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Date : 20030130

Dossier : 2000-3334(IT)G

ENTRE :

MICHAEL S. CHOMICA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu les 8 et 9 janvier 2003 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Graham F. Pinos, c.r.

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne M. Bruce

_______________________________________________________________


JUGEMENT

          La Cour ordonne que l'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 soit admis et que la cotisation soit déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le revenu de l'appelant en 1994 était de 20 159 $.

Signé à Ottawa (Canada), ce 30e jour de janvier 2003.

« D. G. H. Bowman »

J. C. A.

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour d'octobre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


Date : 20030130

Dossier : 2000-3334(IT)G

ENTRE :

MICHAEL S. CHOMICA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'un appel de la cotisation de l'appelant pour l'année d'imposition 1994, pour laquelle il n'avait pas produit de déclaration d'impôt sur le revenu. Dans cette cotisation, le ministre du Revenu national a ajouté la somme de 184 175 $ au revenu de l'appelant, soit 159 $ à titre de revenu en intérêts (ce que l'appelant ne conteste pas) ainsi que 184 016 $ à titre de « revenu de commissions non déclaré » (ce qu'il conteste). La somme de 184 016 $ en dollars canadiens équivaut à 134 712 dollars américains; le ministre présume que l'appelant a reçu ce montant à titre de commissions versées par la société Hi-Tech Trading Corporation en contrepartie de sa participation à un stratagème pour escroquer des investisseurs américains en les faisant participer à des opérations concernant les métaux appelés indium et germanium. Le ministre a aussi présumé que l'appelant participait à ce stratagème sous un faux nom, celui de Michael Colby.

[2]      Le règlement de cette affaire repose entièrement sur la preuve et demande que l'on prenne en considération les principes relativement au fardeau de la preuve dans les affaires au civil, et plus particulièrement dans les appels en matière d'impôt sur le revenu. Étant donné que l'intimée a mis la crédibilité de l'appelant en question, il convient de donner une brève description du contexte.

[3]      L'avocat de l'appelant le décrit comme un parieur professionnel - une personne qui gagne sa vie en pariant sur les chevaux. Il a 46 ans et a quitté l'école avant de terminer sa 10e année. Il a travaillé pour l'Ontario Jockey Club comme preneur de pari mutuel pendant environ 11 années aux hippodromes de l'Ontario tels que Old Greenwood, Garden City, Mohawk et Woodbine. On n'a pas divulgué les circonstances entourant le départ de son emploi au cours de la preuve. Pendant trois ans environ après avoir quitté son emploi, il s'est consacré entièrement au jeu, mais, apparemment, sans beaucoup de succès. Il s'est endetté et il a décidé que s'il restait à Toronto, cela pouvait nuire à sa santé. Il semble que ses créanciers n'étaient pas des gentlemen.

[4]      Il est allé à Amsterdam en avril 1986 et a rencontré des Canadiens dans une boîte de nuit qui lui ont offert un emploi consistant à vendre des actions par téléphone. Son employeur était une société appelée Regent Capital Corporation. On lui a remis une liste de clients possibles du monde entier. Son travail était de les contacter par téléphone et de les convaincre d'acheter des actions cotées à la bourse de l'Alberta. Il n'avait pas de formation en vente d'actions et s'il fallait un permis pour vendre des actions aux Pays-Bas, il ne l'avait pas. Il recevait une commission en espèces et une indemnité de subsistance.

[5]      En octobre, il a quitté Amsterdam pour se rendre à Genève, en Suisse, où il a occupé un emploi semblable pour une société connue sous le nom de Falcon Trust Financial/Equity Management Services. Les actions vendues de Genève n'étaient cotées à aucune bourse. En mai 1987, il a quitté Genève pour se rendre à Madrid où il a poursuivi le même genre d'activités pour une société appelée International Investment Consultants. Dans ses incursions dans le monde trouble de la vente internationale d'actions par téléphone, il n'utilisait pas son vrai nom. Il a utilisé des noms tels que Michael Preston, Michael Wainright et Michael Philips. Il a affirmé ignorer les raisons pour lesquelles ses employeurs lui ont demandé d'agir ainsi.

[6]      Il a dit qu'il avait pu économiser environ 150 000 $ américains lors de son travail en Europe. Il a ramené cette somme au Canada en décembre 1987.

[7]      À son retour au Canada, il s'est acquitté de ses dettes et s'est remis à jouer en pariant sur des courses attelées.

[8]      En juin 1992, il a créé une société appelée Crown Capital Management Corporation ( « CCMC » ). Il en était l'unique actionnaire et administrateur. Selon lui, il a créé cette société dans le but d'avoir une structure commerciale, mais la nature de cette structure commerciale n'est pas claire.

[9]      En 1994, dans un des restaurants Pat & Mario, un individu appelé Walter l'a présenté à un personnage mystérieux qui se faisait appeler Sean. Il n'a jamais pu savoir le nom de famille de Sean. Lui et Sean ont conclu un arrangement verbal aux termes duquel sa société, la CCMC, louait un emplacement au 250, rue King Est, à Toronto, en juin ou au début juillet. Les lieux comprenaient trois pièces plus une salle de séjour, une cuisinette et une douche, situés à l'étage d'un magasin. Il a fait installer quatre lignes téléphoniques au nom de la CCMC.

[10]     L'appelant a témoigné qu'il ne connaissait pas les noms des individus qui se servaient des lignes téléphoniques. Son travail était de maintenir les lieux propres et de sortir les ordures.

[11]     Il dit qu'il était au courant qu'il s'y passait des activités de ventes téléphoniques. Les noms qui lui étaient connus étaient ceux de Sean (le nom de famille est inconnu), Walter Fantin et Michael Colby qui, dit-il, était souvent ivre. Il reconnaît qu'il a parfois aidé Michael Colby à préparer des feuilles d'envoi par télécopie. Il reconnaît que son écriture apparaît sur deux feuilles d'envoi par télécopie portant l'en-tête de la Hi-Tech Trading Corporation.

[12]     Selon l'appelant, Sean le payait environ 400 $ ou 500 $ en espèces par semaine, plus les dépenses et 5 %.

[13]     Les montants des factures de téléphone pour les quatre lignes téléphoniques étaient versés à la CCMC au 250, rue King Est, à Toronto; l'appelant dit que Sean lui versait ces montants en espèces et qu'il payait la compagnie de téléphone en espèces. Les factures étaient très élevées et concernaient principalement des appels aux États-Unis. Quelques appels étaient faits à Nassau, au numéro de la Hi-Tech Trading Corporation. Il y avait aussi des appels au Royaume-Uni, à d'autres pays européens et à Hong Kong. Manifestement, l'entreprise de ventes téléphoniques était de grande envergure. Elle a duré quelques mois à l'emplacement de la rue King; le bail a été résilié en octobre 1994.

[14]     On a calculé la cotisation en se fondant sur l'hypothèse que l'appelant avait gagné 134 712 $ américains à titre de commissions pour sa participation dans ce stratagème.

[15]     L'appelant nie qu'il travaillait sous le nom de Michael Colby ou qu'il participait au stratagème de ventes téléphoniques de façon autre que louer le 250, rue King Est, payer les factures de téléphone et prendre soin des lieux. Il nie avoir reçu des commissions au montant indiqué dans la cotisation ou de quelque montant que ce soit.

[16]     Ma première constatation est que toute cette affaire empeste. Elle était organisée par des individus peu recommandables qui, s'ils avaient de la chance, arrivaient à avoir une longueur d'avance sur la loi et, dans le cas contraire, se faisaient prendre. Toutefois, ce n'est pas parce que j'éprouve une profonde méfiance et antipathie à l'égard des gens qui participent à ces stratagèmes que je peux ne pas tenir comptes des règles de la preuve et fonder ma décision sur des intuitions irraisonnées ou des preuves inadmissibles.

[17]     La règle de base en matière d'appels fiscaux est que le contribuable a le fardeau de démontrer que les hypothèses de fait sur lesquelles repose la cotisation sont erronées ou n'appuient pas la cotisation. Cette règle est bien établie et je n'ai pas besoin de répéter la jurisprudence qui est habituellement citée pour l'appuyer. Toutefois, la norme de la preuve est de nature civile et une preuve prima facie suffit pour que le contribuable ait gain de cause, si on ne la réfute pas.

[18]     On a approfondi le droit quelque peu depuis l'affaire Johnston c. M.N.R., [1948] R.C.S. 486, notamment dans l'affaire Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, 148 D.L.R. (4th) 1, 97 D.T.C. 5363, où le juge L'Heureux-Dubé affirme aux pages 378-381 (D.T.C : aux pages 5376-7) :

K. Le fardeau de preuve

Comme je l'ai signalé, l'appelante a produit une preuve claire et non contredite, alors que l'intimée n'a produit absolument aucune preuve. À mon avis, le droit sur ce point est bien établi et l'intimée ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve pour les raisons suivantes.

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions : (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de « démolir » l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.). En l'espèce, l'appelante a produit une preuve qui respecte non seulement la norme prima facie, mais, selon moi, une norme encore plus sévère. À mon avis, l'appelante a « démoli » les présomptions suivante : a) la présomption de l'existence de « deux entreprises » , en produisant une preuve claire de l'existence d'une seule entreprise; b) la présomption qu'il n'y a « aucun revenu » , en produisant une preuve claire de l'existence d'un revenu. Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre : voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.). Comme je l'ai déjà dit, aucune partie de la preuve produite par l'appelante en l'espèce n'a été contestée ni contredite. Par conséquent, à mon avis, l'appelante a « démoli » les présomptions sur l'existence de « deux entreprises » et sur le fait qu'il n'y a « aucun revenu » .

Lorsque l'appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau de la preuve [...] passe [...] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l'appelant et prouver les présomptions : Magilb Development Corp. c. La Reine, 87 D.T.C. 5012 (C.F. 1re inst.), à la p. 5018. Ainsi, dans la présente affaire, la charge est passée au ministre, qui doit prouver ses présomptions suivant lesquelles il existe « deux entreprises » et il n'y a « aucun revenu » .

Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause : voir par exemple MacIsaac, précité, où la Cour d'appel fédérale a infirmé le jugement de la Division de première instance (à la p. 6381) pour le motif que le « témoignage n'a été ni contesté ni contredit, et aucune objection ne lui a été opposée » . Voir aussi Waxstein c. M.R.N., 80 D.T.C. 1348 (C.R.I.); Roselawn Investments Ltd. c. M.R.N., 80 D.T.C. 1271 (C.R.I.). Se reporter également à Zink, précité, à la p. 653, où, même si la preuve « échappait à la logique et présentait de graves lacunes de fond et de chronologie » , l'appel du contribuable a été accueilli parce que le ministre n'a présenté aucune preuve quant à la source de revenu. Dans la présente affaire, je remarque que la preuve ne contient aucune « lacune » de ce genre. Par conséquent, puisque le ministre n'a produit absolument aucune preuve et que personne n'a soulevé le moindre doute quant à la crédibilité, l'appelante est fondée à obtenir gain de cause.

Dans la présente affaire, sans qu'aucune preuve ne leur ait été présentée, le juge de première instance et la Cour d'appel ont tous deux voulu transformer les présomptions non fondées et non vérifiées en « conclusions de fait » , commettant ainsi des erreurs de droit sur la charge de la preuve. Mon collègue le juge Iacobucci exerce de la retenue à l'égard de ces soi-disant « conclusions concordantes » des cours d'instance inférieure, mais, bien que je sois tout à fait d'accord de façon générale avec le principe de retenue judiciaire, dans la présente affaire, deux décisions incorrectes ne sauraient en faire une bonne. Même si nous sommes en présence de « conclusions concordantes » , la preuve non contestée et non contredite réfute positivement les présomptions du ministre : MacIsaac, précité. Comme le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt l'a noté dans Gelber c. M.R.N., 91 D.T.C. 1030, à la p. 1033, « [le ministre] n'est pas l'arbitre de ce qui est fondé ou non en matière de droit fiscal » . Le juge Brulé de la Cour canadienne de l'impôt dans Kamin, précité, a observé à la p. 64 :

. . . le ministre devrait pouvoir réfuter cette preuve [prima facie] et présenter des arguments à l'appui de ses présomptions.

. . .

Le ministre n'a pas carte blanche pour établir les présomptions qui lui conviennent. À l'interrogatoire principal, on s'attend qu'il puisse produire des preuves plus concrètes que de simples présomptions pour réfuter les arguments de l'appelant. [Je souligne.]

À mon avis, ces affirmations sont applicables à la présente affaire : l'intimée, dont les opinions ont été contestées par la preuve principale, n'a rien présenté de plus concret que de simples présomptions et n'a avancé aucun fondement. Elle a choisi de ne réfuter aucun des éléments de preuve de l'appelante. Par conséquent, elle ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve.

Je remarque que, en confirmant les présomptions non prouvées du ministre, mon collègue le juge Iacobucci peut paraître renverser le courant jurisprudentiel ci-dessus mentionné sans fournir explicitement de justification à cette fin. En toute déférence pour l'opinion contraire, je suis d'avis que les modifications dans la jurisprudence relative à la charge de la preuve en droit fiscal devraient être remises à plus tard. De plus, vu les faits de la présente affaire, sanctionner l'absence totale de preuve de l'intimée pourrait sembler déraisonnable et peut-être même injuste étant donné que l'appelante s'est conformée à une jurisprudence bien établie pour ce qui est de son fardeau de preuve.

[19]     En l'espèce, nous avons le témoignage de l'appelant qu'il n'avait pas gagné 134 712 $ américains en commissions de la Hi-Tech Trading Corporation et qu'il n'a pas gagné plus qu'environ 20 000 $ pour son travail, qui n'était pas lié à la vente. Il est vrai qu'il a été contre-interrogé et je ne crois donc pas que l'avocate de l'intimée soit précluse de mettre en doute sa crédibilité lors de ses observations en raison de l'affaire Browne v. Dunn, (1893) 6 R. 67 (H.L.) aux pages 70-71, dont on discute longuement dans l'ouvrage intitulé The Law of Evidence in Canada, deuxième édition (Sopinka, Lederman et Bryant) aux pages 954-957. Je ne pense pas, toutefois, que le contre-interrogatoire a détruit la preuve prima facie produite par l'appelant lors de son interrogatoire principal. Il est possible que j'aie des doutes qui subsistent au sujet de la crédibilité de l'appelant comme témoin, mais il me faudrait avoir plus que des soupçons pour affirmer qu'il a menti lors de son témoignage sous serment. Comme je l'ai dit dans l'affaire 1084767 Ontario Inc. s/n Celluland c. M.R.N., no 2001-3945(EI), 2 mai 2002, [2002] A.C.I. no 227 :

La preuve de chacun des deux témoins est radicalement opposée à celle de l'autre. J'ai pris le jugement en délibéré puisque je ne crois pas approprié de tirer à la légère des conclusions relatives à la crédibilité ou, de façon générale, de rendre ces conclusions oralement à l'audience. Le pouvoir et l'obligation d'établir des conclusions relatives à la crédibilité est l'une des plus lourdes responsabilités d'un juge de première instance. Le juge doit exercer cette responsabilité avec soin et après mûre réflexion puisqu'une conclusion défavorable de la crédibilité suppose que l'une des parties ment sous la foi du serment. Vouloir mettre un terme rapidement à une affaire ne peut être une excuse justifiant le mauvais usage de ce pouvoir. La responsabilité qui repose sur le juge d'un procès qui doit tirer des conclusions relatives à la crédibilité doit être particulièrement rigoureuse si l'on considère que l'on ne peut pratiquement pas en appeler de telles conclusions.

[20]     Étant donné que le contre-interrogatoire lui-même n'a pas pu réfuter la preuve prima facie établie par le témoignage verbal de l'appelant, je dois considérer tous les autres éléments de preuve présentés.

[21]     La Couronne a appelé trois témoins, M. Ron Bélanger, un ancien membre de la GRC qui travaille maintenant pour la Banque de Montréal, M. Angelo Villella, un employé de l'ADRC et le chef d'équipe du Programme spécial d'exécution, et M. Alan Benlolo, dont la participation dans le stratagème de ventes téléphoniques de la Hi-Tech Trading sera décrite plus loin dans ces motifs.

[22]     M. Bélanger et M. Villella sont tous deux des témoins intelligents et parfaitement dignes de foi. M. Bélanger était un sergent dans la section des infractions commerciales et a participé à l'enquête sur le stratagème de ventes téléphoniques. Il a fait enquête sur Alan Benlolo et a obtenu des renseignements sur les activités du stratagème de ventes téléphoniques, y compris la coutume de se déplacer d'un endroit à un autre, plus particulièrement à la promenade Champagne, à Concord, en Ontario, et à la rue King, à Toronto.

[23]     Son témoignage était intéressant et crédible, mais il n'a établi en rien que l'appelant faisait partie du stratagème ou qu'il recevait des commissions de la Hi-Tech Trading. En fait, il n'a aucunement lié l'appelant aux activités de la Hi-Tech Trading à la rue King.

[24]     On peut en dire autant de M. Villella. Il était un fonctionnaire consciencieux qui a étudié le rapport de Mme Currie, la vérificatrice. Comme M. Pinos l'a démontré lors du contre-interrogatoire, le témoignage de M. Villella est essentiellement du ouï-dire multiple. Le rapport de la vérificatrice ainsi que la cotisation elle-même semblent s'appuyer sur des notes de service figurant dans le recueil de l'intimée sous les onglets A, B et C de l'onglet 18. Ces documents affirment que Michael Colby, qui porte la désignation de « vendeur numéro 3 » , était en fait Michael Chomica et que le numéro 3 avait reçu des commissions pour la vente de métaux de la Hi-Tech Trading Corporation s'élevant à 134 712 $ (apparemment en dollars américains).

[25]     On n'a pas appelé Mme Currie, la vérificatrice, à témoigner. Elle était en congé de maladie. L'avocate de l'intimée a soutenu que les règles relatives à l'admissibilité du ouï-dire ont été étendues par la Cour suprême du Canada dans un certain nombre d'arrêts, notamment R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, 94 D.L.R. (4th) 590; R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701; R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740. Dans l'affaire Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608, 14 D.L.R. (3d) 4, il y a déjà quelques avancées.

[26]     Je n'ai pas l'intention d'entreprendre dans ce jugement une discussion sur les récents développements touchant la règle du ouï-dire. Il ne fait aucun doute que cette notion évolue; cela est évident en lisant la discussion figurant dans The Law of Evidence in Canada, précité, aux pages 187 à 220. Cependant, la règle est toujours là et il faut en tenir compte. Même si je pensais qu'il serait possible de forcer les principes énoncés dans les décisions récentes, ce qui exigerait au moins que les éléments de preuve soient fiables et nécessaires, il faudra toujours exclure le rapport de la vérificatrice et les notes de service. Par exemple, aucun témoin n'a pu dire qui avait préparé les notes aux onglets A, B et C de l'onglet 18. On a déclaré qu'elles provenaient de la documentation saisie par un enquêteur de la police et étaient des fichiers de l'ordinateur personnel d'Alan Benlolo.

[27]     Ces éléments de preuve sont, au mieux, peu crédibles et, au pire, totalement inadmissibles.

[28]     Il est possible de présenter en preuve de tels rapports de l'ADRC (rapports T-20 et T-401) dans le but précis de montrer sur quelle base s'appuie la cotisation, mais non pour prouver la véracité de leur contenu. Je ne vois pas d'objection à ce que l'ADRC fonde ses cotisations sur le ouï-dire - il est nécessaire qu'elle établisse ses cotisations selon les renseignements disponibles, même s'il doit s'agir de ouï-dire[1]. Toutefois, si l'intimée doit prouver le bien-fondé d'une cotisation en présentant des preuves, la preuve doit être admissible selon les règles ordinaires régissant l'admissibilité.

[29]     Non seulement faut-il suivre les règles de la preuve, particulièrement dans les affaires régies par la procédure générale - mais de plus, si des allégations graves de fraude sont faites, la Cour doit étudier soigneusement ces éléments de preuves. Madame le juge L'Heureux-Dubé fait allusion à cette question au second paragraphe de son jugement dans Hickman Motors, précité.

[30]     Dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., n ° 92-2597(IT)G, 16 septembre 1994, 95 D.T.C. 200, conf. C.A.F., n ° A-542-94, 18 janvier 1996, 96 D.T.C. 6085, la même question a été soulevée concernant le soin avec lequel la preuve fournie pour l'imposition de pénalités doit être étudiée, même si la norme de preuve est de nature civile. Il ne s'agit pas ici de pénalités, mais d'une allégation que l'appelant a participé à un stratagème frauduleux. Aux pages 12-13 (DTC : aux pages 205-6), il est énoncé ce qui suit :

            Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses3. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité4. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

___________________

3               Voir Continental Insurance Co. v. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; 131 D.L.R. (3rd) 559; 25 C.P.C. 72, le juge en chef Laskin, p. 168-171; D.L.R. 562-564; C.P.C. 75-77). Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, p. 459; Pallan et al v. M.N.R. 90 DTC 1102, p. 1106; W. Tatarchuk Estate v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2440, p. 2443.

4               Il ne s'agit pas simplement d'une extrapolation de la règle énoncée dans l'affaire Hodge's Case (1838) 2 Lewin 227; 168 E.R. 1136, qui se rapporte à des questions de nature criminelle comme celle que vise, par exemple, l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui requiert une preuve au-delà du doute raisonnable. Il s'agit simplement d'une application du principe selon lequel une pénalité ne peut être imposée que dans les cas où la preuve le justifie clairement. Si cette dernière est compatible avec, à la fois, l'état d'esprit qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) et l'absence de cet état d'esprit - j'hésite à employer les mots innocence ou culpabilité dans ces circonstances - cela voudrait dire que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau qui pesait sur ses épaules.

[31]     Le seul autre témoin que la Couronne a appelé était M. Alan Benlolo, un témoin réticent qu'il a fallu assigner à comparaître. En Pennsylvanie, on l'a accusé pour sa participation au stratagème de ventes téléphoniques frauduleuses portant sur la vente d'indium. Il a plaidé coupable et il a fait 18 mois de prison.

[32]     Il a déclaré qu'il emballait l'indium et l'expédiait de sa maison. Il a dit ne pas se souvenir des locaux de la rue King. Il se souvient d'un enquêteur qui est venu à sa maison avec un mandat de perquisition et qui lui a pris son ordinateur.

[33]     La Couronne n'a rien retiré de son témoignage. Lors du contre-interrogatoire, il a affirmé qu'il ne connaissait pas l'appelant et ne le reconnaissait pas.

[34]     Il n'était pas un témoin particulièrement coopératif lors de son interrogatoire par l'avocate de l'intimée. L'avocate n'a pas demandé qu'il soit déclaré témoin hostile, mais son comportement lors de l'interrogatoire principal était tel qu'il aurait justifié que l'avocate de la Couronne lui pose des questions suggestives autorisées par le paragraphe 144(4) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

[35]     L'avocate de l'intimée a présenté à M. Benlolo un affidavit qu'il avait signé le 29 septembre 1997. Il a reconnu sa signature, mais a affirmé ne rien savoir de son contenu; il a dit que c'était quelqu'un d'autre qui l'avait écrit et qu'il l'avait signé seulement pour sortir de prison où il était emprisonné après son arrestation avant qu'il soit extradé vers la Pennsylvanie. Je n'ai aucune confiance dans ce qu'il dit dans l'affidavit qu'il a signé le jour où il a plaidé coupable à des accusations portées contre lui en Pennsylvanie et qui décrit en fait son plaidoyer de culpabilité. De toute façon, sa déclaration ne contient rien au sujet du fait que l'appelant recevait des commissions de la Hi-Tech Trading. La seule allusion à l'appelant (dont le nom a été mal épelé) se trouve à la page 10 de l'affidavit de M. Benlolo où il déclare :

[TRADUCTION]

Ceci est une liste des vendeurs qui ont travaillé à la HI-TECH TRADING ainsi que l'endroit des salles avec des téléphones :

[...]

Salle 3 (WALTER FANTIN recevait 50 % du montant de la totalité des ventes faites à cet endroit).

-            WALTER FANTIN

-            MICHAIL CHOMICA

[36]     Même si on acceptait ces déclarations, elles ne prouvent absolument rien au sujet de la participation de l'appelant au stratagème ou de sa rémunération.

[37]     En bref, l'appelant a présenté une preuve prima facie qu'il n'avait pas reçu de commissions de 134 712 $ américains et la Couronne n'a pas réfuté cette preuve avec des éléments de preuve admissibles.

[38]     L'appelant a reconnu qu'il a reçu au plus 20 000 $ canadiens de la Hi-Tech Trading ainsi que des intérêts de 159 $. Il faut l'imposer sur 20 159 $ pour 1994 et pas plus.

[39]     L'appel est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le revenu de l'appelant en 1994 était de 20 159 $.

Signé à Ottawa (Canada), ce 30e jour de janvier 2003.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour d'octobre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Il ne s'agit pas ici d'éléments de preuve obtenus de façon illégale, d'une façon qui contrevient aux droits du contribuable en vertu de la Charte ou d'une façon qui contrevient à un engagement en matière de confidentialité. Cela soulève des considérations totalement différentes : voir O'Neill Motors Limited c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., n ° 94-820(IT)G, 9 novembre 1995, 96 D.T.C. 1486, conf. [1998] 4 C.F. 180, 98 D.T.C. 6424; The Promex Group Inc. c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., n ° 95-1950(IT)G, 24 mars 1998, 98 D.T.C. 1588; Crestbrook Forest Industries Ltd. c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., n ° A-1034-91, 21 février 1992, [1992] 1 C.T.C. 100, 92 D.T.C. 6187.

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