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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-2652(IT)I

ENTRE :

ROBERT L. BAKER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus les 26 et 27 septembre 2000, à London (Ontario), et

le 13 décembre 2000, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Avocat de l'appelant :       Me Frank D. Carere

Avocats de l'intimée :       Me Roger Leclaire et Me Carole Benoit

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010129

Dossier: 98-2652(IT)I

ENTRE :

ROBERT L. BAKER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]      Les présents appels visent les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993.

[2]      L'appelant a omis de produire des déclarations de revenu pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992 dans la forme et les délais prescrits au paragraphe 150(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]      Le 10 mars 1994, l'appelant a produit des déclarations de revenu à l'égard des années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993, déclarant les revenus suivants :

          Année d'imposition                              Revenu total déclaré

               1990                                              7 753,35 $

               1991                                              5 630,42 $

               1992                                              8 033,11 $

               1993                                              6 318,51 $

[4]      Lorsqu'il a établi les cotisations pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 de l'appelant, par voie d'avis de cotisation simultanés envoyés par courrier le 22 mars 1996, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a ajouté les sommes suivantes au revenu total de l'appelant :

          Année d'imposition                              Majoration du revenu total

               1990                                              4 450,00 $

               1991                                              11 860,00 $

               1992                                              42 385,00 $

               1993                                              58 578,00 $

[5]      Le ministre a établi subséquemment de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1990 et 1993 de l'appelant, par voie d'avis de nouvelle cotisation simultanés envoyés par courrier le 20 juin 1998; dans ces nouvelles cotisations, le ministre supprimait un montant de 1 452 $ au titre de prestations d'assurance-chômage se rapportant à l'année d'imposition 1990 et réduisait de 5 905 $ le revenu d'entreprise non déclaré pour l'année d'imposition 1993. Le 20 juillet 1998, le ministre a émis un avis de ratification des cotisation établies pour les années d'imposition 1991 et 1992.

[6]      La question à examiner a trait à l'évaluation, selon l'avoir net, du revenu d'entreprise de l'appelant pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993.

[7]      L'appelant n'a pas eu de revenu d'emploi au cours de ces années d'imposition.

[8]      L'appelant était propriétaire de deux immeubles locatifs sis au 40 et au 44, rue Dekay, à Kitchener (Ontario). Aucun emprunt hypothécaire n'a été contracté relativement à ces deux immeubles. L'appelant a déclaré un revenu locatif uniquement au titre de l'immeuble du 44, rue Dekay.

[9]      Durant toute la période considérée, l'appelant résidait au 44, rue Dekay, à Kitchener (Ontario).

PREUVE DE L'APPELLANT

[10]     L'appelant a déclaré que, outre ses comptes bancaires, il conservait à son domicile une somme importante en liquide (de 30 000 à 50 000 $), qui provenait de l'épargne réalisée avant 1990.

[11]     L'appelant a dit avoir utilisé ce liquide pour consentir des prêts sans intérêt à des amis et à des connaissances ainsi qu'à sa fille, à son gendre et à une amie qui était sa locataire, ajoutant que la plupart de ces prêts lui ont été remboursés pendant les années d'imposition en cause.

[12]     Le témoignage de l'appelant, lors de l'interrogatoire principal, a surtout porté sur les pièces A-1 et A-2. La pièce A-2 est un état récapitulatif de l'avoir net pour les années 1989 à 1993, reconstitué par l'appelant à partir des documents de vérification de Revenu Canada, Impôt et des tableaux figurant aux actes de procédure de l'intimée.

[13]     L'appelant a également précisé que les différents retraits des comptes bancaires dont il est question dans le cadre de la détermination de l'avoir net avaient été effectués aux fins de l'encaissement de chèques de l'État (principalement des prestations d'aide sociale) reçus par des amis, des connaissances et des locataires. Ces chèques étaient ensuite déposés au crédit des comptes bancaires de l'appelant.

[14]     L'importante somme en liquide qu'il a mise de côté avant 1990 n'a pas été prise en considération par le ministre dans les cotisations fondées sur l'avoir net. L'argent liquide en question et les retraits dont il est fait mention dans ces cotisations ont servi à encaisser des chèques pour des amis, des locataires et des membres de la famille de l'appelant, et les chèques en question ont été déposés au crédit des comptes bancaires de ce dernier. Ces fonds ont également servi à faire des achats personnels et à payer des factures et d'autres frais de subsistance. Toutes les opérations, y compris la perception des loyers et le paiement de dépenses personnelles ou d'entreprise, étaient faites en liquide.

[15]     L'appelant a indiqué que les prêts étaient consentis sans intérêt et qu'aucun escompte n'était demandé ni obtenu. On ne tenait pas de registres. L'appelant a affirmé qu'il mémorisait tous les renseignements pertinents, ajoutant qu'il pouvait y avoir, à n'importe quel moment, jusqu'à vingt prêts non remboursés, dont le solde et le plan de remboursement variaient.

[16]     L'appelant a également soutenu avoir acheté des articles, dans des ventes aux enchères, pour le compte d'une entreprise industrielle, Rightzal Bros., dont le mandant était un de ses amis. Ici encore, l'appelant a soutenu que le transfert des articles ne constituait pas une entreprise commerciale, précisant qu'en l'instance aucun intérêt ou escompte n'était exigé et aucun bénéfice, réalisé. Il a déclaré que la seule contrepartie à laquelle il a eu droit a été de l'essence, fournie de temps à autre pour son automobile.

[17]     L'appelant a parlé ensuite des prêts consentis à sa fille, à son ancien gendre, à sa locataire de longue date et à d'autres personnes. Il a déclaré avoir prêté de l'argent qu'il possédait déjà, et que les emprunteurs avaient utilisé cet argent pour acheter des véhicules, des bateaux, des remorques ou des biens immobiliers. L'appelant a de nouveau soutenu que ces opérations ne revêtaient pas un caractère commercial et qu'elles n'avaient pas donné lieu à une hausse de son avoir net.

[18]     Les souvenirs de l'appelant et sa relation des événements en réponse aux questions détaillées concernant les prêts personnels non remboursés et les opérations portant sur des actifs non déterminés (mentionnées dans la pièce A-2) sont demeurés d'ordre général, mais il a pu, ainsi que les autres personnes témoignant pour son compte, répondre à toutes les questions.

QUESTIONS EN LITIGE

[19]     Le ministre a-t-il évalué avec exactitude le revenu d'entreprise de l'appelant en le majorant de 2 998 $, 11 860 $, 42 385 $ et 52 673 $ pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993, respectivement? Le ministre était-il fondé à imposer des pénalités pour production tardive de 164,34 $, 541,98 $ et 92,45 $ pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992, respectivement?

LOI ET JURISPRUDENCE

ANALYSE SUR L'AVOIR NET

[20]     Voici comment le juge Bowman décrit la méthode de l'avoir net dans l'affaire Ramey c. La Reine, no 91-547(IT), 20 avril 1993, à la page 5 (93 DTC 791, à la page 793) :

[...] Une cotisation d'actif net repose sur une comparaison de l'actif net du contribuable, à savoir la valeur de l'actif moins le passif au début d'une année, avec son actif net à la fin de l'année. À la différence ainsi obtenue, on ajoute les dépenses qu'il a engagées pendant l'année. Le montant obtenu est réputé être le revenu du contribuable, sauf preuve contraire.

[21]     Aux termes du paragraphe 152(4), le ministre peut établir une nouvelle cotisation à l'égard d'un contribuable au cours de la période normale de nouvelle cotisation, cette période étant prolongée lorsque certaines conditions sont réunies. Cette disposition doit être lue de concert avec les paragraphes 152(7) et (8). Le paragraphe 152(7) précise que le ministre n'est pas lié par les renseignements fournis par le contribuable, tandis que le paragraphe 152(8) prévoit une présomption de validité de la cotisation ou de la nouvelle cotisation. C'est donc à l'appelant qu'il incombe de prouver que la nouvelle cotisation est erronée. Voici comment le juge Lamarre a énoncé cette règle dans l'affaire Dowling c. La Reine, C.C.I., no 93-934(IT)G, 29 mars 1996, à la page 3 (96 DTC 1250, à la page 1251) :

Il incombe à la partie appelante de démontrer que le fondement de la cotisation du ministre est erroné ou qu'il y a des erreurs dans certains éléments de la cotisation. [...] Donc, lorsqu'un contribuable fait l'objet d'une nouvelle cotisation fondée sur le calcul de l'avoir net, il peut essayer de présenter des preuves permettant à la Cour de déterminer son revenu réel net ou chercher à prouver que la cotisation selon l'avoir net est erronée.

[22]     L'appelant doit donc réfuter les cotisations établies par le ministre selon la méthode de l'avoir net : le ministre établit une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant selon la méthode de l'avoir net, conformément au paragraphe 152(7) de la Loi; en cas d'écart entre l'augmentation de l'avoir net de l'appelant et le montant qu'il a déclaré à titre de revenu pour l'année, c'est à l'appelant qu'il incombe d'expliquer cet écart.

ANALYSE DE LA PREUVE

[23]     Les explications fournies par l'appelant au sujet des cotisations fondées sur l'avoir net ont suscité au départ du scepticisme et de la suspicion.

[24]     D'entrée de jeu, l'avocat de l'appelant a déclaré être conscient du problème de preuve qui se posait, et il a déployé de grands efforts pendant trois jours d'audience pour amener l'appelant et les autres témoins à fournir des explications factuelles élaborées concernant les affaires financières de l'appelant et leur lien avec la cotisation établie par le ministre selon la méthode de l'avoir net.

[25]     Outre l'appelant, quatre personnes ont témoigné à l'appui de sa thèse : sa fille, sa locataire de longue date, un vieil ami et son fils. Tous les témoins ont eu des rapports d'ordre financier avec l'appelant : soit que l'appelant leur a prêté de l'argent, soit qu'il a encaissé des chèques pour leur compte.

[26]     Malgré les liens personnels étroits qui existaient, le témoignage de ces personnes a étayé la prétention de l'appelant, c'est-à-dire qu'il y avait simplement un roulement de l'argent dont il disposait déjà, et que rien ne permettait de croire que l'appelant s'enrichissait ou exerçait des activités à caractère commercial.

[27]     Le témoignage de la fille de l'appelant a été clair et sans détour. Elle n'était pas certaine du contenu précis de l'ordonnance de divorce rendue à son égard, notamment en ce qui a trait à l'opération d'achat d'un bateau à laquelle avait participé son ancien époux; pour tout le reste, par contre, elle a confirmé le témoignage de l'appelant concernant les faits qui se rapportaient à elle, ou du moins corroboré les faits dont elle avait connaissance.

[28]     Le témoignage de la locataire de longue date a montré que ses liens avec l'appelant étaient si étroits que celui-ci lui avait donné procuration à l'égard de son compte bancaire et qu'elle avait accès à l'importante somme en liquide qu'il conservait dans le sous-sol de la maison. Nul doute qu'elle a tiré parti de ses rapports d'ordre financier avec l'appelant. Toutefois, selon la preuve, les opérations rattachées aux achats de véhicules et de fonds de terre par la locataire n'ont pas eu d'incidence sur l'avoir net de l'appelant.

[29]     Le témoignage de l'ami de longue date a appuyé les dires de l'appelant, à savoir qu'il encaissait des chèques pour des amis et des connaissances, et qu'il leur prêtait de l'argent, sans intérêt ni escompte.

[30]     Ainsi que cela a été précisé, le témoignage de l'appelant a porté principalement sur la pièce A-2 et a touché à tous les aspects de la cotisation établie selon l'avoir net. Sa thèse, qui n'a pas été mise en doute, pouvait se résumer pour l'essentiel ainsi : il avait à plusieurs occasions prêté de l'argent et encaissé des chèques, en plus d'acquérir des biens et des matériaux de construction pour un ami au cours de ventes aux enchères; chaque fois, il avait utilisé des fonds dont il disposait déjà, et ces opérations ne lui avaient apporté aucun avantage pécuniaire.

[31]     L'intimée a fait comparaître deux témoins, soit le vérificateur de Revenu Canada et l'ancien gendre de l'appelant.

[32]     Le vérificateur a expliqué la procédure de vérification et exposé les problèmes qu'il avait rencontrés lors de l'établissement de la cotisation selon l'avoir net. Il a livré un témoignage clair sur la façon dont il avait procédé à la lumière des faits dont il disposait. Il a expliqué qu'il n'avait pas tenu compte, au cours de la vérification, du liquide dont disposait l'appelant, estimant que ce montant n'avait pas changé ni eu d'incidence sur les opérations de l'appelant.

[33]     Le témoignage de l'ancien gendre contredisait celui de l'appelant et de sa fille - l'ancienne épouse du témoin. En particulier, les propos du gendre concernant les loyers, les paiements rattachés au bateau, la propriété des véhicules et l'utilisation de véhicules récréatifs allaient diamétralement à l'encontre de ceux de l'appelant et de sa fille. J'ai conclu que son témoignage n'était pas convaincant, et qu'il était imprécis lorsqu'il était question de détails, tandis que l'appelant et sa fille ont su fournir des précisions sur les points en question.

ANALYSE - FARDEAU DE LA PREUVE

[34]     Pour que son appel soit admis, l'appelant devait réfuter, selon la prépondérance des probabilités, les conclusions de la vérification effectuée par l'intimée selon la méthode de l'avoir net.

[35]     Du point de vue de l'intimée, l'appelant exerçait ses activités financières de curieuse façon. Il conservait des sommes importantes en liquide dans son sous-sol. Il se contentait de mémoriser ses comptes, au lieu de tenir des registres. Ses activités ont amené l'intimée à soupçonner qu'il contournait la législation fiscale, pour ne mentionner qu'un point parmi bien d'autres. Ainsi que l'ont soutenu les avocats de l'intimée, l'appelant semblait, premièrement, exploiter une entreprise de prêt et d'encaissement de chèques, deuxièmement, exploiter une entreprise de vente de matériaux de construction, troisièmement, aider des particuliers à se soustraire à la législation en matière d'aide sociale et, quatrièmement, cacher des éléments d'actif pour le compte d'autres personnes.

[36]     L'appelant et ses témoins sont parvenus à fournir des explications pour chaque fait, chaque chiffre, chaque conclusion figurant dans la vérification du ministre. Ces témoignages ont permis de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, les cotisations établies selon l'avoir net pour les années d'imposition en cause étaient erronées. Les précisions fournies ont révélé que l'appelant disposait bel et bien d'une somme importante en liquide dans son sous-sol au début de la période visée par la vérification et que, durant cette période, l'argent en question n'était pas inutilisé puisqu'il servait entre autres à financer les prêts et les autres activités de l'appelant, de sorte qu'il aurait dû être pris en considération lors de la vérification. En outre, l'appelant consentait des prêts et encaissait des chèques régulièrement, sans que ces activités lui rapportent quoi que ce soit ni n'accroissent la valeur de son avoir net. Également, la preuve a montré qu'il n'exploitait pas d'entreprise de prêt et d'encaissement de chèques ni d'entreprise de vente de matériaux de construction. En conclusion, son avoir net n'a pas augmenté durant la période visée par la vérification, contrairement à ce que l'on a prétendu et à ce qu'indiquent les cotisations établies à l'égard de l'appelant. Si j'en arrive à cette conclusion, ce n'est pas parce que j'estime que toutes les opérations financières de l'appelant ont été expliquées ou exposées dans leur intégralité, mais simplement parce que l'appelant s'est acquitté de la charge de la preuve au regard des cotisations.

DÉCISION

[37]     L'appel est accueilli et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les sommes ajoutées au revenu déclaré dans le cadre des cotisations établies selon l'avoir net ne font pas partie du revenu de l'appelant et que ce dernier n'est pas passible des pénalités y relatives.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

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