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Date: 20020319

Dossiers: 2000-1343-IT-I,

2000-4598-IT-I

ENTRE :

PAUL ROY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit de deux appels ayant trait aux années d'imposition 1994, 1996 et 1999. Dans un premier temps, il y a lieu de disposer de l'appel relatif à l'année d'imposition 1994. Il ne peut être fait droit à l'appel puisque l'avis d'appel relatif à cette année d'imposition doit être annulé.

[2]            En effet, au moment de la contestation l'appelant a soumis une demande de prolongation de délai en omettant d'indiquer les années visées par sa demande. Or, le délai pour présenter une telle requête, pour l'année d'imposition 1994, était expiré.

[3]            La demande de prolongation concernait étalement l'année 1996; comme l'intimée n'avait pas d'objection à ce que la demande soit accordée pour l'année 1996, une ordonnance fut rendue accordant à l'appelant la prolongation du délai souhaité pour déposer les avis d'appel.

[4]            Ladite ordonnance doit être corrigée puisqu'elle ne pouvait être accordée pour l'année d'imposition 1994, le délai de rigueur prévu par la Loide l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour soumettre une telle requête étant écoulé.

[5]            Cette Cour n'avait donc pas compétence pour outrepasser les délais, d'où il doit être remédié à cette erreur en ce qu'il ne pouvait y avoir appel légalement constitué. Conséquemment, l'avis d'appel pour l'année d'imposition 1994 doit être annulé tout simplement.

[6]            Au soutien des nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris pour acquis les faits suivants :

Dossier 2000-1343(IT)I :

a)              la déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1994 a été cotisée le 23 mai 1995;

b)             l'appelant n'a pas signifié au Ministre dans les délais prescrits par la Loi, un avis d'opposition valide de la cotisation initiale du 23 mai 1995;

c)              l'appelant est l'administrateur et l'unique actionnaire de la société « Construction Paul Roy Inc. » (ci-après, « la société » );

d)             au 31 décembre 1996, selon les états financiers, les travaux en cours de la société se chiffraient à 165 000 $ et le total des actifs était de 311 463 $;

e)              au 31 décembre 1996, les immobilisations de la société avaient une valeur nette, selon les états financiers de :

                        Terrain                                                                                        45 000 $

                        Condominium                                                                            72 000 $

                        Équipement et outillage                                                                  94 $

                        Mobilier de bureau                                                                     1 125 $

                        Matériel roulant                                                                           3 912 $

                        Total                                                                                          122 131 $

f)              selon les états financiers, le compte « Avance ou dû à l'actionnaire » se lit ainsi :

                                au 31 décembre 1993                                                                        0 $

                                au 31 décembre 1994                                                               57 346 $

                                au 31 décembre 1995                                                               73 221 $

                                au 31 décembre 1996                                                               70 530 $

g)             au 31 décembre 1996, le bilan de la société étant comme suit :

Actif à court terme                                                167 730 $

Comptes à recevoir                                               21 602 $

Immobilisations                                     122 131 $

Total de l'actif                                                                        311 463 $

Passif à court terme                                              203 345 $

(incluant dû à l'administrateur)

Dette à long terme                                                 230 959 $

Total du passif                                                                      434 304 $

Capital-Actions                                     126 700 $

Bénéfices non répartis (déficit)    (249 541 $)

Déficit                                                                                         (122 841 $)

                                                                                                                                311 463 $

h)             les fonds avancés par l'appelant ont aidé la société à terminer les travaux en cours et à payer certaines dettes;

i)               les travaux en cours, selon les bilans financiers des années antérieures montrent que la compagnie n'a pas entrepris de nouvelle construction depuis 1993;

j)               les prêts faits par l'appelant ont été faits depuis que l'entreprise a entrepris des démarches pour cesser ses opérations et liquider son actif;

k)              en date du 20 août 1998, le représentant de l'appelant affirme que tous les actifs de l'entreprise sont donnés en garantie pour couvrir les dettes de la société et il n'y a plus de financement possible;

l)               depuis 1997, l'entreprise a abandonné sa licence d'entrepreneur.

Dossier 2000-4598(IT)I :

a)              l'appelant est l'administrateur et l'unique actionnaire de la société « Construction Paul Roy Inc. » (ci-après, « la société » );

b)             l'exercice financier de la société se termine le 31 décembre;

c)              la société n'a pas produit de déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1999 et de ce fait, les états financiers pour l'année en litige n'ont pu être vérifiés;

d)             cependant, l'appelant a déclaré à l'agent des appels que la société avait toujours des actifs et tentait de vendre les propriétés qui étaient incluses dans ses travaux en cours;

e)              selon les états financiers des années antérieures de la société, le compte « Avance ou dû à l'actionnaire » se lit ainsi :

               

                                au 31 décembre 1993                                                                        0 $

                                au 31 décembre 1994                                                               57 346 $

                                au 31 décembre 1995                                                               73 221 $

                                au 31 décembre 1996                                                               70 530 $

                                au 31 décembre 1997                                                               86 244 $

                                au 31 décembre 1998                                                             101 455 $

f)              les fonds avancés par l'appelant depuis 1993 ont aidé la société à terminer les travaux en cours et à payer certaines dettes;

g)             selon les états financiers des années antérieures la société n'a pas entrepris de nouvelle construction depuis 1993;

h)             les prêts faits par l'appelant ont été faits depuis que l'entreprise a entrepris des démarches pour cesser ses opérations et liquider son actif;

i)               en date du 20 août 1998, le représentant de l'appelant affirme que tous les actifs de l'entreprise étaient donnés en garantie pour couvrir les dettes de la société et il n'y a plus de financement possible;

j)               depuis 1997, l'entreprise a abandonné sa licence d'entrepreneur;

k)              l'appelant n'a pas disposé de ses actions dans une société qui exploitait une petite entreprise durant l'année en litige;

l)               l'appelant n'a pas disposé d'une créance dont lui est redevable une société exploitant une petite entreprise;

m)             l'appelant n'a pas établi pour l'année en litige que ladite créance était mauvaise en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après, la « Loi » ), et n'a pas fait ce choix dans ses déclarations de revenus antérieures.

[7]            Les parties ont convenu de procéder au moyen d'une preuve commune. Monsieur Roy a longuement témoigné; il a expliqué son cheminement professionnel.

[8]            Il avait réussi à construire une entreprise importante, dynamique et florissante. Après avoir atteint un sommet impressionnant dont il était très fier, il a dû composer avec plusieurs événements désastreux sur le plan économique, dont la responsabilité ne lui était aucunement imputable, à savoir que la compagnie avait perdu des créances substantielles, auxquelles est venu s'ajouter un imposant ralentissement économique.

[9]            Fier et courageux, il n'a rien négligé et a tout fait pour garder l'entreprise en activité en espérant une reprise du marché immobilier. Au lieu de démissionner comme bon nombre d'individus auraient fait dans des circonstances similaires, il s'est investi et a injecté des fonds personnels, y compris ses épargnes accumulées au fil des ans dans son fonds enregistré d'épargnes retraite ( « REER » ), pour éviter la faillite et tenter de remettre l'entreprise sur le chemin de la rentabilité.

[10]          Après avoir tout essayé, il a dû faire le constat fatal et définitif de l'échec. Il a donc réclamé pour l'année 1996 une perte au titre de placement d'entreprise au montant de 70 530 $ correspondant à des avances et prêts consentis à la société.

[11]          L'intimée a refusé de lui accorder les pertes réclamées pour le motif que les sommes avancées par l'appelant n'ont pas été prêtées dans le but de gagner un revenu, mais plutôt de permettre à la société de continuer à liquider ses inventaires et ses immobilisations.

[12]          Pour l'année d'imposition 1999, l'appelant réclame une autre perte au titre d'un placement d'entreprise de 95 025 $ correspondant au montant du capital-actions de la société établit à 126 700 $.

[13]          Encore là, le Ministre refuse la déduction réclamée en soutenant que l'appelant n'a pas établi que les prêts faits à la société se sont révélés être, au cours de l'année, des créances irrécouvrables puisque la société disposait encore d'actifs, et n'était, ni en faillite, ni dissoute, ni insolvable.

[14]          L'intimée soutient que l'appelant n'est pas réputé avoir disposé de la créance dont la société lui était redevable, ni les actions de cette société. L'appelant contribuable n'ayant pas fait le choix dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition en litige ni dans ses déclarations de revenus des années antérieures, le paragraphe 50(1) de la Loi ne s'applique pas à la créance ou aux actions de cette société selon le Ministre.

[15]          Finalement, l'intimée prétend que les sommes avancées par le contribuable depuis 1993 n'ont pas été prêtées dans le but de gagner un revenu mais plutôt de permettre à la société de continuer de liquider son inventaire et ses immobilisations, conformément au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi.

[16]          L'alinéa 38c) de la Loi prévoit que les trois quarts d'une perte subie par un contribuable au titre d'un placement d'entreprise, pour une année, constituent la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise. Une perte au titre d'un placement d'entreprise est définie à l'alinéa 39(1)c) comme une perte en capital subie à la disposition d'actions ou de créances d'une société exploitant une petite entreprise après 1977.

[17]          L'expression « société exploitant une petite entreprise » est définie au paragraphe 248(1) de la Loi. Le contribuable doit disposer des actions ou créances auprès de personnes avec qui il n'a pas de lien de dépendance, à moins qu'il ne s'agisse d'une disposition présumée aux fins du paragraphe 50(1). Il y a disposition présumée d'une créance lorsque la créance devient irrécouvrable. Il y a disposition présumée d'une action lorsque la société qui a émis l'action (1) devient un failli; (2) devient insolvable au sens de la Loi sur les liquidations et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été émise au cours de l'année; ou (3) est insolvable à la fin de l'année et que ni la société ni une société qu'elle contrôle n'exploite d'entreprise. De plus, la société avait des actions sans aucune valeur marchande et était raisonnablement censée être dissoute ou liquidée. Par ailleurs, d'après le dernier paragraphe de l'alinéa 50(1)b), le contribuable doit indiquer son intention de se prévaloir du traitement prévu à cet article dans sa déclaration de revenu.

[18]          De plus, le sous-alinéa 40(2)g)(ii), interdit à un contribuable de déduire une perte en capital à l'égard de la disposition d'une créance ou d'un autre droit de recevoir un montant, sauf si la créance ou le droit a été acquis en vue de tirer un revenu.

[19]          Pour pouvoir réclamer les pertes en litige, l'appelant doit donc satisfaire aux conditions prévues au paragraphe 50(1).

[20]          Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

38(1) Pour l'application de la présente Loi :

...

c)      la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise d'un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien est égale aux ¾ de la perte au titre d'un placement d'entreprise que ce contribuable a subie, pour l'année, à la disposition du bien.

39(1) Pour l'application de la présente loi :

...

b)     une perte en capital subie par un contribuable, pour une année d'imposition, du fait de la disposition d'un bien quelconque est la perte qu'il a subie au cours de l'année, déterminée conformément à la présente sous-section (jusqu'à concurrence du montant de cette perte qui ne serait pas déductible, si l'article 3 était lu de la manière indiquée à l'alinéa a) du présent paragraphe et compte non tenu du passage « et des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise subies par le contribuable pour l'année » à l'alinéa 3d), dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition) du fait de la disposition d'un bien quelconque de ce contribuable, à l'exception :

(i)             d'un bien amortissable,

(ii)            d'un bien visé à l'un des sous-alinéas a)(i), (ii), à (iii) et (v);

c)      une perte au titre d'un placement d'entreprise subie par un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien quelconque s'entend de l'excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l'année résultant d'une disposition, après 1977 :

(i)             soit à laquelle le paragraphe 50(1) s'applique,

(ii)            soit en faveur d'une personne avec laquelle il n'avait aucun lien de dépendance, d'un bien qui est :

(iii)           soit une action du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise,

(iv)           soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A)           une société exploitant une petite entreprise,

(B)            un failli, au sens du paragraphe 128(3), qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où il est devenu un failli pour la dernière fois,

(C)            une personne morale visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations qui était insolvable, au sens de cette loi, et qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où une ordonnance de mise en liquidation a été rendue à son égard aux termes de cette loi,

...

40(2)        Restrictions

Malgré le paragraphe (1) :

                ...

(g)            est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure où elle est :

...

(ii)            ne perte résultant de la disposition d'une créance ou d'un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu [...] d'une entreprise ou d'un bien, ou en contrepartie de la disposition d'une immobilisation en faveur d'une personne avec qui le contribuable n'avait aucun lien de dépendance,

...

50(1)        Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

a)             un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;

b)             une action du capital-actions d'une société (autre qu'une action reçue par un contribuable en contrepartie de la disposition d'un bien à usage personnel) appartient au contribuable à la fin d'une année d'imposition et :

(i)             soit la société est devenue au cours de l'année un failli au sens du paragraphe 128(3),

(ii)            soit elle est une personne morale visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations, insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été rendue au cours de l'année,

(iii)           soit les conditions suivantes sont réunies à la fin de l'année :

(A)           la société est insolvable,

(B)            ni la société ni une société qu'elle contrôle n'exploite d'entreprise,

(C)            la juste valeur marchande de l'action est nulle,

(D)           il est raisonnable de s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne commence pas à exploiter une entreprise,

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l'action à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action.

[je souligne]

[21]          Pour l'année d'imposition 1996, l'appelant réclame une perte au titre d'un placement d'entreprise de 70 530 $ pour des avances et prêts qu'il a octroyés à la société.

[22]          En vertu de l'alinéa 50(1)a), les créances doivent être établies par le contribuable comme étant devenues irrécouvrables au cours de l'année pour que l'appelant soit réputé en avoir disposé.

[23]          La question de savoir à quel moment une créance devient mauvaise est une question de faits à trancher selon les circonstances de chaque dossier. Dans l'affaire Granby Construction & Equipment c. M.R.N., 89 DTC 456 (C.C.I.), ci-après Granby, la juge Lamarre Proulx a analysé la jurisprudence portant sur la méthode à utiliser pour établir si une créance est irrécouvrable en vertu du paragraphe 50(1). Aux termes de cette décision, un contribuable doit examiner sérieusement et minutieusement la position ainsi que les capacités financières de son entreprise et déterminer, honnêtement et raisonnablement, qu'une créance n'est pas recouvrable à la fin de l'exercice financier, selon une démarche pragmatique et empirique.[1]

[24]          Pour déterminer si une créance doit être considérée comme irrécouvrable, il incombe au contribuable de faire lui-même l'analyse en sa qualité d'homme d'affaires prudent. Dans Granby, la juge Lamarre Proulx a fait sien le cheminement suivi dans la décision Hogan v. M.N.R. [2] :

[TRADUCTION]

Par conséquent, pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, une mauvaise créance peut être désignée comme étant la totalité ou une partie d'une créance à l'égard de laquelle le créancier, après avoir personnellement tenu compte des facteurs pertinents susmentionnés, pour autant qu'ils s'appliquent à chaque créance particulière, conclut en toute honnêteté et d'une façon raisonnable qu'elle est irrécouvrable à la fin de l'exercice au cours duquel la détermination doit se faire, même si, par la suite, il peut se produire des événements par suite desquels la créance peut en fait être recouvrée en totalité ou en partie. La détermination devrait être faite par le créancier lui-même (ou par son employé), car il est personnellement parfaitement au courant des faits et des circonstances se rapportant non seulement à chaque créance particulière, mais aussi, si possible, à chaque débiteur individuel.

[je souligne]

[25]          Les prétentions de l'appelant sont à l'effet que celui-ci n'avait pas démontré que les prêts faits à la société se sont révélés être, au cours de l'année, des créances irrécouvrables étant donné que la société avait encore des actifs et n'était ni en faillite, ni dissoute, ni insolvable au sens de la Loi sur les liquidations.

[26]          La preuve a démontré que les états financiers de la société pour l'année 1996 et la récession économique des années 1996-1997, faisaient en sorte que le contribuable avait correctement apprécié que les avances de 70 530 $, octroyées à la société, étaient devenues irrécouvrables à la fin de l'année 1996.

[27]          L'intimée a soutenu que, pour 1996, la société affichait un actif de 311 463 $ qui aurait pu être utilisé pour rembourser les avances en question. Cette interprétation occulte le passif de la société qui excédait son actif de 122 841 $; en outre, l'actif à court terme était inférieur au passif à court terme de 35 615 $. De plus, 40 p. 100 de l'actif de la société était sous forme d'immobilisations très difficilement réalisables. Je conclus donc que l'appelant rencontrait et respectait les critères prévus à l'alinéa 50(1)a) de la Loi.

[28]          Pour pouvoir déduire sa perte au titre d'un placement d'entreprise, l'appelant devait avoir acquis les créances en litige en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, conformément au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi. Sur cette question, l'intimée soutient que les sommes avancées par le contribuable n'ont pas été prêtées à la société dans le but de gagner un revenu, mais plutôt de permettre à la société de continuer de liquider son inventaire et ses immobilisations.

[29]          L'honorable juge McDonald de la Cour d'appel fédérale traite de cet aspect d'une façon très pertinente dans l'affaire Byram c. Canada, 99 DTC 5117, aux pages 5120 et 5121. Il y a lieu d'en reproduire l'extrait suivant :

Le libellé de l'article 40 est clair. La question à trancher ne tient pas à l'utilisation de la créance, mais au but dans lequel elle a été acquise. Bien que le sous-alinéa 40(2)g)(ii) exige qu'il existe un lien entre le contribuable (c'est-à-dire le prêteur) et le revenu, il n'est pas nécessaire que le contribuable tire directement le revenu du prêt.

...

Le but ultime poursuivi par ... un actionnaire important qui consent un prêt à une société est, sans l'ombre d'un doute, de stimuler le rendement de cette société, augmentant de ce fait le montant des dividendes éventuels déclarés par la société.

...

De plus en plus de décisions judiciaires considèrent les réalités commerciales actuelles comme suffisantes pour démontrer que la perspective de réaliser un revenu de dividendes justifie la déduction d'une perte en capital en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii).

[30]          Je ne retiens pas l'interprétation de l'intimée voulant que les sommes avancées par le contribuable depuis 1993 n'étaient pas prêtées dans le but de gagner un revenu mais plutôt pour permettre à la société de continuer de liquider son inventaire et ses immobilisations.

[31]          En 1994, la société avait un revenu de 85 619,94 $ provenant de la construction et la vente d'une maison à Beauport. Pour la période 1995-1997, la société était impliquée dans un programme de rénovations de Corvée Habitation.

[32]          La société tirait aussi des revenus de la finition de maisons-coquilles. En 1997, le contribuable n'avait pas de licence d'entrepreneur, mais la société continuait d'effectuer des travaux mineurs et ce, jusqu'en 1998. Les montants avancés à la société par l'appelant étaient prêtés dans le but de gagner un revenu.

[33]          Il a été admis que la société était une société exploitant une petite entreprise en 1996; l'appelant avait donc droit de déduire une perte au titre d'un placement d'entreprise de 70 530 $ pour des avances et prêts qu'il a octroyés à la société.

[34]          Pour l'année d'imposition 1999, l'appelant réclame une perte au titre d'un placement d'entreprise de 95 025 $ sur le montant du capital-actions de la société de 126 700 $.

[35]          Il y a disposition présumée des actions d'une société en vertu des sous-alinéas 39(1)c)(i) et 50(1)b)(iii) lorsque la société est insolvable à la fin de l'année et qu'elle n'exploite plus d'entreprise. De plus, la société doit avoir des actions sans aucune valeur marchande et doit être raisonnablement censée être dissoute ou liquidée.

[36]          En l'espèce, la preuve révèle qu'en 1999 la société était insolvable; qu'elle n'exploitait aucune entreprise, sa licence d'entrepreneur ayant été révoquée depuis 1997. Le contribuable avait lui-même complété les travaux en cours; conséquemment, la preuve est à l'effet que les actions de la société n'avaient plus aucune valeur marchande.

[37]          Selon l'intimée, un contribuable ne peut réclamer une perte au titre de placements d'entreprise pour son capital-actions investi dans une petite entreprise, qu'au moment de la dissolution de la compagnie. Je ne partage, ni ne souscris à une telle interprétation de la Loi. Pour qu'il y ait disposition présumée en vertu du sous-alinéa 50(1)b)(iii), il suffit qu'il soit raisonnable de s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et que la possibilité qu'elle commence ou recommence à exploiter une entreprise soit nulle.

[38]          Cette question a été examinée par le juge Archambault de cette Cour, dans la cause Jacques St-Onge Inc. c. Canada, 2001 DTC 487. L'honorable juge s'exprimait comme suit :

... la division 50(1)b)(iii)(D) ne fixe aucun délai pour que la société soit dissoute ou liquidée. Pour remplir la condition du caractère raisonnable de l'attente de dissolution ou de liquidation, il n'est donc pas nécessaire que Récupération puisse être liquidée ou dissoute au 30 avril 1994. Il suffit qu'il soit raisonnable de s'attendre à ce qu'elle le soit à un moment donné.

[39]          Pour déterminer s'il est raisonnable de s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée, le juge Archambault, dans l'affaire Jacques St-Onge Inc., supra p. 494, a adopté le critère objectif en se fondant sur la décision du juge Rip de cette Cour, dans Bailey c. Canada, 89 DTC 416 (C.C.I.) :

Même si le litige ne concernait pas l'article 50 de la Loi ou une disposition analogue, le juge Rip avait à déterminer comment interpréter le mot « raisonnable » dans le contexte de l'alinéa 152(5)c) de la Loi. Voici l'interprétation qu'il a adopté :

[TRADUCTION] Ce n'est pas l'opinion personnelle de l'appelant ou de l'intimé sur ce qui est « raisonnable » qui importe plutôt, mais celle d'un observateur impartial qui aurait une connaissance de tous les faits pertinents : voir le juge Cattanach à la page 5028 de l'arrêt Canadian Propane Gas & Oil Limited c. M.R.N., 73 DTC 5019.

Pour les fins de l'article 50 de la Loi, je crois que l'approche décrite par le juge Rip convient tout à fait. Compte tenu de tous les faits pertinents, y compris certaines considérations juridiques et fiscales, était-il raisonnable de s'attendre, au 30 avril 1994, à ce que Récupération soit dissoute ou liquidée et ne recommence pas une entreprise?

[40]          M'appuyant sur ces décisions, je suis d'avis que la société était raisonnablement censée être dissoute depuis 1998-1999. La dissolution n'a pas eu lieu à cause d'un litige entre le ministre du Revenu du Québec et un sous-traitant de la société portant sur un compte à recevoir de la compagnie.

[41]          Je conclus donc que la société a satisfait aux critères du sous-alinéa 50(1)b)(iii) de la Loi. Cependant, l'intimée soutient dans sa Réponse à l'avis d'appel concernant l'année d'imposition 1999 que l'appelant n'est pas réputé avoir disposé des actions de la société, puisqu'il n'a pas fait le choix dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition en litige ni dans ses déclarations de revenus des années antérieures, pour que le paragraphe 50(1) de la Loi s'applique aux actions de la société.

[42]          L'avocate de l'intimée semble avoir abandonné cet argument à l'audition. De plus, ce moyen ne figure pas parmi les faits sur lesquels le Ministre s'était fondé pour établir sa cotisation, et donc l'appelant ne devait faire aucune preuve à ce sujet. De toute façon, à la lumière de l'extrait suivant de la décision dans Anderson c. Canada, 92 DTC 2296; [1992] A.C.I. no 556, (Q.L.), il est peu probable que la dernière section du paragraphe 50(1) puisse être interprétée de manière à refuser les déductions réclamées par l'appelant :

[10]          Le choix, en vertu de la modification apportée en 1988, de faire appliquer le paragraphe de façon rétroactive doit avoir été fait par écrit après l'entrée en vigueur de cette modification. La lettre du 22 novembre 1990 que le comptable de l'appelant a envoyée à Revenu Canada satisfait à cette exigence. Elle n'indique toutefois pas la modification ou le paragraphe précis en vertu duquel l'appelant demande la déduction des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise. Elle précise cependant que l'appelant veut que le Ministre reconnaisse que des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise ont été subies afin de pouvoir les déduire de son revenu pour 1986 et 1987. L'essentiel du message transmis dans la lettre était que l'appelant désirait déduire des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise relativement à ses actions de B & D. Ce message suffit à faire connaître le choix de l'appelant.

[43]          Pour ces motifs, j'accueille l'appel et le dossier de l'appelant devra faire l'objet de nouvelles cotisations en prenant pour acquis que ce dernier avait droit de réclamer une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de 70 530 $ pour l'année d'imposition 1996 et de 95 025 $ pour l'année d'imposition 1999.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2000-1343(IT)I et 2000-4598(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Paul Roy et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 20 juillet 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 19 mars 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                     L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                          Me Pascale O'Bomsawin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

               

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-1343(IT)I

2000-4598(IT)I

ENTRE :

PAUL ROY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 20 juillet 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Pascale O'Bomsawin

JUGEMENT

          L'avis d'appel pour l'année d'imposition 1994 est annulé et les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1999 sont accueillis, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.




[1] Ibid. p. 457. Voir aussi Orlando c. Canada (1999), 99 DTC 1201.

[2] Hogan v. M.N.R., 56 DTC 183 p. 193. Voir aussi Flexi-Coil v. Canada, [1996] 1 C.T.C. 2941 conf. (1996), 96 DTC 6350 (C.F.A.); Anjalie Enterprises. v. Canada, 95 DTC 216 (C.C.I.) et Berretti v. M.N.R., 86 DTC 1719 (C.C.I.).

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