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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

95-3666(IT)I

ENTRE :

BRUCE A. LEVER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 13 juillet 1998, à Renfrew (Ontario), par

l'honorable juge suppléant J. F. Somers

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me I. Jain

Avocat de l'intimée :                            Me P. Kramer

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'août 1998.

« J. F. Somers »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19980805

Dossier: 95-3666(IT)I

ENTRE :

BRUCE A. LEVER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Somers C.C.I.

[1]      Le présent appel a été entendu à Renfrew (Ontario), le 13 juillet 1998, sous le régime de la procédure informelle de la Cour relativement à l'année d'imposition 1994 de l'appelant.

[2]      La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si l'appelant a le droit d'inclure un montant pour déficience physique ou mentale en vertu de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) dans le calcul de ses crédits d'impôt non remboursables et de l'impôt payable pour l'année d'imposition 1994.

[3]      En établissant la cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

          [TRADUCTION]

a)          L'appelant a réclamé le montant pour personne handicapée relativement au trouble panique grave avec agoraphobie qu'il présente;

b)          les déficiences mentionnées à l'alinéa précédent n'ont pas limité de façon marquée sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne durant l'année 1994;

c)          l'appelant n'avait pas le droit d'inclure le montant pour personne handicapée dans le calcul de ses crédits d'impôt non remboursables et de l'impôt payable pour l'année d'imposition 1994.

[4]      En établissant la cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est appuyé sur l'article 118.3 et le paragraphe 118.4(1) de la Loi, qui sont reproduits en partie ci-après :

Article 118.3 : Crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique.

(1)         Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

a)         le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1)      les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2)      un médecin en titre ou, s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b)         le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c)          aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

[...]

Article 118.4 : Déficience grave et prolongée.

            (1) Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a)         une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b)         la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c)         sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i)          la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii)         le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii)        le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv)        le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v)         les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi)        le fait de marcher;

d)       il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[5]      L'appelant, qui est né en 1957, a pris sa retraite des Forces armées en 1984 en raison d'une maladie dont les premiers symptômes se sont manifestés en 1982. Il a ensuite occupé un poste de commissionnaire pendant cinq ans. Il a quitté ce poste en avril 1992, après avoir constaté qu'il était atteint d'une déficience et qu'il n'était pas capable de travailler. Il n'a pas occupé d'autre emploi depuis, si bien qu'il a obtenu une pension en vertu du Régime de pensions du Canada.

[6]      L'appelant est atteint d'une déficience combinant les symptômes de l'agoraphobie et du trouble panique. Depuis 1992, il reste chez lui, gardant les portes verrouillées 85 p. 100 du temps, parce qu'il a peur des visiteurs, même s'il s'agit de membres de sa famille, d'amis ou de voisins. L'arrivée d'une voiture chez lui provoque une crise de panique, et il se met à trembler et à transpirer. Il se réfugie dans la salle de jeu pour ne pas rencontrer personne, son épouse et son fils faisant exception. Il téléphone une fois par semaine à sa mère, qui habite en Colombie-Britannique. Ce sont les seules personnes avec lesquelles il peut avoir des contacts ou communiquer. Il évite dès lors les situations qui provoquent des crises de panique.

[7]      Il a déclaré qu'il avait des problèmes de mémoire à cause des médicaments prescrits. Sa mémoire, soutient-il, se détériore progressivement. Il admet qu'il peut accomplir des tâches peu complexes dans la maison, comme faire la cuisine. Il se rend à la banque et effectue d'autres sorties seulement quand il est accompagné de son épouse.

[8]      Le certificat pour le crédit d'impôt pour déficience, daté du 25 janvier 1995 et signé par l'appelant et son médecin, indique que l'appelant est capable de percevoir, de réfléchir et de se souvenir, de s'occuper de ses soins personnels (se nourrir et s'habiller) sans supervision et de gérer ses affaires personnelles. À l'audience, l'appelant a contesté les réponses fournies dans le certificat en ce qui concerne ses fonctions mentales. Son témoignage ne me permet pas de contredire les réponses que l'on trouve dans le certificat.

[9]      Le Dr Y. D. Lapierre, du département de psychiatrie de l'Université d'Ottawa, a témoigné pour le compte de l'intimée. Il a fourni des précisions sur l'état mental et physique de l'appelant. Pour formuler son avis, le témoin a examiné les preuves documentaires et les rapports médicaux qui se trouvaient dans le dossier médical de l'appelant et a tenu compte du témoignage de ce dernier à l'audience. Même s'il n'avait pas examiné personnellement l'appelant, il a été en mesure de donner un avis éclairé sur ses problèmes de santé. Selon ce témoin expert, les troubles mentaux et physiques de l'appelant peuvent être traités à l'aide de médicaments, bien que le taux de succès varie d'une personne à l'autre, mais, en général, ils peuvent être contrôlés à 70 p. 100.

[10]     Dans son rapport médical, le témoin explique ce qu'est une crise de panique :

                   [TRADUCTION]

Une crise de panique est une réaction d'anxiété, de peur et de malaise intenses qui dure une période définie et qui s'accompagne d'une série de manifestations physiques et intellectuelles ou cognitives. Les crises se produisent parfois de manière tout à fait inattendue. Elles peuvent être provoquées par certaines situations et, en fait, des situations particulières prédisposent certaines personnes à avoir des crises. Ces situations diffèrent sensiblement d'une personne à l'autre. Les crises de panique se produisent sans prévenir, atteignent rapidement un paroxysme, généralement en l'espace d'une dizaine de minutes, et sont accompagnées d'un sentiment de danger ou de catastrophe imminents; la réaction naturelle est un besoin irrépressible de fuir l'endroit où la crise se produit. On pose un diagnostic de trouble panique quand ces crises se produisent à répétition et suscitent une crainte incessante - après un certain temps (un mois au moins) - qu'elles se produisent à nouveau.

L'agoraphobie est l'anxiété que suscite le fait de se trouver à un endroit ou dans une situation qu'il peut être difficile de fuir ou dans lesquels il peut être impossible d'obtenir de l'aide en cas de crise de panique. Il est rare qu'une personne présente seulement des symptômes d'agoraphobie. C'est en revanche la conséquence habituelle du trouble panique, car un certain nombre de personnes ont tendance à établir un lien entre leurs crises de panique et des situations particulières, qu'elles évitent par la suite de crainte que d'autres crises se produisent.

Une crise de panique pure et non compliquée n'entraîne pas de trouble fonctionnel grave, mais l'agoraphobie provoque des troubles chez la personne touchée, qui évite des situations comme se rendre au travail, assumer des responsabilités et s'adonner à des activités à l'extérieur de la maison, se mêler à la foule, voyager en voiture, etc. Les personnes touchées en viennent parfois à ne plus sortir de chez elles, et il leur arrive de se mettre à la recherche d'un compagnon pour accroître leur sentiment de sécurité.

On traite généralement ces troubles avec des médicaments, auxquels on associe une psychothérapie cognitive et, à l'occasion, une thérapie comportementale pour modifier le comportement.

Les limites fonctionnelles ont deux causes. L'une est l'anxiété qui accompagne les crises de panique. C'est une réaction de courte durée qui, en soi, ne cause pas de déficience prolongée. Cependant, les changements de comportement attribuables à l'agoraphobie altèrent davantage les capacités car la personne concernée ne peut pas quitter le lieu où elle se sent en sécurité sans éprouver un terrible malaise et d'énormes craintes. Dans la « zone » dite « de sécurité » , il n'y a généralement pas de limitations marquées.

[11]     Le Dr Lapierre a donné son avis sur les troubles mentaux et physiques de l'appelant en se fondant sur les principes médicaux généralement applicables. Dans son rapport, il écrit ce qui suit :

                   [TRADUCTION]

D'après la description fournie, il est manifeste que M. Lever est capable d'accomplir des activités courantes de la vie quotidienne chez lui et que son interaction sociale est limitée de façon marquée lorsqu'il quitte son domicile, soit le seul endroit où il se sent en sécurité. En ce qui concerne les activités essentielles, il peut élargir son rayon d'action à l'extérieur de son domicile pour s'occuper de ses « affaires essentielles » . Autrement, c'est son épouse qui doit le faire.

Il termine son rapport en ces termes :

                   [TRADUCTION]

         

Il semble que M. Lever soit capable d'accomplir des activités courantes de la vie quotidienne quand il est chez lui. Il est même capable de s'occuper de ses affaires essentielles à l'extérieur de la maison. Il semble communiquer efficacement et, lorsqu'il est accompagné, il peut - même si c'est avec difficulté - surmonter les limites de l'agoraphobie pour se rendre à des rendez-vous importants, etc.

[12]     Après avoir écouté l'appelant exposer ses problèmes à l'audience, le Dr Lapierre est arrivé à la même conclusion que celle qu'il avait exposée dans son rapport daté du 27 juin 1997.

[13]     Dans une décision rendue par la Cour dans l'affaire Brookshaw c. Canada, C.C.I., no 94-683(IT)I, le 22 septembre 1994 ([1994] 2 C.T.C. 2360), on expose les principes à appliquer aux fins de l'interprétation du paragraphe 118.4(1). Voici un extrait de cet exposé :

Pour être admissible à un crédit d'impôt pour déficience physique en vertu du paragraphe 118.3(1) de la Loi, une personne doit avoir une déficience dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée.    L'article 118.4 dit que cette capacité est « limitée de façon marquée » seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, le particulier est toujours ou presque toujours incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif.   

[14]     Dans l'affaire Wanda A. Campbell c. Sa Majesté la Reine (95-2003(IT)I), le juge Rowe a déclaré ce qui suit :

Nul doute que la loi est conçue pour restreindre la demande aux personnes les plus gravement handicapées.

[15]     Dans le certificat pour le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique signé par le médecin personnel de l'appelant, le Dr S. E. Simson, psychiatre, il est indiqué que l'appelant est capable de percevoir, de réfléchir et de se souvenir, de s'occuper de ses soins personnels (se nourrir et s'habiller) sans supervision et de gérer ses affaires personnelles. Le Dr Y. D. Lapierre, psychiatre, est arrivé à la même conclusion. À l'audience, j'ai pu observer l'appelant, qui a été capable de témoigner de façon claire, cohérente et logique. Je n'ai pas constaté qu'il avait de graves problèmes de mémoire.

[16]     Bien que l'appelant ait une maladie prolongée, il peut accomplir ses activités courantes de la vie quotidienne. Il ne peut pas travailler en raison de sa déficience, mais, aux termes de l'article 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le travail n'est pas considéré comme une activité courante de la vie quotidienne.

[17]     La preuve a démontré que l'appelant est atteint d'une déficience mentale et physique grave et prolongée, mais la Cour ne peut en arriver à la conclusion que sa capacité est toujours ou presque toujours limitée.

[18]     L'appel se rapportant à l'année d'imposition 1994 est par les présentes rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'août 1998.

« J. F. Somers »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

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