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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2555(IT)I

ENTRE :

SYED HASSAN JAFFAR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 25 janvier 2002 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                           Me Jocelyn Espejo Clarke

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

          Les dépens de 100 $ sont accordés à l'appelant pour les débours engagés dans la poursuite du présent appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2002.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020204

Dossier: 2001-2555(IT)I

ENTRE :

SYED HASSAN JAFFAR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]      Le présent appel, qui est régi par la procédure informelle, a été entendu à Toronto (Ontario) le 25 janvier 2002. L'appelant a témoigné. Il est né en 1938 et détient un baccalauréat en administration. Il est analyste de systèmes.

[2]      Les paragraphes 3 à 10, inclusivement, de la réponse à l'avis d'appel décrivent la question en litige. Ils se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

3.          Dans sa déclaration d'impôt pour l'année d'imposition 1999, l'appelant a indiqué un revenu d'emploi de 92 642,16 $ [USD 62 731,69 x 1,476 800 174] et des dépenses d'emploi de 37 166,63 $ [USD 25 167 x 1,476 800 174].

4.          Par voie d'avis de cotisation du 5 septembre 2000, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1999 une cotisation refusant les dépenses d'emploi de 37 166,63 $.

5.          Par voie d'avis de nouvelle cotisation du 18 décembre 2000, le ministre a établi à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1999 une nouvelle cotisation admettant des dépenses d'emploi de 37 394,14 $ [USD 25 167 x 1,485 840 24].

6.          Par voie d'avis de nouvelle cotisation du 6 avril 2001, le ministre a établi à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1999 une nouvelle cotisation par laquelle il a cette fois refusé lesdites dépenses d'emploi de 37 394,14 $.

7.          Pour l'année d'imposition 1999, l'appelant a signifié au ministre un avis d'opposition en date du 24 avril 2001 indiquant que le montant de 37 166,63 $ qui avait été reçu ne devrait pas être inclus dans le calcul du revenu d'emploi.

8.          Par voie d'avis de ratification du 12 juin 2001, le ministre a confirmé que le montant de 37 166,63 $ que l'appelant avait reçu était un revenu d'emploi et devait donc être inclus dans le calcul du revenu d'emploi de l'appelant.

9.          En ratifiant ainsi la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          du 1er janvier au 31 octobre 1999, l'appelant a été un employé de Computec International (l' « employeur » );

b)          durant l'année d'imposition 1999, l'appelant a travaillé pour l'employeur aux États-Unis d'Amérique;

c)          durant l'année d'imposition 1999, l'appelant a reçu de l'employeur un revenu d'emploi de 92 642,16 $;

d)          durant l'année d'imposition 1999, l'appelant a déclaré un revenu d'emploi de 92 642,16 $;

e)          pendant la période où il a travaillé pour l'employeur durant l'année d'imposition 1999, l'appelant a tenu comme lieu principal de résidence un établissement domestique autonome - au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) - situé au 6096, Farmstead Lane, Mississauga (Ontario);

f)           pendant la période où il a travaillé pour l'employeur durant l'année d'imposition 1999, l'appelant a également tenu ailleurs (à Rochester (New York)) un établissement domestique autonome au sens du paragraphe 248(1) de la Loi;

g)          ledit revenu d'emploi de 92 642,16 $ incluait une allocation pour frais de 37 166,63 $;

h)          on indiquait que lesdits frais étaient des frais de location d'appartement et de mobilier, de repas et de gaz ou d'électricité concernant une deuxième résidence dans la ville où était exercé l'emploi, ainsi que des frais relatifs à la distance parcourue en voiture à destination et en provenance du Canada;

i)           ladite allocation était une allocation au titre de frais personnels ou de subsistance de l'appelant;

j)           durant l'année d'imposition 1999, l'appelant avait d'abord été embauché par l'employeur pour travailler à Philadelphie (Pennsylvanie);

k)          durant l'année d'imposition 1999, l'appelant travaillait pour l'employeur à partir du bureau de Rochester (New York);

l)           le lieu où l'appelant a travaillé pendant la période où il a exercé un emploi pour l'employeur durant l'année d'imposition 1999 n'était pas un chantier particulier ( « special work site » ) ou un endroit éloigné ( « remote location » ) au sens du paragraphe 6(6) de la Loi.

B.         QUESTIONS À TRANCHER

10.        Il s'agit de savoir si le montant de 37 166,63 $ que l'appelant a reçu comme allocation pour frais personnels ou de subsistance pour l'année d'imposition 1999 doit être inclus dans le calcul du revenu d'emploi de l'appelant.

[3]      Les hypothèses 9 a) à i), inclusivement, ont été confirmées par la preuve.

[4]      Les hypothèses 9 j) et k) sont erronées : la pièce R-2, c'est-à-dire le contrat de travail que l'appelant avait conclu avec l'employeur, stipule que l'employé doit travailler [traduction] « aux bureaux désignés de la société situés à l'endroit spécifié au paragraphe 3 de l'annexe ou, s'il en reçoit l'ordre, aux bureaux de clients » . L'appelant avait d'abord été embauché pour travailler dans les locaux de l'employeur à Malvern, en Pennsylvanie (États-Unis). Après que l'appelant eut été à Malvern quelques jours, son employeur lui avait ordonné d'aller à Rochester (New York) pour exercer sa profession aux bureaux de l'un des clients de l'employeur. L'appelant y a travaillé pendant environ un an et trois mois.

[5]      L'appelant avait loué un appartement et du mobilier à Rochester et, pendant les fins de semaine, il allait voir sa famille à Mississauga (Ontario), faisant l'aller-retour en voiture. Son employeur l'a remboursé de tous ces frais, y compris pour la distance parcourue en voiture à destination et en provenance de Mississauga. Pour 1999, cela représente le montant de 37 166,63 $ canadiens qui est en litige.

[6]      Le contrat stipulait que le salaire de l'appelant devait être de [traduction] « 274,46 $ par jour (pour 260 jours, c'est-à-dire 71 437,88 $ par année) » - en dollars américains (pièce R-2, annexe, p. 6). L'employeur n'a toutefois pas voulu signer un formulaire « W-2 » aux fins de Revenu Canada.

[7]      Malgré l'absence du formulaire approprié, la somme de 37 166,63 $ en litige semble entrer dans le cadre de l'alinéa 6(6)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) qui se lit comme suit :

Emploi sur un chantier particulier ou en un endroit éloigné

(6) Malgré le paragraphe (1), un contribuable n'inclut, dans le calcul de son revenu tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, aucun montant qu'il a reçu, ou dont il a joui, au titre, dans l'occupation ou en vertu de sa charge ou de son emploi et qui représente la valeur des frais - ou une allocation (n'excédant pas un montant raisonnable) se rapportant aux frais - qu'il a supportés pour :

a) sa pension et son logement, pendant une période donnée :

(i) soit sur un chantier particulier qui est un endroit où le travail accompli par lui était un travail de nature temporaire, alors qu'il tenait ailleurs et comme lieu principal de résidence, un établissement domestique autonome :

(A) d'une part, qui est resté à sa disposition pendant toute la période et qu'il n'a pas loué à une autre personne,

(B) d'autre part, où on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'il retourne quotidiennement étant donné la distance entre l'établissement et le chantier, [...]

En anglais, cette disposition se lit comme suit :

Employment at special work site or remote location

(6)         Notwithstanding subsection (1), in computing the income of a taxpayer for a taxation year from an office or employment, there shall not be included any amount received or enjoyed by the taxpayer in respect of, in the course or by virtue of the office or employment that is the value of, or an allowance (not in excess of a reasonable amount) in respect of expenses the taxpayer has incurred for,

(a)         the taxpayer's board and lodging for a period at

(i)          a special work site, being a location at which the duties performed by the taxpayer were of a temporary nature, if the taxpayer maintained at another location a self-contained domestic establishment as the taxpayer's principal place of residence,

(A)        that was, throughout the period, available for the taxpayer's occupancy and not rented by the taxpayer to any other person, and

(B)        to which, by reason of distance, the taxpayer could not reasonably be expected to have returned daily from the special work site, or [...]

[8]      L'appelant avait été embauché pour travailler à l'établissement de l'employeur à Malvern (Pennsylvanie). L'entreprise de l'employeur consistait à trouver des emplois pour des experts, comme l'appelant, auprès d'autres entreprises, dans les locaux de celles-ci, où les employés appliquaient temporairement leur expertise aux problèmes qui se posaient. L'employeur remboursait l'appelant pour la pension et le logement de ce dernier. C'est ce qui est arrivé quand l'appelant a été muté à Rochester (New York).

[9]      La version anglaise du sous-alinéa 6(6)a)(i) indique que sont admissibles les frais supportés pour : « the taxpayer's board and lodging for a period at [...] a special work site » . D'après les définitions des termes anglais « special » , « work » et « site » figurant dans l'ouvrage The Oxford English Dictionary, 2e éd., le mot anglais « special » , appliqué à un lieu, veut dire que ce lieu est inhabituel ou exceptionnel, les termes « to work » signifient accomplir ou remplir ses tâches, c'est-à-dire travailler, et le terme « site » désigne un lieu. La version anglaise de ce sous-alinéa traite donc d'un lieu inhabituel où un employé s'acquitte de ses tâches. En l'espèce, la preuve établit que le lieu de travail ( « work site » ) était l'établissement ou l'usine d'une autre entreprise, à Rochester (New York), où l'appelant a rempli des fonctions à titre temporaire. À cette fin, l'employeur a payé les frais que l'appelant avait supportés pour sa pension et son logement ( « board and lodging » ). L'appelant avait initialement été embauché pour travailler à l'établissement de l'employeur à Malvern (Pennsylvanie). Il s'était rendu là pour travailler et a été affecté dans les locaux d'une autre entreprise, à Rochester (New York). En soi, cela serait un lieu de travail inhabituel pour un employé d'une entreprise. Le fait que l'employeur a accepté de payer relativement à ce travail les frais de repas, de logement et de déplacement de l'appelant établit que l'employeur considérait qu'il s'agissait d'un lieu de travail inhabituel.

[10]     Quant à la version française du sous-alinéa 6(6)a)(i), elle indique que sont admissibles les frais que le contribuable a supportés pour

a) sa pension et son logement, pendant une période donnée :

(i) soit sur un chantier particulier qui est un endroit où le travail accompli par lui était un travail de nature temporaire, alors qu'il tenait ailleurs et comme lieu principal de résidence, un établissement domestique autonome [...]

Le Grand Robert de la langue française, 2e éd., décrit le mot « chantier » comme ayant le sens déterminé par le juge Dussault, de notre cour, dans l'affaire Guilbert c. M.R.N., 91 D.T.C. 737, à savoir, par exemple, un chantier de construction éloigné où sont fournis des locaux pour la pension et le logement des employés.

[11]     Les termes « special work site » ont un sens beaucoup plus large que les termes français. L'article 13 de la Loi sur les langues officielles, L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), se lit comme suit :

Valeur des deux versions

13. Tous les textes qui sont établis, imprimés, publiés ou déposés sous le régime de la présente partie dans les deux langues officielles le sont simultanément, les deux versions ayant également force de loi ou même valeur.

Both versions simultaneous and equally authoritative

13. Any journal, record, Act of Parliament, instrument, document, rule, order, regulation, treaty, convention, agreement, notice, advertisement or other matter referred to in this Part that is made, enacted, printed, published or tabled in both official languages shall be made, enacted, printed, published or tabled simultaneously in both languages, and both language versions are equally authoritative.

Ainsi, la version dans chacune des deux langues doit être lue et interprétée selon le sens qui lui est propre. Les termes « special work site » doivent donc être interprétés selon le sens qu'ils ont en anglais.

[12]     Les termes « board and lodging » (pension et logement) ne limitent pas la portée du sens attribué aux termes « special work site » . Plus particulièrement, ils diffèrent de l'expression familière ou traditionnelle « board and room » (pension). Le mot « lodging » (logement) élargit considérablement le sens de l'expression « board and lodging » . Le terme « lodging » est défini dans The Oxford English Dictionary, 2e éd., comme désignant [traduction] « une habitation, un logement [...] l'action de se loger (temporairement) » . Dans la troisième définition, il désigne l'action de se loger dans une chambre louée ou dans une pension.

[13]     À notre époque où des menuisiers, des ouvriers foreurs de champs pétrolifères, des infirmières, des mécaniciens, des ingénieurs, des techniciens en informatique, des fonctionnaires, des juges, des avocats et des personnes exerçant toutes sortes de métiers oeuvrent temporairement à des endroits éloignés de leur lieu de travail ou de leur maison, les termes « special work site » ne désignent pas la taïga ou un chantier de construction. Ils peuvent désigner n'importe quel endroit dans le monde, y compris une grande métropole comme Toronto, New York ou Delhi ou un endroit en Afghanistan ou à Rochester (New York). Dans le monde moderne, l'expertise est devenue un produit contractuel à l'égard duquel le contrat - comme le contrat de travail de l'appelant - n'est pas pour la vie. Souvent, on exécute une tâche après l'autre ailleurs qu'à l'établissement de l'employeur, c'est-à-dire dans des lieux de travail spéciaux (special work sites), par exemple là où travaillait l'appelant à Rochester (New York).

[14]     L'appel est admis. Les dépens de 100 $ sont accordés à l'appelant pour les débours qu'il a engagés dans la poursuite de l'appel au titre de dépenses comme les frais de poste et de copie.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2002.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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