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Date: 20010319

Dossier: 2000-1389-IT-I

ENTRE :

CAROLINE BOULIANNE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Alain Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie conformément à l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). L'avis de cotisation porte le numéro 15876 et est en date du 1er février 1999, à l'égard de l'année d'imposition 1996, dont l'exercice financier se terminait le 31 janvier 1997.

[2]            Le paragraphe 160(1) de la Loi se lit comme suit :

Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance— Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a)             son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son conjoint;

b)             une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c)              une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance, les règles suivantes s'appliquent :

d)             le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e)              le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i)             l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii)            le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[3]            La preuve a révélé que l'appelante avait investi avec son ex-conjoint en 1992 pour implanter trois cliniques de physiothérapie. Très rapidement, l'exploitation des cliniques s'est avérée un franc succès. L'appelante, physiothérapeute de profession, s'est investie à fond dans les cliniques; sa présence était essentielle puisqu'elle était la seule à posséder l'expertise dont dépendait totalement la bonne marche des cliniques, son conjoint s'occupant exclusivement de l'administration.

[4]            L'appelante a indiqué avoir travaillé d'une manière très soutenue et de très longues heures et ce, à l'année longue les premières années, ayant alors une très grande disponibilité. Au début, ses besoins financiers, personnels et ceux de la cellule familiale étaient relativement modestes, le couple n'ayant aucun dépendant, les surplus étaient réinvestis dans l'entreprise.

[5]            En 1995, l'appelante donnait naissance à des jumelles; elle a donc dû s'absenter durant une longue période. À son retour, au début de l'année 1996, elle s'est rendue compte que la situation financière des cliniques s'était gravement détériorée des suites des nombreux retraits de son conjoint.

[6]            Elle a alors constaté que ce dernier consommait démesurément des drogues; il avait négligé très sérieusement l'administration des cliniques tout en dépensant des fonds pour sa consommation de drogues.

[7]            Elle a indiqué avoir à ce moment compris que son conjoint lui avait fait de fausses et mensongères représentations quant à certaines dépenses, qui en réalité, avaient été déboursées pour l'achat, de toute évidence, de drogues.

[8]            De ce constat, la situation entre elle et son conjoint s'est très rapidement détériorée au point qu'elle a décidé tant pour sa sécurité que pour celle de ses deux jeunes enfants de quitter son conjoint et d'initier des procédures en divorce à l'automne 1996.

[9]            Dans le cadre des procédures en divorce, elle a dû accepter que le père voit, sorte et ait la garde de ses filles lors de fins de semaine. Devenu très violent et agressif, il avait promis de ruiner l'appelante. Elle a témoigné à l'effet qu'elle avait été traumatisée à l'idée que ses deux très jeunes enfants deviennent victimes de représailles si elle s'affirmait ou manifestait quelque obstruction ou contestation que ce soit dans le processus de la liquidation des actifs des cliniques.

[10]          Pour éviter telles représailles et en finir le plus rapidement possible, elle a tout accepté, d'autant plus qu'elle n'était ni familière ni au fait du volet administratif. Elle a préféré se retirer en douce avec l'idée de tout redémarrer une fois la liquidation terminée et un calme relatif reparu à la suite du divorce.

[11]          L'appelante a formellement indiqué n'avoir strictement rien reçu comme dividende et ce, bien que les documents comptables indiquent le contraire. Elle a révélé que la compagnie était largement débitrice à son endroit des suites de sa mise de fonds, de son implication et de son travail et qu'en dépit de tout cela, elle était sortie ruinée de l'aventure. Le Tribunal n'a aucune raison de ne pas croire l'appelante qui a témoigné d'une manière irréprochable.

[12]          L'intimée a plaidé vigoureusement que les faits n'étaient aucunement pertinents eu égard au contenu suivant des paragraphes de l'Avis d'appel amendé :

...

7)              Tout d'abord, l'appelante était actionnaire avec son ex-mari de la compagnie 9006-2290 Québec Inc. à part égale au cours de l'exercice financier se terminant le 31 janvier 1997;

8)              En cours d'année, l'appelante a pris des avances dans cette compagnie puisqu'elle la dirigeait et y travaillait à temps plein;

9)              Au moment où les avances ont été prises, la compagnie était solvable et effectuait ses différents paiements d'impôt lorsque requis;

10)            Pendant l'année financière se terminant le 31 janvier 1997, l'ex-mari de l'appelante, M. Martin Tremblay, a pris, sans autorisation et pour ses besoins personnels, des sommes d'argent considérables du compte de la compagnie, le tout tel qu'il sera démontré lors de l'audition;

11)            À la fin de l'année, cette compagnie a dû être liquidée vu l'impossibilité d'entente entre l'appelante et ledit Martin Tremblay;

12)            Les sommes d'argent alors prises en avance par l'appelante ont été déclarées auprès de Revenu Canada à titre de dividendes;

...

[13]          Or, le tribunal retient de la preuve que les allégués définis comme étant des admissions et des aveux de l'intimée, concernaient exclusivement la formulation utilisée par le comptable. D'ailleurs, l'appelante a indiqué s'être cotisée en fonction des énoncés comptables.

[14]          Par l'intermédiaire de son procureur, elle a admis avoir souscrit par sa signature à la formulation utilisée par le comptable, ce qui n'a pas pour effet d'empêcher de faire la preuve qu'elle n'a aucunement reçu les montants indiqués.

[15]          D'autre part, je suis d'avis que l'appelante aurait simplement pu renier sa signature eu égard aux circonstances très particulières des relations qui existaient entre elle et son ex-conjoint. Elle ne l'a pas fait et a reconnu avoir collaboré dans un contexte de soumission totale eu égard au danger potentiel sur ses enfants.

[16]          J'ai de plus constaté que les craintes et griefs décrits par l'appelante n'étaient pas exagérés puisqu'elle a aussi indiqué qu'elle avait dû faire face à toutes sortes de problèmes des suites de plaintes initiées par son ex-conjoint auprès de l'ordre des physiothérapeutes, de la Commission Santé et Sécurité au Travail, etc.

[17]          La prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante n'a jamais obtenu ni reçu les montants allégués. Conséquemment, il n'y a jamais eu de transfert de biens donnant ouverture de l'application des dispositions de l'article 160 de la Loi.

[18]          De plus, si une prépondérance de la preuve avait permis de conclure à l'existence d'un transfert, encore là, je suis d'avis que la preuve était suffisante pour conclure que le transfert avait été fait en vertu d'une véritable contrepartie.

[19]          Pour toutes ces raisons, l'appel est accueilli, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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