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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

96-4783(IT)I

ENTRE :

HUGH VINCENT LUNN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 29 juin 1998, à Kingston (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Pour l'appelant :               l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :       Me Karen Cooper

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juillet 1998.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19980714

Dossier: 96-4783(IT)I

ENTRE :

HUGH VINCENT LUNN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]      Les présents appels se rapportent aux années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 de l'appelant.

LE PROJET

[2]      Le projet consiste en la construction d'une réplique - à cadre en bois - d'avion Spitfire.

[3]      Depuis plusieurs années, M. Lunn construit un avion Spitfire grandeur nature, à cadre en bois. Ce projet a commencé en 1986 et se poursuit. Au cours de cette période, M. Lunn a demandé à déduire des frais de recherche scientifique et de développement expérimental ( « RS & DE » ) relativement à ses efforts pour construire un avion Spitfire et relativement au coût associé à la construction, dans ses maisons successives, d'une enceinte assez vaste pour abriter l'avion. De plus, il a demandé à déduire des frais relatifs à l'achat d'équipement et d'outils spéciaux devant être utilisés dans la construction de l'avion. La construction est basée sur une série de plans conçus par M. Marcel Jurca. M. Lunn a acheté ces plans, et il tente de construire le Spitfire d'après ces plans.

[4]      Le Spitfire grandeur nature en voie de construction comporte - outre ses caractéristiques spéciales - un cadre en bois au lieu du cadre en aluminium utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'une cloison pare-feu, à l'avant de la cabine, qui laisse moins de place pour le moteur en comparaison de ce qu'il en était dans le cas du modèle utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale. D'autres modifications mineures ont été apportées; le plan prévoit une roue de queue au lieu de l'assemblage d'atterrisseur arrière caractéristique du modèle utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale.

[5]      Pour ce qui est du type de bois, c'est principalement de l'épinette de Sitka, lamellée-collée.

ÉLÉMENTS DE PREUVE

IMPORTANTS PRÉSENTÉS PAR L'APPELANT

[6]      L'objet du projet est la réduction du poids de l'avion et de la consommation de carburant, la modification de la dynamique de vol de l'avion original et, éventuellement, la vente de tels avions à des personnes ayant une licence de pilote privé, qui auraient ainsi un avion plus performant. La preuve présentée par l'appelant a en outre permis d'éclaircir plusieurs points.

[7]      Il n'y a pas eu d'essais organisés dans le cadre du projet.

[8]      Il n'y avait aucun plan d'entreprise et il n'y a pas eu d'études de marché.

[9]      La présumée entreprise n'a déclaré aucun revenu.

[10]     Aucun produit n'a été créé.

[11]     Aucun profit n'était prévu avant une période d'au moins 20 à 30 ans.

[12]     Bon nombre des dépenses se rapportaient à des pièces d'avion, ainsi qu'à des locaux construits dans les résidences de l'appelant; d'autres dépenses se rapportaient à des questions comptables et juridiques amenées par des problèmes que l'appelant a eus avec son employeur.

FAITS

[13]     Pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelant a déduit les montants suivants à titre de pertes provenant d'une entreprise appelée Historic Aircraft Replication (Historic) :

                   Année                    Pertes d'entreprise

                     1991                                  25 311 $

                     1992                                  23 066 $

                     1993                                  27 947 $

                     1994                                 23 365 $

[14]     L'intimée faisait notamment remarquer dans ses actes de procédure que, pour les six années d'imposition antérieures à 1991, l'appelant avait déclaré une série de pertes d'entreprise.

[15]     Les hypothèses de fait qui sont invoquées dans la réponse à l'avis d'appel et sur lesquelles le ministre du Revenu national (le « ministre » ) s'est vraisemblablement fondé pour établir la nouvelle cotisation sont que, pour ce qui est des années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelant :

a.        n'a déclaré aucun revenu provenant de ventes ou provenant de la prestation de services;

b.        n'avait aucun produit destiné à la revente en ce qui concerne Historic;

c.        ne s'est pas livré à la fabrication ou à la transformation d'un produit en ce qui concerne Historic;

d.        n'a pas créé ou mis au point un nouveau produit en ce qui concerne Historic.

[16]     L'intimée soutient donc que :

a.        l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit relativement à Historic dans les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994;

b.        les dépenses de l'appelantconcernant Historic pour les années en cause n'ont pas été faites ou engagées par l'appelant en vue de tirer ou de produire un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

c.        les dépenses déduites par l'appelantpour les années en cause étaient en fait des frais personnels ou des frais de subsistance.

[17]     Le ministre n'a pas admis les dépenses d'entreprise déduites pour 1991, 1992, 1993 et 1994, et il a établi à l'égard de l'appelant de nouvelles cotisations en conséquence.

[18]     Pour les années 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelant avait en outre présenté à Revenu Canada une « demande de déduction pour les dépenses au titre des activités de recherche scientifique et de développement expérimental (RS & DE) exercées au Canada » (T661(F)), soit une demande visant la déduction des montants qui suivent à titre de frais de RS & DE :

                   Année                    Frais de RS & DE

                   1991                                   13 650 $

                   1992                                   14 076 $

                   1993                                   54 191 $

                   1994                                  39 459 $

[19]     L'intimée a invoqué les hypothèses qui suivent relativement à ces demandes de déduction de frais :

a.        les dépenses des années d'imposition en cause ne se rapportaient pas à des travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existaient;

b.        les dépenses des années d'imposition en cause ne se rapportaient pas à des activités de RS & DE exercées au Canada.

[20]     Le ministre n'a pas admis la prétention de l'appelant selon laquelle ces dépenses se rapportaient à des activités de RS & DE admissibles aux termes de l'alinéa 37(1)a) ou b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) ou de l'article 2900 du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « Règlement » ), et il a établi à l'égard de l'appelant de nouvelles cotisations en conséquence.

POINTS EN LITIGE

[21]     Les questions à trancher dans les présents appels sont les suivantes :

a.        Est-ce que les dépenses d'entreprise déclarées par l'appelant pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 étaient des dépenses déductibles en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi?

b.        Est-ce que les dépenses engagées par l'appelant au cours des années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 étaient admissibles à titre de frais de RS & DE déductibles en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi?

ANALYSE

[22]     L'appelant soutient qu'un aéronauticien travaillant pour le compte du ministre avait examiné le projet pour les années d'imposition en cause et avait conclu que le projet correspondait à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental au sens de l'alinéa 2900(1)c) du Règlement. L'appelant pouvait donc déduire, en vertu de la Loi, les frais de RS & DE engagés dans le cadre du projet.

[23]     Aucun dossier relatif à ce rapport n'a pu être trouvé, y compris à la suite d'une recherche effectuée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, et l'appelant soutient que ces dossiers ont été détruits. Il soutient donc que cela est un obstacle à toute procédure ultérieure et qu'il devrait être interdit à Revenu Canada de recouvrer un impôt.

[24]     L'appelant a en outre soutenu que le fait que le ministre avait précédemment reconnu que le projet représentait des activités de RS & DE constitue pour ce dernier un empêchement pour ce qui est de la présente procédure.

[25]     La conclusion qui s'impose à cet égard est bien attestée. Chaque année d'imposition est indépendante. L'appelant a la charge de prouver l'inexactitude des hypothèses du ministre, et la Cour n'a été saisie d'aucun élément qui aurait pour effet d'empêcher le ministre d'établir les cotisations qu'il a établies.

PERTES D'ENTREPRISE DÉDUCTIBLES

[26]     Pour que des dépenses d'entreprise puissent être déduites pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, il faut que Historic soit une « entreprise » pour l'application de la Loi. Pour l'application de la législation fiscale, une « entreprise » est une entreprise exploitée dans un but lucratif ou avec une attente raisonnable de profit[1].

[27]     Dans ce cas-ci, vu l'état des profits et pertes concernant le projet, vu l'absence d'un plan d'entreprise et vu le rapport scientifique en matière de RS & DE de Jean E. Tardy, il ne semble pas que l'objet prépondérant ait été la réalisation d'un profit. Il semble plutôt que le projet avait le caractère d'un passe-temps et que les dépenses engagées étaient des frais de nature personnelle.

[28]     Historic n'était pas en fait une entreprise pour l'application de la Loi, et les dépenses déclarées relativement aux activités de Historic ne peuvent être déduites à titre de dépenses d'entreprise, en raison de l'application du paragraphe 9(2) et des alinéas 18(1)a) et h) de la Loi.

DÉPENSES EN MATIÈRE DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE

ET DE DÉVELOPPEMENT EXPÉRIMENTAL

[29]     Le paragraphe 37(1) de la Loi permet à un contribuable de déduire intégralement les frais de RS & DE. De plus, de tels frais sont des « dépenses admissibles » au sens du paragraphe 127(9) et permettent au contribuable d'obtenir des crédits d'impôt à l'investissement.

[30]     Pour pouvoir déduire de tels frais en vertu du paragraphe 37(1) et demander un crédit d'impôt à l'investissement en vertu de l'article 127, le contribuable doit exploiter une entreprise et pouvoir démontrer que les dépenses engagées se rapportaient à des « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » au sens de la Loi.

[31]     Le paragraphe 248(1) inque que l'expression « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » s'entend au sens de l'article 2900 du Règlement, qui se lit en partie comme suit :

[...] « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » s'entend d'une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire :

a)          la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b)          la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science avec application pratique en vue;

c)          le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent;

d)          Les travaux relatifs à l'ingénierie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) et servent à les appuyer directement[2].

[32]     L'appelant n'a pas présenté suffisamment de faits pour établir que, conformément à l'article 2900 du Règlement, une sorte quelconque d'investigation ou recherche systématique par voie d'expérimentation ou d'analyse a été effectuée. Aucun élément de preuve n'indique que des expériences contrôlées ont été faites, que des mesures exactes ont été prises ou que des théories ont été mises à l'épreuve par rapport à des données empiriques. Le rapport deJean E. Tardy en matière de RS & DE indique clairement que le projet de l'appelant n'était pas un projet répondant aux critères applicables au développement expérimental qui sont précisés au paragraphe 2900(1) du Règlement[3].

[33]     Jean E. Tardy, qui a été reconnu à l'audience comme expert en analyse de technologies aéronautiques par rapport aux critères applicables aux activités de recherche scientifique et de développement expérimental, a évalué comme suit le projet :

[TRADUCTION]

Progrès technologique

Ce projet consiste en la construction d'une réplique de Spitfire grandeur nature comportant un cadre en bois plutôt que le cadre en aluminium caractéristique du modèle initial. [...] après avoir examiné la question, nous avons constaté que, dans les années 1930, on construisait couramment des aéronefs à cadre en bois qui avaient la même taille et la même puissance.

[...] aucune caractéristique du Spitfire [...] ne rend la construction d'un cadre en bois incertaine ou plus avancée par rapport à ce qu'il en était dans le cas du cadre initial en aluminium. [...]

Le Spitfire envisagé comporte une cloison pare-feu située plus à l'avant que celle du modèle initial. Cela est attribuable au fait que les moteurs d'aéronef modernes sont plus petits et plus efficaces que les moteurs d'aéronef de la Seconde Guerre mondiale. [...] En outre, l'utilisation d'une roue plutôt que d'un assemblage d'atterrisseur arrière représente une technologie courante depuis de nombreuses années.

Incertitude technologique

[...] le projet comporte bel et bien un élément d'incertitude, mais celle-ci est liée au manque de connaissances ou d'expérience de l'auteur de la demande et non à une tentative de réalisation de progrès techniques. [...] l'incertitude est liée aux caractéristiques de ce projet plutôt qu'à la technologie visée. [...]

Contenu technologique

Le projet est en cours depuis au moins dix ans. La durée du projet et le manque de documentation sur le projet indiquent une absence d'effort systématique relativement à cette construction. La construction se fait au moyen de techniques couramment utilisées par tout constructeur d'avion amateur plutôt que par une personne réalisant un projet d'ingénierie systématique.

[...]

RECOMMANDATIONS

[...] les frais que le contribuable cherche à déduire ont été engagés non pas aux fins du Spitfire lui-même, mais aux fins de la construction, dans diverses maisons de M. Lunn, d'enceintes assez vastes pour accueillir l'aéronef. [...]

CONCLUSION

Le projet en cours est une tentative de construction d'un avion Spitfire à cadre en bois. Cette tentative d'un amateur de reproduire la technologie des années 1930 ne répond à aucun des trois critères.

DÉCISION

[34]     Vu les conclusions portant qu'il n'y avait pas d'entreprise et que les critères applicables aux activités de recherche scientifique et de développement expérimental n'ont pas été remplis, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juillet 1998.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]            Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213) (C.S.C.); Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001) (C.A.F.); N. Nilsen v. M.N.R., [1969] Tax Appeal Board Cases 1163.

[2]            Le libellé actuel de l'article 2900 du Règlement a été adopté le 11 janvier 1995 et s'applique aux années d'imposition se terminant après le 2 décembre 1992. Pour les années d'imposition 1991 et 1992 - jusqu'au 2 décembre 1992 -, l'article 2900 du Règlement se lisait comme suit :

[...] « recherches scientifiques et développement expérimental » désigne une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire,

a)          la recherche pure, à savoir le travail entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue,

b)          la recherche appliquée, à savoir le travail entrepris pour l'avancement de la science avec une application pratique en vue, ou

c)          la mise au point, à savoir l'utilisation des résultats de la recherche pure ou appliquée dans le but de créer de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou encore d'améliorer ceux qui existent,

[...]

À mon avis, ce changement de formulation n'a pas vraiment d'incidence sur le fond de la présente cause et ne doit pas influer sur la conclusion de l'affaire pour les années d'imposition 1991 et 1992.

[3]            La circulaire d'information 86-4R3 donne les précisions qui suivent au paragraphe 1.4 :

L'expression « développement expérimental » a été ajoutée au libellé des articles pertinents de la Loi de l'impôt sur le revenu en mai 1985. On parle maintenant de « recherche scientifique et développement expérimental » plutôt que simplement de « recherche scientifique » . Les documents budgétaires publiés en mai 1985 par le ministère des Finances précisent que l'expression « développement expérimental » vise à confirmer que les « projets consistant uniquement en études techniques courantes ou en travaux courants de mise au point » ne sont pas admissibles. On distingue ainsi le « développement expérimental » du concept général de la « mise au point » (développement), dont il représente un aspect particulier. Seules les activités de mise au point liées au développement expérimental sont admissibles.

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