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Date: 20020319

Dossier: 2000-3116-IT-I

ENTRE :

FRANÇOIS BINETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel concernant les années d'imposition 1996, 1997 et 1998.

[2]            Les questions en litige sont les suivantes :

-                l'appelant est-il en droit de réclamer les pertes locatives générées par un immeuble qui ne lui appartient pas, pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998?

-                l'appelant est-il en droit de déduire de ses revenus les frais financiers payés pour le commerce de sa conjointe pour l'année d'imposition 1998?

[3]            Pour établir les nouvelles cotisations qui font l'objet du présent appel, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris pour acquis les faits suivants, mentionnés à la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) :

a)              en date du 30 octobre 1992, Carmelle Mainguy a déclaré dans un contrat de vente notarié, qu'elle était mariée en première noce à François Binette, l'appelant, sous le régime de la séparation de biens suivant contrat de mariage reçu devant un notaire le 29 mars 1978 et qu'il n'existait entre eux aucune convention ayant pour objet de modifier leur régime matrimonial ou leur contrat de mariage, de même qu'aucune demande en séparation de corps, annulation de mariage ou divorce;

b)             le 30 octobre 1992, Carmelle Mainguy et Lucie Coulombe (ci-après, les « acquéreurs » ) ont acheté de Jean-Guy Rioux et Joan Proulx (ci-après, les « vendeurs » ), un immeuble commercial situé au 959, rue Commerciale, St-Jean-Chrysostôme (ci-après, « l'immeuble » ), pour la somme de cent-vingt-mille dollars;

c)              Carmelle Mainguy et Lucie Coulombe ont payé aux vendeurs une somme de 34 972,65 $ et elles ont assumé le solde de l'hypothèque existante, soit 85 027,35 $;

d)             les acquéreurs et leurs conjoints respectifs ont grevé leurs résidences personnelles d'une hypothèque totale de 45 000 $, soit 22 500 $ sur chacune de leur résidence pour couvrir la mise de fonds initial et faire quelques améliorations;

e)              lors de l'achat de la bâtisse en 1992, les loyers perçus mensuellement totalisaient 1 270 $, soit 520 $ pour le bureau du notaire au sous-sol, aucun loyer pour le commerce au rez-de-chaussée occupé subséquemment par les acquéreurs, et 750 $ pour les trois bureaux à l'étage supérieur;

f)              Carmelle Mainguy et Lucie Coulombe ont ouvert au rez-de-chaussée un commerce de vêtements usagés pour enfants, appelé « Boutique Les petits mousses » ;

g)             durant l'année d'imposition 1995 (amendé à l'audience), les acquéreurs ont fermé leur boutique, un locataire a fait faillite et les autres locataires sont partis pour diverses raisons;

h)             durant l'année d'imposition 1998, l'immeuble a subi d'importants dégâts d'eau et a nécessité des réparations importantes avant que certains locaux puissent être loués de nouveau;

i)               l'appelant a fourni plusieurs copies de documents légaux faisant foi de divers prêts hypothécaires et d'emprunts mais aucun de ces documents n'identifie l'appelant comme étant le propriétaire légal de l'immeuble décrit au paragraphe 12(a);

j)               des relevés de prêt émis par la Caisse populaire Duberger pour l'année d'imposition 1996 sont libellés au nom de Carmelle Mainguy et de Lucie Coulombe et le nom de l'appelant n'y figure pas;

k)              l'appelant a fourni au ministre une copie du bail signé le 12 juin 1999 entre le locateur, soit Carmelle Mainguy et Lucie Coulombe et le locataire pour la location de l'immeuble situé au 959, rue Commerciale, St-Jean-Chrysostôme et le nom de l'appelant ne figure pas comme locateur;

l)               en tout temps pertinent, les deux propriétaires de l'immeuble ne l'ont jamais vendu en tout ou en partie à leurs conjoints dont l'un d'eux est l'appelant;

m)             il n'existe aucune créance légale entre les conjoints;

n)             les revenus d'entreprise ont toujours été déclarés par la conjointe de l'appelant, soit Carmelle Mainguy;

o)             les revenus de location ont été déclarés par la conjointe de l'appelant, soit Carmelle Mainguy, pour l'année d'imposition 1994;

p)             l'appelant a déclaré des pertes de location suivantes :

                Année                        Revenus Bruts                      Pertes Nettes

                1995                                         6 580 $                                     (5 916 $)

                1996                                            0 $                                         (8 518 $)

                1997                                            0 $                                         (8 897 $)

                1998                                            0 $                                         (8 656 $);

r)              durant l'année d'imposition 1998, l'appelant a réclamé 725 $ à titre de frais financiers sur un emprunt fait le 28 septembre 1998 dont une partie, soit 10 000 $ aurait servi à aider sa conjointe à démarrer un nouveau commerce, soit « Service à domicile pour vous » ;

[4]            Tous les faits pris pour acquis ont été admis par l'appelant; il s'agit là de faits très pertinents et surtout, suffisants pour disposer de l'appel.

[5]            En plus, l'appelant a expliqué le contexte et les circonstances relatives à son dossier. J'ai compris du témoignage de l'appelant que le projet avait originalement été articulé dans le but de permettre à sa conjointe de gagner un revenu, ce qui, en soi, était très légitime.

[6]            Pour atteindre cet objectif, l'appelant avait renoncé à faire partie de l'activité génératrice d'éventuels revenus et cela, bien qu'il en soit un des principaux garants. De toute évidence, l'appelant ne voulait pas avoir à se cotiser sur ces éventuels revenus; c'était légal et légitime.

[7]            Le projet n'a jamais atteint son but; il s'est, au contraire, détérioré au point que sa conjointe n'a non seulement pas réalisé de profits, elle a subi des pertes.

[8]            S'appuyant sur les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) relatives à l'attribution et prévues à l'article 74.1. l'appelant prétend qu'il peut opposer ces pertes contre ses propres revenus. L'article 74.1 se lit comme suit :

74.1(1)         Dans le cas où un particulier prête ou transfère un bien [...] directement ou indirectement, par le biais d'une fiducie ou par tout autre moyen, à une personne qui est son époux ou conjoint de fait ou qui le devient par la suite ou au profit de cette personne, le revenu ou la perte de cette personne pour une année d'imposition provenant du bien ou d'un bien y substitué et qui se rapporte à la période de l'année tout au long de laquelle le particulier réside au Canada et tout au long de laquelle cette personne est son époux ou conjoint de fait est considéré comme un revenu ou une perte, selon le cas, du particulier pour l'année et non de cette personne.

[...]

(3)               Pour l'application des paragraphes (1) et (2), lorsqu'un particulier, à un moment donné, prête ou transfère un bien appelé « bien prêté ou transféré » au présent paragraphe, directement ou indirectement, par le biais d'une fiducie ou par tout autre moyen, à une personne ou au profit d'une personne et que le bien prêté ou transféré ou un bien y substitué est utilisé:

a)         soit pour rembourser tout ou partie de l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un autre bien;

b)         soit pour réduire un montant payable pour un autre bien,

est inclus dans le calcul du revenu tiré du bien prêté ou transféré, ou du bien y substitué, ainsi utilisé le produit de la multiplication du revenu ou de la perte, dérivé après ce moment de l'autre bien ou du bien y substitué, par le rapport entre la juste valeur marchande à ce moment du bien prêté ou transféré ou du bien y substitué, ainsi utilisé et le coût de l'autre bien pour cette personne au moment de son acquisition; il est entendu toutefois que le présent paragraphe n'a pas pour effet de modifier l'application des paragraphes (1) et (2) à un revenu ou une perte dérivé de l'autre bien ou du bien y substitué.

[je souligne]

[9]            À l'audition, j'ai fait remarquer à l'appelant qu'il en aurait probablement été tout autrement s'il s'était agi de profits.

[10]          Il est reconnu et admis qu'un contribuable peut utiliser tous les moyens légaux pour préparer une planification financière susceptible d'être la plus avantageuse possible quant à sa charge fiscale.

[11]          Une fois choisie, la planification retenue doit cependant être respectée et cohérente jusqu'au bout. En d'autres termes, les revenus devaient profiter à sa conjointe de manière à ce que l'impact fiscal soit avantageux; à partir de la même planification, il ne pouvait pas profiter des pertes, parce que ces mêmes pertes n'avaient aucun effet entre les mains de sa conjointe. Peu importe les résultats de la tentative, l'appelant voulait être gagnant en tout temps.

[12]          La façon de faire de l'appelant était d'autant plus inacceptable que la stratégie n'avait fait l'objet d'aucune convention écrite et cela dans le but évident de garder toutes les options ouvertes.

[13]          Pour soutenir son appel, l'appelant s'est référé aux règles d'attribution prévues au paragraphe 74.1(1) de la Loi.

[14]          D'une part l'appelant a prétendu que sa conjointe avait agi comme prête-nom; il n'y a cependant eu aucune preuve valable à cet égard, si ce n'est l'explication verbale très intéressée de l'appelant.

[15]          D'autre part, les titres de propriétaire de la conjointe de l'appelant sont toujours demeurés intacts; en aucun temps, l'appelant n'a partagé quelque part indivis du titre de propriété de sa conjointe.

[16]          L'intimée a néanmoins admis que les paiements hypothécaires et les frais d'opération de l'immeuble étaient assumés par l'appelant et que le contribuable remboursait une dette contractée par sa conjointe conformément au paragraphe 74.1(3) de la Loi; elle a ainsi consenti à un acquiescement partiel à jugement.

[17]          L'acquiescement partiel à jugement de l'intimée ne concerne qu'une partie des pertes locatives réclamées. Il s'agit de la partie égale au produit de la multiplication de la perte, dérivée de l'immeuble, par le rapport entre la juste valeur marchande à ce moment des biens transférés par l'appelant (les paiements hypothécaires et les frais d'opération de l'immeuble) et le coût de l'immeuble au moment de son acquisition. L'appelant aura donc droit aux montants suivants :

·          Pour 1996 :              8 518 $ x 9 218 $ ÷ 60 000 $ = 1 308,65 $

·          Pour 1997 :              8 897 $ x 8 897 $ ÷ 60 000 $ = 1 319,28 $

·          Pour 1998 :              8 656,32 $ x 8 656,32 $ ÷ 60 000 $ = 1 248,86 $

·         

[18]          La deuxième question en litige consiste à déterminer si l'appelant pouvait déduire de ses revenus les frais financiers découlant d'un prêt dont une partie importante, soit 10 000 $, a été prêtée à sa conjointe sans intérêt pour permettre à cette dernière de démarrer un commerce.

[19]          L'appelant a reconnu que le prêt consenti à sa conjointe ne prévoyait aucun intérêt. L'appelant payait des intérêts sur de l'argent qu'il prêtait sans intérêt; il soutient qu'il pouvait déduire les frais financiers tout en admettant qu'il s'agissait là d'une créance absolument improductive de revenus.

[20]          L'alinéa 18(1)a) de la Loi se lit comme suit :

18(1)        Exceptions d'ordre général. Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a)     Restriction générale — les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

                                                                                [je souligne]

[21]          Les dispositions de la Loi sont très claires et ne permettent absolument pas l'interprétation de l'appelant. Les frais financiers réclamés étaient tout à fait irrecevables. À cet égard, je crois utile de reproduire un extrait du jugement de l'honorable juge Thorson dans l'arrêt Royal Trust Company v. M.N.R. 57 DTC 1055 à la page 1060.

[TRADUCTION]

Par conséquent, on peut affirmer catégoriquement que, dans une affaire qui relève de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, la première question devant être réglée, lorsqu'il s'agit de déterminer si une dépense échappe à l'interdiction prévue à l'alinéa [18(1)a)] de la Loi, est de savoir si le contribuable a engagé ou effectué la dépense en conformité avec les principes ordinaires de la vente commerciale ou les pratiques commerciales bien acceptées. Dans la négative, la question est réglée. Dans l'affirmative, toutefois, la dépense est alors déductible à juste titre, à moins qu'elle n'échappe à l'exception expressément prévue à l'alinéa [18(1)a)], et qu'elle se trouve, par conséquent, à tomber sous le coup de l'interdiction.

                                                                                                                [je souligne]

[22]          L'appelant ne pouvait pas réclamer pour son bénéfice les frais financiers déboursés pour permettre à son épouse d'investir dans un commerce, d'autant plus que les frais d'emprunt étaient tout à fait improductifs entre ses mains.

[23]          L'appel est donc accueilli en ce que le dossier devra être retourné pour un nouvel examen et de nouvelles cotisations, en prenant pour acquis que l'appelant aura exclusivement droit aux dépenses suivantes pour les années d'imposition correspondant aux détails suivants :

·          Pour 1996 :      8 518 $ x 9 218 $ ÷ 60 000 $ = 1 308,65 $

·          Pour 1997 :      8 897 $ x 8 897 $ ÷ 60 000 $ = 1 319,28 $

·          Pour 1998 :      8 656,32 $ x 8 656,32 $ ÷ 60 000 $ = 1 248,86 $

·         

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-3116(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 François Binette et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 20 juillet 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 19 mars 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                     L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                          Me Pascale O'Bomsawin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-3116(IT)I

ENTRE :

FRANÇOIS BINETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 juillet 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Pascale O'Bomsawin

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 est accueilli, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


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