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Date: 20020416

Dossier: 2000-4513-IT-I

ENTRE :

MICHÈLE BÉNARD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Cet appel, régi par la procédure informelle, concerne la prestation fiscale pour enfants sous l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Il s'agit de savoir lequel des deux parents, soit l'appelante ou monsieur Jayson Koshelowsky, assumait principalement le soin et l'éducation de leurs deux enfants, Jayson et Jessica, pour la période du mois de juillet 1999 au mois de février 2000.

[2]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est fondé pour établir sa cotisation sont décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)              l'appelante et monsieur Jayson T. Koshelowsky sont les parents des enfants suivants :

i)               Jayson, né le 31 août 1995;

ii)              Jessica, née le 30 juillet 1996.

b)             l'appelante, le 4 février 2000, avisait le ministre que ses enfants, Jayson et Jessica, n'étaient plus sous ses soins depuis le début du mois de février 2000;

c)              le père, monsieur Jayson T. Koshelowsky, a déposé, au mois de février 2000, une première demande de prestation fiscale pour enfants, alléguant qu'il avait obtenu la garde légale de ses enfants, Jayson et Jessica, et que depuis le 28 juin 1999, il était le parent qui assumait principalement le soin et l'éducation de ces derniers;

d)             lors du traitement de cette demande, il est apparu que monsieur Jayson T. Koshelowsky était devenu, au mois de février 1999, le parent qui assumait principalement le soin et l'éducation de ses enfants;

e)              l'appelante a quitté le domicile conjugal le 8 février 1999;

f)              l'appelante n'avait pas avisé le ministre que ses enfants, Jayson et Jessica, n'étaient plus sous ses soins, après son départ du domicile conjugal le 8 février 1999;

g)             l'appelante est retournée vivre au domicile conjugal le 17 juillet 1999 jusqu'au 30 janvier 2000;

h)             le ministre a demandé à la représentante de l'appelante de lui fournir les preuves que Jayson était sous les soins de l'appelante pour la période s'échelonnant entre le mois de juillet 1999 et le mois de janvier 2000 :

i)               une première demande, par conversation téléphonique, le 8 juin 2000,

ii)              une deuxième demande, par écrit, le 13 juillet 2000;

i)               le 20 juillet 2000, lors d'un entretien téléphonique, la représentante de l'appelante mentionnait au ministre que sa cliente ne pouvait fournir aucune preuve comme quoi elle veillait aux soins et à l'éducation de son enfant;

j)               le 24 juillet 2000, le ministre ratifiait l'avis de prestation fiscale canadienne pour enfants daté du 20 mars 2000 quant à l'année de base 1998, qui déterminait que l'appelante n'était plus la personne qui a assumé principalement le soin et l'éducation de ses enfants, Jayson et Jessica, pour la période s'échelonnant du mois de juillet 1999 au mois de février 2000 inclusivement.

[3]            L'appelante a admis les alinéas 5 a) à 5 i) de la Réponse.

[4]            L'appelante a témoigné pour la partie appelante. Monsieur Jayson Koshelowsky a témoigné pour la partie intimée.

[5]            L'appelante a produit comme pièce A-1, un jugement de la Cour du Québec en date du 14 juillet 1999 confiant les deux enfants à leur père. Ce jugement suivait l'absence de la mère du foyer familial depuis février 1999. Le jugement déclarait compromis la sécurité et le développement des deux enfants. Le jugement mentionnait aussi, notamment, que la mère était en accord pour confier les enfants au père du moins d'une façon provisoire jusqu'à ce qu'un divorce vienne normaliser la situation.

[6]            Du 17 juillet 1999 au 30 janvier 2000, l'appelante est revenue vivre au domicile conjugal. C'est de cette période dont il est question pour la détermination du particulier admissible à la prestation fiscale pour enfants.

[7]            L'appelante a commencé son témoignage en se plaignant du climat de violence que son ex-conjoint lui avait fait subir au cours de leur vie conjugale. En ce qui concerne ses enfants, elle a expliqué qu'elle préparait les repas du matin et du soir ainsi que la collation à leur retour. Les enfants étaient contents de la revoir à leur retour de la garderie et elle aussi. Elle s'occupait des bains après le souper. Les jours où les enfants n'allaient pas à la garderie, elle participait à des activités avec eux dans la maison et dans la cour.

[8]            Le père des enfants a expliqué qu'il conduisait les enfants à la garderie, mais que, parfois, quelqu'un d'autre a dû le faire parce que sa voiture était en mauvais état. Il a aussi relaté que si un des enfants était malade c'était lui qui l'amenait chez le médecin. Il a dit qu'il s'occupait un peu des enfants.

[9]            La pièce A-3 est une requête, en date du 23 février 2000, en prolongation de l'ordonnance du 14 juillet 1999. Cette requête a été faite par le Directeur de la protection de la jeunesse. Elle mentionnait, notamment, que la mère avait quitté le foyer le 24 janvier 2000 par suite d'un acte de violence de la part de son ex-conjoint. La pièce A-4 est le jugement en date du 19 décembre 2000, ordonnant le maintien des enfants chez le père. Ce jugement prend acte des démarches des parents pour améliorer leur capacité parentale.

[10]          La pièce A-5 est le Rapport pour la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, préparé par madame Marielle Plante, auxiliaire familiale, en date du 18 juillet 2000. Le suivi social a commencé le 23 novembre 1999. Les enfants Jayson et Jessica fréquentent une garderie en milieu familial trois ou quatre jours par semaine. Le rapport fait état des difficultés des parents dans leurs relations avec leurs enfants. Le rapport fait état qu'en ce qui concerne la mère, elle démontre une bonne volonté à améliorer et à développer de meilleures relations avec ses petits. Le père, lui, se montre plus ou moins intéressé par le suivi de l'auxiliaire. Il a de la difficulté à comprendre l'importance pour les enfants de leur relation avec leur mère.

[11]          La pièce A-6 est un rapport préparé par monsieur Daniel Charbonneau, en date du 29 mars 2000. Il y est indiqué que la mère a de la difficulté dans son rôle d'encadrement de ses enfants et que le père a un potentiel de violence et à l'occasion manque de contrôle quant à la consommation d'alcool.

[12]          La définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi se lit ainsi pour la partie pertinente :

122.6        Définitions — Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« particulier admissible » S'agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a)             elle réside avec la personne à charge;

b)             elle est la personne — père ou mère de la personne à charge — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière;

...

Pour l'application de la présente définition :

f)               si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge est présumée être la mère;

g)             la présomption visée à l'alinéa f) ne s'applique pas dans les circonstances prévues par règlement;

h)             les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l'éducation d'une personne.

[13]          Le paragraphe 6301(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « Règlement » ) se lit comme suit :

Non-application de la présomption — (1) Pour l'application de l'alinéa g) de la définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi, la présomption mentionnée à l'alinéa f) de cette définition ne s'applique pas dans les circonstances suivantes :

a)             la mère de la personne à charge admissible déclare par écrit au ministre qu'elle réside avec le père de cette personne et qu'il est celui qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de chacune des personnes à charge admissibles avec lesquelles les deux résident;

b)             la mère est une personne à charge admissible d'un particulier admissible et chacun d'eux présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la même personne à charge admissible;

c)             la personne à charge admissible a plus d'une mère avec qui elle réside et chacune des mères présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la personne à charge admissible;

d)             plus d'une personne présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la même personne à charge admissible qui réside avec chacune d'elles à des endroits différents.

[14]          L'article 6302 du Règlement décrit les critères applicables à la notion de soin et d'éducation d'un enfant :

Critères — Pour l'application de l'alinéa h) de la définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l'éducation d'une personne à charge admissible :

a)             le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

b)             le maintien d'un milieu sécuritaire là où elle réside;

c)              l'obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

d)             l'organisation pour elle d'activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

e)              le fait de subvenir à ses besoins lorsqu'elle est malade ou a besoin de l'assistance d'une autre personne;

f)               le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

g)             de façon générale, le fait d'être présent auprès d'elle et de la guider;

h)             l'existence d'une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

[15]          L'alinéa f) de la définition du terme « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi prévoit que si la personne à charge réside avec sa mère, il y a une présomption que la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge est la mère.

[16]          Cette présomption est-elle une présomption réfutable? L'alinéa g) de la définition du terme « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi précise que la présomption visée à l'alinéa f) ne s'applique pas dans les circonstances prévues par règlement. Le paragraphe 6301(1) du Règlement énumère quatre circonstances où la présomption ne s'applique pas. Aucun des alinéas a) à d) de cette disposition ne s'applique aux circonstances présentes.

[17]          Il s'agit donc de déterminer si, outre les critères énoncés au paragraphe 6301(1) du Règlement, la présomption prévue à l'article 122.6 de la Loi peut être réfutée par d'autres moyens.

[18]          Dans la cause Cabot c. Canada, [1998] A.C.I. no 725 (Q.L.), le juge Rip avait à décider la même question. Dans cette affaire, l'appelant et sa conjointe s'étaient séparés. La conjointe avait accepté que monsieur Cabot ait la garde des enfants. En juillet et en août 1994, les enfants ont vécu avec monsieur Cabot chez la mère de ce dernier. En septembre 1994, monsieur Cabot, sa conjointe et leurs enfants ont recommencé la vie commune pendant deux ans. Monsieur Cabot ayant été trouvé coupable d'un crime, a vécu dans une maison de transition de mars à octobre 1996, et en prison en novembre et décembre 1996. Monsieur Cabot soutenait que du 10 août 1994 au mois de mars 1996, il avait eu la garde des enfants en dépit du fait que ces derniers et lui-même avaient vécu avec leur mère.

[19]          Dans Cabot, l'intimée avait soutenu que la présomption prévue à l'article 122.6 de la Loi n'était pas réfutable par autres éléments que ceux prévus au paragraphe 6301(1) du Règlement. L'avocate de l'intimée s'était reportée à l'adage expressio unius est exclusio alterius. Puisque quatre exceptions à la présomption avaient été énoncées par le législateur, le défaut d'en énoncer une autre devait être considéré comme intentionnel.

[20]          Le juge Rip a rejeté les arguments de l'intimée et a conclu que la présomption prévue à l'article 122.6 doit être réfutable au sens ordinaire des dispositions législatives et réglementaires d'application. Si ce n'était pas le cas, on risquerait d'attribuer la prestation fiscale pour enfants à un parent qui n'assume pas de responsabilité pour le soin et l'éducation de l'enfant. Un tel résultat irait à l'encontre de l'objectif de la prestation.

[21]          Donc, vu le contexte législatif de la présomption prévue à l'alinéa f) de la définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi et vu l'objet de la Loi, la présomption est également réfutable en regard des critères énoncés à l'article 6302 du Règlement, qui servent à déterminer la qualité de « particulier admissible » . Cet article est cité au paragraphe 14 de ces motifs.

[22]          Tout d'abord, il me faut dire qu'il faut faire attention d'accorder la qualité de particulier admissible à l'égard d'un conjoint violent qui prétend être celui qui prend le meilleur soin de ses enfants. Ce n'est pas prendre bien soin de ses enfants que de laisser régner un climat de violence dans la demeure familiale. Ce n'est pas non plus prendre bien soin de ses enfants que de ne pas faciliter et promouvoir une relation aimante entre la mère et ses enfants. À mon avis, la preuve a révélé que le père des enfants n'a malheureusement pas favorisé un climat d'entente familiale.

[23]          Les agents du Ministre ont fondé en grande partie leur décision sur le fait que l'appelante avait quitté la maison familiale le 8 février 1999 et que jusqu'au 17 juillet 1999, date de retour de l'appelante, c'était le père qui s'était occupé de ses enfants. Ce n'est pas de cette période dont il s'agit ici et peut-on savoir pourquoi la mère était partie?

[24]          Je suis d'avis que la preuve a plutôt révélé que l'appelante pendant le court laps de temps où elle s'est retrouvée dans la maison familiale, a mis quotidiennement plus d'attention et de coeur au soin et à l'éducation des enfants que le père. Je ne dis pas que la mère s'est comportée parfaitement. D'après les rapports, elle a de la difficulté à encadrer et à guider ses enfants. Elle le ferait peut-être mieux si elle avait l'appui calme et pacifique du père des enfants. Il ne s'agit pas d'une situation où tout est noir ou blanc. Il est probable que les deux parents, à leur façon, veulent réellement le bien de leurs enfants, mais je suis d'avis que dans les circonstances de cette affaire, pendant la période en litige, l'appelante était le particulier admissible pour les fins de la prestation fiscale pour enfants.

[25]          L'appel est accordé avec les frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'avril 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-4513(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Michèle Bénard et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 12 février 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 16 avril 2002

COMPARUTIONS :

Avocate de l'appelante :                      Me France Brosseau

Avocat de l'intimée :                            Me Philippe Dupuis

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                       Me France Brosseau

                                Étude :                     Étude légale Robert Beaudet, Avocats

                                                                                Verdun (Québec)

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-4513(IT)I

ENTRE :

MICHÈLE BÉNARD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 12 février 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocate de l'appelante :                                          Me France Brosseau

Avocat de l'intimée :                                               Me Philippe Dupuis

JUGEMENT

          L'appel de la détermination de la prestation fiscale pour enfants à l'égard des enfants de l'appelante, Jayson et Jessica, pour les mois de juillet 1999 à février 2000, pour l'année de base 1998, est accordé, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'avril 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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