée [TRADUCTION] « Conditions », l’appelant a reconnu qu’il n’avait pas de pouvoir de signature, mais il n’a pas souscrit à la conclusion de B. Smith selon laquelle il avait le [TRADUCTION] « contrôle total » de tout ce qui relevait de l’exploitation de l’entreprise comptable au sens où il ne pouvait recevoir de paie sans avoir fourni ses services ni embaucher d’autres employés ou déposer des documents de société sans les instructions des administrateurs d’Enterprises. Il n’a pas souscrit à l’observation formulée par l’agent des appels selon laquelle [TRADUCTION] « son autonomie était étendue dans la mesure où il pouvait décider si elle devrait être licenciée ou non ». M. Lieffertz a reconnu qu’il tenait son fils au courant de la situation de l’entreprise et qu’il s’en remettait à lui lorsque le travail ralentissait au point où ses services à plein temps n’étaient plus requis. De plus, la situation du compte bancaire de Cowichan Accounting était connue de son fils et de M. Graca. Il a reconnu que Paul et M. Graca ne pouvaient contrôler son travail, puisqu’ils ne possédaient pas de qualités en comptabilité ni en préparation de déclarations de revenus. L’appelant a reconnu que les profits que récoltait Enterprises de Cowichan Accounting étaient, au mieux, minimes, mais il a fait remarquer qu’en 2002, l’entreprise aurait pu avoir produit un profit de 13 000 $, si elle n’avait pas eu de créances irrécouvrables. En 2001, le revenu brut de Cowichan Accounting était de 36 000 $, mais ce montant a augmenté à plus de 50 000 $ en 2002, et l’appelant a déclaré qu’il s’attendait à ce que les profits bénéficient à Enterprises à la conclusion de l’exercice 2003. Même après la fin de la saison fiscale en avril 2003, l’appelant a travaillé de façon constante en mai et en juin, à l’exception d’une période de deux semaines, mais il s’attend à être licencié au plus tard à la fin de juillet puisque le travail diminue au point où ses services ne seront plus requis avant le début d’octobre. Un registre des heures travaillées, pièce A‑11, a été tenu, et il a été totalement rémunéré pour son travail. L’appelant a déposé, sous la cote A‑12, un document décrit comme les lignes directrices sur les liens de dépendance dans lequel des réponses affirmatives avaient été cochées par une personne, probablement de l’ADRC ou de DRHC, dans une case située à côté de certaines questions touchant la relation de travail. L’appelant a fait remarquer que dans chaque cas, la réponse appuyait sa position selon laquelle son emploi auprès d’Enterprises était sans lien de dépendance. Grâce à sa demande de documents relatifs à sa demande d’assurance‑emploi, l’appelant a obtenu un mémoire, pièce A‑13, visant le nombre d’heures assurables requises dans sa région avant qu’un travailleur puisse demander des prestations. L’appelant a parlé d’une lettre, pièce A‑14, datée du 11 octobre 2002, envoyée par Paul Lieffertz à un fonctionnaire de l’ADRC, dans laquelle on faisait référence aux jetons de présence, d’un montant de 2 000 $, qui lui ont été payés en 1998, 1999, et en 2000, comme le dévoilent les copies des chèques oblitérés.

 

[4]     En contre‑interrogatoire, l’appelant a déclaré qu’avant le 31 janvier 1996, il avait exploité Cowichan Accounting par l’entremise d’une société, Champion Games Inc., qui avait été créée pour commercialiser des jeux. M. Lieffertz a déclaré qu’il avait participé à une entreprise de promotion immobilière et était devenu tellement occupé qu’il avait transféré l’entreprise de comptabilité à Enterprises avec l’intention que son fils Paul continue de l’exploiter et offre des services aux clients actuels. Cependant, ce plan n’a pas fonctionné, et l’appelant a accepté de continuer, sans temps d’arrêt, à accomplir le travail comptable nécessaire devant le peu d’intérêt évident de son fils, malgré ses efforts pour lui donner des instructions sur les questions comme la saisie de données et la préparation d’une balance de vérification. À la suite du transfert de l’entreprise comptable à Enterprises, l’appelant est demeuré le seul travailleur et a continué à être celui avec qui les clients communiquaient. M. Lieffertz a déclaré qu’il n’avait pas de problème financier au 31 janvier 1996, puisque l’aménagement d’un ensemble résidentiel de 50 acres se poursuivait selon les prévisions et qu’il avait un intérêt, par l’entremise d’une société, dans une parcelle de terrain de 14 acres à Duncan. Plus tard, des retards dans l’obtention de l’approbation d’un projet d’aménagement et le coût des services en découlant pour le financement provisoire se sont avérés désastreux, entraînant finalement la cession volontaire de ses biens en janvier 1998.

 

[5]     L’appelant a soutenu que le ministre n’avait pas tenu compte de faits importants et pertinents et qu’il s’était fondé sur des éléments non pertinents pour en arriver à la conclusion selon laquelle il n’occupait pas un emploi assurable auprès d’Enterprises. L’appelant a mentionné certaines déterminations antérieures formulées par les fonctionnaires, dans des circonstances identiques, qui ont entraîné l’approbation de ses prestations d’assurance‑emploi durant chaque période de licenciement entre 1997 et 2000, inclusivement.

 

[6]     L’avocat de l’intimé a soutenu que le ministre avait pris la bonne décision et que le Rapport sur l’appel, pièce A‑7, avait révélé que le ministre avait tenu compte de toutes les circonstances appropriées et qu’il avait soupesé les facteurs pertinents avant de décider que l’emploi de l’appelant n’était pas assurable.

 

[7]     La disposition pertinente de la Loi est l’alinéa 5(3)b), qui est ainsi rédigé :

 

(3)   Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

 

[...]

 

b)         l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[8]     Dans l’affaire Adolfo Elia c. Canada (Ministre du Revenu National – M.R.N.), [1998] A.C.F no 316, une décision de la Cour d’appel fédérale datée du 3 mars 1998, à la page 2, le juge d’appel Pratte a déclaré ce qui suit :

 

Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

 

[9]     Dans l’affaire Légaré c. Canada (Ministre du Revenu national– M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, une autre décision de la Cour d’appel fédérale, le juge d’appel Marceau, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit à la page 2 du jugement :

 

            La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous‑alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous‑alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

 

            Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

 

            La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

[10]    Une lecture du rapport de l’agent des appels, pièce A‑7, indique que l’agent a accepté que la rémunération versée à l’appelant était raisonnable et que la durée de l’emploi était compatible avec la nature de l’activité de l’entreprise au sein de cette collectivité. Cependant, l’agent des appels a conclu que l’appelant avait le contrôle total de l’entreprise, à l’exception du pouvoir de signature, au point où les administrateurs d’Enterprises acceptaient sa décision quant au moment où son licenciement devait survenir. En outre, l’agent des appels considérait qu’il était inhabituel qu’un employeur ne soit pas intéressé par les activités de l’entreprise. L’agent des appels a également remarqué, lors de l’examen de la nature et de l’importance du travail accompli, qu’Enterprises n’était pas une société existante exploitant une autre entreprise, mais qu’elle avait été créée précisément en vue de permettre à l’appelant de continuer à exploiter sa pratique comptable, allant jusqu’à utiliser le même nom, Cowichan Accounting. À cet égard, l’agent des appels concluait que l’employeur et l’appelant avaient un lien de dépendance.

 

[11]    Certaines des hypothèses de fait sur lesquelles s’est fondé le ministre telles qu’elles sont établies au paragraphe 5 de la Réponse sont ainsi rédigées :

 

          [traduction]

 

e)         l’appelant est comptable et fournit des services pour G Q depuis 1996;

 

f)          un grand nombre de clients de G Q provenaient de l’ancienne entreprise comptable de l’appelant;

 

g)         toutes les affaires de G Q étaient menées du bureau à domicile de Paul ou de celui de l’appelant;

 

h)         l’appelant fournissait tous les services comptables et s’occupait des activités quotidiennes de G Q;

 

i)          Paul ne participait pas aux services comptables offerts par G Q;

 

j)          Paul n’est pas comptable;

 

k)         Paul exploite un restaurant par l’entremise de G Q;

 

l)          l’appelant établissait les taux imposés pour les services comptables;

 

m)        l’appelant établissait ses propres heures et journées de travail;

 

n)         l’appelant déterminait ses propres priorités;

 

o)         l’appelant sollicitait ses propres clients qui avaient besoin de ses services comptables;

 

p)         l’appelant fournissait la majorité des outils et de l’équipement;

 

q)         l’appelant exploitait sa propre entreprise comptable sous le nom de G Q;

 

[12]    La seule hypothèse qui a été réfutée par l’appelant était celle contenue au sous‑paragraphe 5k) puisque Paul Lieffertz n’exploitait pas de restaurant, ou de café‑restaurant, par l’entremise d’Enterprises.

 

[13]    De nombreuses entreprises emploient certainement des travailleurs liés, comme elles en ont le droit, dans la mesure où les circonstances de l’emploi respectent les critères imposés par l’alinéa 5(3)b) de la Loi. Le libellé utilisé dans cette disposition reconnaît que même si les personnes ont un lien de dépendance, elles peuvent faire affaires entre elles dans le cadre du contrat de travail comme si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance. La relation n’a pas à être parfaite parce que les mots « à peu près semblable » sont utilisés pour modifier la nature du contrat de travail examiné. Une technique d’analyse consiste à examiner la question de savoir s’il est raisonnable de conclure que des étrangers concluraient une entente semblable à celle, en l’espèce, conclue entre l’appelant et son fils, l’actionnaire majoritaire de la société payeuse. L’appelant est un expert‑comptable d’expérience et a exploité sa propre pratique sous le nom Cowichan Accounting pendant de nombreuses années et a créé un solide bassin de clients. Paul Lieffertz, le fils de l’appelant, n’a pas d’aptitude ni d’habiletés pour gérer un travail comptable ou de tenue de livre non plus que l’actionnaire minoritaire, M. Graca. Enterprises n’avait pas d’autres clients, et l’appelant a continué, sans difficulté, d’exploiter son ancienne entreprise comptable sans interruption et a gardé le contact avec ses clients, même s’il prétend maintenant qu’il s’agissait de vrais clients d’Enterprises. Sa société, Champion Games Inc., a vendu le système informatique actuel à Enterprises, et il possédait aussi une partie de son propre équipement dans son bureau situé dans un édifice qu’il possédait. Toutes les décisions nécessaires à la réalisation du travail et l’entière exploitation de l’entreprise étaient sous l’unique contrôle de l’appelant pendant toute la période pertinente. Lorsqu’il manquait de travail, il informait son fils qui signait un RE rempli dont avait besoin l’appelant pour demander des prestations d’assurance‑emploi. Le travail comptable était saisonnier, et cela a été accepté par le ministre qui a soupesé les différents facteurs pertinents. L’appelant a présenté une lettre, pièce A‑14, qui avait été fournie à un fonctionnaire de l’ADRC, accompagnée de copies de chèques oblitérés pour démontrer que son fils recevait un avantage, quoique indirectement sous la forme de jetons de présence, pour sa participation dans Enterprises, la propriétaire de l’entreprise comptable. Je ne crois pas que cela prouve autre chose que le fait que certains fonds ont été payés à partir du compte de la coopérative de crédit d’Enterprises à Paul Lieffertz sans autre preuve quant à l’origine des fonds, particulièrement puisque l’appelant a indiqué dans son témoignage que Cowichan Accounting, en tant qu’entité commerciale, n’avait pas entraîné de profit pour Enterprises depuis le 31 janvier 1996, la date du transfert de ladite entreprise, même si un profit devait être possible pour la société à la fin de 2003.

 

[14]    Les circonstances de l’emploi sous examen en l’espèce ne sont pas semblables à celle de l’affaire Agnes Quinn‑Hiscott c. M.R.N., dossier 97‑907(UI), une décision du juge Mogan, Cour canadienne de l’impôt, sur laquelle s’est fondé l’appelant. Dans cette affaire, la travailleuse avait été employée par une entreprise familiale qui fournissait des produits d’aluminium principalement pour des résidences privées. Auparavant, la société avait également fait l’installation de produits, et la travailleuse avait travaillé pour la société en tant qu’administratrice de bureau parce que sa belle‑mère était malade et qu’elle ne pouvait accomplir le travail de bureau nécessaire. La nature de l’entreprise était saisonnière, et son emploi prenait fin lorsque l’ancien commis comptable revenait au travail. Pendant la période pertinente à cet appel, la payeuse avait employé quatre travailleurs, mais à une étape antérieure, elle avait employé dix travailleurs, dont deux équipes d’installation. Dans l’affaire Quinn‑Hiscott, le juge Mogan avait conclu que l’emploi de la travailleuse était véritable et conforme aux normes applicables à un contrat de travail conclu entre parties non liées.

 

[15]    Si l’on revient au présent appel, la question demeure : un étranger, en retour d’une attente raisonnable d’un gain financier (même pour un investissement limité) et sans posséder les compétences spécialisées nécessaires pour l’exploitation de ladite entreprise, conclurait‑il une entente selon laquelle l’ancien propriétaire, maintenant devenu un employé, pourrait continuer d’exercer le contrôle total, sauf pour ce qui est de la signature de chèques, des activités continues de la même entreprise comme s’il en était toujours le propriétaire, à l’exception du fait qu’il a maintenant le droit d’être payé par chèque toutes les deux semaines? La réponse toute faite est, à mon avis, négative.

 

[16]    En arrivant à la réponse susmentionnée, je suppose qu’il n’existe pas de règlement ni de restrictions empêchant une personne ou une société à acheter ou à exploiter une telle entreprise comptable. Cependant, la nature des activités actuelles de Cowichan Accounting ainsi que le contexte dans lequel Enterprises a acquis cette entreprise sont importants lorsqu’on compare les circonstances de l’emploi à d’autres scénarios ne visant pas des parties liées.

 

[17]    Il faut examiner toutes les circonstances pertinentes et, à mon avis, le ministre n’a pas fait fausse route et n’a pas tenu compte de faits non pertinents. Les facteurs examinés ont été soupesés, et on a accordé du crédit à la position de l’appelant en ce qui concerne deux des indices établis dans la loi pertinente. Tout compte fait, la décision du ministre était que l’emploi de l’appelant auprès d’Enterprises n’était pas assurable. Le fait que l’appelant a reçu ses prestations d’assurance‑emploi à des occasions précédentes en ce qui concerne les mêmes circonstances d’emploi auprès de la payeuse n’a aucune conséquence juridique pour ce qui est de la validité de la décision du ministre émise dans le cadre du présent appel. Rien dans la preuve ne me justifiait d’intervenir dans cet exercice du pouvoir discrétionnaire parce que la conclusion du ministre est raisonnable. La décision est confirmée.

 

[18]    En conséquence, selon les conclusions précitées, l’appel est par la présente rejeté.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 3e jour d’octobre 2003.

 

 

 

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de mars 2004.

 

 

 

 

Liette Girard, traductrice

 

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