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2000-1788(EI)

ENTRE :

BREUVAGES KIRI LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 14 février 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge suppléant G. Charron

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                      Me Jean-François Cloutier

Avocate de l'intimé :                                         Me Stéphanie Côté

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2001.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.


Date: 20010619

Dossier: 2000-1788(EI)

ENTRE :

BREUVAGES KIRI LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1]      Cet appel a été entendu à Montréal (Québec), le 14 février 2001, dans le but de déterminer si Donat Di Patria, le travailleur, exerçait un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), du 28 septembre 1998 au 30 avril 1999, lorsqu'il était au service de Breuvages Kiri Ltée, l'appelante.

[2]      Par lettre en date du 17 février 2000, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) informa l'appelante que cet emploi était assurable, pour le motif qu'il existait une relation employeur-employé entre elle et le travailleur, durant la période en litige.

Exposé des faits

[3]      Les faits sur lesquels s'est basé le Ministre pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

« a)        L'appelante a été constituée en corporation. (nié)

b)          L'appelante exploitait une entreprise d'embouteillage de boissons gazeuses et d'eau de source. (admis)

c)          Le travailleur était représentant des ventes pour l'appelante en tant qu'employé jusqu'au 25 septembre 1998. (admis)

d)          Le travailleur a été mis à pied le vendredi 25 septembre 1998 et a été prétendument embauché comme travailleur autonome le lundi 28 septembre 1998. (nié tel que rédigé)

e)          Après le 28 septembre 1998, le travailleur était toujours représentant des ventes pour l'appelante. (nié tel que rédigé)

f)           Le travailleur avait un territoire assigné et visitait les dépanneurs. (nié tel que rédigé)

g)          Le travailleur devait faire la promotion des produits offerts par l'appelante chez les clients existants et recruter de nouveaux clients. (nié tel que rédigé)

h)          Le travailleur devait se rendre, à la fin de la journée, au centre de distribution de l'appelante afin de transmettre les commandes et faire un rapport des ventes effectuées. (nié)

i)           Le travailleur disposait d'un bureau au centre de distribution de l'appelante. (nié tel que rédigé)

j)           Les livraisons étaient effectuées par des livreurs. (admis)

k)          Le travailleur avait un quota de 1 200 caisses de boissons gazeuses. (nié tel que rédigé)

l)           Le travailleur utilisait son automobile pour les déplacements. (admis)

m)         L'appelante remboursait les frais d'automobile au taux de 0,25 $ du kilomètre. (nié)

n)          Toutes les conditions de travail, sauf la rémunération, sont demeurées les mêmes que le travailleur soit considéré par l'appelante comme employé ou comme travailleur autonome. (nié)

o)          Le travailleur était rémunéré par l'appelante 480,00 $ par semaine lorsqu'il était considéré employé. (admis)

p)          Le travailleur était rémunéré par l'appelante sous forme de commission soit 5% des ventes durant la période en litige. (admis)

[4]      L'appelante a reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'elle a niés, comme il est indiqué entre parenthèses, à fin de chaque alinéa.

Témoignage de Jean-Claude Pelletier

[5]      Monsieur Pelletier est vice-président des ventes et du marketing pour l'appelante. Il a particulièrement la responsabilité du réseau commercial, tel que Couche-Tard, Provigo, Métro, IGA, Costco et les pharmacies. L'appelante est une société en commandite qui a différents systèmes de vendeurs, selon la région desservie. Boisbriand, Lanaudière, les Laurentides, Repentigny, Lachenaie, Terrebonne et St-Lin sont desservies par des vendeurs syndiqués. L'île de Montréal, la Rive-Sud, Laval et St-Jérôme sont desservies par des agents manufacturiers; Trois-Rivières, la Mauricie, Shawinigan, Grand-Mère, Lac-à-la-Tortue, St-Maurice, St-Anne-de-la-Pérade, Cap-de-la-Madeleine et Ste-Angèle de Laval aussi. Monsieur Pelletier dépose un relevé d'emploi indiquant que Donat Di Patria a été à l'emploi de l'appelante du 29 septembre 1997 jusqu'au 26 septembre 1998 (pièce A-1); c'est la date où Pierre Brazeau, Donat Di Patria et André Charlebois sont devenus agents manufacturiers. Pierre Brazeau renonce au projet parce que ce n'est pas ce qu'il recherche. André Charlebois et Donat Di Patria concluent un contrat à cet effet, parce que déjà ils possédaient chacun leur magasin. Ils se répartissent le territoire de Brazeau. Figliuzzi avait déjà signé le contrat avant eux. Di Patria faisait déjà affaire sous la raison sociale de Les Liquidations M.D. depuis 1996, ce qui explique pourquoi un contrat est intervenu entre Breuvages Kiri et Les Liquidations M.D. Charlebois a conclu son contrat sous son nom personnel. Durant la période en litige, Di Patria recevait une commission de 485 $ par semaine et 100 $ par semaine pour l'usage de sa voiture.

[6]      Me Côté fait une objection au témoignage de monsieur Pelletier en ce qui concerne Figliuzzi, Brazeau et Charlebois, parce que non pertinent. L'objection est prise sous réserve et retenue.

[7]      Di Patria avait un bureau qui lui était fourni par l'appelante à Anjou. Les livraisons des marchandises vendues étaient effectuées par des livreurs. Di Patria utilisait sa voiture pour ses déplacements et avait droit à 5 % de commission pour défrayer ses dépenses. Il pouvait travailler chez lui, dans les dépanneurs ou les restaurants. Le travailleur n'a pas le droit d'aller dans l'entrepôt réservé au commercial. Il doit payer 0,10 $ la copie pour faire des photocopies. L'appelante a emménagé au bureau d'Anjou le 28 septembre 1998, date de la fermeture du poste suite à une restructuration. Un autre groupe est arrivé en février 1999. L'appelante permet au travailleur d'organiser son temps de travail, mais il doit se présenter au bureau pour prendre ses livres de route. Le soir, il rencontre son superviseur, Bruno Figliuzzi, pour lui remettre un rapport détaillé de ses ventes de la journée et discuter de ce qui s'est passé avec le représentant du développement. En cours de route, certains rapports ont été éliminés parce que futiles. Après six à huit semaines de rodage, l'appelante a enclenché le processus d'agents manufacturiers et cessé d'utiliser les rapports. Certains vendeurs ont continué à envoyer les rapports à Figliuzzi comme auparavant. Ils sont libres d'opérer comme ils veulent sur leur territoire. Di Patria, de façon spécifique, devait produire un rapport, lorsqu'il était vendeur, mais a cessé de le faire quand il fut devenu agent manufacturier, parce que Pelletier ne les regardait plus de toute façon. L'appelante fait sporadiquement des rencontres auxquelles les livreurs, les vendeurs, les distributeurs et les agents manufacturiers sont invités. Ces rencontres sont facultatives. Un agent manufacturier peut vendre n'importe quoi, si la compagnie n'en vend pas elle-même.

Témoignage de Donat Di Patria

[8]      Monsieur Di Patria est vendeur chez Kiri depuis le 28 septembre 1998. À chaque jour, muni d'un livre de ventes, il se rend chez ses clients, prend leur commande et la transmet à Kiri (pièce I-2). Il doit faire chaque jour un rapport de ventes et un de commandes. Une fois la commande remplie, les livreurs la livraient aux destinataires dans les 48 heures. Il touche un salaire de 480 $ par semaine et 0,25 $ par kilomètre. Le bureau chef de Kiri est situé à St-Félix-de-Valois. Di Patria bosse de 7 h à 15 h cinq jours par semaine. En août 1998, Figliuzzi explique à Di Patria que la direction a un projet durable à lui proposer et lui exhibe la pièce A-2. À compter de ce jour, il ne reçoit plus de salaire, ni de dépenses de voiture, mais une commission sur les ventes de 5 %, à titre d'agent manufacturier. La proposition était facultative et laissée à son choix. Quand il était vendeur, pendant la période du projet-pilote, Di Patria avait l'obligation de remplir des rapports et de les remettre à monsieur Pelletier ou monsieur Figliuzzi.

Analyse des faits en regard du droit

[9]      Il y a lieu maintenant de déterminer si l'activité du travailleur est incluse dans la notion d'emploi assurable, c'est-à-dire s'il existe un contrat de travail ou non.

[10]     La jurisprudence a énoncé quatre critères indispensables pour reconnaître un contrat de travail. La cause déterminante en cette matière est celle de City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161. Ces critères sont les suivants : 1) le contrôle; 2) la propriété des instruments de travail; 3) la possibilité de profit et 4) le risque de perte. La Cour d'appel fédérale y a ajouté le degré d'intégration dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, mais cette énumération n'est pas exhaustive.

[11]     Dans notre cas, la Cour d'appel fédérale a décidé, dans la cause de Raymond-Guy Gallant et M.R.N., A-1421-84 (C.A.F.), que : « ... Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions » . Il est important de ne pas s'arrêter au seul pouvoir de contrôle, mais aussi à la façon qu'il est exercé. Dans l'arrêt Thomas Alexander McPherson et M.R.N., [1976] NR 91, l'honorable juge Cattanach affirme que : « ... le critère du droit de regard de l'employeur sur la manière dont l'employé exécute le travail n'a pas autant d'importance lorsqu'il s'agit de professionnels hautement qualifiés. Ces employés sont embauchés en raison de leur compétence. Ainsi, dans la pratique, ces personnes se voient rarement donner des directives sur la façon de faire leur travail, mais cela n'empêche pas ces personnes d'exercer un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. Le droit de regard sur la manière dont un professionnel exécute son travail a, bien entendu, une portée limitée, mais il n'en demeure pas moins qu'il existe même s'il est parfois impossible à exercer et même s'il est rarement nécessaire de l'exercer » . En conséquence, l'appelante avait un contrôle suffisant sur le travailleur.

[12]     Le travailleur était payé à salaire : 40 heures par semaine au taux hebdomadaire de 485 $, fixé par l'appelante, à compter du 29 septembre 1997, jusqu'au jour de sa mise à pied, le 25 septembre 1998. Il est rembauché aussitôt comme agent manufacturier autonome, au taux de 5 % de commission. Il n'a plus droit aux congés de maladie, ni aux vacances annuelles, ni à l'assurance-groupe, ni au régime de retraite, ni aux outils et au bureau fournis, ni à l'assurance-responsabilité.

[13]     Il est cependant difficile d'affirmer que le travailleur a été mis à pied. Plusieurs conditions se chevauchent les unes les autres durant la période où il admet être salarié et celle où il prétend être agent manufacturier. Quel est le sens de l'expression « mis à pied » ? L'arrêt Air-Care Ltd. and Limited Steel Workers of America et al., [1976] 1 R.C.S. 2 la définit comme suit (page 6) :

            « La prétention du syndicat se fonde en grande partie sur l'argument qu'il n'existe pas de différence entre une réduction des heures de travail et une mise à pied et qu'ainsi, dès qu'un individu voit ses heures de travail réduites, celui-ci est mis à pied (laid off). « Mise à pied » n'est pas défini au Code du travail du Québec, S.R.Q. 1964, c. 141. Cependant le Nouveau Larousse Universel, tome 2, définit « mise à pied » comme étant un « retrait temporaire d'emploi » , et le Shorter Oxford English Dictionary définit « lay-off » comme étant [TRADUCTION] « une période durant laquelle un salarié est temporairement licencié. » À mon avis aucun des employés de Air-Care Ltd. n'a été mis à pied dans les cas qui ont donné ouverture au grief... »

[14]     Le travailleur dit que son mandat est terminé à cause de la pièce A-1, mais le même vendeur est encore à l'oeuvre et il reçoit encore son salaire. Pour nous il s'agit d'une continuité.

[15]     Les instruments de travail appartiennent à l'appelante. C'est l'appelante qui seule peut réaliser des bénéfices ou subir des pertes dans l'exploitation de son entreprise et non le travailleur qui ne reçoit qu'un salaire fixe. Enfin, le travailleur exécutait son travail chez l'appelante et était bien intégré dans son entreprise. J'en conclus donc que l'appelante exploitait une entreprise et le travailleur était à son service durant la période en litige.

[16]     L'appelante avait le fardeau de la preuve et ne s'en n'est pas déchargée par une preuve prépondérante.

[17]     En conséquence, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2001.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :                2000-1788(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Breuvages Kiri Ltée et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 14 février 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                  l'honorable juge suppléant G. Charron

DATE DU JUGEMENT :                              le 19 juin 2001

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :                        Me Jean-François Cloutier

Avocate de l'intimé :                            Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                   Nom :                     Me Jean-François Cloutier

                   Étude :                             Desjardins Ducharme Stein Monast

                                                          Montréal (Québec)

Pour l'intimé :                                      Morris Rosenberg

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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