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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-612(IT)G

ENTRE :

MARINA PAUL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Deborah Brent,

no 1999-611(IT)G, le 9 juillet 2001 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Avocats de l'appelante :              Me Alan M. Schwartz

Me Patrick J. McCay

Avocat de l'intimée :                   Me Franco Calabrese

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1989 est admis, avec un seul mémoire de frais, et la cotisation est annulée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-611(IT)G

ENTRE :

DEBORAH BRENT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Marina Paul,

no 1999-612(IT)G, le 9 juillet 2001 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Avocats de l'appelante :              Me Alan M. Schwartz

Me Patrick J. McCay

Avocat de l'intimée :                   Me Franco Calabrese

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1989 est admis, avec un seul mémoire de frais, et la cotisation est annulée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10ejour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010926

Dossier: 1999-611(IT)G

ENTRE :

DEBORAH BRENT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET ENTRE :

1999-612(IT)G

MARINA PAUL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip, C.C.I.

[1]      Dans les appels interjetés par Deborah Brent et Marina Paul à l'encontre de cotisations d'impôt pour l'année d'imposition 1989, il s'agit de savoir :

(i) si le ministre du Revenu national (le « ministre » ) était en droit d'établir de nouvelles cotisations à l'égard des appelantes pour l'année d'imposition 1989 après la période normale de nouvelle cotisation pour cette année, en vertu du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), telle que modifiée;

(ii) si le ministre était en droit d'imposer une pénalité aux appelantes pour l'année d'imposition 1989, en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[2]      Les appels ont été entendus sur preuve commune. Les parties ont convenu des faits suivants :

          [TRADUCTION]

1.      Le ministre a établi une cotisation à l'égard de Mme Brent pour l'année d'imposition 1989 par voie d'avis de cotisation en date du 12 juillet 1990. La cotisation n'incluait dans le calcul du revenu de Mme Brent pour l'année d'imposition 1989 aucun revenu attribué à Mme Brent par la société de personnes.

2.      Pour l'année d'imposition 1989 de Mme Brent, la période normale de nouvelle cotisation, en vertu du paragraphe 152(3.1) de la Loi, commençait le 12 juillet 1990, à savoir la date de la cotisation, et se terminait le 12 juillet 1993, à savoir trois ans suivant le jour de mise à la poste de la cotisation.

3.      Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Mme Brent pour l'année d'imposition 1989 par voie d'avis de nouvelle cotisation en date du 9 mai 1996. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre a :

a)    ajouté au revenu de Mme Brent le revenu brut de 67 688 $ provenant de la société de personnes;

b)    admis la déduction de frais financiers supplémentaires de 28 241 $ relativement au revenu provenant de la société de personnes;

c)    admis la déduction de dépenses d'exploration et d'aménagement de 8 731 $ relativement au revenu provenant de la société de personnes;

d)    imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi en raison de l'omission de déclarer le revenu provenant de la société de personnes.

4.      Le ministre a établi une cotisation à l'égard de Mme Paul pour l'année d'imposition 1989 par voie d'avis de cotisation en date du 6 septembre 1990. La cotisation n'incluait dans le calcul du revenu de Mme Paul pour l'année d'imposition 1989 aucun revenu attribué à Mme Paul par la société de personnes.

5.      Pour l'année d'imposition 1989 de Mme Paul, la période normale de nouvelle cotisation, en vertu du paragraphe 152(3.1) de la Loi, commençait le 6 septembre 1993, à savoir la date de la cotisation, et se terminait le 12 juillet 1993, à savoir trois ans suivant le jour de mise à la poste de la cotisation.

6.      Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Mme Paul pour l'année d'imposition 1989 par voie d'avis de nouvelle cotisation en date du 7 mai 1997. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre a :

a)    ajouté au revenu de Mme Paul le revenu brut de 67 688 $ provenant de la société de personnes;

b)    admis la déduction de frais financiers supplémentaires de 28 241 $ relativement au revenu provenant de la société de personnes;

c)    admis la déduction de dépenses d'exploration et d'aménagement de 8 731 $ relativement au revenu provenant de la société de personnes;

d)    imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi en raison de l'omission de déclarer le revenu provenant de la société de personnes.

7.      Les formulaires T7W-C délivrés par le ministre du Revenu national à Mme Brent et à Mme Paul relativement aux nouvelles cotisations sont reproduits aux onglets 3 et 4, respectivement, du recueil conjoint de documents.

8.      Les appelantes n'ont signé ou remis aucune renonciation relative à la période normale de nouvelle cotisation pour leur année d'imposition 1989.

Deborah Brent

9.      Mme Brent est diplômée en droit de l'université appelée « University of Western Ontario » et a été reçue au barreau de l'Ontario en 1977.

10.    Pendant une brève période à la fin des années 1980, Mme Brent a exercé le droit dans le domaine du gouvernement des entreprises et des fondations de charité. Elle n'a pas d'expérience professionnelle dans le domaine du droit fiscal ou des opérations financières complexes.

11.    Mme Brent a signé sa déclaration de revenus T1 pour l'année d'imposition 1989 le 30 avril 1990. La déclaration de revenus T1 de Mme Brent pour 1989 est reproduite à l'onglet 1 du recueil conjoint de documents.

Marina Paul

12.    Marina Paul s'appelait autrefois Marina Andreis.

13.    Mme Paul a un baccalauréat ès arts de l'Université York et elle a un grade d'associée en mise en marché de vêtements de mode.

14.    Mme Paul était propriétaire exploitante de neuf magasins Benetton au cours de la période allant de 1983 à 1991 ou 1992.

15.    Comme propriétaire exploitante des magasins Benetton, l'appelante était notamment responsable des achats, du personnel (85 employés), de la mise en marché, des vitrines et de l'exploitation des magasins de détail. Elle n'a pas d'expérience professionnelle dans le domaine fiscal ou dans le domaine des opérations financières complexes.

16.    Mme Paul a signé sa déclaration de revenus T1 pour l'année d'imposition 1989 le 30 avril 1990. La déclaration de revenus T1 de Mme Paul pour 1989 est reproduite à l'onglet 2 du recueil conjoint de documents.

17.    À l'époque de l'établissement de sa déclaration de revenus pour 1989, l'appelante avait des difficultés conjugales.

Faits communs aux deux appelantes

18.    En décembre 1988, les appelantes ont chacune acquis de la succession de leur mère, Dona A. Paul, une participation de 33,333333 p. 100 dans une société de personnes appelée TCS #7 Limited Partnership (la « société de personnes » ).

19.    Les appelantes savaient que leur père avait acquis, de la succession de leur mère, des participations dans la société de personnes dont elles finiraient par bénéficier.

20.    Pendant un certain nombre d'années, la société de personnes a envoyé par la poste, au bureau du père des appelantes, Vincent Paul, les états financiers annuels, notamment les états financiers de la société de personnes pour l'exercice se terminant le 31 octobre 1989 (les « états financiers pour 1989 » ). Les états financiers pour 1989 sont reproduits à l'onglet 5 du recueil conjoint de documents.

21.    Les appelantes n'avaient pas de connaissance particulière concernant la réception des états financiers pour 1989.

22.    Les états de la société de personnes, notamment les états financiers pour 1989, étaient maintenus au bureau du père des appelantes.

23.    Les appelantes n'ont jamais été informées de lettres ou d'avis reçus relativement à leurs participations dans la société de personnes et n'ont pas demandé de renseignements à l'égard de telles lettres ou de tels avis.

24.    Les appelantes n'ont jamais reçu de paiements de la société de personnes, mais, comme propriétaires de participations dans la société de personnes au 31 octobre 1989, on leur a attribué leurs parts proportionnelles du revenu de la société de personnes pour l'année d'imposition 1989.

25.    Les appelantes ont omis d'indiquer leurs parts du revenu de la société de personnes dans leurs déclarations de revenus pour l'année d'imposition 1989.

26.    Les déclarations de revenus des appelantes pour l'année d'imposition 1989 ont été établies par M. Melvyn Chin, le contrôleur de la société familiale. M. Chin n'a pas inclus le revenu de la société de personnes attribué aux appelantes dans les déclarations de revenus des appelantes pour 1989.

27.    La pratique générale des appelantes chaque année était la suivante :

a)    fournir au contrôleur tous les reçus, feuillets de renseignements et autres documents en leur possession, aux fins de l'établissement de la déclaration de revenus;

b)    veiller à ce que le contrôleur établisse la déclaration de revenus en temps opportun;

c)    une fois la déclaration de revenus établie, rencontrer le contrôleur et examiner la déclaration. Le contrôleur expliquait la déclaration de revenus et les appelantes pouvaient poser des questions sur des éléments de la déclaration et, souvent, elles demandaient effectivement des éclaircissements.

28.    Les appelantes reconnaissent maintenant que leurs parts individuelles de 67 688 $ du revenu de la société de personnes, moins les déductions y afférentes, auraient dû être incluses dans leur revenu respectif lorsqu'elles ont produit leurs déclarations de revenus pour l'année d'imposition 1989.

29.    Aucun contribuable n'a déclaré les parts des appelantes du revenu de la société de personnes pour 1989.

30.    L'année d'imposition 1989 des appelantes a été la seule année pendant laquelle un revenu de la société de personnes leur a été attribué. La participation dans la société de personnes a été transférée à Peter Paul 1 Inc. en octobre 1990. La fin de l'exercice de la société de personnes est le 31 octobre. Ainsi, les appelantes ne se sont vu attribuer un revenu par la société de personnes conformément au contrat de société que pour la période se terminant le 31 octobre 1989.

31.    Le 1er octobre 1990, les appelantes et la société ont signé une convention en vertu de laquelle les appelantes acceptaient de vendre à la société leurs participations dans la société de personnes, en contrepartie d'une somme totale de 900 000 $, à savoir 450 000 $ pour la participation de chaque appelante. Cette convention est reproduite à l'onglet 6 du recueil conjoint de documents.

32.    Le 1er février 1993, les appelantes ont toutes deux signé un formulaire T2057 concernant le transfert, à la société, de leurs participations dans la société de personnes et, en avril ou mai 1993, elles ont remis ces formulaires au ministre du Revenu national (le « ministre » ). Les formulaires T2057 pour Mme Brent et Mme Paul sont reproduits aux onglets 7 et 8, respectivement, du recueil conjoint de documents.

33.    Les appelantes n'ont pas cherché à déclarer leurs parts du revenu de la société de personnes après avoir produit leurs déclarations de revenus pour l'année d'imposition 1989.

[3]      M. Chin a été appelé comme témoin par la Couronne. Les appelantes et M. Brent ont également témoigné.

[4]      M. Chin a reconnu que, pour les cinq années pendant lesquelles il avait travaillé comme contrôleur pour les sociétés familiales des Paul, il avait établi des déclarations de revenus pour des membres de la famille sans rémunération supplémentaire. En établissant les déclarations de revenus pour les particuliers, il réunissait les données touchant ces particuliers, par exemple en matière de dividendes, de salaires et d'intérêts.

[5]      D'après M. Chin, les états financiers de la société de personnes étaient envoyés à Vincent Paul, le père des appelantes, ou à Phillip Brent, l'époux de Mme Brent, indépendamment du fait que les appelantes avaient une participation dans la société de personnes. M. Paul et M. Brent étaient fiduciaires de la succession de feue Mme Paul.

[6]      M. Chin n'arrivait pas à se rappeler s'il avait reçu une copie des états financiers de la société de personnes pour la période se terminant le 31 octobre 1989, à savoir l'année en cause en l'espèce. S'il avait examiné les états, a-t-il témoigné, il aurait remarqué et confirmé que la propriété était passée de la succession de feue Mme Paul (la « succession » ) aux appelantes; la page 8 des états énumère les divers associés et indique le montant devant être inclus dans le revenu de chaque associé pour 1989. Cependant, aucune des appelantes n'a inclus dans sa déclaration de revenus le revenu provenant de la société de personnes et aucune d'elles n'a déduit les frais d'intérêts relatifs à la société de personnes. M. Chin a dit qu'il n'avait pas été avisé d'un changement de propriété des participations dans la société de personnes au bénéfice des appelantes. [M. Chin n'a pas établi les états financiers de la société de personnes, quoiqu'il ait été au courant de l'existence de cette dernière.]

[7]      Selon M. Chin, les seuls membres de la famille Paul qui aient été au courant du transfert des participations dans la société de personnes étaient M. Paul et M. Brent.

[8]      Lors de l'interrogatoire préalable, Mme Paul a reconnu qu'elle était au courant de l'existence des diverses sociétés familiales, qu'elle savait que son père gérait celles-ci et qu'elle savait qu'il gérait en outre la part qu'elle avait dans la succession de sa mère. Elle croyait que c'était la succession de sa mère qui détenait la participation dans la société de personnes. Elle a admis que, si ce n'est en passant, personne ne mettait en question la manière dont son père administrait ou gérait la succession ou les autres intérêts qu'il détenait à son profit. Mme Paul n'a jamais demandé de renseignements au sujet de ces placements et n'a jamais examiné ou demandé à examiner les états financiers de la société de personnes envoyés en son nom à son père, mais elle pensait que, si elle avait demandé à voir les états, son père les lui aurait montrés.

[9]      Phillip Brent est avocat. Il travaillait également avec M. Paul. M. Paul était un comptable agréé qui, dans les années 1980, avait une prospère entreprise de gestion et d'aménagement immobiliers et avait demandé à M. Brent de l'aider dans son entreprise. M. Brent a décrit M. Paul comme étant un [TRADUCTION] « self-made-man » et faisant preuve d'un [TRADUCTION] « despotisme éclairé » . L'entreprise de M. Paul était pour ses enfants, les appelantes, et [TRADUCTION] « il comptait sur leurs bonnes grâces pour ce qui était de la gestion de l'entreprise » . D'après M. Brent, c'était [TRADUCTION] « un homme dominateur » qui [TRADUCTION] « n'aimait pas qu'on le questionne » . M. Paul était [TRADUCTION] « renfermé et était quelqu'un avec qui il était difficile de travailler » . M. Brent a dit que, pour sa part, il ne donne pas non plus spontanément de l'information, ce qui a été [TRADUCTION] « une source de différends, au fil des ans, avec son épouse » .

[10]     En 1978, la succession de feue Mme Paul a réalisé un gros bénéfice sur la vente d'actions d'une société ouverte et a différé l'impôt en investissant dans la société de personnes, une entreprise d'exploration gazière. Le placement était fortement financé par emprunt; tout le revenu de la société de personnes allait à la banque pour payer les intérêts et les autres frais. En 1988, comme M. Paul voulait liquider la succession de son épouse, il prévoyait faire en sorte que la succession transfère sa participation dans la société de personnes aux appelantes et que les appelantes transfèrent ensuite (par transfert libre d'impôt) leurs participations dans la société de personnes à Peter Paul 1 Inc. Comme l'intention sous-jacente au transfert était de différer l'impôt, des choix seraient exercés en vertu de l'article 85 de la Loi. (M. Brent a déclaré qu'il était au courant des plans visant à liquider la succession; il avait établi la convention de transfert, un document d'une page, par laquelle la propriété passait de la succession de feue Mme Paul aux appelantes.) Les participations dans la société de personnes ont été transférées aux appelantes en 1989. Toutefois, parce que le consentement d'autres associés dans la société de personnes était nécessaire pour transférer les participations à la société Peter Paul 1 Inc., ce second transfert n'a eu lieu qu'environ 15 mois plus tard, c'est-à-dire le 31 octobre 1990. (L'exercice de la société de personnes se termine le 31 octobre.) Dans l'intervalle, les appelantes étaient les bénéficiaires des participations dans la société de personnes, quoiqu'elles n'aient pas été au courant qu'elles en étaient les propriétaires. Ni M. Paul ni M. Brent n'avaient discuté de l'opération avec les appelantes à l'époque.

[11]     M. Brent a dit qu'il discutait habituellement de questions d'affaires avec son épouse à la maison. C'était à son bureau qu'il discutait de questions d'affaires avec Mme Paul.

[12]     M. Brent a témoigné que les appelantes croyaient sur parole ce que leur père leur disait. En ce qui concerne le choix relatif à l'article 85, on leur avait dit que le transfert était « neutre du point de vue fiscal » .

[13]     M. Brent a affirmé qu'il s'occupait des affaires juridiques de la famille et que son beau-père s'occupait des questions comptables et financières. Il y avait, a-t-il dit, une stricte division des responsabilités. M. Brent était toutefois au courant des états financiers de la société de personnes. Il a affirmé que la succession avait déclaré le revenu qui, d'après l'intimée, aurait dû être inclus dans le revenu des appelantes. M. Paul, a-t-il affirmé, était [TRADUCTION] « très soigneux dans la production de déclarations de revenus » . Il a décrit M. Chin comme étant [TRADUCTION] « méticuleux » et [TRADUCTION] « attentif à ce qu'il faisait » . Mme Brent a témoigné qu'elle avait déclaré des revenus d'intérêts de 3,34 $ dans sa déclaration de revenus pour 1989.

[14]     M. Brent estimait que la valeur des actifs familiaux en 1988 était de 60 000 000 $; la valeur de la participation de chaque appelante dans la société de personnes était d'environ 450 000 $ en 1988.

[15]     Mme Brent se souvenait que, vers 1978, son père avait informé sa soeur et elle-même qu'il [TRADUCTION] « avait fait quelque chose » d'avantageux pour elles, mais qu'elles en bénéficieraient [TRADUCTION] « beaucoup plus tard » .

[16]     L'impression que M. Brent avait de M. Paul a été corroborée par Mme Brent : son père était [TRADUCTION] « dynamique » et [TRADUCTION] « contrôlant » , il était [TRADUCTION] « préoccupé par les affaires » , il ne donnait que des « manchettes » comme renseignements et il était [TRADUCTION] « réticent à donner de l'information » . Son père la [TRADUCTION] « renvoyait » lorsqu'elle travaillait pour une des sociétés et qu'elle avait besoin de renseignements. Pour elle, la société de personnes était un élément d'actif dont elle était au courant et qu'elle acquerrait dans 20 ou 30 ans, mais, dans l'intervalle, c'était [TRADUCTION] « loin des yeux, loin du coeur » .

[17]     Mme Brent ne se souvenait pas avoir discuté avec son père du transfert de la participation dans la société de personnes à Peter Paul 1 Inc., mais elle se souvenait avoir discuté avec son époux du transfert de cette participation de la succession à une société. Elle croyait que son époux passerait en revue avec elle ce dont il avait discuté avec son père. Elle a dit qu'elle n'avait jamais vu les états financiers de la société de personnes et que, de toute façon, elle ne les comprendrait pas. Elle ne s'attendait pas à être propriétaire d'une participation dans une société de personnes, elle n'avait jamais reçu de revenu de la société de personnes, et [TRADUCTION] « aucun signal d'alarme n'avait été donné » .

[18]     Mme Brent a affirmé que toute l'information fiscale qu'elle avait allait à M. Chin pour l'établissement des déclarations de revenus. Mme Brent examinait avec M. Chin les déclarations de revenus [TRADUCTION] « ligne par ligne » , posait des questions et demandait des éclaircissements avant d'apposer sa signature. Elle ne discutait pas des déclarations des revenus avec son père ou sa soeur.

[19]     Mme Brent présume que c'est en 1990 que son époux l'a mise au courant pour la première fois du transfert en franchise d'impôt en vertu de l'article 85, mais ce n'est qu'au moment de la nouvelle cotisation établie à son égard qu'elle a appris qu'un revenu provenant de la société de personnes n'avait pas été inclus dans sa déclaration de revenus pour 1989. Elle a affirmé que ce que son époux lui disait n'était [TRADUCTION] « habituellement pas détaillé » , mais qu'elle avait confiance en lui, tout comme en son père. Parfois, a-t-elle dit, elle ne comprend pas les réponses aux questions qu'elle pose. Quoiqu'elle ne comprenne pas les états financiers, elle a reconnu que, si elle avait examiné les états financiers de la société de personnes pour 1989, elle se serait rendu compte qu'elle était propriétaire d'une participation dans la société de personnes et elle [TRADUCTION] « suppose » qu'elle reconnaîtrait le montant du revenu applicable à elle. Si elle avait demandé des renseignements à son père, il les lui aurait fournis, mais faire face à son père, c'était [TRADUCTION] « toute une histoire » et c'était [TRADUCTION] « émotionnellement pénible » .

[20]     Mme Paul, tout comme sa soeur, avait été mise au courant de sa participation dans la société de personnes par son père. Il lui avait dit que la société de personnes gagnerait plus tard un revenu pour elle. La description qu'elle a donnée de son père correspondait à celle de sa soeur. Mme Paul savait que son père [TRADUCTION] « travaillait dans les coulisses » pour elle. Elle soutient qu'elle n'avait pas la capacité de mettre en doute les états financiers. Tous les documents étaient gardés au bureau de son père, et toutes les déclarations de revenus étaient préparées par des employés au bureau de son père. Mme Paul présumait que son père et le comptable la guidaient [TRADUCTION] « d'une manière appropriée » . Si elle avait besoin de renseignements, elle préférait les demander à M. Brent. Elle n'a jamais vu les états financiers de la société de personnes et n'a jamais en fait reçu d'argent de la société de personnes, sinon elle se serait rendu compte qu'elle avait un revenu provenant de la société de personnes.

[21]     Mme Paul a dit qu'elle mettait tous les documents fiscaux dans une chemise à soufflet et qu'elle les remettait à M. Chin pour l'établissement des déclarations de revenus. Elle examinait également ses déclarations de revenus avec M. Chin [TRADUCTION] « ligne par ligne » . Elle n'avait pas discuté de sa déclaration de revenus pour 1989 avec son père, sa soeur ou son beau-frère. Le revenu provenant de la société de personnes n'avait pas été déclaré, croyait-elle, parce qu'il n'était pas [TRADUCTION] « réel pour moi » . Elle connaissait l'existence de la société de personnes et [TRADUCTION] « supposait » que son père aurait discuté de toute question fiscale avec M. Chin.

[22]     M. Paul avait demandé à M. Brent de faire en sorte que son épouse et la soeur de celle-ci apposent leur signature au formulaire relatif au choix en vertu de l'article 85, a déclaré Mme Paul. Cela s'est passé en 1990. Son père lui avait dit : [TRADUCTION] « Nous transférons des actions. » Elle a affirmé qu'elle ne comprenait pas [TRADUCTION] « les considérations juridiques ou financières sous-jacentes au transfert » .

[23]     Mme Paul ne s'est rendu compte qu'elle avait omis de déclarer un revenu provenant de la société de personnes que lors de la cotisation établie à son égard en 1996. Elle n'avait jamais demandé à son père à voir des documents, y compris les documents relatifs à la société de personnes. Elle a dit qu'elle avait une [TRADUCTION] « vie bien remplie » , qu'elle gérait neuf magasins Benetton avec 85 employés, qu'elle avait un bébé et qu'elle avait des [TRADUCTION] « problèmes conjugaux » à l'époque. Elle croyait qu'elle tirerait un revenu de la société de personnes plus tard dans la vie et elle n'avait pas cela [TRADUCTION] « à l'esprit » .

[24]     Le sous-alinéa 152(4)a)(i) prévoit ce qui suit :

Le Ministre peut, à une date quelconque, fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun impôt n'est payable pour l'année d'imposition, et peut,

(a) à une date quelconque, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration

        (i) a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi, ou [...]

[25]     Donc, pour ce qui est du premier point en litige, je dois déterminer si l'une quelconque des appelantes a, dans sa déclaration de revenus pour 1989, fait une présentation erronée des faits par négligence ou inattention. La preuve n'indique pas une omission volontaire ou une fraude de la part de l'une ou l'autre des appelantes. Les appelantes ont évidemment fait une présentation erronée des faits puisqu'elles ont fait une présentation erronée de leur revenu dans leurs déclarations de revenus pour 1989[1]. Le ministre a établi des cotisations basées sur cette présentation erronée des faits. Une fois une telle cotisation établie à son égard, le contribuable a la charge de prouver que la présentation erronée des faits n'est pas imputable à sa négligence, son inattention ou son omission volontaire, ou qu'il n'a pas commis quelque fraude en produisant la déclaration de revenus.

[26]     Dans l'affaire Venne c. La Reine[2], le juge Strayer, titre qu'il portait alors, a établi que le ministre peut fixer une cotisation après les années prévues par la loi si le contribuable n'a pas fait preuve d'une diligence raisonnable en produisant une déclaration. Il a dit :

        Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes « présentation erronée des faits, par négligence » , en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. Sauf si ces termes étaient superflus dans cet article, hypothèse que je ne puis accepter, le terme « négligence » impose un critère moins strict de faute, semblable à celui qui est utilisé dans les autres domaines du droit, comme la responsabilité délictuelle.[3]

[27]     Les appelantes soutiennent qu'elles ne savaient pas que les participations dans la société de personnes leur avaient été transférées par la succession de leur mère et que la société de personnes leur appartenait personnellement en totalité en 1989. Je les crois.

[28]     Pour faire preuve d'une diligence raisonnable en produisant une déclaration de revenus (ou en fournissant des renseignements), le contribuable doit être au courant des renseignements qu'il doit donner dans la déclaration. Si le contribuable ne sait pas qu'il est propriétaire d'un bien productif de revenu et qu'il omet ainsi d'indiquer dans une déclaration de revenus le revenu provenant de ce bien, il faut examiner les circonstances de l'omission pour déterminer si le ministre peut fixer une cotisation pour une année frappée de prescription.

[29]     Les circonstances dans les présents appels sont régies par un pater familias qui semble contrôler et dominer complètement les finances de la famille. Mme Brent a un époux qui n'aime pas offrir trop de renseignements. Bien que les deux appelantes aient concédé qu'elles auraient probablement pu convaincre leur père de fournir des renseignements, y compris les états financiers de la société de personnes, cela n'aurait pas été une démarche agréable. Quoi qu'il en soit, si elles n'étaient pas exécutrices ou fiduciaires de la succession de leur mère et si elles n'étaient pas au courant qu'elles étaient en fait propriétaires de participations dans la société de personnes, elles n'avaient pas de bonnes raisons de chercher à obtenir les états financiers de la société de personnes.

[30]     Il ne s'agit pas ici d'une situation dans laquelle les contribuables ont fait preuve d'une ignorance volontaire à l'égard de leurs affaires. Dans l'établissement et l'examen de leurs déclarations de revenus pour 1989, les appelantes se sont fiées à l'expérience de M. Chin et à la connaissance qu'il avait de leurs affaires; dans le passé, elles n'avaient pas été déçues par lui.

[31]     Malgré la prudence dont elles ont fait preuve en examinant leurs déclarations de revenus et en interrogeant M. Chin et malgré d'autres connaissances qu'elles avaient au sujet de leur situation financière, rien ne leur permettait de penser ou de soupçonner que quelque chose clochait dans la déclaration de revenus que chacune signait. Les déclarations pour 1989 étaient conformes aux déclarations de revenus antérieures. L'erreur faite par les appelantes est une erreur qu'un contribuable sage et prudent aurait normalement commise[4]. Je ne peux conclure que les appelantes n'ont pas fait preuve d'une diligence raisonnable dans l'établissement et la production de leurs déclarations de revenus pour 1989.

[32]     Je ne peux conclure non plus à une négligence de la part de M. Chin. La négligence ayant conduit à l'omission relative au revenu semble attribuable en grande partie à la ligne de conduite de M. Paul et dans une moindre mesure à l'omission de M. Brent d'informer son épouse et sa belle-soeur.

[33]     Le paragraphe 163(2) de la Loi dispose en partie comme suit :

        Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse - appelé « déclaration » au présent article - rempli ou produit pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50% du total [...]

[34]     J'ai conclu que les appelantes n'avaient pas fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire en produisant leurs déclarations de revenus. En parvenant à cette conclusion, j'ai accordé beaucoup de poids au fait que les appelantes n'étaient pas au courant de la présentation erronée des faits. J'ai en outre conclu que cette présentation erronée des faits n'était pas imputable à de la négligence de leur part. Pour qu'un contribuable soit passible d'une pénalité en vertu du paragraphe 163(2), le faux énoncé ou l'omission dans la déclaration doit être fait dans des circonstances équivalant à faute lourde. Dans l'affaire Venne[5], le juge Strayer écrivait :

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[35]     Sur la foi de la preuve, il est tout à fait clair que les appelantes n'ont pas fait preuve d'une indifférence au respect de la loi. Elles n'avaient pas l'intention de faire un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenus ou d'y participer. Même si j'avais conclu que les appelantes avaient fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire aux fins du paragraphe 152(4), j'aurais conclu qu'elles n'avaient pas commis de faute lourde aux fins du paragraphe 163(2). Je ne blâme pas le ministre d'avoir établi des cotisations en vertu du paragraphe 152(4). S'il y a manifestement une présentation erronée des faits dans une déclaration de revenus, le ministre a le devoir de s'assurer qu'elle n'a pas été faite par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu'il n'y a pas eu de fraude. Le contribuable qui fait une présentation erronée des faits devrait être tenu de prouver qu'il ne l'a pas faite par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu'il n'a pas commis de fraude en produisant les déclarations de revenus[6]. Les appelantes ont réussi à le prouver. Les cotisations seront annulées.

[36]     Les appels sont admis, avec un seul mémoire de frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur




[1] Une présentation erronée des faits peut être faite de bonne foi ou frauduleusement. Voir, par exemple, l'affaire M.N.R. v. Taylor, 61 D.T.C 1139 (C. de l'É.), à la p. 1144. La notion de présentation erronée est assimilable à la notion d'inexactitude : M.N.R. v. Foot, 64 D.T.C. 5196 (C. de l'É.), à la p. 5198, conf. par 66 D.T.C. 5072 (C.S.C.); Nesbitt c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-2319-90, 5 janvier 1996, aux pages 7 et 8 (96 D.T.C. 6045, à la page 6049), conf. par C.A.F., no A-54-96, 15 novembre 1996 (96 D.T.C. 6588).

[2] C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 D.T.C. 6247).

[3] Ibid., aux pages 8 et 9 (D.T.C. : à la page 6251).

[4] Voir Fukushima c. Canada, C.C.I (le juge Sarchuk), no 96-561(IT)G, 3 février 1999, au par. 16 (99 D.T.C. 553, à la page 558).

[5] Affaire précitée, à la page 19 (D.T.C. : à la page 6256). Voir aussi Findlay c. La Reine, C.A.F., no A-424-97, 12 mai 2000, au par. 21-22 (2000 D.T.C. 6345, à la page 6349).

[6] Le contribuable peut établir sa bonne foi à l'étape de l'opposition; la question n'exige pas nécessairement un appel.

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