Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20030116

Dossiers : 2000-2264-IT-G,

2000-2266-IT-G

ENTRE :

TRANSPORT M.L. COUTURE INC.,

9044-2807 QUÉBEC INC.,

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Les sociétés 9044-2807 Québec inc. (ML1) et Transport M.L. Couture inc. (ML2) contestent des cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard, pour la première, des années d'imposition 1995 et 1996 et, pour la deuxième, à l'égard de l'année d'imposition 1997. Le ministre a conclu que les deux sociétés appelantes étaient associées à Transport Couture et Fils inc. (Transport Couture) au cours de ces années d'imposition (période pertinente) et, par conséquent, ni l'une ni l'autre appelante n'a pu obtenir le plein montant de la déduction accordée aux petites entreprises (DAPE) dans le calcul de son impôt. Le ministre est d'avis que, durant la période pertinente, Transport Couture contrôlait ML1 et ML2 directement ou indirectement, suivant le paragraphe 256(5.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). La question du contrôle est la seule en litige.

Faits

[2]            Monsieur Marie-Louis Couture était le seul actionnaire de ML1 durant la période pertinente. Lors de l'audience, il est âgé de 85 ans et souffre de la maladie d'Alzheimer[1]. C'est pour cette raison qu'il n'a pu témoigner personnellement à cette occasion. Le témoignage de son fils, monsieur Michel Couture, président-directeur général de Transport Couture, et les documents produits par les appelantes révèlent ce qui suit. Monsieur Marie-Louis Couture exploitait en Beauce une entreprise de transport depuis le début des années 1950; à cette époque-là il est au début de la trentaine. Quoique la preuve soit incertaine à ce sujet, il semble que cette entreprise ait toujours été de taille modeste. À tout le moins, elle l'était lorsque Marie-Louis Couture, alors âgé de 78 ans, l'a transférée à ML1 en juillet 1995, puisqu'il ne possédait à ce moment-là que trois camions et trois permis de camionnage en vrac. Ces permis lui permettaient de transporter des copeaux de bois à des usines de pâte et papier situées à Windsor (Québec) et à Trois-Rivières. Il n'avait alors qu'un nombre très restreint de clients. Quant à ML1, elle existait depuis plusieurs années. En 1982 notamment, elle était associée à Transport Couture et était connue alors sous la dénomination sociale de Location C.T.R. inc. Selon la Convention entre corporations associées fournie au ministre en 1984, on attribuait à ML1 25 000 $ comme plafond des affaires pour l'année d'imposition 1982. En octobre 1994, soit quelques mois avant le transfert de l'entreprise de Marie-Louis Couture à ML1, on avait changé la dénomination de celle-ci pour Transport M.L. Couture inc., dénomination qui a été changée à nouveau, pour l'actuelle, le 2 décembre 1996.

[3]            Dix-sept ans avant le transfert de son entreprise à ML1, soit en 1978, Marie-Louis Couture avait cédé à Transport Couture, nouvellement constituée en société, un nombre indéterminé (vraisemblablement un ou deux) de permis de transport général. Ce type de permis autorisait à faire du transport de marchandises autre que le transport en vrac. Les cinq actionnaires de Transport Couture étaient les cinq enfants de Marie-Louis Couture, qui, par l'intermédiaire d'une société de portefeuille, détiennent toujours leurs actions en parts égales. Monsieur Couture n'aurait pas transféré en même temps son (ou ses) permis de transport en vrac puisque, selon Michel Couture, ce type de permis n'était pas transférable avant la mort du titulaire.

[4]            Le 15 novembre 1995, soit quatre mois après le transfert de l'entreprise de transport en vrac à ML1, Transport Couture et ML1 ont signé une entente selon laquelle Transport Couture fournirait des services de gestion à ML1 contre une rémunération de 10 p. 100 de tous les revenus générés par les opérations de ML1. De plus, ML1 convenait d'effectuer du transport comme sous-traitant pour Transport Couture. En vertu de l'entente, Transport Couture devait fournir les services de chauffeurs pour les camions appartenant à ML1. La formation de ces chauffeurs devait aussi être assurée par Transport Couture. ML1 remboursait chaque mois le coût de la rémunération des chauffeurs en question, majoré de 1 p. 100. Quant à Transport Couture, elle s'engageait à confier à ML1 au moins 130 000 milles de transport par camion par période de 12 mois. Toutefois, l'entente est silencieuse quant aux modalités de rémunération des services de transport. Même s'il y est question de tableaux pour la comptabilisation notamment de la rémunération, aucun de ces tableaux n'a été produit en preuve. En vertu de l'entente, les tracteurs en la possession de ML1 devaient être peints dans les couleurs de Transport Couture et porter le logo de celle-ci. ML1 avait le droit de mettre fin à l'entente sur préavis de trois mois.

[5]            Contrairement à l'entreprise de Marie-Louis Couture, celle de Transport Couture a pris beaucoup d'ampleur, surtout au cours des années 1990. Michel Couture a parlé dans son témoignage d'une « explosion » . Lui et ses frères ont été les artisans de ce succès. En 1978, Transport Couture possédait cinq tracteurs et huit remorques. Au début de la période pertinente, soit en 1995, le nombre de tracteurs s'élevait à trente, dont vingt-deux avaient été acquis en 1995. Onze nouveaux tracteurs ont été acquis en 1996, douze en 1998 et neuf en 1999. En 2002, Transport Couture possède 110 tracteurs et 315 remorques. Le nombre d'employés entre 1994 et 1997 varie entre 75 et 100. Quant à ML1, au cours de l'exercice financier 1996, elle a fait l'acquisition de deux nouveaux tracteurs en novembre 1995 et de neuf en février 1996, ce qui portait le total de ses tracteurs à quatorze.

[6]            Selon Michel Couture, la compétition était féroce dans le transport en vrac. Cela expliquerait, au moins en partie, pourquoi l'entreprise de Marie-Louis Couture n'avait pas pris d'ampleur. De plus, cette situation aurait obligé Marie-Louis Couture, et ML1 par la suite, à offrir leurs services à Transport Couture, qui devait « répondre à la demande croissante de sa clientèle » [2]. Selon le témoignage de Claude Rodrigue, le contrôleur de Transport Couture, 45 p. 100 des revenus de ML1 provenaient du transport général dans l'exercice financier se terminant en août 1995, soit moins de deux mois après le transfert de l'entreprise de Marie-Louis Couture. Au cours de l'exercice financier suivant, ML1 aurait augmenté à 85 ou 90 p. 100 la proportion de ses revenus provenant du transport général. Toutefois, tel qu'il est indiqué sous la rubrique « dépendance économique » [3] des notes complémentaires des états financiers du 31 août 1995, dressés par le cabinet de comptables Raymond, Chabot, Martin, Paré, ML1 fournissait ses services à un seul client. De plus, sous la rubrique « opération [sic] conclues avec des sociétés apparentées » , on indique 100 p. 100 du chiffre d'affaires et 100 p. 100 des frais de sous-traitance, d'entretien et de réparation du matériel roulant, d'assurance et de traitement informatique.

[7]            Vu la concurrence existant dans le transport en vrac, on aurait décidé de vendre les permis pour ce type de transport à une société appartenant à un certain Yvon Champagne. Marie-Louis Couture a donc transféré, le 18 décembre 1996, toutes ses actions du capital-actions de ML1 à 9017-7304 Québec inc. À cette date, ML1 détient « trois (3) permis de camionnage en vrac, trois (3) licences de camionnage en vrac extra-provincial, une licence de camionnage intra-provincial et une licence de camionnage extra-provincial [...] et six (6) remorques » . Le prix de vente s'élève à 442 471 $.

[8]            Le même jour, soit le 18 décembre 1996, ML1 cède à ML2, société constituée le 5 décembre 1996[4], tous ses actifs, à l'exception des trois permis de transport en vrac et des six remorques. Le prix de vente s'élève à 1 037 654 $, payable par la prise en charge par ML2 d'une dette de 760 183 $, le solde de 277 471 $ étant payable comptant. Cela donnerait une valeur approximative de 165 000 $ pour les permis de camionnage en vrac et les six remorques conservés par ML1. Selon Michel Couture, Marie-Louis Couture aurait négocié le prix de vente de ces permis de transport en vrac[5]. Toutefois, c'est Michel Couture qui s'est occupé de structurer l'opération, avec l'aide de ses conseillers juridiques et de ses comptables, et qui a signé le contrat de vente des actions pour son père (pièce I-1, onglet 35). ML2 est détenue par deux actionnaires ordinaires : à 90 p. 100 par l'épouse de Marie-Louis Couture, madame Fleurette Hamel Couture, et à 10 p. 100 par monsieur Claude Rodrigue. Ces deux personnes sont les seuls administrateurs de ML2. Avant de devenir contrôleur de Transport Couture en janvier 1995, monsieur Rodrigue avait été le vérificateur externe de Transport Couture et le vérificateur de monsieur Marie-Louis Couture.

[9]            Lorsque monsieur Marie-Louis Couture a vendu ses actions de ML1 et que la plupart des actifs de celle-ci ont été par la suite acquis par ML2[6], cette dernière et Transport Couture n'ont pas signé de nouveau contrat de gestion et de sous-traitance. Toutefois, les parties se sont comportées comme si cette entente continuait à exister. Monsieur Michel Couture a affirmé que la rémunération versée pour les services de transport fournis par ML1 et ML2 représentait la juste valeur marchande de ces services. Il s'agit de la même rémunération que celle qu'aurait versée Transport Couture à ses autres sous-traitants. Toutefois, il semble que Transport Couture n'ait utilisé les services de ces sous-traitants qu'à compter d'avril 1997. Elle en compte quatorze au 15 mai 1998. La plupart de ces sous-traitants ont un camion, mais certains en ont deux ou trois. Selon l'entente type[7] (pièce I-1, onglet 32) qui existe entre Transport Couture et ses sous-traitants, il n'y a pas d'obligation d'utiliser les couleurs des camions de Transport Couture. Toutefois, le logo de cette entreprise et les renseignements la concernant doivent apparaître sur le camion du sous-traitant. Ce dernier peut, afin de bénéficier de rabais de groupe, passer par Transport Couture pour faire l'acquisition d'un camion et obtenir de l'assurance. Contrairement à ce qu'a affirmé Michel Couture, le sous-traitant a le libre choix de son assureur (clause 6.7).

[10]          Sur la liste des sous-traitants de Transport Couture n'apparaît ni le nom de ML1 ni celui de ML2. Comme explication, monsieur Michel Couture a indiqué qu'il tenait pour acquise la participation de ML1 et de ML2 parce que Transport Couture et ces sociétés « formaient un vieux couple » . Pour monsieur Rodrigue, le fait que ML1 et ML2 ne se trouvent pas sur cette liste n'est qu'un simple oubli. Leur nom n'apparaît pas non plus sur le relevé informatisé des sous-traitants, où figurent les données relatives à la rémunération versée aux différents sous-traitants[8] ainsi que les dépenses engagées par les sous-traitants et devant être remboursées par Transport Couture.

[11]          Selon Michel Couture, son père, alors âgé de 55 à 57 ans, conduisait toujours un camion entre 1972 et 1974. Il aurait toujours été impliqué dans ML1, sauf durant les deux dernières années en raison de sa maladie. Contre-interrogé, Michel Couture a précisé que son père venait au garage tous les jours, y passant cinq ou six heures. Il participait à des activités manuelles, par exemple, l'entretien des camions. Selon Claude Rodrigue, Marie-Louis Couture ne venait pas dans les bureaux de Transport Couture : « il s'occupait de ses camions » .

[12]          Quant à madame Fleurette Hamel Couture, monsieur Rodrigue a affirmé qu'il la rencontrait une fois par mois pour l'informer des affaires de ML2. Par contre, la signature de madame Couture n'apparaît pas sur le règlement général d'emprunt de cette société. Seulement celle de monsieur Rodrigue y est. De plus, madame Hamel Couture n'a pas témoigné au cours de l'audience. Michel Couture a affirmé que sa mère venait au bureau au maximum une fois par mois.

[13]          Comme Transport Couture fournissait tous les services de gestion, il n'est pas surprenant de constater que ML1 et ML2 exploitaient leur entreprise au même établissement que Transport Couture. De façon générale, c'était Yvan Couture qui négociait l'acquisition des camions alors que Michel Couture s'occupait des contrats de financement. Ce dernier a dit avoir signé par mégarde des documents, telle la déclaration de droits annuelle d'exploitation de ML1 pour l'année 1995 et pour l'année 1996. « J'ai signé trop vite » , « j'étais étourdi » , a-t-il expliqué[9]. Il en est de même à l'égard de certaines demandes d'attestation de sécurité envoyées à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), signées par monsieur Michel Couture. On trouve parmi la preuve documentaire produite par l'intimée de la correspondance relative à des permis de transport en vrac extra-provincial adressée par les procureurs de ML1 à monsieur Michel Couture[10].

[14]          À l'exception des frais de diesel et des frais de gestion, qui étaient facturés chaque mois, les dépenses engagées par Transport Couture étaient facturées à ML1 ou à ML2 au fur et à mesure.

Dispositions pertinentes

[15]          Sont pertienentes pour résoudre le litige soulevé par ces appels les dispositions suivantes de la Loi :

125.         Déduction accordée aux petites entreprises.

                (1) La société qui est tout au long d'une année d'imposition une société privée sous contrôle canadien peut déduire de son impôt payable par ailleurs pour l'année en vertu de la présente partie 16 % du moins élevé des montants suivants :

a) l'excédent éventuel du total des montants suivants :

(i) l'ensemble de toutes les sommes dont chacune est le revenu de la société pour l'année tiré d'une entreprise exploitée activement au Canada (autre que le revenu de la société pour l'année tiré d'une entreprise qu'elle exploite comme associé d'une société de personnes),

(ii) [...]

sur le total des montants suivants :

(iii) l'ensemble de toutes les sommes dont chacune est une perte de la société pour l'année provenant de l'exploitation d'une entreprise exploitée activement au Canada (autre qu'une perte de la société pour l'année provenant d'une entreprise qu'elle exploite comme associé d'une société de personnes);

(iv) [...]

b) l'excédent éventuel du revenu imposable de la société pour l'année sur le total des montants suivants :

[...]

c) le plafond des affaires de la société pour l'année.

                 (2) Sens de « plafond des affaires » . Pour l'application du présent article, le « plafond des affaires » d'une société, pour une année d'imposition, est de 200 000 $, à moins que la société ne soit associée, pendant l'année, à une ou plusieurs autres sociétés privées sous contrôle canadien, auquel cas, sauf disposition contraire du présent article, son plafond des affaires pour l'année est nul.

                 (3) Sociétés associées. Malgré le paragraphe (2), si toutes les sociétés privées sous contrôle canadien qui sont associées entre elles pendant une année d'imposition ont présenté au ministre, selon le formulaire prescrit, une convention par laquelle, pour l'application du présent article, elles attribuent, pour l'année d'imposition, une somme à une ou plusieurs d'entre elles et que la somme ou le total des sommes ainsi attribuées est de 200 000 $, le plafond des affaires, pour l'année, de chacune des sociétés correspond à la somme qui lui a ainsi été attribuée.

256. Sociétés associées (1)Pour l'application de la présente loi, deux sociétés sont associées l'une à l'autre au cours d'une année d'imposition si, à un moment donné de l'année :

a) l'une contrôle l'autre, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

[...]

(1.2) Précisions sur les notions de contrôle et de propriété des actions. Pour l'application du présent paragraphe et des paragraphes (1), (1.1) et (1.3) à (5) :

[...]

b)             il est entendu :

(i)             [...]

(ii)            d'autre part, qu'une personne ou un groupe donné de personnes peut contrôler une société même si une autre personne ou un autre groupe de personnes contrôle aussi ou est réputé contrôler aussi la société;

[...]

(5.1) Contrôle de fait. Pour l'application de la présente loi, lorsque l'expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes - appelé « entité dominante » au présent paragraphe - à un moment donné si, à ce moment, l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. Toutefois, si cette influence découle d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion ou d'une convention semblable - la société et l'entité dominante n'ayant entre elles aucun lien de dépendance - dont l'objet principal consiste à déterminer les liens qui unissent la société et l'entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la société, celle-ci n'est pas considérée comme contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par l'entité dominante du seul fait qu'une telle convention existe.

                                                                                                                                [Je souligne.]

Position des parties

[16]          Le procureur des appelantes a soutenu que la portée du paragraphe 256(5.1) est très large mais qu'il faut de toute évidence la restreindre. Dans sa plaidoirie, il s'est référé au bulletin d'interprétation IT-64R4 et a cité en particulier les paragraphes 21 et 23, que je reproduis ici :

21. Le contrôle de fait va au-delà du contrôle de droit et comporte la capacité de contrôler « de fait » en exerçant une influence directe ou indirecte. On peut détenir le contrôle de fait sans même posséder d'actions. Le contrôle de fait peut se traduire, par exemple, par le pouvoir que possède une personne de changer le conseil d'administration ou de revenir sur les décisions de celui-ci, de prendre d'autres décisions concernant les actions de la société à court, à moyen ou à long terme, de mettre fin directement ou indirectement à la société ou à son entreprise ou de s'en approprier les bénéfices ou les biens. Même si elle n'est pas exercée effectivement, l'existence d'une telle influence serait suffisante pour conférer le contrôle de fait.

23. Ce sont les faits se rapportant à chaque situation qui permettent de déterminer si une personne ou un groupe de personnes a le contrôle de fait d'une société, même si, juridiquement, ces personnes ne contrôlent pas plus de 50 % des actions de la société avec droit de vote. Voici certains facteurs généraux qui permettent de déterminer s'il y a contrôle de fait :

a) le pourcentage de propriété des actions avec droit de vote (lorsqu'il n'est pas supérieur à 50 %) par rapport aux actions que les autres actionnaires détiennent;

b) la propriété d'une importante dette d'une société qui peut devenir payable sur demande (à moins d'être assujettie à une exemption en vertu du paragraphe 256(3) ou (6)) ou d'un placement important dans des actions privilégiées rachetables au gré du détenteur;

c) les conventions entre actionnaires prévoyant une voix prépondérante;

d) les relations commerciales ou contractuelles de la société, par exemple, la dépendance économique à l'endroit d'un fournisseur ou d'un client unique;

e) la possession de connaissances tout à fait particulières qui sont requises pour l'exploitation de l'entreprise;

f) l'influence qu'un membre d'une famille, qui est un actionnaire, un créancier, un fournisseur, etc., d'une société peut avoir sur un autre membre de la famille qui est un actionnaire de la société.

Bien que le degré d'influence évoqué en f) soit toujours une question de fait, les liens familiaux étroits (entre parents et enfants ou entre conjoints) sont plus susceptibles de donner lieu à des influences importantes. En règle générale, ces personnes doivent faire la preuve de leur indépendance et autonomie économiques pour pouvoir échapper aux présomptions de fait qui s'appliquent aux personnes liées. Toutefois, en ce qui concerne les frères et les soeurs, ils ne sont généralement pas considérés comme exerçant une influence les uns sur les autres, à moins que les faits n'indiquent le contraire.

En plus des facteurs généraux mentionnés ci-dessus, il faudrait tenir compte de la composition du conseil d'administration et du contrôle de la gestion quotidienne et du fonctionnement de l'entreprise.

                                                                                                                                [Je souligne.]

[17]          Le procureur des appelantes a aussi cité la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Silicon Graphics Limited c. La Reine, [2002] CAF 260, 2002 DTC 7112 (angl.), [2002] 3 C.T.C. 527 (angl.). Je reproduis ici les paragraphes 66 à 68 :

[66]          La jurisprudence suggère qu'en décidant de la question de savoir si un contrôle de fait existe, il est nécessaire d'examiner les ententes externes (Duha Printers, précité, à la page 825); les résolutions des actionnaires[11] (Société Foncière d'Investissement Inc. c. Canada, [1996] A.C.I. no 1568, par. 10 (C.C.I.)); et la question de savoir si une partie peut modifier le conseil d'administration ou si la convention des actionnaires accorde à une partie la possibilité d'influencer la composition du conseil d'administration (International Mercantile Factors Ltd. c. The Queen (1990), 90 DTC 6390 à la page 6399 (C.F. 1re inst.), conf. par (1994), 94 DTC 6365 (C.A.F.); et Multiview Inc. c. La Reine (1997), 97 DTC 1489 aux pages 1492 et 1493 (C.C.I.)).

[67]          Par conséquent, je suis d'avis que pour que l'on puisse conclure à un contrôle de fait, une personne ou un groupe de personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d'administration ou des pouvoirs du conseil ou d'influencer d'une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d'administration.

[68]          L'intimée n'a présenté aucune preuve qui aurait satisfait à ces critères. Rien dans la preuve n'indique que Silicon US, en tant que créancière, ait déjà exercé un contrôle opérationnel d'Alias. Elle n'a fait que prêter de l'argent à Alias et a entrepris des démarches pour s'assurer que l'argent ne sera dépensé que pour protéger sa position en tant que prêteuse. En outre, l'entente de préfinancement de 5 000 000 $ n'a été en vigueur que pendant sept semaines, et le prêt a été remboursé avant la fin de l'année d'imposition d'Alias. Au surplus, la preuve indique que Silicon US ne souhaitait pas contrôler Alias parce qu'elle ne voulait pas sembler partiale à l'égard des autres clients qui était [sic] des concurrents d'Alias. Silicon US n'a jamais tenté de mettre en place une personne à un poste de direction ou d'administration.

                                                [Je souligne.]

[18]          Le procureur des appelantes a soutenu que Transport Couture n'a exercé d'influence ni sur les actionnaires de ML1 ni sur ceux de ML2. Le seul actionnaire de ML1 était monsieur Marie-Louis Couture et rien dans la preuve n'indique qu'il subissait l'influence de Transport Couture ou de ses actionnaires, soit les enfants de monsieur Couture. Les deux actionnaires de ML2 étaient madame Hamel Couture et monsieur Claude Rodrigue. Madame Couture était informée de façon régulière par monsieur Rodrigue de ce qui se passait. Elle pouvait donc prendre les décisions qu'elle jugeait opportunes.

[19]          Quant au facteur dépendance économique dont il est question à l'alinéa 23d) du bulletin d'interprétation IT-64R4, le procureur des appelantes a soutenu qu'en l'occurence cette dépendance économique était tout à fait relative, que monsieur Marie-Louis Couture aurait pu trouver du travail ailleurs pour ML1 et que l'exploitation de cette entreprise ne nécessitait pas de grandes connaissances puisqu'il ne s'agissait pas d'une entreprise très spécialisée. Le procureur n'a pas fait valoir le même argument pour ML2, mais s'est contenté de dire que madame Couture était une personne impliquée dans la prise des décisions. Finalement, il a insisté sur le fait que les relations contractuelles existant entre Transport Couture, d'une part, et ML1 et ML2, d'autre part, étaient celles de parties négociant sans lien de dépendance entre elles. Il a insisté aussi sur le fait que Transport Couture n'a conféré aucun avantage économique aux sociétés ML1 et ML2 puisque le taux exigé pour les frais de gestion ainsi que pour les frais de transport était raisonnable.

[20]          Quant à la question du contrôle opérationnel, le fait que les signatures de Michel Couture et de Claude Rodrigue se retrouvaient sur certains documents n'avait que peu d'importance compte tenu du peu de valeur de ces documents.

[21]          De façon subsidiaire, le procureur des appelantes a soutenu qu'il ne peut exister de contrôle de facto d'une société lorsqu'une personne la contrôle de jure. Ici, Marie-Louis Couture détenait toutes les actions de ML1 et madame Hamel Couture détenait 90 p. 100 des actions de ML2. Au sous-alinéa 256(1.2)b)ii) de la Loi, il n'est pas fait mention du paragraphe 256(5.1) et ce sous-alinéa ne peut donc être d'aucune application ici.

[22]          Le procureur de l'intimée a soutenu que Transport Couture contrôlait directement ou indirectement ML1 et ML2 en raison de l'exercice du contrôle opérationnel de ces deux sociétés par Transport Couture et en raison de la dépendance économique dans laquelle se trouvaient ces deux sociétés par rapport à Transport Couture. À l'appui de son premier motif, il a relevé de nombreux faits et notamment le fait que Michel Couture a signé le contrat par lequel Marie-Louis Couture vendait les actions de ML1 à une société détenue par monsieur Yvon Champagne. On retrouve les noms de Michel Couture et de son frère, Yvan Couture, dans le contexte d'opérations importantes des sociétés ML1 et ML2, notamment l'achat de camions et le financement de ces camions. On retrouve aussi leurs noms sur les déclarations de droits annuels d'exploitation adressées à la Commission des transports du Québec (CTQ) et dans la correspondance ayant trait à une décision de la CTQ délivrant les permis de camionnage pour ML1.

[23]          Pour illustrer la dépendance économique des sociétés ML1 et ML2, le procureur de l'intimée a relevé le fait qu'elles n'avaient aucun établissement propre à elles et qu'elles n'avaient engagé aucun employé. Tout le travail était effectué par Transport Couture. Selon le procureur de l'intimée, si Transport Couture avait mis fin au contrat de gestion et avait cessé de retenir les services de transport de ML1 et ML2, celles-ci auraient été en sérieuse difficulté financière étant donné que non seulement elles n'avaient aucun employé, mais aussi elles ne possédaient aucune expertise en gestion qui leur aurait permis de rentabiliser l'exploitation de leurs nombreux camions. Finalement, le procureur a cité la décision que j'ai rendue dans l'affaire Rosario Poirier Inc. c. La Reine, 2002 CarswellNat 1174 et 2002 CarswellNat 1445 (angl.), 2002 DTC 1770 et 2002 DTC 1940 (angl.) qui, selon lui, présentait beaucoup de faits analogues à ceux de la présente espèce.

Analyse

[24]          La seule question en litige est de savoir si Transport Couture contrôlait directement ou indirectement de quelque manière que ce soit ML1 et ML2 durant la période pertinente. Si un tel contrôle existait, Transport Couture, ML1 et ML2 auraient été des sociétés associées au cours de cette période et elles devraient alors se partager le plafond des affaires de 200 000 $. Il y aurait lieu, à ce moment-là, de confirmer les cotisations du ministre. Dans le cas contraire, ML1 et ML2 auraient droit au plein montant de la DAPE qu'elles ont demandée.

[25]          Avant d'analyser la notion de contrôle de fait et d'examiner la question de son application aux faits de ces appels, il est utile de rappeler le contexte législatif dans lequel cette question se pose. Par le mécanisme de la DAPE, la Loi permet aux sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) de bénéficier d'un taux d'imposition fédéral réduit (12 p. 100 au lieu de 28 p. 100) qui s'applique aux revenus tirés d'une entreprise exploitée activement[12]. Par contre, ce taux n'est applicable qu'aux premiers 200 000 $ de bénéfices tirés de cette entreprise. Pour empêcher que les contribuables multiplient les SPCC, la Loi établit des règles anti-évitement énoncées en partie aux paragraphes 125(2) et 125(3) de la Loi. Essentiellement, les sociétés associées doivent se partager le plafond des affaires de 200 000 $.

[26]          C'est l'article 256 de la Loi qui définit ce que sont des sociétés associées. L'alinéa 256(1)a) édicte que deux sociétés sont associées lorsque l'une contrôle l'autre, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit. Avant l'adoption du paragraphe 256(5.1), applicable aux années d'imposition débutant après 1988, la Loi ne définissait pas ce que constituait le contrôle d'une société. Les tribunaux ont décidé que contrôle signifie contrôle de jure, à savoir le fait de posséder suffisamment d'actions pour donner une majorité de voix lors de l'élection des administrateurs d'une société. L'arrêt classique est celui rendu par le président Jackett de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire Buckerfield's Limited et al. v. M.N.R., 64 DTC 5301. Voici ce qu'il écrivait à la page 5303 :

Many approaches might conceivably be adopted in applying the word "control" in a statute such as the Income Tax Act to a corporation. It might, for example, refer to control by "management", where management and the Board of Directors are separate, or it might refer to control by the Board of Directors. The kind of control exercised by management officials or the Board of Directors is, however, clearly not intended by section 39 when it contemplates control of one corporation by another as well as control of a corporation by individuals (see subsection (6) of section 39). The word "control" might conceivably refer to de facto control by one or more shareholders whether or not they hold a majority of shares. I am of the view, however, that, in section 39 of the Income Tax Act, the word "controlled" contemplates the right of control that rests in ownership of such a number of shares as carries with it the right to a majority of the votes in the election of the Board of Directors. See British American Tobacco Co. v. I.R.C., [1943] 1 A. E. R. 13, where Viscount Simon L. C., at page 15, says:

The owners of the majority of the voting power in a company are the persons who are in effective control of its affairs and fortunes.

                                                                                                [Je souligne.]

[27]          Cette interprétation a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans M.N.R. v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd. et al., 67 DTC 5035, et plus récemment dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, [1998] A.C.S. no 41 et 98 DTC 6334 (angl.). Cette notion de contrôle reconnue par les tribunaux rejetait toute notion de contrôle de facto. Selon le juge Iacobucci dans Duha Printers, au paragraphe 58 : « La notion de facto a été rejetée parce qu'elle oblige à vérifier qui exerce le contrôle de fait, ce qui peut conduire à une multitude d'indices susceptibles d'exister outre ces sources. » De plus, il disait au paragraphe 52 : « Si la distinction entre le contrôle de jure et le contrôle de facto doit être éliminée à ce moment-ci, il devrait appartenir au Parlement, et non aux tribunaux, de le faire. »

[28]          Or, c'est ce que le Parlement a fait en adoptant le paragraphe 256(5.1) de la Loi en 1988. Aux fins de la règle des sociétés associées notamment, les notions de contrôle de jure et de contrôle de facto doivent donc être utilisées maintenant. De plus, le sous-alinéa 256(1.2)b)(ii) de la Loi prévoit expressément qu'une société peut être contrôlée par une personne même si une autre personne contrôle aussi ou est réputée contrôler aussi la société. Le juge Bowman (tel était alors son titre) commentait ainsi l'adoption du paragraphe 256(5.1) de la Loi dans Société foncière d'investissement Inc. c. Canada, [1995] A.C.I. no 1568, 1995 CarswellNat 1504 (angl.) :

8 Depuis ces décisions[13], d'autres mots ont été ajoutés dans le but évident d'élargir le concept de contrôle, en particulier les mots "directement ou indirectement, de quelque manière que se [sic] soit." À ma connaissance, la question n'a pas été tranchée, mais j'aurais cru qu'on pourrait raisonnablement soutenir que ces mots renferment nécessairement l'idée du contrôle de fait d'une corporation, dans le cas d'une personne qui ne détient pas plus de 50 % des actions mais qui a une influence dominante, soit économique, soit contractuelle, soit morale, sur les affaires d'une corporation. Il est difficile de s'imaginer des mots ayant un sens plus large.

9 Apparemment, le Parlement du Canada avait peur que les mots "directement ou indirectement, de quelque manière que se [sic] soit" n'aillent pas assez loin. Il a donc essayé d'en renforcer l'effet à l'aide du paragraphe 256(5.1).

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[29]          De plus, il est utile de citer les notes explicatives accompagnant le projet de loi de 1988 (qui prévoyait l'ajout du paragraphe 256(5.1)) pour un énoncé de la politique poursuivie par le ministre des Finances en proposant cette modification[14] au Parlement :

Le nouveau paragraphe 256(5.1) de la Loi stipule que, pour l'application de la Loi, une corporation est considérée comme contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que se [sic] soit, par une autre corporation, une personne ou un groupe de personnes ( « l'entité dominante » ), lorsque l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la corporation. Une exemption est prévue dans le cas où la corporation et l'entité dominante n'ont aucun lien de dépendance et où l'influence de l'entité dominante résulte d'un contrat ou autre convention - par exemple d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion - dont l'objet principal est de régir les relations existantes entre les parties, en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la corporation.

Le nouveau paragraphe 256(5.1) étend la notion de contrôle, pour certaines dispositions de la Loi, à ce qu'on appelle souvent le contrôle de fait. D'après les règles existantes, le contrôle d'une corporation dépend généralement de la possibilité d'élire une majorité de ses administrateurs -- c'est-à-dire du contrôle de droit. Un exemple de contrôle de fait pourrait être fourni par une situation où une personne détient 49 % des droits de vote d'une corporation et que le reste est largement réparti entre les nombreux employés d'une corporation ou sont détenus par des personnes qu'il est raisonnable de considérer comme agissant conformément à ses voeux à l'égard de la corporation. La question de savoir si l'on peut considérer qu'une personne contrôle effectivement une corporation, peu importe qu'elle ne contrôle pas légalement plus de 50% de ses actions donnant droit de vote, dépendra dans chaque cas de toutes les circonstances.

La dérogation prévue au paragraphe 256(5.1) fait la distinction entre le contrôle de la corporation et le contrôle de ses affaires, précisant que le critère de contrôle de fait qui y est prévu ne s'applique pas dans les situations ne comportant aucun lien de dépendance, lorsque l'influence de l'entité dominante découle uniquement d'un contrat ou accord dont le principal objet est de régir les rapports entre la corporation et l'entité dominante, en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la corporation. Ainsi, par exemple, un contrat de concession ou un bail qui donne au concédant ou au bailleur un certain contrôle sur les produits vendus par la corporation ou les heures durant lesquelles elle mène ses activités n'aurait en soi pour conséquence de faire considérer le concédant ou le bailleur comme contrôlant la corporation.

                                                                                                                                [Je souligne.]

[30]          Ici, il est clair que Transport Couture n'exerçait pas de contrôle de jure sur ML1 et de ML2 puisqu'elle ne détenait aucune action du capital-actions de celles-ci. Il faut donc déterminer si, par contre, Transport Couture exerçait sur elles un contrôle de facto, c'est-à-dire déterminer, tel que le requiert le paragraphe 256(5.1) de la Loi, si Transport Couture avait, durant la période pertinente, une influence directe ou indirecte dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de ML1 et de ML2. Comme le révèle le texte de la version anglaise[15] de ce paragraphe, qui est, à mon avis, plus explicite, il faut déterminer si Transport Couture avait sur ML1 et ML2 une influence qui, si elle avait été exercée, aurait entraîné le contrôle de fait de ces dernières. Il n'est donc pas nécessaire que la preuve établisse que Transport Couture exerçait un contrôle de fait sur ML1 et ML2 ou que l'influence dominante de Transport Couture était effectivement exercée. Il suffit de constater l'existence d'une telle influence.

[31]          Le paragraphe 256(5.1) de la Loi n'expose pas les circonstances pouvant permettre de conclure à l'existence d'une telle influence. Toutefois, il ressort de l'analyse de ce paragraphe qu'une telle influence peut découler d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion ou d'une convention semblable. Le texte prévoit expressément que le seul fait de l'existence d'une telle convention ne devrait pas entraîner le contrôle de fait d'une société si deux conditions sont réunies. Premièrement, il ne doit pas exister de lien de dépendance entre la société et l'entité dominante. Deuxièmement, l'objet principal de la convention dont découle l'influence doit consister à déterminer les liens qui unissent la société et l'entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la société. A contrario, l'existence d'une convention de gestion ou d'un contrat de commercialisation ou d'approvisionnement portant sur la façon de mener une entreprise et liant des parties ayant un lien de dépendance entre elles pourrait donc constituer un facteur pertinent pour établir l'existence d'une influence exercée par l'entité dominante.

[32]          Il faut préciser que la Cour n'est pas limitée à ne tenir compte que de l'existence de semblable convention pour déterminer si une entité a une influence qui entraînerait le contrôle de fait d'une société. Chaque cas doit être analysé selon ses faits pertinents et, même si cela pourrait être souhaitable, il n'est pas possible de fournir une liste exhaustive de tous les facteurs pertinents. Il est utile de rappeler les propos du juge Bowman qui, dans la décision Société foncière d'investissement (précitée), parlait d'une influence soit économique, soit contractuelle, soit morale sur les affaires d'une société. J'ajouterais finalement que l'énoncé que l'on trouve au paragraphe 23 du bulletin d'interprétation IT-64R4 m'apparaît comme un exposé raisonnable de facteurs pertinents pour la détermination de l'existence d'une influence dont l'exercice pourrait entraîner un contrôle de fait d'une société.

[33]          À mon avis, la preuve présentée dans ces appels révèle l'existence d'une influence directe ou indirecte de Transport Couture dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de ML1 et de ML2. Les trois facteurs les plus importants appuyant la conclusion à l'existence d'une telle influence sont : i) la dépendance économique de ces deux sociétés par rapport à Transport Couture; ii) le contrôle opérationnel de l'entreprise de ML1 et de ML2; iii) le lien familial entre les actionnaires de toutes ces sociétés.

[34]          À bien des égards, les faits de ces appels ont beaucoup de ressemblance avec ceux de l'affaire Rosario Poirier Inc. (précitée) que j'ai entendue. Il y a ici une dépendance économique de ML1 et de ML2 par rapport à Transport Couture, dépendance semblable à celle à l'existence de laquelle j'ai conclu dans cette affaire-là. Non seulement Transport Couture était-elle le seul client de ML1 et de ML2, mais en plus, elle était seule à assurer la gestion de ces dernières sociétés. Non seulement leur fournissait-elle tous les services de gestion, mais elle fournissait en plus les services de tous les conducteurs nécessaires pour les camions de transport appartenant à ces deux sociétés. Non seulement ML1 et ML2 n'avaient elles-mêmes aucun employé, mais elles n'avaient aucun établissement distinct de celui de Transport Couture.

[35]          Également révélateur de l'existence d'une dépendance économique est le fait que l'entreprise qu'exploitait monsieur Marie-Louis Couture avant le transfert de celle-ci à ML1 est disparue quelques mois après ce transfert : les trois tracteurs et remorques que possédait monsieur Couture ont rapidement été revendus. L'entreprise de monsieur Couture était essentiellement une entreprise de transport en vrac, soit le transport de copeaux à des usines de pâte et papier. Il s'agissait d'une entreprise qui exerçait ses activités dans un marché très concurrentiel et qui n'a jamais pris de l'ampleur. En outre, je suis loin d'être convaincu du bien-fondé du témoignage de monsieur Rodrigue selon lequel 45 p. 100 du chiffre d'affaires de ML1 au cours du premier exercice financier terminé après le transfert de l'entreprise de transport de monsieur Couture provenait du transport général. J'accorde plus de valeur probante aux états financiers, qui révèlent que 100 p. 100 du chiffre d'affaires réalisé par ML1 durant cet exercice financier provenait de Transport Couture. Or, Transport Couture ne faisait que du transport général. D'ailleurs, comme l'a reconnu monsieur Rodrigue, près de 90 p. cent des revenus de ML1 pour l'exercice financier suivant provenaient du transport général. Par conséquent, l'entreprise exploitée par ML1 n'était plus l'entreprise qu'avait exploitée durant une grande partie de sa vie monsieur Couture, à savoir le transport en vrac, mais elle constituait plutôt un prolongement de l'entreprise de transport général de Transport Couture. Sous la gestion (et sous le contrôle ) de Transport Couture, ML1 a fait l'acquisition de neuf tracteurs pour effectuer du transport général. Ces tracteurs auraient même pu être acquis par Transport Couture. Cela aurait certainement entraîné moins de complications administratives que le fait de maintenir l'existence séparée de ML1. Évidemment, on aurait perdu alors certains avantages fiscaux, notamment celui de la multiplication de la DAPE.

[36]          Il faut rappeler que l'actionnaire unique de ML1, monsieur Marie-Louis Couture, était âgé d'environ 78 ans lorsqu'il a transféré son entreprise de transport à cette société, et qu'il subissait alors, selon toute vraisemblance, les effets néfastes de la maladie d'Alzheimer. Même si monsieur Couture pouvait encore avoir les facultés intellectuelles nécessaires pour s'occuper de ML1, la preuve ne révèle pas qu'il ait joué de rôle important dans l'administration de cette société. Comme l'indique le témoignage de monsieur Rodrigue, monsieur Couture ne venait jamais au bureau. « Il s'occupait de ses camions » . On peut facilement imaginer que cet homme, presque octogénaire, qui avait travaillé toute sa vie à conduire des camions, ne voulait pas rester chez lui à ne rien faire mais désirait garder le contact avec ses camions. Toutefois, l'entreprise qui était exploitée à ce moment-là n'était plus celle qu'il avait exploitée toute sa vie. Si Transport Couture avait décidé de ne pas renouveler son contrat de gestion et de ne plus retenir les services des sociétés ML1 et ML2, ni monsieur Couture ni son épouse par la suite, quand ML2 a remplacé ML1, n'auraient été en mesure, selon toute vraisemblance, d'exploiter à profit les quatorze camions possédés par ML1 et les neuf possédés par ML2. Transport Couture avait alors une influence dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de ML1 et de ML2, ou, pour utiliser les mots du juge Sexton, que l'on trouve au paragraphe 67 de l'arrêt Silicon Graphics Ltd. (précité), elle pouvait « influencer d'une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d'administration » de ces deux sociétés.

[37]          Aux faits déjà mentionnés, qui révèlent également le contrôle opérationnel de Transport Couture sur ML1 et ML2, il faut ajouter la conduite adoptée par Transport Couture dans la gestion de ML1 et de ML2. Mentionnons notamment que les modalités du contrat de gestion et de transport liant Transport Couture à ML1 et à ML2 n'avaient rien de comparable avec les modalités détaillées que l'on retrouve dans les autres contrats de sous-traitance de Transport Couture. Aucune entente écrite de gestion n'avait été jugée nécessaire comme suite au remplacement de ML1 par ML2. Comme le disait avec éloquence monsieur Michel Couture, Transport Couture et les sociétés ML1 et ML2 « formaient un vieux couple » . Il n'était pas nécessaire de stipuler des modalités détaillées régissant les relations contractuelles entre ces sociétés puisque Transport Couture contrôlait de fait les opérations de ML1 et ML2. Il aurait été tout à fait inutile de stipuler les mêmes modalités que celles énoncées dans les contrats de Transport Couture avec ses autres sous-traitants.

[38]          Comme autre indice de l'existence de l'influence dominante de Transport Couture, il y a les relations familiales entre les actionnaires de cette société et ceux de ML1 et de ML2. Les cinq actionnaires de la première étaient les fils de monsieur Marie-Louis Couture, l'unique actionnaire de ML1, et de madame Fleurette Hamel Couture, l'actionnaire à 90 p. 100 de ML2[16]. La preuve ne révèle que l'âge de monsieur Couture, qui avait entre 78 et 81 ans durant la période pertinente. Étant donné le peu d'implication de madame Hamel Couture dans l'administration de ML2 et l'absence d'implication de monsieur Couture dans ML1, il est raisonnable de croire que monsieur et madame Couture comptaient sur leurs enfants pour s'occuper adéquatement de leurs placements dans ces deux sociétés. Compte tenu de leur situation de personnes à la retraite et de l'état de santé de monsieur Couture, il est raisonnable de conclure qu'ils étaient sous l'influence de leurs cinq fils, qui détenaient ensemble toutes les actions de Transport Couture par l'intermédiaire d'une société de gestion.

[39]          Je n'hésite aucunement à conclure ici non seulement que Transport Couture avait une influence directe ou indirecte sur les sociétés ML1 et ML2, mais aussi que, dans les faits, c'est la première qui avait le contrôle de fait des deux autres.

[40]          Quant à l'argument subsidiaire soulevé par le procureur des appelantes, à savoir qu'il ne pouvait y avoir de contrôle de fait de ML1 et de ML2 lorsqu'il existait un contrôle de jure de ces sociétés, je mentionnerai ici, comme je l'ai conclu dans la décision Rosario Poirier Inc[17] (précitée), que l'alinéa 256(1.2)b)(ii) de la Loi prévoit expressément qu'une personne peut contrôler une société même si une autre la contrôle aussi. Le fait que le paragraphe 256(1.2) ne fait pas de renvoi au paragraphe 256(5.1) de la Loi n'empêche pas la coexistence du contrôle de jure par une personne et du contrôle de facto par une autre. Ces deux notions se trouvent au paragraphe 256(1) de la Loi. En d'autres mots, il n'est pas nécessaire que le paragraphe 256(1.2) de la Loi fasse référence au paragraphe 256(5.1). Le renvoi au paragraphe 256(1) suffit.

[41]          Par conséquent, les appels de ML1 et de ML2 sont rejetés et les dépens sont adjugés à l'intimée.

Signé à Drummondville (Québec), ce 16e jour de janvier 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :                       2000-2264(IT)G

                                                                                                                2000-2266(IT)G

INTITULÉS DES CAUSES :                                                TRANSPORT M.L. COUTURE INC.

                                                                                                                9044-2807 QUÉBEC INC.

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    26 septembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      16 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Pour les appelantes :                                            Me Marc Bouchard

Pour l'intimée :                                                       Me Valérie Tardif

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour les appelantes :

                                Nom :                                       Me Marc Bouchard

                                Étude :                                     POULIOT L'ÉCUYER

                                                                                                Sainte-Foy (Québec)

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-2264(IT)G

ENTRE :

TRANSPORT M.L. COUTURE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 26 septembre 2002 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                                        Me Marc Bouchard

Avocate de l'intimée :                                                          Me Valérie Tardif

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 1997 est rejeté et les dépens sont adjugés à l'intimée.

Signé à Drummondville (Québec), ce 16e jour de janvier 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

2000-2266(IT)G

ENTRE :

9044-2807 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 26 septembre 2002 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                                        Me Marc Bouchard

Avocate de l'intimée :                                                          Me Valérie Tardif

JUGEMENT

                Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1995 et 1996 sont rejetés et les dépens sont adjugés à l'intimée.

Signé à Drummondville (Québec), ce 16e jour de janvier 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Selon le Larousse médical, Paris, Larousse, 1995, il s'agit d'une affection neurologique chronique, d'évolution progressive, caractérisée par une altération intellectuelle irréversible aboutissant à un état démentiel.

[2] Tel qu'il est indiqué à l'entente du 15 novembre 1995.

[3] La même rubrique et la même note se retrouvent dans les états financiers de ML1 du 31 août 1996 et du 9 décembre 1996 et dans ceux de ML2 du 31 août 1997.

[4] Le fondateur était Claude Rodrigue.

[5] Monsieur Yvon Champagne, qui a signé pour l'acheteur, n'a pas témoigné pour corroborer cette assertion et son absence n'a pas été expliquée.

[6] Le coût du matériel roulant (vraisemblablement les onze camions achetés par ML1 dans l'exercice 1996) indiqué dans les états financiers de ML2 au 31 août 1997 est de 973 073 $.

[7] Il s'agit d'une entente correspondant au modèle établi par l'Association du camionnage du Québec et stipulant de façon détaillée les modalités régissant les parties, notamment celles portant sur la rémunération, l'usage et l'entretien de l'équipement, l'engagement d'employés par le sous-traitant, l'exécution du transport. On y trouve aussi une clause de non-concurrence. En annexe, on y trouve une liste détaillée de l'équipement, des documents et de l'assurance requis ainsi que le barème détaillé de la rémunération et des retenues que Transport Couture peut effectuer.

[8] Même si presque tous ces sous-traitants sont des sociétés par actions, l'intitulé de cette liste est : Transport Couture et fils Ltée, Cumulatif annuel par employé, Liste complète » . [Je souligne.]

[9] Il est à noter que Michel Couture a aussi signé de telles déclarations pour son père avant le transfert de l'entreprise de transport à ML1, notamment le 31 janvier 1995. Yvan Couture a aussi fait des demandes d'immatriculation à la SAAQ pour l'entreprise de son père, notamment les 8 et 15 février 1994.

[10] Selon l'entente du 15 novembre 1995, c'est Transport Couture qui devait entreprendre les démarches pour l'obtention des permis.

[11] Même si le juge dans Société Foncière d'Investissement Inc. décrit les résolutions du conseil d'administration comme des résolutions « votées par les autres actionnaires » (voir le paragraphe 10 de sa décision), il s'agit bien de résolutions du conseil d'administration, dont les membres n'étaient pas tous actionnaires (voir le paragraphe 4, alinéas g) et h)).

[12] Voir le paragraphe 125(1) de la Loi au paragraphe [15] de ces motifs.

[13] Il faisait référence aux décisions Buckerfield's et Dworkin Furs.

[14] Projet de loiC-139; L.C. 1988, ch. 55, art. 193(3).

[15] Voici la version anglaise du paragraphe 256(5.1) :

Control in fact.

For the purposes of this Act, where the expression "controlled, directly or indirectly in any manner whatever," is used, a corporation shall be considered to be so controlled by another corporation, person or group of persons (in this subsection referred to as the "controller") at any time where, at that time, the controller has any direct or indirect influence that, if exercised, would result in control in fact of the corporation, except that, where the corporation and the controller are dealing with each other at arm's length and the influence is derived from a franchise, licence, lease, distribution, supply or management agreement or other similar agreement or arrangement, the main purpose of which is to govern the relationship between the corporation and the controller regarding the manner in which a business carried on by the corporation is to be conducted, the corporation shall not be considered to be controlled, directly or indirectly in any manner whatever, by the controller by reason only of that agreement or arrangement.

                                                                                                                        [Je souligne.]

[16] Soulignons de plus que l'autre actionnaire de ML2, monsieur Rodrigue, était un cadre de Transport Couture.

[17] Voir en particulier les paragraphes 28 à 30 de cette décision.

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