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Date: 20020726

Dossier: 2001-4378-GST-I

ENTRE :

GISÈLE DRAPEAU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel entendu selon la procédure informelle d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) par laquelle on a refusé à l'appelante le remboursement de la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) sur la construction d'une maison neuve au montant de 3 306,73 $. Le Ministre soutient que la demande n'a pas été faite à l'intérieur du temps requis pour le faire aux termes du paragraphe 256(3) de la Loi sur la taxe d'accise ( « Loi » ), qui se lit comme suit :

(3) Demande de remboursement - Les remboursements prévus au présent article ne sont versés que si le particulier en fait la demande dans les deux ans suivant le premier en date des jours suivants :

a) le jour qui tombe deux ans après le jour où l'immeuble est occupé pour la première fois de la manière prévue au sous-alinéa (2)d)(i);

a.1) le jour du transfert de la propriété visé au sous-alinéa (2)d)(ii);

b) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l'immeuble sont achevées en grande partie.

[2]            Il n'est pas contesté que l'appelante a fait construire un immeuble d'habitation dans le village de l'Orignal par un entrepreneur en construction. Il n'est pas contesté non plus que l'appelante et son conjoint ont été les premières personnes à occuper l'immeuble, et ce à compter du 29 août 1998. L'appelante ne semble pas contester non plus qu'elle a fait la demande de remboursement auprès du Ministre autour du 20 octobre 2000.

[3]            Ce qui fait l'objet de contestation dans le présent litige, c'est la date à laquelle la construction de l'immeuble a été achevée en grande partie. Le Ministre est d'avis que cette date est le 18 août 1998, soit la date du rapport d'inspection indiquant que la maison était partiellement complétée pour occupation résidentielle (pièce I-3).

[4]            L'appelante soutient que la maison n'a été complétée qu'au printemps 2001. Pour appuyer sa version des faits, elle a produit une lettre provenant de la société Abri-Tec Construction Inc., ( « Abri-Tec » ), laquelle société agissait comme entrepreneur dans la construction de la résidence (pièce A-3).

[5]            La demande de remboursement de TPS ayant été produite en octobre 2000, il est donc important de déterminer la date d'achèvement en grande partie des travaux. De fait si le Ministre a raison, la demande aurait été faite en-dehors du délai prescrit, soit après le 18 août 2000. Si l'appelante a raison, sa demande aurait été faite à l'intérieur du délai prescrit soit bien avant le premier en date des jours suivants : le deuxième anniversaire de l'achèvement en grande partie des travaux (printemps 2003) ou le quatrième anniversaire du jour où l'immeuble a été occupé pour la première fois (29 août 2002).

[6]            La seule question en litige est donc de déterminer à quelle date la construction de la maison a été achevée en grande partie.

[7]            L'expression « achevée en grande partie » a été analysée par cette Cour à quelques reprises. Dans l'affaire Vallières c. Canada, 2001 A.C.I. no 528 (Q.L.), le juge Hamlyn disait ce qu'il suit :

¶ 15        Les termes "achevées en grande partie", qui figurent à l'alinéa 256(3)b) de la Loi, ne sont pas définis de manière particulière dans la loi.

¶ 16         L'ADRC [l'Agence des douanes et du revenu du Canada] se sert du critère préliminaire du 90 p. 100 comme simple règle administrative. Toutefois, ce critère est très imprécis et il a constamment été critiqué. Il n'y a absolument aucun élément sur lequel fonder une telle estimation. Apparemment, l'ADRC peut considérer que les termes "achevées en grande partie" signifient un pourcentage inférieur à 90 p. 100. Cependant, il est improbable qu'un état d'achèvement inférieur à 70 p. 100 puisse correspondre à des travaux "achevés en grande partie" au sens où l'entend la Loi.

¶ 17         Les règles du 90 p. 100 ou plus doivent toujours être nuancées par le fait qu'il doit être raisonnable pour l'acheteur de pouvoir habiter les lieux. Dans une large mesure, il peut donc y avoir un élément subjectif et il faut tenir compte de l'acheteur en particulier, mais non jusqu'au point où les normes objectives peuvent être écartées.

¶ 18        Pour qu'un immeuble d'habitation soit achevé en grande partie, il doit pouvoir être utilisé pour les fins pour lesquelles il a été construit.

¶ 19        Afin de déterminer en quoi consistent des travaux "achevés en grande partie", il faut procéder à une certaine évaluation fondée sur le sens commun de ce que, selon les faits de l'espèce, une personne raisonnable considérerait comme des travaux achevés en grande partie.

[8]            Dans la présente affaire, l'appelante a expliqué que son mari souffrait, au cours de l'été 1998, d'un cancer au cerveau et était pratiquement en phase terminale. Devenu agressif par suite de sa santé devenue très précaire, il avait exigé du constructeur d'obtenir le certificat d'inspection de la municipalité afin de pouvoir emménager dans la nouvelle maison le plus rapidement possible. A cette époque, soit au mois d'août 1998, le couple vivait dans une autocaravane et l'appelante a expliqué qu'ils n'avaient plus le choix d'intégrer la maison compte tenu de l'état très avancé de la maladie de son mari. Ce dernier est décédé le 9 décembre 1998.

[9]            Selon l'appelante, le certificat d'inspection était conditionnel à l'installation d'une rampe d'escalier, de la ventilation et du thermostat pour le chauffage. Ces travaux auraient été effectués selon toute probabilité avant le 31 décembre 1998. De plus, les planchers n'étaient pas terminés, la peinture non complétée, le solage extérieur non recouvert, le terrassement extérieur pas fait, la douche d'une salle de bain n'était pas terminée et les portes intérieures pas toutes installées.

[10]          Selon l'appelante, certains de ces travaux ont été complétés à l'automne, après qu'ils aient emménagé. Lors du décès du mari, l'entrepreneur a cessé tous les travaux. Il les a complétés au printemps 2001, sur réception du solde dû.

[11]          La maison a été construite pour la somme totale de 140 933 $, taxes incluses. Le 18 août 1998, il restait un solde à payer de 35 933 $ (pièce I-2). Selon l'appelante, les travaux à être complétés étaient d'une valeur approximative de 20 000 $. Selon elle, la maison était complétée à 75-80 pour cent au moment où ils y ont emménagé. La lettre de l'entrepreneur Abri-Tec, datée du 19 novembre 2001 (pièce A-3) relate ce qui suit :

Suite à un litige testamentaire, nous n'avons pu compléter cette résidence qu'au printemps 2001.

Après la réception de la somme qui nous était dû [sic], ($35,000) nous avons terminer [sic] le revêtement des planchers (bois franc), nous avons posé les portes intérieurs [sic] et fait le terracement [sic] extérieur. Nous avons aussi exécuté multiples autres travaux afin de rendre la maison habitable.

[12]          Au sujet de ces autres travaux nécessaires pour rendre la maison habitable, l'appelante a témoigné que la maison avait été peinturée et que la douche avait été installée alors qu'ils habitaient déjà la maison. Elle a également indiqué qu'il fallait aussi retoucher aux fenêtres qui coulaient. Ce témoignage a été confirmé par madame Guylaine Gauthier, la conjointe de Robert Gauthier, président de Abri-Tec. Madame Gauthier a ajouté que certains travaux avaient été complétés dans la cuisine et qu'il avait fallu achever « le champ septique » .

[13]          Le juge Hamlyn disait dans l'affaire Vallières, précitée, que pour déterminer si des travaux sont achevés en grande partie, il fallait procéder à une certaine évaluation fondée sur le sens commun de ce que, selon les faits en espèce, une personne raisonnable considérerait comme des travaux achevés en grande partie. Ces mêmes propos avaient déjà été adoptés par le juge Bowman de cette Cour dans Lim c. Canada, [2000] A.C.I. no 4 (Q.L.).

[14]          A mon avis, une telle évaluation me permet de conclure dans le cas présent que la construction de la maison n'était pas achevée en grande partie le 18 août 1998. En effet, même si l'appelante était d'avis que la maison était habitable pour ses besoins très particuliers - compte tenu de l'urgence d'intégrer la maison même si tout n'était pas complété - la preuve a révélé qu'il est raisonnable de croire que le logis n'était pas achevé en grande partie au mois d'août 1998 et probablement pas avant la fin de l'automne 1998. De fait, il semble que c'est à ce moment que les travaux sur la rampe d'escalier, la ventilation et le thermostat du chauffage, la douche, le champ d'épuration, la cuisine et la peinture ont été complétés (les autres travaux auraient été accomplis plus tard). On avait déterminé dans l'affaire Lim, précitée, que certains de ces travaux devaient être complétés avant que l'on puisse affirmer que la construction d'un immeuble était achevée en grande partie.

[15]          Ainsi, à mon avis, le droit de l'appelante de demander le remboursement de la TPS sur la construction d'une maison neuve devenait prescrit au plus tôt à la fin de l'année 2000. Or, elle a fait cette demande auprès du Ministre autour du 20 octobre 2000. Je considère donc que la demande a été faite avant l'expiration du délai de prescription.

[16]          J'ajouterais que l'appelante a expliqué dans son témoignage qu'elle avait fait les démarches pour faire sa demande de remboursement bien avant le 20 octobre 2000. Elle en a toutefois été empêchée par un agent de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, qui lui a laissé entendre qu'une telle demande ne pouvait être effectuée avant qu'elle n'obtienne le titre légal de la propriété qui était au nom de son mari. Compte tenu de l'existence d'une contestation judiciaire sur la succession du mari de l'appelante, il a fallu tout ce temps pour que l'appelante obtienne légalement le droit de propriété sur la maison.

[17]          Je note également que si l'appelante agissait à titre d'exécuteur testamentaire dans la succession de son mari (ce qui n'est pas ressorti clairement en preuve), elle n'aurait pas eu à attendre d'obtenir le titre légal de propriété pour faire la demande de remboursement. En effet, en vertu de l'article 267 de la Loi, la plupart des dispositions de la partie IX de la Loi (incluant le droit au remboursement de TPS prévu à l'article 256) s'appliquent comme si la succession du particulier était le particulier et comme si celui-ci n'était pas décédé.

[18]          A tout évènement, que l'appelante ait été mal conseillée ou non, je suis d'avis d'accueillir l'appel, avec dépens s'il y a lieu, au motif qu'elle a présenté la demande de remboursement de TPS sur la construction d'une maison neuve dans les délais prescrits par le paragraphe 256(3) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26ième jour de juillet 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.No DU DOSSIER DE LA COUR :            2001-4378(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Gisèle Drapeau c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 17 mai 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                      le 26 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :                               l'appelante elle-même

Pour l'intimé(e) :                                    Justine Malone

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2001-4378(GST)I

ENTRE :

GISÈLE DRAPEAU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 17 mai 2002 à Ottawa (Ontario) par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Pour l'appelante :                  L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :            Justine Malone

JUGEMENT

                Vu l'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis serait daté du 26 mars 2001 (selon la Réponse à l'avis d'appel), l'appelante en aurait été avisée le 5 novembre 2001 et porterait le numéro 0030118771237-16 (selon l'Avis d'appel);

Et vu les motifs ci-joints;

L'appel est admis, avec frais s'il y a lieu, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a présenté la demande de remboursement de la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) sur la construction d'une maison neuve dans les délais prescrits par le paragraphe 256(3) de cette Loi.

L'appelante a donc droit au remboursement de la TPS sur la construction d'une maison neuve au montant de 3 306,73 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26ième jour de juillet 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

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