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Dossier : 2002-1227(GST)I

ENTRE :

2760-3125 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu le 10 juin et le 6 novembre 2003 à Chicoutimi (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Pierre Bernard Bergeron

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise ( « Loi » ), dont l'avis est daté du 29 novembre 2001 et porte le numéro 1245794, relativement à la taxe sur les produits et services pour la période du 1er mai 1995 au 30 avril 1999est accueilli et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de la taxe sur les produits et services, qui était de 6 835,39 $, doit être réduit à 3 500 $, auquel montant doit s'ajouter 972,56 $ pour des crédits de taxe sur les intrants remboursés mais non dus, plus les intérêts et les pénalités prévus par la Loi, selon les motifs du jugement ci-joints. Le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'avril 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2004CCI183

Date : 20040429

Dossier : 2002-1227(GST)I

ENTRE :

2760-3125 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise ( « Loi » ) relativement à la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) pour la période du 1er mai 1995 au 30 avril 1999, laquelle inclut des intérêts et des pénalités.

Les faits

[2]      Depuis 1992, la société 2760-3125 Québec Inc. ( « appelante » ), plus connue sous la raison sociale « Dépanneur Péribonka enr. » , exploite une station-service comprenant un petit dépanneur.

[3]      Dans son témoignage, monsieur Roger Martel, l'actionnaire de l'appelante, a estimé que 85 p. 100 des ventes de son entreprise proviennent de la vente d'essence.

[4]      La société exploite également un petit casse-croûte sous la raison sociale « La Soupière » . Les deux commerces ont un numéro d'inscription distinct aux fins de la TPS. Les commerces sont sur le même site.

[5]      Un des motifs de la vérification était que l'appelante réclamait généralement plus de crédits de taxe sur les intrants ( « CTI » ) qu'elle ne remettait de TPS. Cette pratique semblait quelque peu inhabituelle eu égard à la nature de l'entreprise, et l'intimée a donc mis en marche le processus de vérification.

[6]      À la suite de la vérification, le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) a établi, le 14 septembre 2000, un avis de nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante concernant la TPS pour la période du 1er mai 1995 au 30 avril 1999 ( « période visée » ) au montant de 15 824,04 $, incluant des intérêts et des pénalités.

[7]      La nouvelle cotisation ne visait que la station-service et le dépanneur; le casse-croûte n'était nullement touché par la nouvelle cotisation.

[8]      Au départ, pour établir la nouvelle cotisation, le Ministre a tenu pour acquis que la marge bénéficiaire, qu'il a établie au moyen d'un échantillonnage compilé avec la collaboration de la conjointe de monsieur Martel, était de 25 p. 100.

[9]      Le 4 décembre 2000, l'appelante a déposé un avis d'opposition; le 29 novembre 2001, le Ministre a établi une nouvelle cotisation corrigée au montant de 9 932,23 $, incluant des intérêts et des pénalités. La cotisation se ventile comme suit : TPS = 6 835,59 $, CTI injustifiés = 972,56 $, intérêts = 1 095,41 $ et pénalités = 1 028,77 $. Pour établir la nouvelle cotisation, le Ministre a d'abord réduit la marge bénéficiaire à 20 p. 100, puis, à la suite de diverses observations, à 10 p 100.

[10]     Bien que la marge bénéficiaire de 10 p. 100 correspondait sensiblement aux prétentions de l'appelante, la cotisation corrigée lors de l'étape de l'opposition ne satisfaisait toujours pas l'appelante. Selon elle, la cotisation devait tout simplement être annulée.

[11]     Pour soutenir ses prétentions, l'actionnaire Roger Martel a fait notamment valoir que la marge bénéficiaire était de beaucoup inférieure à 10 p. 100 et ce, après avoir soutenu qu'il s'agissait du pourcentage applicable.

[12]     Monsieur Martel a également fait valoir que la cotisation devait être annulée étant donné que le Ministre avait considéré comme ayant fait l'objet de ventes taxables tous les produits qu'il offrait gratuitement dans le cadre de promotions commerciales, tous les produits et les marchandises transférés au casse-croûte et, enfin, les biens perdus en raison de vols et de diverses avaries.

[13]     Monsieur Roger Martel, l'actionnaire, a affirmé que l'appelante donnait en moyenne, chaque semaine, des produits ayant une valeur d'environ 150 $ dans le cadre de promotions et de commandites. Il a estimé que le budget annuel de l'appelante pour les promotions et les commandites était de 7 800 $.

[14]     L'appelante croit qu'il est raisonnable d'estimer que la valeur des biens taxables offerts gratuitement sous forme de promotions et de commandites correspond à environ 2 p. 100 de son chiffre d'affaires. Ce pourcentage s'applique à la totalité des ventes, incluant les ventes d'essence.

[15]     Le Dépanneur Péribonka enr. et le casse-croûte « La Soupière » partageaient la même chambre froide. Monsieur Roger Martel a indiqué qu'il transférait régulièrement des biens taxables du dépanneur au casse-croûte « La Soupière » . Il a évalué que ces transferts correspondaient à une valeur d'environ 10 000 $ par année.

[16]     L'appelante n'a pas été en mesure de déterminer avec précision le montant des ventes non taxables effectuées au cours de la période visée. Elle n'avait ni registre ni document permettant d'évaluer ou de comptabiliser la valeur des produits distribués gratuitement dans le cadre de promotions ou la valeur des marchandises ayant fait l'objet d'un transfert d'inventaire. Pour ce qui est des pertes causées par le vol ou certaines avaries, encore là, les affirmations de l'appelante étaient essentiellement arbitraires ou intuitives.

[17]     Les principaux témoins de l'appelante étaient monsieur Martel, sa conjointe, et monsieur Langis Landry, fiscaliste. Le comptable qui s'occupait des livres n'a pas témoigné.

[18]     Les témoignages de monsieur Martel et de son épouse n'ont guère été convaincants. D'abord, je crois que monsieur Martel en savait beaucoup plus qu'il a voulu le faire croire. L'imprécision, la confusion et l'absence de réponse à certaines questions étaient peu conciliables avec la précision et la fermeté de certaines autres réponses, ce qui laissait à penser qu'il ajustait son témoignage selon ce qu'il croyait important pour sa cause.

[19]     Monsieur Martel et sa conjointe ont même prétendu qu'ils allaient faire des achats à l'épicerie plusieurs fois par jour, pour leurs besoins personnels.

[20]     Monsieur Roger Martel a fait preuve d'une mémoire très sélective: souvent très précise pour des détails de peu d'importance, ses réponses devenaient rapidement vagues, confuses et imprécises pour des éléments pourtant très importants. Voir les notes sténographiques à la page 63 du témoignage du 10 juin 2003 :

Ré-interrogatoire de monsieur Roger Martel par Me Pierre Bernard Bergeron

[...]

Q.         Maintenant, replaçons-nous dans une semaine où la promotion c'était le Pepsi.

R.          Promotion Pepsi?

Q.         Oui.

R.          Oui.

Q.         À une question de votre avocat vous avez indiqué que vous pouviez donner jusqu'à 400 $ de Pepsi dans cette semaine-là.

R.          Si on donne 13 $... ça coûte 13 $ pour huit, il y en a huit dans un... on donnait cinq par jour, des fois, des... des crates, là, on en donnait cinq. C'est la promotion qu'on donnait. Ça nous coûte 0,86 $ en réalité, ça coûte 0,86 $ l'article.

Q.         Bon. Dites-moi, ce que je veux savoir c'est essentiellement ceci : est-ce que votre femme notait dans sa comptabilité « promotion 200 $ la semaine » ou ça se faisait - ou 400 $ ou 100 $. Est-ce que c'était noté, ça, dans la rubrique publicité/promotion?

[...]

[21]     Après avoir soutenu et affirmé que les promotions pouvaient représenter jusqu'à 400 $ par semaine, lorsqu'on l'a obligé à reconnaître l'importance réelle, monsieur Martel a indiqué qu'il avait déjà existé un livre des promotions, mais que ce dernier avait été perdu comme il le déclare aux pages 69 et 70 du témoignage du 10 juin 2003 :

Ré-interrogatoire de monsieur Roger Martel par Me Pierre Bernard Bergeron

[...]

Me PIERRE B. BERGERON :

Juste une petite question, Votre Seigneurie.

Q.         Le registre des promotions, là, vous ne l'avez pas retrouvé, vous disiez?

R.          Non. Le livre que j'avais des promotions qui était dans les boîtes... quand ils sont venus chercher les boîtes, il était là; on a fouillé jusqu'à minuit hier soir pour essayer de les trouver, je n'ai pas retrouvé le feuillet. Le cartable. Il était supposé être dedans puis il n'est pas là. On a regardé, on a fait trois boîtes de plus pour être sûrs de s'assurer que ce livre-là de promotions était là, les feuilles, ce qu'on donnait à toutes les semaines était là, les feuilles, ce qu'on donnait à toutes les semaines, puis on ne l'a pas trouvé. C'étaient des feuilles brochées.

[...]

[22]     À quelques reprises lors de son témoignage, monsieur Martel a répondu que sa conjointe était mieux placée que lui pour répondre adéquatement aux questions. Or, madame Patricia Carbonneau, qui s'occupait de la comptabilité, n'était carrément pas en mesure de fournir des réponses adéquates. Il serait plus exact d'affirmer qu'elle faisait les écritures pour la tenue des livres; son témoignage a permis de constater qu'elle n'avait ni la connaissance ni la compétence nécessaires pour comprendre l'importance des données consignées.

[23]     La position de l'appelante pourrait se résumer comme suit : « J'ai perçu toutes les taxes qui devaient être perçues et je les ai toutes remises. Toute cotisation est conséquemment mal fondée. J'ai retenu les services d'un fiscaliste pour le prouver » .

[24]     Le fiscaliste dont les services ont été retenus par l'appelante a tenu pour acquis toutes les prétentions de l'appelante et s'est donné pour mission de convaincre la Cour de leur justesse.

[25]     Le fiscaliste a déterminé de façon arbitraire les pourcentages correspondant aux transferts, aux promotions et aux pertes ou aux vols de marchandises et a conclu au bien-fondé des prétentions de l'appelante. En même temps, il a reconnu que les écarts importants dans les états financiers relativement aux années utilisées aux fins de comparaison ne sont pas normaux. Il a témoigné au sujet d'états financiers qu'il n'a pas préparés, et celui qui les a préparés n'a pas témoigné. L'extrait suivant est révélateur, aux pages 51, 52, 58 et 61 du témoignage du 6 novembre 2003 :

Contre-interrogatoire de monsieurLangis Landry par Me Frank Archambault

[...]

Q.         Donc, vous partez des achats totaux que vous avez pris dans les formules, dans les manuscrits qu'on a vus tantôt. Bon, là, vous me dites des promotions douze point cinq pour cent (12,5 %), vous arrivez à 7 206 $. Bon. Ce pourcentage-là de promotions douze point cinq (12,5 %), vous prenez ça où? Où prenez-vous ça ce pourcentage-là?

R.          Bien, les pourcentages, on a fait... ce pourcentage-là, moi, j'avais ici que suite à la première journée d'audition, que ça avait été admis, en tout cas de notre côté, que les transferts étaient de plus ou moins 13 000 $ selon le témoignage de monsieur Martel puis les promotions... en tout cas, il y en avait... des transferts plus le... on en avait pour 18 500 $ par année en moyenne. Ça fait que, là, 18 500 $ par année, ça faisait pas mal, j'ai modéré un peu; ça aurait fait trente pour cent (30 %), j'ai diminué un peu.

Q.         O.K. Donc...

R.          Mais en réalité, j'avais du jeu jusqu'à 18 500 $ si je me fie à la première journée d'audition. Mais, tu sais, douze point cinq pour cent (12,5 %), je l'ai établi un peu... j'ai mis vingt-cinq pour cent (25 %) les deux ensemble, les deux éléments.

Q.         Vous avez vingt-cinq pour cent (25 %) basé sur le témoignage de monsieur Martel, est-ce que c'est ce que je comprends?

R.          Bien oui, c'est... oui...

Q.         O.K. Il n'y a pas de documentation, là, pour appuyer ce que vous me dites, là, c'est ce que je comprends.

R.          Exact.

[...]

Q.         Donc, au niveau des pourcentages établis promotions transferts, c'est essentiellement pour résumer, ça c'est établi sur le témoignage de monsieur Martel, essentiellement. Au niveau des pertes usuelles que vous évaluez à trois pour cent (3 %) et que vous estimez à 1 730 $ pour l'année 98, ça c'est basé sur quoi, ça? C'est basé où le pourcentage de pertes?

R.          Ah! c'est...

Q.         Vous le prenez comment?

R.          C'est à peu près... il n'y a pas de standard, c'est... je l'ai établi comme ça. La ...

[...]

R.          Oui, moi je n'étais pas là, je ne sais pas lequel transfert... il y a des transferts, mais quels éléments qui ont été transférés...

[...]

[26]     En bref, l'appelante a soutenu que les nombreux produits taxables non vendus, mais remis gratuitement aux clients dans le cadre de promotions pour stimuler la vente d'essence, principale source de revenus de l'entreprise, expliquaient en partie l'écart constaté par l'intimée. Quant au reste, il s'expliquait par d'autres produits, encore là taxables, qui n'avaient pas fait l'objet de vente mais tout simplement d'un transfert de l'inventaire de l'appelante à celui du casse-croûte « La Soupière » , dans le cadre d'une collaboration mutuelle qui existait entre les deux entreprises.

[27]     Monsieur Martel a complété les explications en affirmant que certains produits achetés n'ont pas été vendus en raison de vols ou parce qu'il s'agissait de produits avariés devenus non vendables. Il a affirmé avec vigueur que toutes les ventes effectuées à la station-service étaient effectivement enregistrées et que la taxe a été perçue.

[28]     Pour appuyer son propos, il a fait état d'instructions sévères à l'endroit de ses enfants et de son personnel, ajoutant même que lorsqu'il prenait un paquet de gomme à mâcher, il l'inscrivait et le payait.

[29]     L'importance des montants en jeu pour ce qui est des transferts d'inventaires, des promotions et remises gratuites de divers produits lors de la vente d'essence sont autant d'éléments tout à fait invraisemblables.

[30]     L'intimée a établi une cotisation à partir d'une analyse limitée à la station-service et au dépanneur et ce, bien qu'on ait mentionné une étroite relation avec un autre commerce. Les fondements ont été établis par un échantillonnage des produits offerts au dépanneur; la marge bénéficiaire a été déterminée selon l'information donnée par la conjointe de monsieur Martel.

[31]     Madame Renée Potvin, la vérificatrice, a affirmé que l'appelante tenait bien ses livres; elle a, par contre, indiqué que les registres et les données comptables disponibles ne permettaient pas d'évaluer les marges bénéficiaires avec précision. Elle a aussi indiqué que le contenu des Z de caisse ne pouvait pas être validé ou confirmé. Selon madame Potvin, elle ne pouvait pas vérifier si des ventes taxables avaient été inscrites à la caisse enregistreuses comme étant non taxables ou n'avaient tout simplement pas été inscrites.

[32]     Elle a expliqué avoir dû recourir à une méthode de rechange parce qu'il lui était totalement impossible de confirmer les ventes taxables avec la tenue de livres sur place. Il n'y avait semble-t-il absolument rien qui permettait de confirmer les ventes taxables, d'où le recours à la méthode alternative.

[33]     Les ventes taxables ont été établies selon les achats taxables pour lesquels l'appelante avait fait une demande de CTI parce qu'il s'agissait d'achats taxables devant faire l'objet de ventes ultérieures. Madame Potvin a expliqué les discussions qu'elle avait eues avec Rosaire Tremblay, comptable de l'appelante; celui-ci n'a pas témoigné.

[34]     Le travail exécuté par madame Potvin me semble assez bien résumé à l'extrait suivant des notes sténographiques aux pages 63, 64, 65, 67 et 68 du témoignage du 6 novembre 2003 :

Interrogatoire de madame Renée Potvin par Me Frank Archambault

[...]

Q.         Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment... c'est quoi la méthode que vous avez suivie, là, au niveau de votre vérification et pour quelle raison vous avez pris cette méthode-là?

R.          Bon. Premièrement, j'ai utilisé... j'ai fait... la vérification s'est déroulée en deux étapes. J'ai fait une partie qui est plus standard, là, j'ai vérifié que les taxes aux livres étaient bien remises, que les déclarations qui étaient faites au ministère étaient correctes, que les CTI puis les RTI qui étaient réclamés il y avait des pièces justificatives puis que c'était bien aux livres.

            Ensuite, la deuxième étape que j'ai procédé, c'est que, bon, au niveau d'un dépanneur, on sait qu'il y a beaucoup de... il y a du non taxable, donc il y a des... on fait des tests pour voir si les taxes sont réclamées correctement. Puis, bon, en faisant les premiers tests, j'ai pu voir que les taxes qui étaient réclamées étaient très élevées comparées aux taxes qui étaient remises. Parce que, normalement, une vente taxable, on part du principe qu'une vente taxable va... un achat taxable, excusez-moi, va mener à une vente taxable, dont il doit y avoir un certain pourcentage de profit qui est pris là-dessus. Donc on a décidé de... puisque c'est difficile à cause du non taxable qui est comptabilisé à même les Z de caisse, à même les livres, on a décidé de prendre la méthode, là, une méthode alternative qui est basée sur la reconstitution des CTI, donc des CTI pour la revente, là, du dépanneur.

            MONSIEUR LE JUGE :

Q.         Parlez-moi donc de la comptabilité, je veux dire, ce qui était disponible pour faire ce travail-là.

R.          Bien, ce qui était disponible, c'étaient les livres qu'on avait là, les grands livres, les journaux avec chaque achat qui était inscrit, avec les taxes qui étaient réclamées, chaque Z de caisse, chaque comptabilisation de caisse en fin de journée avec les revenus, les taxes à remettre, les ventes d'essence et tout ça, là, qui étaient comptabilisés quotidiennement. C'est ce que j'avais de disponible, avec toutes les factures à l'appui et les Z de caisse, là, les petits... les résumés de chaque journée sur la caisse enregistreuse.

[...]

R.          Ça, c'est des montants qui avaient été... qui ont été cotisés parce que, bon, lors de l'achat, les taxes étaient réclamées, ce qui était tout à fait normal, sauf qu'il y a des fournisseurs qui étaient payés avec du stock qui était pris, soit de l'essence ou soit du stock qui était pris dans le dépanneur puis, à ce moment-là, on réclamait une deuxième fois les CTI et RTI. Ça fait que ça, c'était réclamé en double, donc j'en ai coupé une partie, là; la partie qui était réclamée en double, je les ai cotisés.

[...]

Analyse

[35]     Pour soutenir le bien-fondé de ses prétentions, l'appelante avait plusieurs moyens à sa disposition, dont la présence de témoins compétents pour démontrer la réalité de la concurrence à laquelle il a été fait référence à plusieurs reprises pour justifier les nombreuses primes et pour sauvegarder la concession pour la vente d'essence.

[36]     Y avait-il un rapport entre la vente de l'essence et les généreuses promotions? Rien de tel n'a été démontré; monsieur Martel a témoigné selon ses seuls souvenirs, plus souvent qu'autrement vagues, flous et très imprécis.

[37]     Lorsqu'une entreprise décide d'investir autant dans la publicité et la promotion, surtout lorsqu'il s'agit d'un scénario peu commun, voire même inhabituel et peu conforme aux us et coutumes, il devient alors impératif de réunir le plus d'informations et de détails documentaires possibles pour en attester le bien-fondé, notamment lorsque l'entreprise est mandataire pour la perception de taxes en principe sur toutes les ventes.

[38]     Même si les prétentions de l'appelante étaient que les primes et les transferts étaient négligeables en comparaison au montant des ventes d'essence, cela n'excuse pas ni ne justifie l'absence totale de registres à cet égard, d'autant plus qu'il s'agissait de produits présumés taxables.

[39]     Avoir le fardeau de la preuve ou devoir l'assumer est une charge exigeante. Il s'agit là d'une lourde obligation fort exigeante et contraignante et non pas d'un banal énoncé sans effet. Il ne suffit pas de critiquer et d'attaquer la preuve présentée par la partie adverse ou de faire ressortir quelques vagues éléments susceptibles de rendre possibles les conclusions recherchées.

[40]     Il est essentiel de démontrer par la voie d'éléments objectifs et crédibles que les conclusions recherchées sont raisonnables et probables. Il doit, en outre, s'agir de prétentions vraisemblables, raisonnables, cohérentes et conformes à tous les faits et aux données comptables disponibles. Si un mandataire ne complète pas les registres nécessaires pour lui permettre de rendre compte avec toutes les pièces justificatives pertinentes, il s'expose à devoir assumer les conséquences de ses explications arbitraires.

[41]     Lorsqu'une personne ne s'assure pas d'avoir en sa possession la totalité des documents pertinents pour soutenir ses prétentions, elle doit alors avoir recours à l'une des méthodes de rechange, dont la principale caractéristique est l'arbitraire.

[42]     Malheureusement, l'État doit souvent avoir recours à de telles méthodes pour percevoir son dû. L'argument voulant que l'on puisse utiliser la même logique pour soutenir le bien-fondé d'un appel ne tient pas. L'absence totale ou partielle d'information ou de documents pertinents constitue une négligence, voire une faute, qui génère des conséquences pour l'auteur. En d'autres termes, il est tout à fait inacceptable pour un mandataire d'avoir recours à des explications essentiellement verbales et non appuyées par des pièces pertinentes lors de la reddition des comptes requise lors d'une vérification.

[43]     Contester le bien-fondé d'une cotisation est difficile et contraignant du fait d'avoir l'obligation de relever le fardeau de la preuve. Il est particulièrement périlleux de le faire lorsqu'on n'a pas en sa possession les pièces, les documents ou les autres effets pour contester le bien-fondé de la cotisation d'une manière vraisemblable et raisonnable, d'où le danger réel d'avoir à assumer les conséquences d'une cotisation et cela, même si cette dernière est entachée d'arbitraire. Une cotisation est toujours présumée exacte et bien fondée.

[44]     La nécessité d'avoir recours à une méthode de rechange n'exempte pas l'État de l'obligation de procéder suivant les règles de l'art. Une cotisation doit résulter d'un travail professionnel sérieux et conforme aux règles de l'art, eu égard aux circonstances.

[45]     En l'espèce, l'intimée a procédé à la vérification du dossier de l'appelante au moyen d'une méthode de rechange. Les informations et les explications disponibles lors de la visite des lieux faisaient en sorte que la réalité des deux commerces ne pouvait être occultée, de sorte qu'il aurait été approprié, dans les circonstances, de faire la vérification des deux commerces, d'autant plus que l'appelante utilisait le casse-croûte pour justifier la non perception de taxes sur des produits provenant du dépanneur.

[46]     Or, aucune validation des informations n'a été effectuée par une vérification portant sur le casse-croûte; la cotisation a été établie selon un pourcentage considéré comme habituel en cette matière; par la suite, le tout a été révisé à la baisse, dans un premier temps par une diminution du pourcentage de 5 p. 100, et ensuite par une baisse supplémentaire de 10 p. 100, soit une différence de 15 p. 100 entre la première cotisation et la cotisation corrigée à l'étape de l'opposition.

[47]     Bien qu'il puisse parfois y avoir des difficultés et des empêchements causés principalement par une comptabilité totalement déficiente, voire même totalement inexistante, susceptible de produire un résultat arbitraire, il reste important de démontrer la vraisemblance de la cotisation émise par des faits ou des documents spécifiques à l'entreprise et non pas seulement par le recours à des normes relatives à l'activité économique de l'entreprise soumise à la vérification.

[48]     Le fait que le fardeau de preuve incombe à la personne qui conteste le bien-fondé d'une cotisation ne devrait avoir aucune incidence sur la qualité du travail effectué pour l'établir, ni justifier un certain relâchement.

[49]     Dans le présent dossier, l'intimée avait la responsabilité d'établir la cotisation d'une manière probante. Il appert de la preuve que la cotisation a été établie à partir de faits incomplets; bien que la responsabilité en était surtout imputable à l'appelante elle-même, l'intimée aurait tout de même pu valider une partie de ses prétentions en procédant à une vérification parallèle du casse-croûte, obtenant ainsi des informations très pertinentes.

[50]     L'appelante a requis la collaboration et la présence d'un fiscaliste pour soutenir ses prétentions. Plutôt que de soumettre une présentation dont les fondements étaient les données comptables de l'appelante, il s'est essentiellement référé à un document de travail préparé par l'intimée et dont la fiabilité est demeurée douteuse, puisqu'il s'agissait d'un document préparé dans le cadre de négociations dont il ne faisait d'ailleurs pas partie.

[51]     Les données qui y apparaissent étaient essentiellement des hypothèses de travail élaborées lors des discussions entre la vérificatrice et monsieur Tremblay, le comptable de l'appelante, qui n'a d'ailleurs pas témoigné.

[52]     Le fiscaliste n'a jamais eu recours, pendant son témoignage, à une quelconque compilation de données émanant de l'appelante qui, pourtant, faisait affaire avec un comptable. Il a essentiellement tenté de critiquer le travail effectué pour établir la cotisation. Il aurait dû consacrer ses énergies à l'élaboration d'un travail dont les fondements étaient les données comptables de l'appelante au lieu d'essayer de ridiculiser le travail qui a donné lieu à la cotisation.

[53]     Pour satisfaire au fardeau de preuve, il ne suffit pas de contester certains points ici et là et de proposer certaines interprétations de certains chiffres présentés par la partie adverse; il est essentiel d'asseoir son raisonnement et ses arguments sur des données pertinentes et surtout réelles de l'entreprise concernée.

[54]     Or, à cet égard, la preuve a essentiellement cherché à démontrer qu'il existait un contexte particulier dont l'objectif était, selon l'appelante, de vendre le plus d'essence possible. En d'autres termes, tout était axé sur la vente d'essence, au risque d'exploiter le dépanneur à perte. Cette approche n'a été ni documentée, ni prouvée.

[55]     Un tel scénario était possible, mais très peu probable, d'autant plus que le seul élément de preuve disponible pour en juger la vérité a été le témoignage intéressé de monsieur Martel, qui n'a aucune valeur puisqu'il n'est pas crédible.

[56]     La crédibilité d'un témoignage n'a rien à voir avec les difficultés qu'une personne a pu avoir dans la vie. La crédibilité s'appuie sur des faits et des données susceptibles de valider les explications verbales. La confusion dans le cas de certaines réponses et la précision exemplaire dans d'autres cas constituent sûrement des indices qui invitent à une grande prudence, voire même au rejet pur et simple d'un témoignage.

[57]     De toute façon, je ne crois tout simplement pas les affirmations selon lesquelles des sommes aussi importantes ont été investies dans la promotion des activités liées à la vente d'essence.

[58]     La cotisation à l'origine de l'appel était présumée exacte; il appartenait à l'appelante de faire la preuve qu'elle était injustifiée en droit.

[59]     Pour ce faire, l'appelante a fourni des explications verbales non étayées par une comptabilité adéquate; elle a essentiellement avancé diverses hypothèses non corroborées.

[60]     D'une part, la vérification du casse-croûte n'a pas été effectuée. D'autre part, la cotisation originale a fait l'objet de corrections importantes, ce qui crée l'impression que l'intimée n'a jamais été à l'aise avec les fondements de la cotisation. Pour couronner le tout, l'intimée a indiqué que la tenue des livres de l'appelante était acceptable.

[61]     Ceci étant, je ne peux pas mettre de côté le fait que le fardeau de la preuve incombait à l'appelante. Certes, il était utile de faire la preuve de la présence d'arbitraire lors de l'établissement de la cotisation mais cela n'était pas suffisant pour conclure au bien-fondé de l'appel. L'appelante devait établir d'une manière crédible et vraisemblable que ses conclusions étaient bien fondées et justifiées.

[62]     L'appelante a librement choisi d'exploiter deux activités commerciales au moyen de deux entreprises inscrites à la TPS, avec des comptabilités distinctes et des comptes de banque distincts. Selon le témoignage de monsieur Martel et celui de sa conjointe, ils poussaient cette distinction jusqu'à séparer complètement leurs besoins alimentaires personnels.

[63]     Selon leur témoignage, ils ne prenaient strictement rien de l'un ou l'autre des commerces et faisaient leurs emplettes chez un fournisseur spécifique pour éviter toute confusion.

[64]     Les deux commerces sont exploités en ayant recours à deux numéros d'inscription à la TPS distincts, ce qui entraîne toute une série de conséquences, notamment deux comptabilités, deux inscriptions, deux inventaires, deux déclarations, etc.

[65]     Après avoir fait ce choix exigeant, sans doute pour des motifs de transparence et pour assurer un meilleur suivi, voilà que les mêmes personnes viennent ensuite affirmer qu'il pouvait se faire des échanges, des prêts et des remboursements de marchandises pour des montants pouvant aller de 7 000 $ à 10 000 $ et cela, sans aucun registre à cet effet.

[66]     Comment expliquer une discipline aussi serrée pour un aspect des opérations et un pareil fouillis pour des aspects tels que les transferts et les promotions, ayant des impacts considérables au niveau des taxes?

[67]     Après qu'on ait répété que la comptabilité était adéquate, ce qui d'ailleurs a été en partie reconnu par la vérificatrice de l'intimée, il appert que la comptabilité n'était pas suffisamment détaillée et qu'elle ne permettait pas une vérification donnant lieu à des conclusions déterminantes. Cela ressort très clairement de l'extrait suivant aux pages 116 et 117 des notes sténographiques du 10 juin 2003 :

Interrogatoire de monsieur Langis Landry par Me Pierre Bernard Bergeron

[...]

R.          [...] Alors donc, l'analyse... à force de fouiller on s'est aperçus que finalement si on avait déflaté le compte « Achats » , des promotions et des transferts qu'il y avait eus à l'autre restaurant, on aurait arrivé avec un montant d'achats moindre, on aurait pu comparer avec des ventes puis arriver à rétablir la marge bénéficiaire brute.

            Or donc, le problème se trouvait dans le livre de comptabilité dans lequel on n'avait pas déflaté l'item « achats » des promotions puis des transferts au restaurant. À cet effet j'ai dit à madame Potvin : « Vous auriez intérêt... il y a eu des transferts au restaurant, or donc on devrait, si on veut avoir vraiment l'idée, il faudrait faire une vérification du côté du restaurant...

[68]     À plusieurs reprises au cours des deux jours d'audition, j'ai insisté sur la nécessité de soumettre au tribunal une preuve dont les fondements étaient rationnels, de manière à ce qu'il soit possible d'en dégager des conclusions dignes de confiance avec des assises fiables.

[69]     Malheureusement, une telle preuve n'est jamais venue et je dois disposer de l'appel selon la preuve soumise, qui ne permet pas de conclure d'une manière rationnelle.

[70]     Bien que la preuve des parties ait été présentée par le biais de témoins ayant censément l'expertise et les compétences nécessaires pour soumettre une présentation articulée, cohérente et fiable, il n'en fut rien.

[71]     Bien que la preuve ait démontré le contraire, l'intimée a indiqué que la comptabilité de l'appelante était acceptable. J'avoue ne pas avoir compris en quoi la comptabilité de l'appelante pouvait être qualifiée d'acceptable, alors qu'elle ne permettait pas de faire une vérification adéquate quant aux obligations qu'avait l'appelante de percevoir et de remettre la TPS sur les fournitures taxables et quant à son droit de réclamer les CTI dus.

[72]     Croyant sans doute que notre Cour a la capacité infuse de découvrir ce qu'aurait dû être la cotisation, les parties se sont satisfaites d'une preuve incomplète et totalement déficiente.

[73]     Pour toutes ces raisons, et vu l'impossibilité de conclure à partir de fondements fiables, j'accueille l'appel et je renvoie le dossier à l'intimée pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de la TPS qui était de 6 835,39 $, doit être réduit à 3 500 $, montant auquel doit s'ajouter 972,56 $ pour les CTI non dus, plus les intérêts et les pénalités prévus par la Loi. Le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'avril 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2004CCI183

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-1227(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

2760-3125 Québec Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DES AUDIENCES:

Chicoutimi (Québec)

DATES DES AUDIENCES :

le 10 juin et le 6 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 29 avril 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Pierre Bernard Bergeron

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Pierre Bernard Bergeron

Étude :

Ville :

Gauthier Bédard

Jonquière (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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