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Date: 20000315

Dossier: 1999-1632-IT-I

ENTRE :

ROBERT KINGSBURY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels, selon la procédure informelle, de cotisations établies par le ministre du Revenu national (“ Ministre ”) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ Loi ”) pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. En calculant son revenu pour chacune de ces années, l'appelant a déduit la somme de 9 188 $ à titre de pension alimentaire payée à son ancienne conjointe, Janet Charron. Le Ministre a refusé en totalité la déduction de la pension alimentaire. Pour établir ces cotisations, le Ministre s'est appuyé sur les faits suivants énoncés au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel :

b) l'appelant et son ancienne conjointe ont intenté des procédures de divorce en novembre 1992;

c) en vertu d'un jugement ("Jugement") provisoire du 31 août 1993, la Cour Supérieure section Chambre de la famille ("Cour") a ordonné à l'appelant de payer directement aux créanciers concernés, les montants suivants:

i) les versements hypothécaires;

ii) les taxes municipales et scolaires;

iii) les assurances de la résidence familiale;

iv) les pénalités et intérêts, s'il y a lieu, pouvant résulter d'un retard; et

v) les réparations majeures et/ou essentielles, avec le consentement de l'appelant, pour la résidence familiale;

d) le Jugement n'indique pas que les montants payés peuvent être utilisés en tout temps à la discrétion de l'ancienne conjointe;

e) les montants à payer stipulés au sous-paragraphe 4 ci-dessus, ne constituent pas un allocation au sens du paragraphe 56(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu ("Loi"); et

f) le Jugement ne prévoit pas de façon explicite que les montants payés ci-dessus seront admissibles à la déduction en vertu du paragraphe 60.1(2) et que l'ancienne conjointe recevra lesdits montants à titre d'allocation périodique en vertu du paragraphe 56.1(2) de la Loi.

[2] L'appelant a déposé en preuve une entente sur mesures provisoires quant à la pension alimentaire (pièce A-1) et un jugement sur mesures provisoires (pièce A-2), tous deux datés du 31 août 1993. Les termes de l'entente (pièce A-1) se lisent comme suit :

Entente sur mesures provisoires

quant à la pension alimentaire

Vu la requête de la défenderesse sur mesures provisoires.

Vu le jugement prononcé par L'Honorable Juge Jean Dagenais, confiant la garde des enfants (3) à la défenderesse et réservant ses recours en pension alimentaire.

Vu la réinscription de la requête pour faire déterminer la pension alimentaire.

Vu les faibles revenus du demandeur.

Les parties conviennent de ce qui suit :

Pour tenir lieu de pension alimentaire, le demandeur devra payer et ce, directement aux créanciers concernés, les paiements suivant (sic) quant à la résidence familiale :

a) le versement hypothécaire, hebdomadairement

b) le paiement des taxes municipales et scolaires, et les assurances sur la résidence familiale à leur échéance respective

c) toute pénalité et/ou intérêts, s'il y a lieu pouvant résulter d'un retard

d) les réparations majeures et/ou essentielles avec le consentement du demandeur

Le demandeur devra mettre à jour tout arrérage ayant pu être accumulé en date du 31 août 1993 relativement aux paiements énumérés au par. 1er.

La défenderesse sera autorisée à obtenir des créanciers concernés confirmation que les paiements ont été dûment acquittés et/ou une confirmation écrite de tout arrérage.

Dans le cas où des arrérages s'accumulent, la défenderesse pourra les percevoir directement du demandeur, de la même manière que toute pension alimentaire, afin de pouvoir effectuer elle-même tout paiement en défaut.

Il est entendu que les présentes dispositions ne pourront d'aucune façon affecter le règlement des intérêts financiers.

[3] Le jugement sur mesures provisoires (pièce A-2) se lit comme suit :

Jugement

Il s'agit d'une requête pour mesures provisoires quant à une pension alimentaire.

Vu l'entente produite au dossier de la Cour;

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

CONDAMNE provisoirement le demandeur à payer, pour tenir lieu de pension alimentaire, les sommes suivantes quant à la résidence familiale, lesdites sommes étant payables directement aux créanciers concernés, savoir :

a) Le versement hypothécaire hebdomadaire;

b) Le paiement des taxes municipales et scolaires ainsi que les assurances sur la résidence familiale, à leur échéance respective;

c) Toute pénalité et/ou intérêt, s'il y a lieu, pouvant résulter d'un retard;

d) Les réparations majeures et/ou essentielles, avec le consentement du demandeur;

ORDONNE au demandeur de mettre à jour tout arrérage ayant pu être accumulé en date du 31 août 1993 relativement aux paiements énumérés à la conclusion précédente;

DONNE ACTE de l'entente intervenue entre les parties le 31 août 1993 et ordonne aux parties de s'y conformer;

SANS FRAIS.

[4] C'est en vertu de ces deux documents que l'appelant à versé, hebdomadairement, aux différents créanciers directement, une somme totalisant 9 188 $ au cours de chacune des années 1993, 1994 et 1995. Le point en litige consiste à déterminer si ces sommes versées aux divers créanciers sont déductibles dans le calcul du revenu de l'appelant pour chacune de ces années. L'appelant soumet que ces paiements tiennent lieu de pension alimentaire selon le jugement sur mesures provisoires. En conséquence, ils devraient, selon lui, être déductibles aux termes de la Loi.

Analyse

[5] Au cours des années en litige, les articles pertinents de la Loi se lisaient comme suit :

ARTICLE 56: Sommes à inclure dans le revenu de l'année.

456(12)3

(12) Non-application des al. (1)b), c) et c.1). Sous réserve des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) et pour l'application des alinéas (1)b), c) et c.1) et 60b), c) et c.1), un montant reçu par une personne – appelée “ contribuable ” aux alinéas (1)b), c) et c.1) et “ bénéficiaire ” aux alinéas 60b), c) et c.1) – ne constitue une allocation que si cette personne peut l'utiliser à sa discrétion.

ARTICLE 60 : Autres déductions.

Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

460b)3

b) Pensions alimentaires – un montant payé par le contribuable au cours de l'année, en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le contribuable, pour cause d'échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu d'effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué et durant le reste de l'année;

460c)3

c) Prestation alimentaire – un montant payé par le contribuable au cours de l'année à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si les conditions suivantes sont réunies :

(i) au moment du paiement et durant le reste de l'année, le contribuable vivait séparé du bénéficiaire,

(ii) le contribuable est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire,

(iii) le montant a été reçu en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province;

ARTICLE 60.1 : Paiements d'entretien.

(1) Dans le cas où une ordonnance, un jugement ou un accord écrit visé aux alinéas 60b) ou c), ou une modification s'y rapportant, prévoit le paiement périodique d'un montant par un contribuable :

a) soit à une personne qui est, selon le cas :

(i) le conjoint ou l'ancien conjoint du contribuable,

(ii) si le montant est payé en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province, un particulier de sexe opposé qui est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du contribuable;

b) soit au profit de la personne, d'enfants confiés à sa garde ou à la fois de la personne et de ces enfants,

tout ou partie du montant, une fois payé, est réputé, pour l'application des alinéas 60b) et c), payé à la personne et reçu par elle.

460.1(2)3

(2) Entente. Pour l'application des alinéas 60b) et c), le résultat du calcul suivant :

A – B

où :

A représente le total des montants représentant chacun un montant, à l'exception d'un montant auquel les alinéas 60b) ou c) s'appliquent par ailleurs, payé par un contribuable au cours d'une année d'imposition en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, au titre d'une dépense (sauf une dépense relative à un établissement domestique autonome que le contribuable habite ou une dépense pour l'acquisition de biens corporels qui n'est pas une dépense au titre de frais médicaux ou d'études ni une dépense en vue de l'acquisition, de l'amélioration ou de l'entretien d'un établissement domestique autonome que la personne visée aux alinéas a) ou b) habite) engagée au cours de l'année ou de l'année d'imposition précédente pour subvenir aux besoins d'une personne qui est :

a) soit le conjoint ou l'ancien conjoint du contribuable,

b) soit, si le montant est payé en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province, un particulier de sexe opposé qui est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du contribuable,

ou pour subvenir aux besoins d'enfants confiés à la garde de la personne ou aux besoins à la fois de la personne et de ces enfants, si, au moment où la dépense a été engagée et durant le reste de l'année, le contribuable et la personne vivaient séparés;

B l'excédent éventuel du total visé à l'alinéa a) sur le total visé à l'alinéa b) :

a) le total des montants représentant chacun un montant inclus dans le total calculé selon l'élément A relativement à l'acquisition ou à l'amélioration d'un établissement domestique autonome dans lequel la personne habite, y compris un paiement de principal ou d'intérêts sur un emprunt ou une dette contracté en vue de financer, de quelque manière que ce soit, l'acquisition ou l'amélioration,

b) le total des montants correspondant chacun à 1/5 du principal initial d'un emprunt ou d'une dette visés à l'alinéa a),

est, lorsque l'ordonnance, le jugement ou l'accord écrit prévoit que le présent paragraphe et le paragraphe 56.1(2) s'appliquent à tout paiement effectué à leur titre, réputé être un montant payé par le contribuable et reçu par la personne à titre d'allocation payable périodiquement.

[6] Aux termes du paragraphe 60.1(1), si le jugement sur mesures provisoires prévoit le paiement périodique d'un montant par un contribuable au profit de son ex-conjoint ou d'enfants confiés à sa garde, ce montant sera réputé pour l'application des alinéas 60b) et c), payé à l'ex-conjoint et reçu par ce dernier.

[7] Toutefois, il a été établi par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Armstrong, [1996] A.C.F. no 599 (Q.L.) qu'il existe une seule possibilité pour que des paiements faits directement à des tiers soient déductibles: il s'agit de rencontrer les exigences du paragraphe 60.1(2). Par ailleurs, le juge Stone indiquait clairement dans l'affaire Armstrong que le paragraphe 60.1(2) ne peut être invoqué pour permettre la déduction des montants ainsi payés lorsque l'ordonnance, le jugement ou l'accord écrit, selon le cas, ne prévoit pas que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) s'appliquent à tout paiement en vertu de ce document. Une telle interprétation est justifiée par l'un des objectifs visés par ce paragraphe, à savoir confirmer que les deux parties savent qu'il y a des attributs fiscaux à un tel jugement, ordonnance ou accord (voir Mambo c. La Reine, [1995] A.C.I. no 931 (Q.L.)).

[8] Dans le cas qui nous occupe, aucune référence n'est faite dans le jugement aux paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) de la Loi, non plus qu'au traitement fiscal des sommes à être versées par l'appelant. L'appelant ne peut donc se prévaloir du paragraphe 60.1(2) pour invoquer que les sommes payées à des tiers sont déductibles.

[9] Par ailleurs, contrairement à ce que j'ai souligné lors de l'audience, je ne crois pas que la situation présente s'apparente à celle que l'on retrouvait dans l'affaire La Reine c. Arsenault, [1996] A.C.F. no 202 (Q.L.). En effet dans cette dernière cause, une majorité de la Cour d'appel fédérale avait conclu que les paiements sous forme de chèques faits à l'ordre d'un tiers, mais remis à l'ex-conjoint pour être donnés au tiers en paiement d'une pension alimentaire prévue dans une ordonnance et un accord de séparation pouvaient être déduits aux termes de l'alinéa 60b) de la Loi. La Cour d'appel fédérale avait conclu ainsi étant donné que d'après les faits, l'ex-conjointe conservait le pouvoir discrétionnaire de décider comment la somme d'argent devait être versée. En effet, l'accord de séparation prévoyait que le mari devait verser à sa conjointe, dont il était séparé, une pension alimentaire de 400 $ par mois ainsi qu'une allocation d'entretien de 100 $ par mois pour chacun des trois enfants. Au lieu de payer sa conjointe directement, le mari avait libellé des chèques de loyer à l'ordre du propriétaire et avait remis ces chèques à sa conjointe. Ainsi ces sommes remplaçaient la pension alimentaire prévue dans l'accord de séparation. Il était clair toutefois que la conjointe aurait pu, non pas accepter ces chèques, mais insister pour que ces paiements lui soient faits directement. En effet, en vertu de l'accord de séparation, elle était légalement en droit d'exiger que le paiement soit fait à elle plutôt qu'au propriétaire. Elle avait donc discrétion sur ces paiements.

[10] Le cas présent se distingue de l'affaire Arsenault, puisque l'appelant doit, en vertu de l'entente et du jugement, payer directement les créanciers concernés. L'ancienne conjointe de l'appelant ne peut, comme dans l'affaire Arsenault, légalement exiger que les paiements soient faits directement à elle plutôt qu'aux tiers. Par ailleurs, si l'appelant est en défaut, elle peut réclamer de ce dernier les montants appropriés afin d'effectuer elle-même tout paiement en défaut. Dans cette hypothèse, elle ne pourrait utiliser ces montants à d'autres fins. Même si le jugement fait mention que ces sommes, payables par l'appelant à des tiers, tiennent lieu de pension alimentaire, il n'en reste pas moins que l'ex-conjointe n'a aucune discrétion sur l'utilisation de ces paiements, de sorte qu'ils ne peuvent se qualifier comme une allocation au sens du paragraphe 56(12) de la Loi.

[11] Pour ces motifs, je ne peux faire autrement que conclure que l'appelant ne pouvait déduire la somme de 9 188 $ à l'encontre de ses revenus pour chacune des années d'imposition 1993, 1994 et 1995 respectivement à titre de pension alimentaire, puisque les conditions exigées aux alinéas 60b) et c) et aux paragraphes 56(12), 60.1(1) et 60.1(2) de la Loi ne sont pas satisfaites.

[12] Les cotisations du Ministre sont donc bien fondées et les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada ce 15e jour de mars 2000.

“ Lucie Lamarre”

J.C.C.I.

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