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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1539(IT)I

ENTRE :

JAMES HUNTER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 27 août 2001 à Saskatoon (Saskatchewan) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelant :       Me Ray Wiebe

Avocate de l'intimée :        Me Tracey Harwood-Jones

JUGEMENT

          La Cour ordonne que les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 soient admis, avec dépens, et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière à permettre à l'appelant de déduire, dans le calcul de son revenu pour 1995, 1996 et 1997, les
paiements mensuels de 375 $ qu'il a faits à Charlotte Olson comme pension alimentaire pour leurs deux enfants.

Signé à Toronto, Canada, ce 21e jour de septembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de février 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010921

Dossier: 2001-1539(IT)I

ENTRE :

JAMES HUNTER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1]      Les présents appels sont interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997. Le point en litige est la déductibilité de paiements que l'appelant a faits à son ancienne conjointe de fait comme pension alimentaire pour leurs deux enfants.

[2]      Les faits ne sont pas en litige. L'appelant a vécu en union libre avec Charlotte Olson. Ils ne se sont jamais mariés. Ils ont eu deux enfants, Curtis, né le 27 avril 1989, et Jeremy, né le 4 septembre 1992. Ils se sont séparés en février 1992.

[3]      Le 20 décembre 1994, l'appelant et Charlotte Olson ont conclu un accord écrit par lequel l'appelant s'est engagé à payer à Charlotte Olson 375 $ par mois comme pension alimentaire pour les deux enfants. L'accord, signé par les deux parties, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

            Je soussigné James Hunter, de Saskatoon (Saskatchewan), accepte par les présentes de faire des paiements de pension alimentaire pour enfants à Charlotte Olson pour pourvoir aux besoins de Jeremy et Curtis. Le versement de trois cent soixante-quinze dollars (375 $) sera effectué avant la fin de chaque mois, et ces paiements continueront d'être faits jusqu'à ce qu'il en soit décidé autrement d'un commun accord ou jusqu'à ce qu'il soit convenu de les augmenter d'un commun accord.

[4]      L'appelant a effectué les paiements conformément à l'accord durant les années en cause et les a déduits dans le calcul de son revenu. Malgré l'objection de l'avocate de l'intimée, on a en outre présenté un élément de preuve selon lequel Charlotte Olson avait inclus le montant des paiements en question dans son revenu. Je reconnais que cet élément de preuve n'est pas pertinent, mais, sous le régime de la procédure informelle, il ne convient pas de parsemer d'embûches techniques la présentation de la preuve d'une partie. Les juges de notre cour sont tout à fait capables de ne pas tenir compte d'éléments de preuve non pertinents. Il est important que, dans un appel sous le régime de la procédure informelle, un appelant puisse faire valoir sa cause comme bon lui semble sans avoir à faire face à une série d'objections techniques en matière de pertinence.

[5]      Il s'agit de savoir si l'appelant peut se fonder sur le paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui se lit comme suit :

Dans la présente loi :

a)          les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

b)          la mention du mariage vaut mention d'une union conjugale entre deux particuliers dont l'un est le conjoint de l'autre par l'effet de l'alinéa a);

c)          les dispositions applicables à une personne mariée s'appliquent à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a);

d)          les dispositions applicables à une personne non mariée ne s'appliquent pas à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a).

[6]      La déduction en cause est réclamée en vertu de l'alinéa 60b).

[7]      Toutes les conditions de cette disposition sont réunies, sauf que, d'après l'intimée, Charlotte Olson n'était pas la « conjointe » ou l' « ancienne conjointe » de l'appelant.

[8]      Le paragraphe 252(4) a été édicté par L.C. 1994, ch. 7, annexe VIII (1993, ch. 24), paragraphe 140(3). Le paragraphe 140(4) prévoit ceci :

Les paragraphes (1) et (3) s'appliquent après 1992.

[9]      À moins que le mot « conjoint » s'applique à un conjoint de fait indépendamment de la définition légale figurant au paragraphe 252(4) - point que je n'ai pas à trancher - il s'agit ici de savoir si le sens élargi de « conjoint » énoncé au paragraphe 252(4) appuie l'appelant dans sa demande de déduction des paiements faits à Charlotte Olson. L'appelant soutient que, comme les paiements ont été effectués après 1992, le paragraphe 252(4) a pour effet de permettre la déduction. La position de la Couronne est que, comme l'union de fait s'est terminée en 1992, l'appelant et Charlotte Olson n'étaient pas mariés et n'étaient pas des conjoints en 1992 et ne pouvaient donc être en 1995 d' « anciens conjoints » .

[10]     La Couronne soutient que, si j'accepte l'argument de l'appelant, je ne tiens pas compte des termes « s'appliquent après 1992 » qui figurent au paragraphe 140(4) de L.C. 1994, ch. 7, et je donne en fait au paragraphe 252(4) un effet rétroactif. L'appelant soutient que, si j'accepte l'argument de la Couronne, je ne tiens pas compte des termes « à un moment donné » qui figurent au paragraphe 252(4) ou, du moins, je modifie ces termes pour qu'ils se lisent comme suit : « à un moment donné après 1992 » .

[11]     Il s'agit d'une question étroite, au sujet de laquelle notre cour est partagée.

[12]     Dans l'affaire Carey c. Canada, C.C.I, n ° 98-169(IT)I, le 7 avril 1999, [1999] A.C.I. no 191, des paiements avaient été effectués en 1994 et en 1995 conformément à un accord de séparation conclu lorsque les parties s'étaient séparées en 1988. Le juge Bowie a appliqué le paragraphe 252(4) de manière à permettre la déduction.

[13]     Dans l'affaire Bromley c. Canada, C.C.I., no 2000-3281(IT)I, le 20 décembre 2000, [2000] A.C.I. no 876, le juge Bell n'a pas voulu suivre la décision rendue par le juge Bowie dans l'affaire Carey et il a dit, au paragraphe 7 :

Le paragraphe 252(4) ne s'applique qu'aux années d'imposition postérieures à 1992. On ne peut par conséquent pas considérer la modification introduisant ce paragraphe comme qualifiant une relation d'union de fait au sein de laquelle l'appelant et Mme Custeau pourraient chacun être considérés comme un conjoint ou un ancien conjoint, leur relation ayant existé avant 1988 et s'étant terminée en 1988.

[14]     Une partie importante de la décision du juge Bell traitait de la question de savoir quelle version de l'alinéa 60b), parmi trois versions en cause, s'appliquait. Je n'ai pas à me pencher sur cette question. L'avocate de l'intimée arguait, à juste titre selon moi, que, si Charlotte Olson était l' « ancienne conjointe » de l'appelant et que leur union représentait un « mariage » , l'appelant était en droit d'avoir gain de cause en vertu de l'une ou l'autre version de l'alinéa 60b).

[15]     Dans l'affaire Scott c. Canada, C.C.I., no 2000-2265(IT)I, le 28 juin 2001, [2001] A.C.I. 437, le point en litige était la déductibilité de paiements effectués en 1997 en vertu d'un accord conclu lorsque, en 1992, l'union de fait avait pris fin. Notant la divergence de vues entre les juges Bell et Bowie, le juge Hershfield disait, au paragraphe 7 (notes de bas de page omises) :

            Ce paragraphe, ajouté en 1994, est applicable après 1992. Autrement dit, en vertu de la règle transitoire, ce sens élargi de « conjoint » doit être considéré comme faisant partie de la Loi au 1er janvier 1993. Comme la Loi est considérée en l'espèce par rapport à l'année 1997 (l'année du paiement), la définition élargie de « conjoint » s'applique indiscutablement. Comme la définition élargie de « conjoint » s'applique, elle doit être appliquée conformément à ses termes, lesquels exigent l'examen de la relation en cause (pour déterminer s'il s'agit d'une union conjugale) à un moment (c'est-à-dire « à un moment donné » , ce qui inclut un moment antérieur au 1er janvier) auquel la relation doit être déterminée, soit le moment auquel la mention d'un conjoint est examinée en vertu de la Loi. Comme le contexte ici détermine une « ancienne » relation (un ancien conjoint), le moment de la détermination de la relation sera presque invariablement antérieur à l'année en question. Par exemple, une cohabitation conjugale commençant en 1995 et se terminant en 1996 sera reconnue en 1997 comme établissant l'existence d'anciens conjoints. Autrement dit, pour déterminer si une personne est un ancien conjoint, la définition élargie doit être rétrospective. La définition élargie n'impose aucune limite quant à savoir jusqu'où regarder en arrière. Au contraire, elle indique qu'on peut en fait regarder ce qu'il en était « à un moment donné » . La définition élargie s'applique « à un moment donné » où la relation doit être examinée, y compris une relation ayant commencé avant 1993 ou ayant commencé et s'étant terminée avant 1993. Si la définition élargie devait s'appliquer d'une autre manière, on y aurait expressément indiqué des dates avant et après lesquelles la relation peut ou non être prise en considération. Si l'on veut un modèle législatif illustrant de telles applications temporelles, il suffit d'examiner une autre définition figurant au paragraphe 56.1(4), soit la définition de « date d'exécution » . L'ajout de cette définition s'applique après 1996, mais la Loi ne se lit pas alors comme si la définition ne dépend pas d'autres dates pertinentes. Il faut déterminer à un moment donné après 1996 s'il y a une date d'exécution, mais la question de savoir si une date d'exécution existe ou non en fait dépend d'événements survenus avant avril 1997 ou après mai 1997, comme l'indique expressément la définition de « date d'exécution » . Si le législateur avait voulu que des unions de fait antérieures à 1993 ne puissent pas être reconnues, la période de cohabitation mentionnée au paragraphe 252(4) pourrait de même comporter des dates pertinentes quant à savoir quand la cohabitation devait avoir commencé ou s'être terminée. Le seul fait que l'année d'entrée en vigueur soit 1993 n'a pas un tel effet à mon avis, du moins dans ce cas-ci, où la formulation expresse de la disposition modifiée invite à une interprétation qui permet (dicte) d'examiner une relation « à un moment donné » , ce qui, comme je l'ai dit, inclut clairement un moment antérieur à la date d'entrée en vigueur de la modification. Je ne vois aucune autre approche interprétative en l'espèce.

[16]     Le juge Hershfield a admis l'appel et autorisé la déduction.

[17]     Dans l'affaire Girard c. Canada, C.C.I., no 2001-749(IT)I, le 26 juillet 2001, [2001] A.C.I. no 499, le juge Miller, notant lui aussi la divergence de vues entre les juges Bell et Bowie, a permis la déduction de paiements effectués en 1998 en vertu d'un accord de séparation conclu en 1995 relativement à une union de fait qui s'était terminée en 1991. Aux paragraphes 9, 10, 11 et 12, il disait :

9           En vertu de cet article, je n'ai aucune hésitation à conclure que l'appelant et Mme Johnstone étaient des conjoints et qu'ils sont admissibles à ce titre pour les besoins de la détermination de « pensions alimentaires » . Rien dans le paragraphe 252(4) de la Loi n'indique que l'article ne doit pas s'appliquer à des relations avant une certaine période. C'était l'état du droit en 1998, l'année pour laquelle la déduction est demandée. L'intimée prétend que je dois examiner le droit au moment où le couple s'est séparé. Je n'accepte pas cet argument. Elle a cité la décision de cette cour dans l'affaire Bromley c. Regina, C.C.I., no 2000-3281(IT)I, 20 décembre 2000 (2000 CarswellNat 3033, [2001] 1 C.T.C. 2468). Dans cette affaire, le juge Bell a conclu que le paragraphe 252(4) ne s'applique qu'aux années d'imposition postérieures à 1992. Je conclus que l'année d'imposition en litige en espèce est l'année d'imposition 1998 de l'appelant. En 1998, le paragraphe 252(4) faisait partie de notre loi et il définissait le terme « conjoint » pour l'application de la Loi afin d'inclure une personne qui entre dans le cadre de la description de Mme Johnstone. Le paragraphe 140(4) de la Loi de révision des modifications introduisant cette modification ne précisait pas que l'union conjugale mentionnée au paragraphe 252(4) devait avoir existé après 1992, il précisait simplement que le paragraphe s'appliquait après 1992. Je compare cette disposition au paragraphe 20(11) de la Loi de révision des modifications, qui en diffère considérablement : ce dernier précise plus exactement que l'article fait référence à l'échec du mariage survenu après 1992. Si le législateur avait utilisé un langage aussi précis en adoptant le paragraphe 252(4), ma conclusion aurait été différente.

10         Deux choix s'offrent à moi en ce qui concerne l'application du paragraphe 252(4) :

1.          soit que, pour les années d'imposition postérieures à 1992, j'interprète le terme « conjoint » conformément au paragraphe 252(4);

2.          soit que j'interprète le terme « conjoint » conformément au paragraphe 252(4) uniquement pour les unions conjugales existant après 1992.

11         Je privilégie la première approche. Pour l'année d'imposition 1998, je me fonde sur le paragraphe 252(4) et je conclus que la relation de l'appelant avec Mme Johnstone entre dans le cadre de la définition, malgré que cette relation se soit terminée avant 1993.

12         Dans l'affaire Bromley c. R., le juge Bell a reconnu que le juge Bowie était également parvenu à une conclusion différente dans l'affaire Carey c. R., C.C.I., no 98-169(IT)I, 7 avril 1999 (CarswellNat 562, [1999] 2 C.T.C. 2677, D.T.C. 3502) en admettant la déductibilité des montants versés en 1994 et en 1995 par un conjoint de fait dont la relation avait pris fin en 1988. L'introduction d'une loi modificative qui ouvre la voie à des interprétations différentes par une cour est la cause d'un certain niveau d'incertitude au sein de la collectivité fiscale et du public en général. Le juge Bell a indiqué ce qui suit au paragraphe 10 de son jugement :

10         [...] Le manque de précision de la loi à cet égard est extrêmement malheureux, parce qu'une loi qui contient des failles, en ne présentant pas clairement l'intention du législateur, occasionne des soucis, une perte de temps et des dépenses au contribuable qui intente des procédures d'opposition et d'appel.

Je souscris à ces commentaires.

[18]     Je suis tout à fait d'accord avec les juges Bell et Miller qu'il est malheureux qu'une loi donne lieu à une telle incertitude et à de telles divergences de vues parmi les membres de notre cour. C'est vraiment déplorable.

[19]     Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les conséquences fiscales d'un échec du mariage et du versement de pensions alimentaires pour conjoint et pour enfants touchent beaucoup de contribuables, dont bon nombre sont dans une situation financière difficile et n'ont pas les moyens de retenir les services coûteux de conseillers professionnels pour que ces derniers les aident à déterminer les conséquences fiscales de leurs arrangements financiers postérieurs au mariage. Néanmoins, les dispositions de la Loi dans ce domaine font partie des dispositions les plus complexes de la législation canadienne. En fait, même les professionnels trouvent probablement que les dispositions de la Loi dans ce domaine sont au mieux ambiguës et au pire incompréhensibles. Il n'est assurément pas exagéré de s'attendre à ce que nos rédacteurs législatifs s'expriment simplement et clairement, sans d'ambiguïté.

[20]     J'ai énoncé les interprétations opposées auxquelles sont arrivés, après une analyse soigneuse, des juges expérimentés et respectés de notre cour. Nul ne pourrait être critiqué pour avoir adopté une interprétation plutôt que l'autre. Je pense toutefois que l'interprétation préférable est la suivante : en vertu du paragraphe 252(4), appliqué à un paiement effectué en 1995 conformément à un accord conclu en 1994 relativement à une union de fait qui a commencé et s'est terminée avant 1993, cette union est réputée être un mariage, et les parties à cette union sont réputées avoir été des conjoints et sont donc réputées avoir été en 1995 d'anciens conjoints aux fins de l'alinéa 60b).

[21]     Le fait de dire qu'une nouvelle disposition « s'applique après 1992 » ne revient pas à dire que l'effet de son application ne peut s'étendre à une période antérieure à 1993. En vertu du paragraphe 252(4), des rapports d'un certain genre sont réputés constituer un mariage. Le paragraphe 252(4) attribue prospectivement à un événement antérieur à son entrée en vigueur (l'union de fait qui a existé jusqu'en février 1992) un effet juridique sur des événements postérieurs à son entrée en vigueur (les paiements de pension alimentaire effectués en 1995, 1996 et 1997 en vertu de l'accord de 1994). Cette description est conforme à l'analyse faite par Elmer A. Driedger, c.r., le célèbre expert en interprétation législative. Me Driedger a beaucoup écrit sur la question des lois rétrospectives[1].

[22]     La présomption contre l'application rétroactive des lois est destinée à protéger un sujet contre la suppression rétroactive de droits acquis[2].

[23]     Avant d'aller plus loin dans cette analyse, deux points doivent être clairs. L'accord entre l'appelant et Charlotte Olson a été conclu en 1994, et les paiements ont été effectués après la date de l'accord, après l'adoption du paragraphe 252(4) et après la date à laquelle il était dit que ce paragraphe s'appliquait. C'est de cet accord que résultent les droits et obligations des parties[3]. D'autre part, toute interprétation d'une disposition légale qui permet qu'une somme soit déduite par l'auteur du paiement et qui exige que la même somme soit incluse par le bénéficiaire du paiement (comme les alinéas 56(1)b) et 60b)) profite aux droits de l'un au détriment de ceux de l'autre. Je le mentionne simplement pour faire valoir que, dans l'interprétation d'une telle disposition, il ne faut pas considérer seulement la manière dont les droits de l'un sont touchés.

[24]     Il ressort d'un examen de l'ouvrage de Me Driedger intitulé The Construction of Statutes[4] et de ses articles sur l'interprétation des lois que son point de vue sur la rétroactivité et la rétrospectivité des lois a subi un processus évolutif qui s'est soldé par des modifications et des perfectionnements. Il suffit de lire le chapitre 9 de son ouvrage The Construction of Statutes pour se rendre compte des difficultés qu'il a éprouvées relativement aux notions de loi rétroactive et de loi rétrospective. Lorsque, en 1978, il a publié son article sur la question dans la Revue du Barreau canadien, il était encore aux prises avec ces difficultés, mais ses efforts étaient mieux ciblés et ses armes mieux affûtées.

[25]     Aux pages 268 et 269 de son article de 1978, Me Driedger énonce la conclusion à laquelle il était parvenu lorsqu'il a rédigé le supplément à son texte, en 1976 :

[TRADUCTION]

            Une loi rétroactive s'applique à partir d'une date antérieure à son adoption. Une loi rétrospective ne s'applique qu'à l'avenir. Elle a un caractère prospectif, mais elle impose de nouveaux résultats à l'égard d'un événement passé. Une loi rétroactive s'applique au passé. Une loi rétrospective s'applique à l'avenir, mais elle considère le passé, c'est-à-dire qu'elle attribue de nouvelles conséquences pour l'avenir à un événement antérieur à son adoption. Avec une loi rétroactive, le droit change par rapport à ce qu'il était; avec une loi rétrospective, le droit change par rapport à ce qu'il serait par ailleurs relativement à un événement antérieur.

[26]     L'article de 1978 nous éclaire sur la façon de penser d'un des grands esprits juridiques du XXe siècle. En avouant franchement que son analyse pouvait avoir été erronée ou du moins incomplète la première fois et qu'il n'était pas encore sûr d'avoir raison, Me Driedger a fait preuve d'une humilité intellectuelle qui est comme une bouffée d'air frais et qui a caractérisé sa vie et son oeuvre.

[27]     À la fin de son article, à la page 276, Me Driedger résume ses conclusions :

[TRADUCTION]

            1.          Une loi rétroactive change le droit à partir d'une date antérieure à son adoption.

            2(1)       Une loi rétrospective attribue de nouvelles conséquences à un événement antérieur à son adoption.

            (2)         Une loi n'est pas rétrospective du simple fait qu'elle porte préjudice à un droit antérieurement acquis.

            (3)         Une loi n'est pas rétrospective à moins que la description de l'événement antérieur corresponde à la situation factuelle qui amène l'application de la loi.

            3.          La présomption ne s'applique pas à moins que les conséquences liées à l'événement antérieur soient préjudiciables : nouvelle pénalité, incapacité ou obligation.

            4.          La présomption ne s'applique pas si les nouvelles conséquences préjudiciables se veulent une protection pour le public plutôt qu'une punition à l'égard d'un événement antérieur.

[28]     Le paragraphe 252(4) change les conséquences d'une union de fait existant avant son adoption, mais seulement dans la mesure où cette union représentait un élément nécessaire pour demander à déduire un paiement effectué en vertu d'un accord conclu après l'adoption de ce paragraphe. Cette disposition peut être rétrospective suivant l'interprétation que donne Me Driedger au paragraphe 2(1) de son résumé, mais cela ne justifie pas de la dénuer de son effet selon ses termes. Elle s'applique, comme l'exige L.C. 1994, ch. 7, par. 140(3), à des déductions demandées après 1992. Refuser de donner effet aux termes « à un moment donné » qui figurent au paragraphe 252(4) de la Loi, c'est essentiellement ne pas en tenir compte ou les modifier pour qu'ils se lisent comme suit : « à un moment donné après 1992 » . Aucun principe d'interprétation des lois que je connaisse ne justifie l'une ou l'autre de ces deux interprétations. L'interprétation qui est, selon moi, la meilleure semble davantage conforme à l'économie de la Loi et à l'objet du paragraphe 252(4).

[29]     Les appels sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière à permettre à l'appelant de déduire, dans le calcul de son revenu pour 1995, 1996 et 1997, les paiements mensuels de 375 $ qu'il a fait à Charlotte Olson comme pension alimentaire pour leurs deux enfants.

Signé à Toronto, Canada, ce 21e jour de septembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de février 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur




[1]           The Retrospective Operation of Statutes (Legal Essays in Honour of Arthur Moxon); Statutes: Retroactive Retrospective Reflections, [1978] Revue du Barreau canadien, vol. LVI, p. 264.

[2]           Voir l'article 41 de la Loi d'interprétation.

[3]           En mentionnant la date de l'accord, je ne sous-entends pas que, si l'accord avait été conclu en 1992, les paiements effectués en vertu de l'accord en 1994 n'auraient pas nécessairement été déductibles. La date pertinente est la date des paiements.

[4]           Butterworth & Co. (Canada) Ltd., 1974.

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