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Dossier : 98-431(GST)G

ENTRE :

LES VOITURES ORLY INC./

ORLY AUTOMOBILES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS

          Attendu que le 22 avril 2004, cette Cour faisait parvenir aux parties concernées le Jugement et les Motifs de Jugement dans le dossier ci-haut mentionné;

          Et attendu qu'une erreur d'écriture s'est glissée à la page 25 de ces Motifs de Jugement, à savoir que le nom du témoin, juste avant le paragraphe 85, aurait dû s'écrire Gilles Caron;

Par la présente, cette Cour modifie le texte de la page 25 desdits Motifs de Jugement dont copie ci-jointe.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2004.

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef adjoint Bowman


Dossier : 98-431(GST)G

ENTRE :

LES VOITURES ORLY INC./

ORLY AUTOMOBILES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu du 2 juin 2003 au 27 juin 2003, les 14, 15, 16, 17, 20, 21 et 22 octobre 2003, les 1er, 2, 3, 4 et 5 décembre 2003 et les 19 et 20 janvier 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me François Barette

Me Mathieu Bouchard

Avocats de l'intimée :

Me Pierre Zemaitis

Me Michel Dansereau

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 17 décembre 1996 et porte le numéro 032G0103727 pour la période du 1er août 1995 au 30 septembre 1996, est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation et nouvel examen afin de donner effet à la concession de l'intimée relativement au véhicule portant le numéro de stock d'Orly 6-388, de réduire le montant de CTI refusé de 41 889,05 $ mentionné au paragraphe 3 des motifs à 39 159,05 $ et de rajuster les pénalités en conséquence.

.../2

L'intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'avril 2004.

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef adjoint Bowman


Référence : 2004CCI86

Date : 20040422

Dossier : 98-431(GST)G

ENTRE :

LES VOITURES ORLY INC./

ORLY AUTOMOBILES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint BOWMAN

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise ( « L.T.A. » ) par le ministre du Revenu national par l'entremise de son mandataire, le sous-ministre du Revenu du Québec ( « Revenu Québec » ) pour la période du 1er août 1995 au 30 septembre 1996 (la « période pertinente » ).

[2]      L'appelante est un concessionnaire d'automobiles. Pendant la période pertinente, elle a acquis des automobiles neuves que, pour la plupart, elle exportait vers les États-Unis et vers l'Europe. Aucune taxe de vente n'est payable sur de telles ventes effectuées aux non-résidents. Telle n'est pas la question. La principale question est de savoir si l'appelante a le droit de déduire des crédits de taxe sur les intrants ( « CTI » ) relativement à la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) que, selon l'appelante, elle a payée lorsqu'elle a acheté ces automobiles. L'intimée nie que l'appelante a droit aux CTI déduits.

[3]      Il existe deux cotisations. La première a été établie le 17 décembre 1996. Revenu Québec a refusé les CTI de 518 109,91 $ ayant trait aux automobiles acquises par l'appelante et a refusé d'autres CTI de 41 889,05 $ ayant trait à d'autres achats, et il a établi une cotisation d'impôt d'un montant de 69 287,55 $ pour ce qu'il a décrit comme des ventes non déclarées d'automobiles. De plus, les montants de l'intérêt et des pénalités ont été fixés à 25 920,25 $ et à 27 997,07 $ respectivement. L'appelante a déposé un avis d'opposition le 14 mars 1997 et, le 27 février 1998, elle a déposé un avis d'appel puisque plus de 180 jours s'étaient écoulés sans avoir de réponse à l'avis d'opposition. Le 27 avril 1998, Revenu Québec a établi une nouvelle cotisation. Certains des chiffres avaient changé. Des CTI de 792 631,24 $ ont été refusés. De plus, les intérêts et les pénalités ont augmenté à 77 940,73 $ et à 315 423,11 $ respectivement. En conséquence, le montant réclamé en vertu de la nouvelle cotisation était de 1 297 171,68 $. L'appelante a modifié son avis d'appel pour qu'il renvoie à la nouvelle cotisation.

[4]      La cotisation et la nouvelle cotisation ont été établies sans avertissement et sans qu'il y ait eu au préalable des discussions. Les avocats de l'appelante ont demandé au début du procès une directive portant que, puisque Revenu Québec, avant d'expédier les cotisations, n'avait pas divulgué à l'appelante les hypothèses sur lesquelles il s'est fondé, il incombait à l'intimée de justifier la nouvelle cotisation. Dans des motifs rendus oralement à l'audience, j'ai rejeté la requête sauf en ce qui concerne les pénalités imposées en vertu de l'article 285 de la L.T.A., et une allégation figurant au paragraphe 71 de la réponse à l'avis d'appel relativement aux conditions énoncées au paragraphe 169(4) de la L.T.A.

[5]      Quatre cent quatre-vingt-dix-huit pièces ont été déposées par l'appelante et 486 par l'intimée. L'appelante a appelé trois témoins et l'intimée en a appelé 12. Le procès a duré 31 jours et la preuve était détaillée. L'appel visait environ 307 opérations dont la plupart consistaient en l'exportation d'automobiles plutôt haut de gamme telles que des Jeep Grand Cherokee, des Chevrolet Tahoe, des GMC Yukon ou des Chrysler Town and Country. La plupart de ces automobiles coûtaient environ 40 000 $. Presque chacune des opérations a été individuellement traitée deux fois, une fois par M. James Doherty, l'administrateur et le dirigeant d'Orly, et une fois par Mme Linda Turcotte, la vérificatrice de Revenu Québec, qui a effectué un examen détaillé des opérations.

[6]      Je commencerai en tentant d'exposer, selon ce que je comprends, les grandes lignes des positions respectives de l'appelante et de l'intimée.

[7]      Selon le témoignage de M. Doherty, pendant la période pertinente, l'entreprise principale de l'appelante, Les Voitures Orly Inc./Orly Automobiles Inc. ( « Orly » ), consistait en l'achat et la vente d'automobiles en vue de les exporter. Orly et un grand nombre d'autres concessionnaires d'automobiles étaient inscrits sur une liste noire par les trois fabricants principaux d'automobiles, soit Ford, Chrysler et General Motors. Cela signifiait que l'on avait dit à leurs concessionnaires franchisés agréés de ne pas vendre des automobiles à des compagnies telles qu'Orly. Le motif donné était qu'Orly et les autres compagnies inscrites sur la liste noire achetaient des véhicules à des concessionnaires au Canada et les vendaient à l'étranger et, par ce fait même, cassaient les prix au détriment des concessionnaires étrangers des trois principaux fabricants.

[8]      Par conséquent, selon M. Doherty, Orly devait effectuer ses achats auprès de ce qu'il a appelé des [traduction] « concessionnaires secondaires » . Selon l'appelante, lorsqu'elle achetait à des concessionnaires secondaires, dont certains avaient un numéro d'inscription aux fins de la TPS, elle payait la TPS sur le prix d'achat, ce qui était clairement indiqué sur la facture. De plus, la position de l'appelante est que lorsqu'elle payait la TPS au concessionnaire secondaire, son obligation prenait fin, et que si le concessionnaire secondaire n'a pas versé l'impôt au receveur général, cela ne regardait pas Orly.

[9]      Le principe de droit selon lequel une fois que l'acquéreur a payé la TPS à un fournisseur de biens et de services, le ministre ne peut, à moins qu'il existe une fraude ou une collusion, recouvrer la TPS de l'acquéreur une deuxième fois simplement parce que le fournisseur n'a pas versé la TPS au gouvernement, est inattaquable. Cette question a été examinée en détail par la juge Campbell dans l'affaire Airport Auto Ltd. v. Her Majesty The Queen, 2003 TCC 683. L'intimée ne conteste pas ce principe de droit, mais elle soutient que les faits n'appuient pas son application. La position de l'intimée est qu'aucun des montants figurant à titre de TPS sur les factures des concessionnaires secondaires n'a pas été payé à titre de TPS, n'était censé être payé à titre de TPS et n'était censé être versé au gouvernement et, évidemment, n'a été payé au gouvernement. L'intimée allègue que certains des concessionnaires secondaires n'étaient pas inscrits aux fins de la TPS et que, dans bien des cas, les montants ont été payés à des tiers plutôt qu'à des concessionnaires secondaires, et ces tiers n'étaient pas inscrits aux fins de la TPS. L'intimée allègue en outre que les personnes indiquées comme vendeurs aux contrats de vente n'étaient pas les personnes qui ont vendu les véhicules à Orly. Selon cette hypothèse, il existe un doute quant à savoir qui étaient les « véritables » vendeurs. Selon un point de vue, ils étaient des Indiens qui vivaient dans des réserves et qui ne payaient pas de TPS. Selon un autre point de vue, les Indiens ou des entreprises détenues ou contrôlées par des Indiens étaient simplement des agents de transmission qui n'ont pas payé pour les véhicules, n'ont jamais pris possession des véhicules et, en fait, n'ont jamais eu le titre de propriété afférent à ces derniers, mais qui se sont simplement prêtés au transfert par lequel les véhicules passaient des concessionnaires franchisés à Orly, qui a revendu les véhicules à des acquéreurs étrangers ou, dans certains cas, à des acquéreurs canadiens.

[10]     Essentiellement, l'intimée allègue que l'appelante a utilisé divers moyens pour créer l'illusion qu'elle a payé la TPS, afin de justifier la déduction des CTI, alors qu'en fait, la TPS n'a pas été payée. Il s'agit d'une question de fait : les factures représentent-elles la réalité ou les opérations étaient-elles fictives?

[11]     Le témoin principal de l'appelante, M. James Doherty, a examiné toutes les opérations et a produit en preuve les contrats de vente et d'autres documents connexes. Afin d'illustrer le genre de preuve qui a été présenté en l'espèce, je commencerai par une opération décrite aux pièces A-3, A-4, A-5, A-6 et A-7 de l'appelante et à la pièce I-92 de l'intimée. Il serait difficile de trouver entre toutes les opérations une opération pouvant être décrite comme « typique » , mais j'ai choisi celle-ci simplement parce qu'elle a été la première présentée en preuve par M. Doherty. Elle concernait l'achat et l'exportation d'un véhicule de marque Dodge Caravan de 1996 portant le numéro de série 1B4GP44R7TB165768. Le vendeur indiqué sur le contrat de vente daté du 9 août 1995 est 2844-7167 Québec Inc. L'acquéreur indiqué est Les Voitures Orly Inc. Le numéro de stock qui lui a été attribué par Orly et inscrit à la main sur le contrat est 5-208. Le nom Daniel Foster est inscrit à coté de l'expression « accepté par le vendeur » . Le prix indiqué est de 26 900 $, et la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) d'un montant de 1 833 $ et la taxe de vente provinciale ( « TVP » ) d'un montant de 1 870,89 $ sont également indiquées pour un total de 30 653,89 $. Le chèque daté du 9 août 1995 à titre de paiement de ce montant a été tiré sur le compte bancaire de Crescent Auctioneers & Liquidators Inc. à la Banque de Nouvelle-Écosse, 505, rue Sainte-Catherine Ouest, à Montréal, et était fait à l'ordre de 3095-7344 Québec Inc. Le chèque a été déposé le 10 août 1995 dans le compte bancaire de 3095-7344 Québec Inc. à la Banque Royale du Canada à sa succursale Saint-Jean et Hymus située à Pointe-Claire, au Québec. Le contrat d'exportation est daté du 4-8-95 (qui est probablement le 4 août 1995) et indique que l'acquéreur est GECO qui, selon M. Doherty, est une compagnie allemande ayant une adresse en Allemagne. Le prix indiqué est de 29 000 $ en plus du transport à Bremerhaven de 1 250 $, pour un total de 30 250 $. Une facture de 850 $US (chiffre converti à 1 175 $CAN à la pièce A-6) datée du 24 août 1995 d'une compagnie de transport porte la mention [traduction] « payée le 20 septembre 1995 » .

[12]     Mme Turcotte, l'enquêteuse pour Revenu Québec, qui a établi la deuxième cotisation, a comparu en tant que témoin pour l'intimée. Elle a déposé en preuve sous la cote I-1, une fiche de stock (un type de document interne d'Orly) qui indique l'achat à De Geronimo d'une automobile portant le numéro de stock 5-208. Cette fiche indiquait un prix d'achat de 26 900 $, des frais généraux de 300 $, des frais payés à la SAAQ (Société de l'assurance automobile du Québec) de 8 $ et une commission de 896 $ payable à « Ron » . La fiche indiquait un prix de vente de 30 250 $, lequel est le montant indiqué au contrat d'exportation.

[13]     De plus, Mme Turcotte a déposé en preuve un contrat pour la vente de la même automobile par Embrun Dodge Chrysler d'Embrun, en Ontario, un concessionnaire Dodge Chrysler franchisé, à John Wilfred Jerome ( « M. Jerome » ), un Indien, à un prix d'achat de 26 939 $. Aucune TPS ou TVP n'a été exigée, vraisemblablement parce que la vente à M. Jerome n'est pas imposable. Son certificat de statut d'Indien a été déposé en preuve. Dans ces motifs, j'utilise le terme « Indien » au sens utilisé et défini par la Loi sur les Indiens.

[14]     Les registres de la SAAQ n'indiquent rien sauf le nom d'Orly. Il n'existe aucun document qui effectue le transfert du véhicule de M. Jerome ou d'Embrun Dodge Chrysler à 2844-7167 Québec Inc. ou à Orly. Mme Turcotte a aussi découvert que le paiement du prix d'achat indiqué au contrat conclu entre Embrun et M. Jerome c'est fait au moyen d'un chèque utilisé pour payer le prix au concessionnaire et tiré sur le compte bancaire de 3095-7344 Québec Inc. Ce chèque, d'un montant de 26 939 $, est daté du 9 août 1995 et a été tiré sur un compte à la succursale de la Banque Royale Saint-Jean et Hymus située à Pointe-Claire, au Québec.

[15]     Je ne décrirai pas toutes les 307 opérations avec tant de détails. D'une façon générale, elles se passaient toutes sensiblement de la même manière.

[16]     Je passe maintenant à un résumé des faits. M. Doherty dit qu'Orly a acheté les automobiles à nombreux différents concessionnaires intermédiaires. Mme Turcotte dit que les factures sont fausses. Il s'agit essentiellement de savoir si Orly a payé la TPS sur ces quelque 307 achats. Quelques observations préliminaires générales pourraient être utiles. Bien qu'il puisse exister des exceptions et que certains détails diffèrent, elles s'appliquent à la plupart des opérations et de façon générale, voici le portrait qui se dégage.

a)              Il ne fait aucun doute que les factures de vente provenant des compagnies indiquées comme ayant vendu à Orly font état d'un montant de TPS sur chacune des opérations, et le montant total payé à la personne indiquée comme vendeur ou à un tiers comprend le montant calculé à l'égard de la TPS.

b)             Dans la plupart des cas, les chèques ou les traites de banque étaient payables à une entité telle qu'une société ou à une entreprise à propriétaire unique qui n'était pas le vendeur indiqué sur la facture et ont été déposés dans le compte bancaire au nom de cette entité ou de cette entreprise à propriétaire unique (le « tiers » ). On a dit que cela a été effectué à la demande des « vendeurs » . Nonobstant les montants considérables déposés dans les comptes bancaires des tiers, aucune directive écrite n'a été présentée relativement à un paiement quelconque. En fait, il n'existe absolument aucune preuve (sauf le témoignage oral de M. Doherty) d'une telle demande ou directive. Il est étrange, pour ne pas dire davantage, qu'un homme d'affaires prudent eût versé des sommes considérables dans des comptes bancaires de personnes au sujet de qui il n'avait aucun renseignement, et ce, à la demande orale d'une personne inconnue qui aurait parlé au nom d'un vendeur au sujet de qui rien n'est non plus connu.

c)             En aucun des cas, le montant indiqué sur la facture et payé à titre de TPS à la personne qui l'a reçu ou au tiers ne s'est rendu entre les mains du gouvernement.

d)             Dans la plupart des cas, les concessionnaires franchisés de General Motors ou de Chrysler ont conclu une convention d'achat-vente relative au véhicule avec des Indiens vivant dans des réserves ou avec leurs sociétés, et aucun montant de TPS ou de TVP n'a été payé, probablement parce que les ventes ne sont pas imposables en vertu de la Loi sur les Indiens.

e)              Dans la plupart des cas, les véhicules étaient exportés et, par conséquent, aucun montant de TPS n'a été payé parce que la fourniture à des non-résidents est détaxée.

f)               Dans certains cas où les véhicules ont été vendus à un acquéreur allemand, le prix d'achat a été divisé et une partie de ce dernier a été exigé à titre de frais de service et de manutention. Cela a peut-être été effectué en raison d'une taxe allemande, mais en l'espèce, cela n'a aucune pertinence.

g)             Un numéro censé être le numéro d'inscription aux fins de la TPS de la personne indiquée comme vendeur est inscrit sur toutes ou presque toutes les factures de ventes destinées à Orly.

h)             Je n'entends pas examiner en détail l'exportation de chaque véhicule. La plupart ont été exportés aux États-Unis, en Allemagne ou en France et quelques-uns au Royaume-Uni. Personne n'a laissé entendre qu'il y avait quelque chose qui clochait par rapport à l'exportation des véhicules. La vente et l'exportation détaxées aux non-résidents peuvent avoir été importantes dans l'ensemble de la situation, mais elles sont accessoires en ce qui concerne la question en litige, sous réserve d'une observation, à savoir : le fait que la fourniture soit, selon le cas, exonérée ou détaxée a une incidence sur le droit d'un fournisseur de déduire des CTI relativement à l'achat de la fourniture. Si la fourniture subséquente est exonérée, il ne peut pas déduire des CTI. Si elle est détaxée, il le peut[1].

i)       Au début de la période à l'étude, les chèques étaient faits par Crescent Auctioneers & Liquidators Inc. ( « Crescent » ). Selon le témoignage, Orly était financé par Crescent. Je ne vois rien dans ce fait en soi-même qui soit pertinent relativement à la question en litige devant la Cour. Après l'exportation du véhicule, nous voyons des chèques faits à l'ordre de Crescent par Orly en vue de la rembourser. Les avocats de ni l'une ni l'autre des parties n'ont abordé ce point.

j)       Dans certains cas, un ou plusieurs des documents manquent - par exemple, un chèque fait par Crescent ou Orly. Selon la pratique globale qui en ressort, une facture comportant le numéro de stock du véhicule ainsi que son numéro de série était remise à Orly par un vendeur. Orly ou Crescent payait souvent une entité autre que le vendeur. Le véhicule était vendu à un acquéreur non résident ou, dans certains cas, à un acquéreur canadien. Lorsque l'acquéreur était canadien, ce dernier payait la TPS. De même, lorsque Crescent payait les frais du véhicule, une fois qu'Orly l'avait vendu, elle remettait habituellement à Crescent un chèque pour la rembourser. Il est évident que Crescent finançait Orly, sauf jusqu'à dernièrement lorsqu'une banque s'est chargée du financement. Crescent recevait de l'intérêt et une partie du profit réalisé par Orly.

k)      Le témoin Mme Turcotte a présenté des copies des registres de la SAAQ. Je les mentionnerai de temps à autre, mais je ne les trouve pas très fiables à titre de preuve simplement en raison du fait que des noms de propriétaires que l'on ne s'attendrait pas à voir sur les registres y figurent inexplicablement et d'autres noms que l'on s'attendrait à voir sur le titre n'y sont pas. Je considère cet élément de preuve provenant de la SAAQ comme, au mieux, une preuve secondaire.

[17]     M. James Doherty était le principal témoin pour l'appelante. Dans le cadre de son témoignage, il a indiqué qu'il existait un marché aux États-Unis pour certains types de véhicules, tels que les véhicules utilitaires sport et les camionnettes, lesquels étaient un peu meilleur marché au Canada et étaient plutôt rares aux États-Unis. Les fabricants d'automobiles nord-américains tels que General Motors ou Chrysler ont réagi à l'exportation des automobiles du Canada et des États-Unis et d'autres pays en inscrivant les exportatrices telles qu'Orly sur une liste noire et en interdisant à leurs concessionnaires franchisés de conclure des ventes avec ces exportatrices sous peine de voir leur franchise annulée.

[18]     M. Doherty a parlé de chacune des opérations et a reconnu les factures des différentes personnes indiquées comme vendeurs, les chèques ou les traites de banque utilisés pour payer les véhicules et la vente subséquente habituellement à des non-résidents mais parfois à des acquéreurs canadiens. M. Doherty a indiqué qu'il ne connaissait rien au sujet de 2844-7167 Québec Inc., de ses propriétaires, de ses administrateurs ou de ses employés et qu'il ne connaissait pas Daniel Foster, dont le nom figure à titre de représentant du vendeur. Daniel Foster a nié que les mots Daniel Foster sur les factures indiquant les numéros de stock 5-208 et 5-256 représentaient sa signature et que son nom sur les factures sur lesquelles Autos 5ième Ère Inc. est indiquée comme vendeur était sa signature. M. Doherty a également indiqué que 2844-7167 Québec Inc. a demandé à Orly de payer les tiers comme 3095-7344 Inc. qui, croyait-il, finançaient les vendeurs comme 2844-7167. Selon son témoignage, il ne connaissait rien au sujet de 3095-7344 Québec Inc. En fait, il a indiqué qu'il ne connaissait rien au sujet des tiers auxquels, selon lui, on a demandé à Orly de faire les paiements ni au sujet des personnes indiquées comme vendeurs. Il ne savait pas qui au sein des compagnies indiquées comme vendeurs sur les factures a demandé que les nombreux millions de dollars soient versés dans les comptes bancaires de ces tiers inconnus. Il n'existe aucun élément de preuve qui indique que la demande ou la directive a été faite par écrit, et il n'a posé aucune question à ce sujet. Il a affirmé que cela ne le regardait pas.

[19]     Les noms figurant à titre de vendeurs aux actes de vente étaient les suivants : 2844-7167 Québec Inc. ( « 2844 » ), Autos 5ième Ère Inc. ( « 5ième » ), Centre d'Auto Marc et Mario Enr. ( « M & M » ), Benny Automobiles ( « Benny » ), Auto Cartier ( « Cartier » ), Réal Provost Outaouais Motors Inc. ( « Provost » ), J.L. Auto Exchange ( « J.L. » ), Garage Normand Duchesne ( « Duchesne » ), Gilles G. Caron Auto Service Ltée ( « Caron » ) et R.A. Succès Automobile ( « Succès » ).

[20]     Les noms des détenteurs des comptes bancaires à qui les paiements ont été faits étaient les suivants : 3095-7344 Québec Inc. ( « 3095 » ), P.G. Auto ( « P.G. Auto » ), Tomken Auto Sales ( « Tomken » ), Gestion Bergeron ( « Bergeron » ), Camions Marc et Mario ( « CMM » ), Benny Automobiles ( « Benny » ), Camions Cartier ( « CC » ), Auto Cartier ( « Cartier » ), Garage Normand Duchesne ( « Duchesne » ), J.L. Auto Exchange ( « J.L. » ), Gilles G. Caron ( « Caron » ) et Les Placements Locatifs Cécile Hogue Ltée ( « Hogue » ).

[21]     L'image générale qui ressort du témoignage de M. James Doherty est la suivante :

a)      Lorsque le nom de 5ième figurait à l'acte de vente, le paiement était versé dans le compte bancaire de 3095, de Bergeron ou de Tomken.

b)      Lorsque le nom de 2844 figurait à l'acte de vente comme vendeur, le paiement était habituellement versé dans le compte bancaire de P.G., quoique parfois ils aient été versés dans le compte de Tomken ou de Bergeron et une fois dans le compte de 3095.

c)         Au début de la période en cause, les chèques ont été émis à l'ordre des entités mentionnées ci-dessus par Crescent, et les fonds ont été versés dans les comptes bancaires à leur nom.

d)         Dans les cas où M & M est indiquée comme vendeur, Orly émettait parfois des chèques à l'ordre de Bergeron, mais habituellement ils étaient émis à l'ordre de M & M ou de CMM.

e)          Le nom de Benny figure sur deux des factures, et les chèques ont été envoyés à cette dernière.

f)           Dans les cas où Cartier est indiquée comme vendeur, les chèques étaient émis à l'ordre de Cartier ou, plus souvent, de CC.

g)         Dans les cas où Provost est indiquée comme vendeur, le chèque était émis à l'ordre de cette dernière.

h)         Dans les cas où Caron est indiquée comme vendeur, le chèque était émis à l'ordre de cette dernière.

i)            Dans les cas où Succès est indiquée comme vendeur, le chèque était émis à l'ordre de cette dernière, sauf une fois lorsqu'il a été émis à l'ordre de Duchesne.

j)            Dans les cas où Duchesne est indiquée comme vendeur, les chèques ont été émis à l'ordre de cette dernière mais l'argent a été déposé dans le compte bancaire de Hogue.

[22]     Avant d'exposer plus en détail ce que j'ai résumé ci-dessus, je devrais mentionner un point d'une importance accessoire, soit le mode de paiement. Au début de la période en litige, Crescent émettait les chèques. Par la suite, Orly émettait le chèque, qui était soit déposé dans le compte bancaire de la personne à l'ordre de qui il a été émis ou utilisé pour appuyer une traite de banque en faveur du bénéficiaire. Dans certains cas, les chèques étaient certifiés et dans d'autres cas, ils ne l'étaient pas. Je mentionne ces modes de paiement simplement par souci d'exhaustivité mais je ne vois pas comment ils pourraient ajouter quoi que ce soit de pertinent à la présente affaire. Il semble qu'Orly a agi selon la prémisse suivant laquelle les factures lui donnaient suffisamment d'indices d'un titre valable pour lui permettre de vendre les véhicules soit au Canada, soit à l'étranger. En l'espèce, je n'ai pas à me prononcer sur la question de savoir si Orly a obtenu un titre valable sur les véhicules et, si elle l'a obtenu, de qui elle l'a obtenu. Orly vendait les véhicules (habituellement à l'étranger). Les montants indiqués sur les factures destinées à Orly ont été déposés dans le compte bancaire de quelqu'un, soit la personne indiquée sur la facture comme vendeur ou quelqu'un d'autre. Les factures destinées à Orly indiquent des montants de TPS et de TVP par rapport au prix du véhicule et, bien que le montant total ait été déposé dans le compte bancaire, aucun de ces montants n'a été versé dans les coffres gouvernementaux. Orly a demandé des CTI relativement à la TPS indiquée sur les factures et ces CTI lui ont été payés. Maintenant, le gouvernement veut se faire rembourser les CTI parce qu'il soutient qu'Orly n'a jamais payé la TPS. Cela constitue essentiellement ce sur quoi porte la présente affaire.

[23]     Je passe maintenant aux opérations pour lesquelles différentes personnes sont indiquées comme vendeurs à Orly.

Centre d'Auto Marc et Mario Enr. ( « M & M » )

[24]     M & M est indiquée comme vendeur sur les factures destinées à Orly ayant trait à 79 véhicules. Dans 13 des cas, les chèques ont été émis à l'ordre de Bergeron et pour le reste, ils ont été émis à l'ordre de CMM. Selon les fiches de stock, Bergeron était indiquée comme vendeur dans trois cas, 2844 dans sept cas et CMM dans le reste des cas. Ni M & M ni CMM n'est indiquée comme vendeur dans les registres de la SAAQ. Dans certains cas, un concessionnaire franchisé ordinaire est indiqué comme vendeur. Dans de nombreux autres cas, 2844 ou Alexandre Minassian est indiqué comme vendeur. Dans environ 61 des cas, les véhicules ont été exportés et dans environ 18 des cas, il semble qu'ils aient été vendus au Canada. Ces chiffres peuvent être légèrement inexacts parce que parfois la lettre de voiture ou la facture destinée à l'acquéreur manque, mais, de façon générale, les chiffres sont essentiellement exacts. Les même nuances s'imposent en ce qui concerne les chiffres suivants. La preuve révèle que dans tous les cas, sauf cinq, le véhicule provenait d'un concessionnaire franchisé qui l'avait acquis d'un fabricant tel que General Motors du Canada ou Chrysler Canada. Le concessionnaire concluait une convention d'achat-vente avec un Indien vivant dans une réserve ou avec une société constituée en personne morale et contrôlée par des Indiens. La preuve comporte quelques lacunes en ce sens que le nom du concessionnaire ou de l'Indien manque, mais je crois que cela est attribuable au fait que lorsqu'il s'agit de plus de 300 opérations comportant beaucoup d'éléments, il n'est pas étonnant qu'un document puisse parfois être introuvable. En l'espèce, je peux à bon droit tirer une inférence de la façon générale dont on a fonctionné, et la conclusion que je tire est que les concessionnaires concluaient une convention d'achat-vente avec l'Indien ou la société des Indiens par rapport au véhicule et qu'ils étaient payés par des traites de banque ou des chèques tirés sur les comptes bancaires des différentes personnes mentionnées ci-dessus dans lesquels Orly versait le prix indiqué sur les factures qui lui étaient remises. Aucun montant de TPS n'a été payé par rapport aux opérations effectuées entre les concessionnaires et les Indiens ou leurs sociétés parce ce qu'on considérait les ventes comme exonérées. Il n'existe aucune preuve de l'existence d'un document quelconque effectuant le transfert du titre des Indiens ou des sociétés autochtones aux personnes indiquées comme vendeurs sur les factures destinées à Orly.

[25]     Une chose est claire : les Indiens ou leurs sociétés n'ont pas payé pour les véhicules de leurs propres fonds. Ils avaient la possession des véhicules, s'ils l'avaient, pendant un bref instant. Il semble exister un doute pour ce qui est de savoir si certains des véhicules ont été livrés à la réserve ou si l'exemption prévue par la Loi sur les Indiens a été invoquée à bon droit. Je n'ai pas à examiner cette question. La question de savoir si les Indiens auraient dû payer la TPS n'a aucune pertinence relativement à la question en litige en l'espèce, laquelle consiste à savoir si Orly a payé la TPS.

2844-7167 Québec Inc. ( « 2844 » )

[26]     La société 2844 est indiquée comme vendeur de 88 véhicules à Orly. Cela s'est fait sensiblement de la même façon que dans la situation de M & M. Dans un cas, le chèque a été émis à l'ordre de 3095 et dans un autre à l'ordre de Lasalle Jeep Eagle. Dans 57 cas, le chèque a été émis à l'ordre de P.G., dans 13 autres à l'ordre de Tomken, dans 10 autres à l'ordre de Bergeron et dans trois autres à l'ordre de Desmeules Dodge. Il semble qu'environ 59 véhicules ont été exportés. Les fiches de stock indiquent que P.G. était le vendeur dans 58 des cas, 2844 était le vendeur dans deux cas, Lasalle Jeep Eagle était le vendeur dans un cas, Tomken était le vendeur dans 14 cas, Bergeron était le vendeur dans huit cas, CMM était le vendeur dans un cas et Desmeules Dodge était le vendeur dans trois cas. Si cela ne donne pas un total de 88, c'est peut-être en raison de lacunes dans la documentation ou parce que mon arithmétique est erronée. Tout comme dans le cas de M & M, les registres de la SAAQ ont peu de rapport avec les autres documents.

[27]     Encore une fois, on fonctionnait de la façon suivante : les concessionnaires franchisés signaient des conventions d'achat-vente avec des Indiens ou des sociétés autochtones. Ils étaient payés sur les comptes bancaires détenus par les personnes à l'ordre de qui Orly émettait les chèques. Il n'y a aucune preuve qui démontre l'existence de documents effectuant le transfert du titre aux vendeurs indiqués sur les factures destinées à Orly.

[28]     J'aurais pensé que lorsque le titre sur un bien tel qu'une automobile est transféré, ce serait assez simple de déterminer la chaîne de titre. En l'espèce, elle devrait ressembler un peu à ce qui suit :

Fabriquant (GM ou Chrysler)

Concessionnaire autorisé

Acquéreur indien

Vendeur indiqué sur la facture

Orly

Acquéreur canadien ou acquéreur étranger

J.L. Auto Exchange ( « J.L. » )

[29]     J.L. est indiquée sur 19 factures destinées à Orly. Dans chaque cas, le chèque a été émis à l'ordre de J.L. Cette dernière ne figure dans aucun des registres de la SAAQ. Dans bien des cas, c'est le nom de Huntley Crawford ou de Gérard Ouellette qui figure dans ces registres et dans un cas c'est le nom de 9039-7662 Québec Inc. La preuve révèle que dans chaque cas le véhicule provenait d'un concessionnaire autorisé et que dans tous les cas, sauf trois, le concessionnaire a conclu une convention d'achat-vente avec un Indien. Cela, à mon avis, est attribuable au manque de documentation et non à une façon différente de faire. Il semble que seulement deux véhicules ont été exportés.

R.A. Succès Automobile ( « Succès » )

[30]     Succès figure sur 17 factures destinées à Orly. Tous les chèques étaient émis à l'ordre de Succès sauf un, lequel était émis à l'ordre de Duchesne. Les registres de la SAAQ ne font aucune mention de Succès. Dans 14 des cas, Huntley Crawford est indiqué comme propriétaire. Dans deux cas, Gérard Ouellette est indiqué comme propriétaire et Ventes d'Auto Giordano Inc. dans un cas. Mis à part le fait qu'il existe quelques lacunes dans la documentation, la méthode de fonctionnement ici est encore une fois celle de la conclusion d'une convention d'achat-vente entre un concessionnaire autorisé et un Indien ou une société autochtone.

[31]     La preuve semble indiquer que seulement quatre exportations ont été effectuées sur ce groupe.

Benny Automobiles ( « Benny » )

[32]     Benny figure comme vendeur à Orly sur uniquement deux factures et les deux chèques ont été émis à l'ordre de Benny. Un véhicule a été exporté. Deux concessionnaires autorisés ont participé à ces opérations mais, selon la documentation, uniquement un contrat a été conclu avec un Indien.

Gilles G. Caron Auto Service Ltée ( « Caron » )

[33]     Caron est indiquée comme vendeur à Orly sur 40 factures. Tous les chèques ont été émis à l'ordre de Caron. Différents vendeurs sont indiqués dans les registres de la SAAQ, mais Caron n'est jamais indiquée. Dans un cas, le nom de Gilles Caron, le propriétaire de Caron, est indiqué. Le nom le plus souvent indiqué est celui de Huntley Crawford, du témoignage de qui je traiterai plus loin.

[34]     On voit que la même méthode de fonctionnement a été employée que dans les autres cas : une convention d'achat-vente a été conclue entre un concessionnaire autorisé et un Indien ou une société autochtone. Dans cinq des cas, l'Indien avec qui le concessionnaire a signé le contrat est Gilles Caron. La documentation disponible semble indiquer que 11 des 40 véhicules à la vente desquels Caron a participé ont été exportés.

Réal Provost Outaouais Motors Inc. ( « Provost » )

[35]     Le nom de Provost figure comme vendeur sur cinq des factures destinées à Orly. Tous les chèques ont été émis à l'ordre de Provost. Le nom de cette dernière ne figure dans aucun des registres de la SAAQ. Huntley Crawford est indiqué comme vendeur de deux véhicules et Ventes d'Auto Giordano Inc. de deux autres. La preuve documentaire indique qu'un ou peut-être deux véhicules ont été exportés.

Autos 5ième Ère Inc. ( « 5ième » )

[36]     Le nom de 5ième figure sur 34 factures comme vendeur d'un véhicule à Orly. Aucun chèque n'a été émis à l'ordre de 5ième. Huit chèques ont été émis à l'ordre de Bergeron, 15 à l'ordre de 3095, un à l'ordre de Lasalle Jeep Eagle et huit à l'ordre de Tomken. Il manque deux chèques. Selon les fiches de stock, les personnes à l'ordre de qui les chèques ont été émis sont, dans la plupart des cas, les vendeurs.

[37]     Comme dans d'autres cas, les registres de la SAAQ n'ont aucun rapport avec les factures, les fiches de stock ou les chèques. Dans certains cas, les vendeurs indiqués sont des concessionnaires autorisés et dans d'autres cas c'est 2844 qui est indiquée. Encore une fois, nous avons la même façon de faire : des contrats conclus entre des concessionnaires franchisés et des Indiens. Selon la documentation, 26 des 34 véhicules ont été exportés.

Automobiles Cartier ( « Cartier » )

[38]     Cartier est indiquée sur les factures à titre de vendeur de 11 véhicules à Orly. Les chèques ont été émis à l'ordre soit de Cartier, soit de CC. La même méthode que celle utilisée dans les autres cas ressort, à savoir : la conclusion d'un contrat entre des concessionnaires autorisés et des Indiens ou des sociétés autochtones. Il semble que certains des véhicules ont été exportés.

Garage Normand Duchesne ( « Duchesne » )

[39]     Le nom de Duchesne figure sur les factures à titre de vendeur de six véhicules à Orly. Le nom de l'omniprésent Huntley Crawford figure à titre de fournisseur de quatre véhicules dans les registres de la SAAQ. Tous les chèques ont été émis à l'ordre de Duchesne. Le mode de fonctionnement est conforme à celui utilisé dans les autres cas, c'est-à-dire qu'un contrat a été conclu entre des concessionnaires franchisés et des Indiens ou leurs sociétés. Il ne ressort pas de la preuve que des véhicules de ce groupe ont été exportés.

[40]     En dernier lieu, j'arrive à un groupe de six véhicules indiqués au tableau de Mme Turcotte, soit la pièce I-437, pour lesquels aucun fournisseur n'est indiqué parce qu'il n'existait aucune facture. La preuve relative à ces véhicules est insatisfaisante et, évidemment, on ne peut se fier aux registres de la SAAQ. Deux de ces véhicules ont été exportés. Le seul élément de preuve qui semble être assez clair consiste en le fait que des CTI ont été demandés relativement à ces véhicules et ont finalement été refusés par l'intimée, qui en a réclamé le remboursement. En ce qui concerne le véhicule portant le numéro de stock 6-388, l'intimée reconnaît que la TPS a été payée.

[41]     Dans certains cas, les fiches de stock indiquent comme vendeur la compagnie, comme 3095 ou P.G., détentrice du compte bancaire dans lequel le paiement a été versé et non la compagnie dont le nom figure à titre de vendeur sur la facture.

[42]     M. Doherty a déclaré qu'il ne connaissait pas la plupart des particuliers ou des compagnies figurant à titre de vendeurs dans les documents, mais a dit que peut-être un de ses employés, comme Shawn McGovern ou Bob Robichaud, les connaissaient. Bob Robichaud n'a pas témoigné. Il semble qu'il était introuvable. Le nom de « Rob » figure souvent tant dans les témoignages de vive voix que dans la preuve documentaire, particulièrement en ce qui a trait aux opérations auxquelles ont participé des Indiens.

[43]     J'estime, sur la foi de toute la preuve présentée, qu'il est juste de conclure que « Rob » est Robert Robichaud, l'employé d'Orly, et qu'il participait très activement à l'aspect des opérations qui avait trait aux ventes des véhicules en question en l'espèce à des Indiens, et de cela je conclus qu'Orly y participait également.

[44]     Selon le témoignage de l'autre employé, Shawn McGovern, il avait affaire aux différentes personnes indiquées comme vendeurs. Il a dit que la personne à qui il avait affaire chez 5ième était Marcel Gaudreault. Il a indiqué qu'il ne connaissait pas Daniel Foster.

[45]     Il a dit qu'il avait affaire à Daniel Paquette et à Claude Bergeron chez 2844. Chez M & M, selon son témoignage, il avait affaire à une personne nommée Alex et également à Claude Bergeron. Chez Duchesne, il a dit qu'il avait affaire à Normand Duchesne. Chez Caron, il avait affaire à Gilles Caron. Chez J.L., il avait affaire à John Lemoyre, qui est décédé en 1996, et chez Provost, il avait affaire à Serge Létang. Il ne se souvenait pas de la personne à qui il avait affaire chez Benny, chez Succès ou chez Cartier. Il ne connaissait pas les tiers à qui des paiements ont été faits. Il a indiqué qu'il croyait que ces derniers finançaient les vendeurs. M. McGovern a témoigné relativement à un certain nombre des factures que c'était son écriture qui y figurait. Cela est contraire au témoignage de M. Doherty selon lequel les factures étaient établies par les vendeurs et qu'Orly les recevait dûment remplies. Il a également déclaré qu'il n'était pas en mesure de reconnaître un grand nombre des signatures apposées sur les factures des personnes indiquées comme représentant les vendeurs.

[46]     Avant d'examiner le témoignage des témoins appelés par l'intimée, je tiens à signaler que, indépendamment de tout témoignage des témoins de l'intimée qui contredisait celui de M. Doherty ou de M. McGovern, j'estime que le témoignage de ces deux témoins appelés par l'appelante n'était pas particulièrement convaincant. J'ai eu nettement l'impression qu'ils ne m'ont pas tout dit et qu'ils me disaient uniquement le strict minimum qu'ils croyaient être nécessaire. Par exemple, les opérations relatives à plus de 300 véhicules avaient une valeur dans les millions de dollars, mais inexplicablement ils ignoraient tout des vendeurs à qui ils versaient des sommes considérables. Ils semblaient être indifférents à la provenance des automobiles et ne pas se soucier de qui recevait l'argent. J'estime que cela est, pour le moins, peu plausible. Cela n'est explicable que si l'on présume qu'Orly était au courant de tout, à toutes les étapes, et qu'elle avait le contrôle dès le moment où le véhicule quittait le concessionnaire d'automobiles jusqu'à ce qu'il soit vendu, soit à l'étranger ou au Canada.

[47]     Je souligne, par exemple, que dans leur témoignage, ni M. McGovern ni M. Doherty n'a mentionné le rôle joué par les ventes effectuées aux Indiens. Ils n'ont jamais mentionné les Indiens. Compte tenu de la gravité des allégations figurant dans la réponse à l'avis d'appel et dans les autres documents communiqués à l'appelante par l'intimée, j'aurais pensé qu'ils se seraient efforcés de trouver les représentants des compagnies participantes pour qu'ils témoignent afin d'établir l'authenticité des opérations contestées. M. Doherty a dit qu'il n'a pas essayé parce qu'il n'était pas inquiet. Je suis porté à tirer une inférence moins favorable selon laquelle l'appelante savait que si elle appelait les personnes que, en fin de compte, l'intimée a appelées, elles n'auraient pas appuyé sa cause.

[48]     Je vais maintenant examiner le témoignage des témoins de l'intimée.

Daniel Foster

[49]     Le nom de Daniel Foster figure sur un certain nombre de factures de 5ième et sur deux de celles de 2844. Il nie que c'est sa signature qui figure sur ces factures. Il était le propriétaire de 5ième, mais il a indiqué qu'elle vendait uniquement des automobiles d'occasion et qu'elle n'a pas fait d'affaires après la suspension de son permis le 14 juin 1995. Il a déclaré que 5ième exploitait entre 1988 et 1993 une entreprise de vente de voitures d'occasion. Il a dit qu'il ne connaissait rien au sujet de l'opération relativement à laquelle il est indiqué que 5ième avait fait une vente à Orly. Il a nié que la signature de Daniel Foster qui figure sur les factures de 2844 présentées à Orly était la sienne. Il a indiqué qu'il ne connaissait pas James Doherty, Shawn McGovern, Bob Robichaud ou Ron Snyder. Il a entendu parler d'Orly pour la première fois lorsque Revenu Québec a communiqué avec lui.

Marcel Gaudreault

[50]     M. McGovern a indiqué qu'il avait affaire à Marcel Gaudreault chez 5ième. M. Gaudreault a dit qu'il a travaillé pour 5ième pendant quelques semaines ou mois. Sa principale fonction semble avoir été celle de « changer des chèques » . Il a participé avec Daniel Paquette à l'entreprise P.G. Ils ont ouvert un compte bancaire au nom de P.G. à la Banque Nationale à Lachine, au Québec. Les deux avaient le pouvoir de signature.

[51]     Il recevait 100 $ pour chaque échange de chèques effectué, échange qui consistait à déposer des chèques et à tirer des chèques pour des traites de banque. Je tiens pour avéré que les chèques provenaient d'Orly (ou de Crescent pour le compte d'Orly) et que les traites de banque ont été émises en faveur de concessionnaires d'automobiles pour payer des automobiles qui auraient été vendues à des Indiens. Il ne connaissait pas Daniel Paquette avant que ce dernier ne lui parle de l'ouverture du compte bancaire.

[52]     Voici comment on procédait : M. Gaudreault rencontrait un conducteur à un endroit près de la banque et ce dernier lui donnait un chèque. Il déposait le chèque et obtenait une traite de banque qu'il donnait au conducteur. Il ne reconnaissait ni le nom d'Orly ni celui de Crescent. Tout argent qu'il y avait en surplus il le donnait sous forme de chèque à la personne qui livrait les chèques. Il ignorait d'où venait l'argent et ce que devenait l'argent. P.G. n'avait aucune fonction ni aucune activité commerciale sauf l'échange de chèques. Il a dit que P.G. n'a jamais acheté ni vendu d'automobiles à Orly.

[53]     Le nom de M. Gaudreault figure également sur une carte de signature d'un compte bancaire de CMM. Il a nié être au courant de cela. Plus précisément, il a nié que la signature figurant sur la carte de signature du compte bancaire était la sienne. Il a nié être au courant de l'opération effectuée par CMM. L'autre signature figurant sur la carte était celle de Jocelyn Bourcier, qu'il a dit qu'il ne connaissait pas. Lorsqu'il a acheté les traites de banque, il les a achetées au nom de la personne nommée par le conducteur qui lui a livré les chèques et à qui il a donné les traites de banque.

[54]     Sa mémoire relativement aux personnes en faveur de qui les traites de banques ont été émises était vague, mais il croyait qu'il devait y avoir des bénéficiaires ayant des noms tels que Jeep Eagle ou Chevrolet.

[55]     Il ne connaissait rien au sujet de 2844, et il a indiqué qu'il ne croyait pas qu'Orly avait prêté de l'argent à 2844.

[56]     Il ne connaissait pas James Doherty, Ron Snyder, Bob Robichaud ou Serge Létang. Il a admis avoir rencontré Shawn McGovern aux ventes aux enchères d'automobiles à Saint-Eustache. Il ne se souvenait pas du nom de la personne qui lui avait demandé d'ouvrir un compte à la Banque Royale à Pointe-Claire. Il ne connaissait pas les personnes qui lui ont livré les chèques à être échangés contre des traites de banque; il y en avait plusieurs.

[57]     Il n'a pas été contre-interrogé sur le fait qu'il a nié que des automobiles avaient été vendues à Orly ou sur sa description de la façon dont il a participé à l'échange des chèques.

[58]     Je lui ai posé plusieurs questions en vue d'obtenir des précisions. Il m'a informé que lui et M. Paquette effectuaient l'échange de chèques et qu'ils se faisaient payer 100 $ par opération. Il a également déclaré que lorsqu'il achetait une traite de banque, la différence entre le montant des chèques qu'il déposait émis par Orly ou Crescent et le montant de la traite de banque émise en faveur du concessionnaire était versée sous forme de chèque à la personne qui lui avait livré le chèque émis par Orly ou Crescent, moins ses frais de 100 $.

Gabriel Bélanger

[59]     M. Bélanger était le fondateur de 2844. Il en était également l'unique actionnaire et l'administrateur. On allègue que cette compagnie a vendu environ 85 automobiles à Orly. La plupart des chèques émis pour les montants figurant sur les factures destinées à Orly ont été émis à l'ordre de P.G. et quelques-uns à l'ordre de Tomken ou de Bergeron. Aucun chèque n'a été émis à l'ordre de 2844.

[60]     Selon le témoignage de M. Bélanger, 2844 ne vendait que des voitures d'occasion. Il a nié avoir connaissance des ventes d'automobiles par 2844 à Orly indiquées sur les factures. Il a déclaré qu'il ne connaissait pas Orly. Apparemment, il a permis à certaines personnes de travailler sous caution de 2844, notamment Daniel Foster. On se rappellera que M. Foster a nié que sa signature figurait sur les factures de 2844 destinées à Orly. 2844 ne détenait pas de compte bancaire, et il ne connaissait rien au sujet des compagnies, telles que Tomken, P.G. ou Bergeron, dans les comptes bancaires desquelles les montants figurant sur les factures ont été versés.

[61]     Je n'ai pas trouvé le témoignage de ce témoin particulièrement satisfaisant. Il semblait craindre des représailles ou d'être de nouveau poursuivi au criminel. D'autres personnes utilisaient le nom de la compagnie, mais il ne connaissait pas James Doherty, Shawn McGovern ou Bob Robichaud.

[62]     Tout ce que je peux dégager de son témoignage est qu'il a peut-être permis à d'autres personnes d'utiliser le nom de la compagnie, mais cela est loin d'appuyer la position selon laquelle 2844 a vendu des automobiles valant des millions de dollars à Orly. Les déclarations de revenus et de TPS de la compagnie indiquent relativement peu d'activité commerciale pendant la période où ces nombreuses ventes auraient été effectuées par 2844 à Orly. Même si l'on accepte que Gabriel Bélanger a effectivement donné la permission à Daniel Foster d'utiliser le nom de la compagnie 2844, cela laisse encore en suspens la question de savoir si 2844 a en fait vendu à Orly les quelque 80 véhicules indiqués sur les factures.

Huntley Raymond Crawford

[63]     M. Crawford avait fait affaire sous le nom de Succès, laquelle entreprise vendait des automobiles d'occasion. Elle a fait affaire de mars 1995 à novembre 1996. Sa seule activité consistait en l'achat et la vente de quelques vieux véhicules, et il a cessé d'acheter des automobiles environ cinq mois avant le mois de novembre 1996, lorsque l'entreprise a fermé ses portes.

[64]     M. Crawford a déclaré que ce n'était pas sa signature qui figurait sur les factures de Succès destinées à Orly, lesquelles concernaient 17 automobiles, et qui plus est, le cachet qui figure sur les factures ou à titre d'endossement sur les chèques émis à l'ordre de Succès n'était pas celui de sa compagnie. Les chèques ont été déposés dans le compte de Hogue. M. Crawford a déclaré qu'il ne reconnaissait pas cette compagnie, Normand Duchesne ou Orly. De plus, il ne connaissait pas James Doherty, Shawn McGovern ou Bob Robichaud. Les avocats de l'appelante ont soutenu que Huntley Crawford n'était pas un témoin crédible et qu'il avait conclu un accord avec Revenu Québec en échange de son témoignage. Je ne peux tirer cette conclusion de la preuve. Cette hypothèse lui a été présentée lors de son contre-interrogatoire et il l'a niée. Je ne suis pas disposé à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de ce témoin.

Jocelyn Bourcier

[65]     M. Bourcier était directeur de production dans le domaine du divertissement. Il a été présenté à M. Marcel Gaudreault, qui lui a offert l'occasion de gagner de l'argent de poche en échangeant des chèques. Il a appris par la suite que cela était lié à des automobiles. On lui a dit qu'il serait payé 100 $ ou 150 $ pour chaque échange de chèques. Il était avec M. Gaudreault lorsqu'il a échangé un chèque à la Banque Nationale à Lachine. Il a obtenu une traite de banque. La différence entre le montant du chèque déposé après avoir été endossé par M. Gaudreault ou M. Bourcier et le montant de la traite de banque a été prise en argent comptant par M. Gaudreault. Un compte avait été ouvert au préalable par M. Gaudreault à la succursale Saint-Jean et Hymus de la Banque Royale et la signature de M. Bourcier figure sur la carte de signature du compte bancaire. Le compte était au nom de CC. M. Bourcier a également échangé des chèques à cette succursale. La méthode était relativement simple. M. Gaudreault disait à M. Bourcier de se rendre à la banque avec une autre personne, soit un certain Vito, pour échanger les chèques. Il a également fait enregistrer, sous les directives de M. Gaudreault, une compagnie dénommée Les Camions Cartier.

[66]     M. Bourcier a déclaré qu'il ne s'est jamais rendu à la succursale de la Banque Royale sans Vito. Il n'avait jamais vu les documents bancaires avant qu'on les lui montre lors du procès. Il s'est rendu à la banque à plusieurs reprises et, dans tous les cas, c'était en vue d'échanger des chèques contre des traites de banque. Les documents étaient toujours prêts lorsqu'il arrivait. Il n'avait qu'à endosser les chèques et à obtenir la traite de banque.

[67]     Les traites de banque étaient faites à l'ordre de concessionnaires d'automobiles. M. Bourcier ne connaissait rien au sujet des automobiles ou de la façon dont elles étaient achetées, mais Vito lui a dit qu'elles étaient expédiées dans des conteneurs.

[68]     Vito, quant à lui, reste un personnage quelque peu mystérieux. Bien que l'on ait mentionné un certain Vito Cusano, un administrateur de 3095, l'un des tiers à l'ordre de qui les chèques ont été faits dans les cas où 2844 ou 5ième était le vendeur indiqué sur les factures destinées à Orly, on n'a pas établi son nom de famille. Vito Cusano est l'une des personnes indiquées comme ayant l'autorité de signer relativement au compte de 3095, mais il n'est pas ainsi nommé à l'égard de celui de CMM. Il est probable que le Vito que M. Bourcier a rencontré était également le Vito Cusano qui jouait un rôle au sein de 3095 parce que, dans une deuxième déclaration signée par lui, M. Bourcier a affirmé que lorsqu'il se rendait à la Banque Royale, il était accompagné par Vito Cusano.

[69]     La signature de M. Bourcier ainsi que celle de Marcel Gaudreault figurent également sur la carte de signature du compte bancaire de CC à la succursale de la Banque Nationale à Lachine. M. Bourcier a admis avoir signé quelques chèques - un maximum de dix - mais ce compte (pièce I-211) révèle des dépôts de chèques et des retraits s'élevant à des millions de dollars. Il a nié avoir signé tant de chèques.

[70]     Bien qu'il ait fait enregistrer CMM sous les directives de M. Gaudreault, il n'avait jamais entendu parler de M & M. Il ne connaissait pas James Doherty, Shawn McGovern ou Bob Robichaud. Il avait entendu parler d'Orly uniquement dans une conversation qu'il avait entendue entre Vito et M. Gaudreault.

[71]     Lors de son contre-interrogatoire, on lui a montré la déclaration qu'il avait signée et donnée à Mme Turcotte dans laquelle il niait qu'il savait quoi que ce soit au sujet de CMM et de Marcel Gaudreault. L'explication qu'il a fournie relativement à la contradiction entre son témoignage oral et sa déclaration est que M. Gaudreault lui avait dit de ne jamais en parler à personne.

[72]     Cela soulève carrément une question de crédibilité. Ce n'est toutefois pas inhabituel dans la présente cause, où se posent de nombreuses questions de crédibilité. Ma tâche consiste à déterminer quelle preuve mérite le plus que l'on y ajoute foi et, en tenant compte des règles plutôt complexes relativement au fardeau de la preuve dans les affaires d'impôt sur le revenu, d'en tirer ce qui, selon la prépondérance des probabilités, constitue le plus vraisemblablement la vérité. Certains des témoins peuvent avoir dit la vérité tout le temps, d'autres en aucun temps et d'autres parfois. Le problème s'aggrave du fait que la participation d'un grand nombre des témoins consistait en des activités qui étaient plutôt louches, sinon franchement malhonnêtes.

[73]     En somme, il m'apparaît plus probable que M. Bourcier disait la vérité lorsqu'il a témoigné devant la Cour que lorsqu'il a fait la première déclaration. Il a nié, dans la déclaration, des signatures qu'il a admis être les siennes lors de son témoignage oral.

[74]     Lors du réinterrogatoire, on a présenté à M. Bourcier une autre déclaration qu'il avait signée plus d'une année après la première déclaration. Il a dit que ce document représentait la vérité. Ce dernier semble être conforme à son témoignage oral.

[75]     En résumé, et nonobstant les contradictions entre sa première déclaration et son témoignage oral, son témoignage établit qu'il a ouvert deux comptes bancaires, qu'il a déposé des chèques émis par Orly ou Crescent dans ces comptes et qu'il a obtenu des traites de banque faites à l'ordre de concessionnaires d'automobiles.

David Fiset

[76]     David Fiset a été appelé par l'intimée à témoigner. Il est vendeur de camions depuis 27 années. En 1995 et en 1996, il était employé à titre de vendeur par Lacie Chevrolet Motor Sales de Montréal Ltée ( « Lacie » ).

[77]     Lacie vendait de nombreux camions à des Indiens qui étaient envoyés à M. Fiset par d'autres Indiens ou par Orly. Il connaissait les gens chez Orly : M. Doherty, M. Robichaud et Shawn McGovern.

[78]     Cela fonctionnait comme suit. M. Fiset recevait un appel téléphonique d'un des représentants d'Orly mentionnés ci-dessus - habituellement Shawn McGovern - qui lui posait une question sur la disponibilité d'un type particulier de camion. Lacie transmettait à Orly par télécopieur une description complète du véhicule ainsi que le prix. Un Indien se présentait avec son certificat de statut d'Indien et son permis de conduire et il signait un contrat d'achat du véhicule.

[79]     Par la suite, une dépanneuse venait chercher le camion et le chèque ou la traite de banque était livré. À la fin de la période en cause, Lacie exigeait des chèques certifiés.

[80]     En résumé, le contact initial avait lieu avec Orly, et si un véhicule acceptable était disponible et le prix était convenable, Orly envoyait un Indien. Un contrat était alors signé par Orly et l'Indien. On venait ensuite chercher le camion et un chèque était livré. Dans de nombreux cas, le chèque était livré soit par Shawn [McGovern], soit par Bob [Robichaud], soit par un représentant d'Orly avant que l'on vienne chercher le camion.

[81]     M. Fiset a reconnu un nombre considérable de contrats conclus entre Lacie et les Indiens qu'il avait rédigés et signés. Soit avant que l'on vienne chercher le camion ou au même moment, un chèque ou une traite de banque était livré par un représentant d'Orly (Ron, Shawn ou Bob). Le mode de fonctionnement qui ressort clairement du témoignage de ce témoin (que j'accepte) est qu'une personne de chez Orly (habituellement Shawn ou Bob) communiquait avec Lacie relativement à un type particulier de camion. Les détails concernant le véhicule et son prix étaient ensuite communiqués à Orly, et si cette dernière les trouvait convenables, un Indien se présentait au concessionnaire avec son certificat de statut d'Indien et signait le contrat qu'avait rédigé M. Fiset. Par la suite, un chèque ou un mandat était remis à Lacie en paiement du prix. Le chèque ou le mandat était livré par une personne de chez Orly ou par le conducteur de la dépanneuse, et on prenait le véhicule. Aucun montant de TPS n'a jamais été payé. La participation des Indiens consistait en une réunion d'une durée de quinze minutes avec M. Fiset pour signer le contrat.

[82]     M. Fiset savait que les véhicules devaient se faire exporter. Il n'avait jamais entendu parler des sociétés à numéro ou des autres entités dont les noms figuraient sur les factures destinées à Orly ou qui étaient titulaires des comptes bancaires dans lesquels les chèques émis par Orly ont été déposés.

[83]     Les ventes ont été annulées dans quelques-uns des cas, et les chèques de remboursement ont été donnés à Shawn McGovern.

[84]     Les avocats de l'appelante n'ont pas contre-interrogé M. Fiset et j'en déduis donc que l'appelante accepte la totalité de son témoignage. Le témoignage de M. Fiset confirme la conclusion que j'ai tirée en fonction des autres témoignages, selon laquelle Orly était le véritable acquéreur et non un Indien. La participation des Indiens servait à permettre à Orly d'éviter de payer la TPS.

Gilles Caron

[85]     M. Caron est un Indien de plein droit. Lorsqu'il travaillait sur le bateau de M. Serge Létang, on lui a demandé s'il pouvait effectuer quelques opérations. M. Létang lui a demandé d'acheter quelques véhicules puisqu'en raison de sa situation à titre d'Indien de plein droit, aucun impôt ne serait payable. Il savait que les achats étaient effectués pour le compte d'Orly. Il a rencontré deux représentants d'Orly à Montréal - James Doherty et Shawn [il a oublié son nom de famille, mais il est évident qu'il s'agit de Shawn McGovern]. Ses contacts directs avec les représentants d'Orly étaient limités. C'était M. Létang qui lui donnait des directives. On lui a dit qu'il devait acheter, au nom des Indiens, des véhicules en vue de l'exportation. Son rôle était de signer les documents d'achat. Il s'est rendu à maintes reprises aux concessionnaires et il a signé les documents soit en son nom, soit au nom de Caron.

[86]     Les achats ont été effectués, aucune taxe n'a été payée et M. Caron livrait les véhicules à Montréal, à la même rue que celle où est située Orly ou à un centre commercial; il laissait les documents et les clés sur le siège du véhicule. Il a ouvert un compte bancaire au nom de Caron et il était le seul signataire autorisé à l'égard de ce compte.

[87]     De nombreuses opérations ont été effectuées dans ce compte bancaire. Il déposait des chèques émis par Orly et il obtenait alors des chèques certifiés payables à des concessionnaires d'automobiles. Il retirait la différence en argent comptant, gardait 500 $ par opération, qu'il partageait avec M. Létang, et donnant le reste à Bob Robichaud qu'il croyait être le messager d'Orly.

[88]     Si M. Caron prenait le véhicule, il gardait la traite de banque et la donnait au concessionnaire. Si quelqu'un d'autre allait le chercher, il donnait la traite de banque à cette personne. La plupart des concessionnaires chez qui il prenait des automobiles étaient dans la région d'Ottawa/Hull.

[89]     Il a reconnu sa signature figurant sur certaines des factures de Caron destinées à Orly et dans d'autres cas a nié que c'était sa signature. Il existe environ 40 factures à l'intention d'Orly établies par Caron. M. Gilles Caron a admis qu'il en avait signé environ dix. Il a nié avoir signé les autres. Les factures qu'il a admis avoir signées étaient toujours dûment remplies lorsqu'on les lui présentait. Il n'a jamais signé de facture vierge et il n'a jamais établi de factures.

[90]     Il ne savait rien - ni le modèle, ni le prix, ni l'équipement - au sujet du véhicule avant de se présenter au concessionnaire en vue de signer le contrat d'achat. Dans les cas où il a admis avoir signé les factures destinées à Orly et qui indiquent la TPS, il a dit qu'il subissait les pressions de M. Létang. Son témoignage m'a donné l'impression qu'on lui a dit de signer, de rester silencieux et de ne poser aucune question.

[91]     M. Gilles Caron semble avoir exercé différentes fonctions. Dans certains cas, il signait, à titre de président de sa compagnie, Caron, les factures destinées à Orly, et dans d'autres, il signait des contrats avec des concessionnaires en son propre nom. Il échangeait des chèques contre des mandats ou des chèques certifiés faits à l'ordre des concessionnaires, se servant à cette fin du compte bancaire de Caron, et il les donnait à Bob Robichaud ou il remettait la traite de banque au concessionnaire, prenait le véhicule et le livrait à Montréal. Il retirait également la différence entre le montant du chèque déposé dans le compte bancaire de Caron et celui de la traite de banque ou du chèque certifié, moins ses honoraires et ceux de M. Létang de 500 $, et la donnait à Bob Robichaud ou à M. Létang.

[92]     Il n'existe pas une corrélation parfaite entre les factures qu'il admet avoir signées et les chèques émis à l'ordre de Caron qu'il a déposés dans le compte bancaire de Caron. En d'autres termes, il ne découlait pas du fait qu'il ne signait pas la facture, qu'il ne déposerait pas le chèque dans le compte bancaire de Caron. Selon son témoignage, il semble que c'était toujours Gilles Caron qui effectuait tous les dépôts dans le compte bancaire et tous les retraits de ce dernier.

[93]     Afin de montrer le type de travail de détective qui était nécessaire en l'espèce, je mentionnerai seulement une ou deux des nombreuses opérations dont on a discuté avec M. Caron. La pièce I-371 consiste en une convention d'achat-vente conclue entre Gilles Caron et Gravel Chevrolet - Geo -Oldsmobile Ltée concernant un véhicule de 1996 de marque Chevrolet, modèle CK 10706 et portant le numéro de série 1CNEK13R7TJ404791. Le prix indiqué est de 41 750 $. Aucun montant de TPS ou de TVP n'a été facturé. La date de livraison indiquée est le 29/07/96. Un reçu en faveur de Gilles Caron pour le prix d'achat de 41 750 $ est inclus dans le dossier.

[94]     On trouve dans le même dossier une facture datée du 22 juillet 1996 concernant un véhicule Chevrolet Tahoe de 1996 portant le même numéro de série. Succès est indiquée comme vendeur, et Orly est indiquée comme acquéreur. La signature de Huntley Crawford figure sur la facture. Le prix indiqué est de 39 500 $ plus un montant de TPS de 2 765 $ et un montant de TVP de 2 747,23 pour un total de 47 012,23 $.

[95]     Le chèque de ce montant a été fait à l'ordre de Succès et a été déposé dans le compte bancaire de Hogue. De plus, le 29 juillet 1996, il semble qu'Orly a vendu le même véhicule à 3344202 Canada Inc., en vue de son exportation à Moscou, à un prix de 42 895 $ sans la TPS.

[96]     En d'autres termes, s'il faut en croire les documents, il semble que M. Gilles Caron a acheté à Gravel Chevrolet un véhicule Chevrolet Tahoe qui avait déjà été vendu à Orly par Succès une semaine avant et vendu encore une fois par Orly en vue de son exportation en Russie.

[97]     Je pourrais chercher à démêler l'enchevêtrement d'autres opérations du même genre, mais cela ne serait d'aucune utilité. Dans son témoignage, M. Gilles Caron nomme, de temps à autre, un certain nombre d'autres compagnies autochtones, telles que Pourvoirie Grand Renard Incorporée. Le nom de M. Caron figure, à titre de signataire, sur une facture de Caron destinée à Orly, mais il nie que c'est sa signature. Elle est datée du 19 août 1996, et le prix indiqué est de 38 700 $ plus la TPS et la TVP pour un total de 44 100 $. Il existe également un contrat conclu entre le concessionnaire 417 Jeep Eagle et Pourvoirie Grand Renard, une compagnie ayant son établissement dans une réserve indienne, visant le même véhicule Grand Cherokee. Le prix est de 40 363 $. La signature de Gilles Caron est également apposée sur le contrat, mais M. Caron le nie. La facture de Caron destinée à Orly est datée du 19 août 1996. Le contrat entre 417 Jeep Eagle et Pourvoirie Grand Renard est daté du 15 août 1996, et la convention entre Orly et l'acquéreur étranger relative à la vente du même véhicule à un prix de 40 000 $ est datée du 15 août 1996.

[98]     M. Caron a indiqué que Pourvoirie Grand Renard ainsi que Big Brown Beaver Trading Ltd. étaient simplement des noms d'emprunt. L'expression « prête-nom » est parfois utilisé également, tant en français qu'en anglais. Elle désigne une personne qui permet que son nom soit utilisé mais qui n'a autrement aucun droit sur le bien dont il s'agit - c'est un simple intermédiaire.

[99]     De même, il y a un contrat daté du 15 juillet 1996, déposé en preuve sous la cote I-336, conclu entre 417 Jeep Eagle et Pourvoirie des Hiboux relativement à la vente à celle-ci d'un véhicule Jeep Grand Cherokee à un prix de 40 897 $ (aucune TPS). Il est signé par Gilles Caron (il a reconnu sa signature) mais il a dit qu'il ne connaissait rien au sujet de Pourvoirie des Hiboux. Les reçus pour le prix d'achat ont été établis au nom de Pourvoirie des Hiboux. Il existe également une facture de Caron datée du 16 juillet 1996 qui est destinée à Orly et qui vise le même véhicule. M. Caron reconnaît sa signature. Le prix d'achat est de 38 700 $ et avec la TPS et la TVP, le montant total s'élève à 44 100,59 $.

[100] Un chèque certifié de ce montant a été émis à l'ordre de Caron par Orly et déposé dans le compte bancaire de Caron. Un contrat de vente daté du 16 juillet 1996 indique que le même véhicule a été vendu à un acquéreur dans l'État de New Jersey.

[101] La méthode utilisée dans ce cas est la même que celle utilisée dans tous les autres cas : une facture établie par Caron à l'intention d'Orly, un dépôt dans le compte de Caron, une traite de banque émise en faveur du concessionnaire, le retrait de la différence, qui était donnée à M. Létang ou à Bob Robichaud, sauf un montant de 500 $ que Caron partageait avec M. Létang.

Claude Bergeron

[102] M. Bergeron a ouvert un compte bancaire au nom de Gestion Bergeron. Son intention au départ était d'exploiter une entreprise de voitures d'occasion, mais cela ne s'est pas réalisé. Le compte a été utilisé uniquement pour échanger des chèques, c.-à-d. déposer des chèques et obtenir des traites de banque. Des retraits d'espèces étaient effectués, et l'argent « leur » était donné. Ce témoin subissait des traitements pour une maladie, et selon la plupart de son témoignage, il ne s'en souvenait pas. Il savait qu'un représentant d'Orly était venu le voir, qu'il a déposé des chèques et qu'il a obtenu des traites de banque, mais au-delà de cela, ses réponses consistaient en une série de « je ne m'en souviens pas; je n'ai aucune idée » . De façon générale, il a confirmé que la même méthode a été utilisée dans le cas de Bergeron que dans celui des autres témoins -un dépôt de chèques et un retrait en vue d'obtenir des traites de banque. Cela est confirmé par le témoignage de Mme Turcotte. Lorsque 5ième, 2844 ou M & M était le vendeur indiqué sur la facture, les chèques étaient émis à l'ordre de Bergeron. Le compte bancaire de Bergeron a connu beaucoup d'opérations bancaires, et il est plutôt étonnant que la mémoire de M. Bergeron soit si défaillante. La façon générale de fonctionner qui se dégage est toutefois assez évidente.

Daniel Paquette

[103] M. Paquette a ouvert un compte au nom de P.G. Auto à la Banque Nationale à Lachine, au Québec. M. Gaudreault et lui étaient les deux signataires autorisés.

[104] Selon son témoignage, en 1995, l'entreprise de P.G. Auto consistait en l'échange de chèques. Il déposait un chèque dans le compte et en émettait un autre tiré sur le compte. Une personne lui donnait un chèque pour le déposer et il en émettait un autre. Il semble avoir été atteint par la même amnésie sélective que certains autres témoins. Cependant, même si sa mémoire était aussi défaillante qu'il a indiqué, ce qui ressort clairement est que Marcel Gaudreault et lui ont fondé P.G. Auto uniquement pour échanger des chèques. Il était payé 100 $ par opération (un dépôt et un retrait).

[105] Il ne connaissait pas l'identité de la personne qui émettait les chèques ou s'il s'agissait d'Orly ou de Crescent. Il semble avoir aveuglément déposé des chèques et signé d'autres chèques sans porter attention à la source des chèques payables à P.G. Auto ou à la destination des chèques qu'il signait. Il a toutefois admis que s'il existait un surplus d'argent après qu'il avait tiré les chèques, il le retirait du compte et le donnait à la personne qui lui avait donné les chèques.

[106] Il a dit que P.G. Auto n'a jamais acheté ou vendu de biens. Tout ce qu'elle faisait c'était l'échange de chèques. Bien que le témoignage de ce témoin soit peu satisfaisant, il a certes confirmé que cela fonctionnait de la même façon dans le cas de P.G. Auto que dans celui des autres titulaires de compte bancaire.

Normand Duchesne

[107] Même si le nom Garage Normand Duchesne ne figure que sur six factures visant des automobiles vendues à Orly et que les chèques étaient tous payables à Duchesne, le témoignage de M. Duchesne a été long. Cela s'explique peut-être par le fait que M. Duchesne était un administrateur de la société Hogue, qui a été constituée en personne morale le 19 juin 1992. L'autre administrateur était sa mère, Cécile Hogue. Les chèques payables par Orly à Duchesne ont été déposés dans le compte bancaire de Hogue. Il ne semble pas que Duchesne possédait un compte bancaire à son propre nom au moment des opérations auxquelles Orly a participé. En fait, Garage Normand Duchesne Ltée, qui avait été constituée en personne morale en 1977, a été dissoute en 1984.

[108] Ce témoin souffrait de la même amnésie que certains autres témoins ou il feignait une telle amnésie. Cinq des six opérations par lesquelles Duchesne était censée avoir vendu des véhicules à Orly se sont produites en une semaine. Les factures n'ont pas été signées par lui. Il ne pouvait se rappeler ni les circonstances de l'acquisition par Duchesne des véhicules figurant sur les factures destinées à Orly, ni la façon dont il a obtenu l'argent pour les payer, ni les négociations en vue de la vente à Orly, ni le prix. Lorsqu'on lui a demandé si les véhicules figurant sur les factures destinées à Orly étaient ceux que Duchesne avait vendus à Orly, il a répondu : « Je le crois. Les factures sont faites au nom de Garage Normand Duchesne [...] Ça a passé par cette compagnie-là. »

[109] Les factures indiquent des montants de TPS et de TVP, mais M. Duchesne ne pouvait se rappeler si Duchesne était une inscrite aux fins de la TPS ou de la TVP. Il serait surprenant qu'elle l'ait été, étant donné qu'elle a été dissoute en 1984.

[110] L'ignorance totale de M. Duchesne quant aux opérations auxquelles avait participé Orly m'amène à croire qu'il ne savait rien à leur sujet. Par exemple, une facture datée du 29 juillet 1996 indique qu'une automobile GMC Yukon ayant le numéro de série 19KEK13R9TJ707519 a été vendue par Duchesne à Orly pour 39 000 $, plus la TPS et la TVP, pour un total de 44 442,45 $. M. Duchesne nie que sa signature figure sur la facture. Un chèque de 44 442,45 $ a été émis par Orly à l'ordre de Duchesne et déposé dans le compte de Hogue à la Banque Royale.

[111] Dans le même dossier se trouve un contrat de vente daté du 7 août 1996 conclu entre Automobiles Goyette Inc. et Gatineau Aventura Tourism Club Inc. visant la vente du même véhicule pour 40 400 $ (40 100 $ plus un acompte de 300 $). Pour le 8 août 1996, un retrait de 40 106,50 $ du compte susmentionné est indiqué. Le montant de 6,50 $ correspond aux frais bancaires s'appliquant à la traite de banque. M. Duchesne a nié avoir eu connaissance de cette opération.

[112] La même façon de faire revient dans toutes les opérations : un chèque d'Orly fait à l'ordre de Duchesne, d'un montant correspondant au montant de la facture était émis; il était déposé; puis une traite de banque faite à l'ordre du concessionnaire était achetée. M. Duchesne a présenté des explications imaginatives et tirées par les cheveux quant à certaines traites de banque faites à l'ordre du concessionnaire Jim Tubman Motors, à savoir qu'il prêtait de l'argent à Jim Tubman Motors ou qu'il achetait une parcelle de terrain à cette compagnie. D'autres chèques ont été émis à l'ordre de 417 Jeep Eagle et de Meyers Chevrolet Oldsmobile. D'autres chèques émis à l'ordre de Giordano Auto Sales et de Succès ont été déposés dans le compte de Hogue.

[113] M. Duchesne a admis qu'il a « échangé » des chèques émis à l'ordre de plusieurs compagnies, y compris des chèques faits à l'ordre de Succès. Bien que le témoignage de ce témoin ait été rempli d'invraisemblances et de contradictions, ce qui suit est très clair :

a)                  Duchesne n'achetait pas d'automobiles pour les revendre à Orly, malgré le fait que le nom de Duchesne figurait sur les factures;

b)                 M. Duchesne faisait la même chose que les autres témoins : il utilisait son compte bancaire (c.-à-d. celui de Hogue) pour déposer des chèques payables à Duchesne et à d'autres compagnies, comme Succès, et pour tirer des chèques ou des traites de banque faits à l'ordre de concessionnaires.

[114] M. Duchesne recevait 100 $ par chèque pour ses services d'échange de chèques. Il a indiqué dans son témoignage que lorsqu'il y avait une différence entre le montant de la traite de banque et celui du chèque, il donnait la différence, en argent, à la personne qui lui avait remis le chèque. Il ne la conservait pas comme profit.

[115] On a demandé à M. Duchesne si, dans les cas où un véhicule figurait sur un contrat pour lequel Duchesne était le vendeur, c'était la même chose que l'échange de chèques pour lequel il était payé. Il a répondu que c'était différent. Il a déclaré qu'il s'agissait de la vente de véhicules.

[116] Je reprends textuellement sa réponse. Il se faisait contre-interroger sur l'échange de chèques :

Q.         Étiez-vous payé pour ça?

R.          Oui.

Q.         Combien?

R.          Je chargeais une commission.

Q.         Combien?

R.          100 $ chaque chèque. C'est arrivé une couple de fois    200 $, là.

Q.         Hum, hum.

R.          Mais généralement c'était 100 $.

Q.         Quand on a vu les factures puis les chèques au nom du Garage Normand Duchesne, est-ce que c'était la même chose?

R.                  Même chose?

Q.         C'était changer le chèque . . .

R.          Ce n'était pas un changement de chèque, ça, c'était une vente de véhicule. C'est ce que j'imagine, là. Je ne me souviens pas, là, je ne me souviens pas des contrats, mais si je me fie aux contrats c'était une vente de véhicule.

Q.         Hum, hum.

R.          Un véhicule que j'ai acheté puis que j'ai revendu.

Q.         Mais vous dites que vous ne les avez jamais vus ces      contrats-là?

R.          Non, je ne me souviens pas d'avoir vu ces contrats-là.

[117] Son témoignage selon lequel les factures indiquant une vente par Duchesne à Orly représentaient la vente de véhicules que Duchesne avait achetés n'est pas défendable et je ne l'accepte pas, pour plusieurs raisons :

          (1)      Il n'a jamais vu les contrats et il nie qu'il les a signés.

          (2)      Il n'a pas pris part aux négociations touchant le prix.

          (3)      Il ne pouvait se rappeler à qui le véhicule a été acheté.

(4)      Dans certains cas, le prix figurant sur la facture était inférieur au prix exigé par le concessionnaire de la société autochtone.

(5)      L'idée que Jim Doherty lui aurait permis de conserver un profit sur la vente des véhicules en plus du montant de 100 $ qu'on lui payait n'est simplement pas croyable.

(6)      Ses déclarations selon lesquelles il vendait des véhicules à Orly sont tellement atténuées par des expressions comme « j'imagine » ou « je ne me souviens pas » qu'elles n'ont pratiquement aucune valeur.

[118] Les factures semblent indiquer qu'en une semaine il a vendu cinq ou six véhicules à Orly pour plus de 200 000 $. Il dit qu'il ne se souvient pas de ces ventes. Pourtant, son souvenir de la pratique de l'échange de chèques pour 100 $ par chèque est très clair. Cela s'explique par le fait que l'affaire de l'échange de chèques pour 100 $ est croyable et conforme à la méthode de fonctionnement décrite par les autres témoins et elle peut donc être acceptée comme avérée. On ne peut en dire autant de l'allégation selon laquelle Duchesne vendait des véhicules à Orly.

[119] Dans le cas des chèques payables à Succès, le témoin ne connaissait pas la personne qui lui apportait les chèques; il ne savait pas non plus si elle était représentante de Succès ou à qui il remettait l'argent.

[120] Il a reconnu un chèque de 5 000 $ émis à l'ordre de McGovern Export Incorporée et un autre chèque au porteur de 5 000 $ qui a été endossé par Shawn McGovern. Il a admis avoir signé ces chèques, mais il ne savait pas quel était leur objet.

[121] Le témoignage de ce témoin était très insatisfaisant. Il contient toutefois suffisamment de faits qui méritent d'être acceptés pour qu'on puisse conclure sans risque d'erreur qu'il fournissait à Orly le même service que les autres témoins, c'est-à-dire le dépôt de chèques faits par Orly à l'ordre de compagnies comme Succès, l'obtention de traites de banque payables à des concessionnaires et la remise de la différence (moins les 100 $ par opération) à la personne qui lui a apporté le chèque. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que cette personne était habituellement Shawn McGovern ou Bob Robichaud ou un autre représentant d'Orly.

[122] Avant de résumer le témoignage du témoin Serge Létang, je mentionnerai brièvement celui de Mme Linda Turcotte, l'enquêteuse de Revenu Québec, qui était le principal témoin de l'intimée et incontestablement l'instigatrice de la cotisation. Son interrogatoire et son contre-interrogatoire ont été longs. À mon avis, elle était un témoin crédible et impressionnant. Sa connaissance des opérations et la façon dont elle a organisé les dossiers étaient formidables. Elle a mené son enquête de façon compétente dans des conditions difficiles. Je ne tenterai pas d'examiner son témoignage en détail. L'ajout d'une centaine de pages aux présents motifs serait inutile. Une grande partie de son témoignage est résumée dans un ensemble d'annexes déposées sous les cotes I-41, I-42, I-43, I-44, I-85, I-193, I-292, I-297, I-313, I-320, I-366, I-398, I-405, I-437 et I-461. Ces annexes résument les renseignements obtenus à l'égard de chaque véhicule, soit la marque, le modèle, le numéro de stock et le prix, ainsi que le nom de la personne figurant sur la facture et d'autres renseignements.

Serge Létang

[123] Serge Létang est inscrit auprès de la North American Indian Nation, ce qui, selon son témoignage, est plus important que d'être un Indien de plein droit. Il n'est pas nécessaire d'examiner la distinction précise entre les deux termes pour les besoins de la présente affaire. Il est également membre de la Long House, ce qui, au sein de la communauté des Indiens de l'Amérique du Nord, lui confère un statut important. Il a déclaré qu'en ce moment, il travaille pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Il s'est rendu à une vente aux enchères de voitures avec un ami, Shane Pement, pour acheter un camion. Il y a rencontré certaines personnes, dont une qui s'appelait « Bob » , qui lui a demandé s'il vivait dans la réserve. Il a par la suite reçu un appel téléphonique d'une personne qu'il croyait être liée à Orly. On lui a demandé s'il voulait acheter des voitures et lui a dit qu'il recevrait deux ou trois cents dollars pour chaque voiture qu'il achèterait. Tout ce qu'il avait à faire était de signer le contrat. Il a signé des contrats pour l'achat de deux voitures. L'une a été achetée à Crystal Plymouth Chrysler et l'autre à Desmeules Dodge Chrysler. Selon les registres de la SAAQ, ces deux voitures ont été immatriculées au nom de Serge Létang puis au nom de 2844.

[124] M. Létang n'était pas au courant de ces immatriculations ni des opérations décrites dans les factures établies par 2844 à l'intention d'Orly. En effet, il ne savait rien de ce qui est arrivé aux véhicules une fois qu'il a signé le contrat chez le concessionnaire. Il a dit ceci : [traduction] « La seule chose que nous savions, c'est que nous signions le contrat et nous partions » .

[125] Lui-même et Shane Pement ont pris part aux opérations dans le cadre desquelles ils ont signé des contrats. Il a déclaré qu'il s'inquiétait de ce que les véhicules soient immatriculés à son nom, car il pouvait y avoir un accident. On lui a dit à l'époque qu'ils ne le seraient pas. Cependant, comme nous l'avons vu, ils l'ont été, quoiqu'il ne l'ait pas su à ce moment-là. Il s'inquiétait également du fait que si le véhicule n'était pas livré dans la réserve, il pourrait devoir payer des taxes. On lui a dit de ne pas s'inquiéter. Il n'est pas parti avec les véhicules. On venait les chercher avec une dépanneuse.

[126] Il semble que lui-même et Shane Pement aient participé à des contrats portant sur plus de 30 véhicules. Comme certains des Indiens se trouvaient sur la liste noire des fabricants d'automobiles, M. Létang, qui avait également travaillé pour le ministère de la Consommation et des Affaires commerciales, a aidé à constituer en personne morale un certain nombre de sociétés, comme la Zadinongha Fishing Club ou Gatineau Aventura. Un grand nombre de ces compagnies ont été constituées en personne morale sous le nom de M. Pement avec l'aide de M. Létang. Elles étaient la propriété de la bande et, à tort ou à raison, l'exonération de la TVP et de la TPS s'appuyait sur ce droit de propriété. Il a indiqué dans son témoignage que parfois « Bob » de chez Orly venait donner à M. Pement l'argent pour couvrir les frais de constitution en société.

[127] Comme M. Létang l'a indiqué dans son témoignage, signer le contrat et recevoir l'enveloppe contenant les deux ou trois cents dollars payés pour cela était une affaire de deux minutes. Il savait que cela pouvait permettre d'économiser des milliers de dollars et qu' « ils » (probablement Orly) « nous » (les Indiens) utilisaient [traduction] « pour acheter des voitures afin d'éviter de payer de la taxe, c'est aussi simple que ça » .

[128] Lui-même et M. Pement sont allés chez une quarantaine de concessionnaires. M. Létang s'est rendu chez des concessionnaires en compagnie d'autres Indiens qui devaient signer des contrats. Ils recevaient un appel, et on leur disait de se rendre chez un concessionnaire particulier, et le contrat était au nom d'une personne précise. Leur contact avec Orly se faisait principalement par l'intermédiaire de « Bob » , qui leur fournissait les instructions quant à l'endroit où aller et à quel nom les contrats seraient établis. « Bob » leur a également payé de 200 $ à 300 $ pour chaque véhicule.

[129] Le témoignage de M. Létang m'apparaît crédible. Il est vraisemblable et je l'accepte. Il était important puisqu'il décrivait la façon dont l'exonération accordée par la Loi sur les Indiens a été utilisée pour éviter le paiement de la TPS.

[130] J'en viens maintenant au résumé de mes conclusions de fait et de droit. Essentiellement, la présente affaire est un cas d'espèce. Les principes de droit sont relativement simples. Ils peuvent être ainsi résumés :

a)        Si vous payez la TPS à un concessionnaire autorisé et que ce dernier ne la remet pas au gouvernement, celui-ci ne peut la récupérer auprès de vous. C'est le principe qu'établit la décision Airport Auto Ltd., précitée.

b)       Le principe de la décision Airport Auto Ltd. ne s'applique pas si vous êtes complice de fraude ou de collusion.

c)        Si la TPS n'est pas payée ni payable, vous n'avez pas droit à un CTI.

[131] Selon l'appelante, les factures pour les 307 véhicules sont des documents authentiques démontrant des ventes véritables à Orly par des personnes indiquées comme vendeurs sur les factures. L'appelante soutient en outre que les paiements faits dans des comptes bancaires autres que ceux des personnes indiquées comme vendeurs se faisaient à la demande de ces dernières. Enfin, elle soutient que les montants indiqués sur les factures à titre de TPS ou de TVP ont été payés à ce titre aux personnes indiquées comme vendeurs, et Orly n'avait pas à s'assurer que les montants indiqués à titre de taxe étaient payés aux autorités fiscales appropriées.

[132] Selon l'intimée, les factures étaient fausses et Orly était complice d'un stratagème consistant à demander le remboursement de TPS qui n'a jamais été payée. À l'appui de cette théorie, l'intimée a appelé comme témoins un grand nombre de personnes qui niaient avoir vendu des véhicules à Orly ou qui ne pouvaient se souvenir de l'avoir fait.

[133] L'appelante prétend que le témoignage de MM. Doherty, McGovern et Stephen Kisber ainsi que les factures constituent une preuve prima facie des opérations et du paiement de la taxe. Les avocats de l'appelante ont soulevé un certain nombre de lacunes dans le témoignage des témoins de l'intimée et ont prétendu qu'à la lumière de ces lacunes dans la preuve de l'intimée, la preuve prima facie de l'appelante n'a pas été réfutée.

[134] Tout au long des présents motifs, j'ai mentionné, à plusieurs reprises, la nature insatisfaisante du témoignage de certains des témoins de l'intimée. D'un autre côté, la preuve présentée au nom de l'appelante était loin d'être convaincante, ce qui fait que la preuve prima facie que l'intimée, selon l'appelante, n'a pas réfutée, est elle-même plutôt fragile.

[135] Le fait que certains aspects du témoignage d'un témoin ne sont pas satisfaisants ne signifie pas que le témoignage doit être rejeté dans son ensemble. Dans un cas comme celui qui nous occupe, lorsque la preuve est à la fois complexe et contradictoire, le juge des faits doit s'efforcer de parvenir à des conclusions fondées sur la preuve dans son ensemble. Cela impliquera, de toute évidence, l'examen du comportement des témoins ainsi que l'appréciation de la vraisemblance ou de l'invraisemblance des témoignages à la lumière d'autres éléments de preuve. Le témoin Mme Turcotte a parlé à plusieurs occasions d'un « pattern » (façon habituelle de faire). Fonder des conclusions de fait sur un système ou un type habituel de comportement, un modus operandi si l'on préfère, est quelque chose qui doit se faire avec précaution. D'abord, il doit y avoir une preuve convaincante qu'une façon habituelle de faire existe. Ensuite, la Cour doit prendre garde de se fonder de façon excessive sur la façon habituelle de faire simplement comme moyen de combler des lacunes présentes dans la preuve, même si cela peut jouer un rôle limité à cet égard. Ce qui est important c'est que la détermination et la formulation d'une façon habituelle de faire peuvent être utilisées comme pierre de touche pour vérifier les conclusions de fait. Si elles sont compatibles avec une façon habituelle de faire, elles ont plus de chances d'être exactes. Inversement, il convient d'être sceptique à l'égard de conclusions de fait qui ne sont pas compatibles avec une façon générale de faire. Bien entendu, je ne parle pas de la preuve de faits similaires du droit criminel, sur laquelle il existe un grand nombre de décisions. Tenir compte d'une façon habituelle de faire aux fins quelque peu limitées que j'ai indiquées ci-dessus, pour s'aider dans des affaires civiles, à formuler ou à vérifier des conclusions de fait, est, à mon avis, approprié dans la mesure où on ne va pas trop loin. Dans des affaires civiles, les tribunaux ont considéré la preuve de l'existence d'un système ou d'une méthode comme probante sur diverses questions, comme l'indiquent Sopinka, Lederman et Bryant, dans Evidence, deuxième édition, aux pages 592 à 604.

[136] Les conclusions de fait auxquelles je suis parvenu, et j'en ai déjà mentionné certaines dans les présents motifs, sont les suivantes :

a)                  Les vendeurs figurant sur les factures destinées à Orly n'étaient pas les vrais vendeurs des véhicules, et les factures ne représentaient pas de véritables opérations. Il y a tout simplement trop d'éléments de preuve indiquant que les signatures n'étaient pas celles des personnes dont les noms y figuraient. Un grand nombre des personnes qui possédaient ou représentaient des compagnies indiquées comme vendeurs sur les factures ont nié avoir vendu des véhicules à Orly et ont déclaré qu'elles ne connaissaient pas Jim Doherty, Shawn McGovern ou Bob Robichaud. L'intimée n'a pas appelé les représentants de toutes les personnes indiquées comme vendeurs, mais elle en a appelé suffisamment pour que je trouve dangereux de me fier à l'authenticité d'une quelconque facture. En outre, je crois qu'il est révélateur qu'Orly n'a appelé personne qui travaillait pour une des compagnies indiquées comme vendeurs.

b)       La TPS figurant sur les factures, bien qu'il s'agisse d'un calcul mathématique correct, n'était pas censée être payée à titre de TPS. Elle devait être versée dans les comptes bancaires des personnes indiquées comme vendeurs ou de tiers.

c)        Les comptes bancaires n'étaient qu'un lieu de dépôt temporaire des montants indiqués comme le prix d'achat plus la taxe. Ces fonds ont été utilisés pour payer aux concessionnaires le prix des véhicules figurant sur les contrats conclus entre des Indiens et les concessionnaires. Le reste était payé à Orly ou à des représentants d'Orly, comme Shawn McGovern ou Bob Robichaud, moins le montant payé aux nombreuses personnes qui rendaient les comptes bancaires disponibles et se livraient, selon les directives d'Orly et au bénéfice de cette dernière, à l'entreprise d' « échange de chèques » .

d)       Les contrats conclus entre les concessionnaires et les Indiens ne représentaient pas des opérations véritables. Ils n'étaient que des contrats de complaisance servant à créer l'illusion de ventes exonérées de taxes en vertu de la Loi sur les Indiens. Les Indiens n'ont jamais pris possession des véhicules (à l'exception de Gilles Caron, qui en a livré quelques-uns à Orly) et ils ne les ont pas payés. Orly les a payés au moyen des comptes bancaires dans lesquels les fonds figurant sur les factures à titre de prix d'achat plus la taxe étaient déposés.

e)        Orly a conservé le contrôle des véhicules à partir du moment où ils sont partis de chez le concessionnaire jusqu'à ce qu'ils soient exportés ou vendus au pays.

f)        Il n'a jamais été question que le titre des véhicules soit transféré des concessionnaires aux Indiens dont les noms figuraient sur les contrats conclus avec les concessionnaires. L'élément des opérations était que les concessionnaires vendaient des véhicules à Orly sans que la taxe de vente ne soit payée.

[137] Je fonde ces conclusions sur un certain nombre de considérations; j'en ai déjà mentionné certaines dans les présents motifs et d'autres sont présentées ci-dessous :

(i)                 Le fait qu'Orly prétend ne s'être intéressée aucunement aux personnes à qui elle versait apparemment des millions de dollars ou à celles dans les comptes bancaires desquelles elle versait l'argent est plus qu'étrange. On pourrait penser qu'un concessionnaire qui achetait des centaines de véhicules à différents vendeurs serait à tout le moins un peu curieux quant à l'identité des vendeurs et quant à savoir où l'argent allait. La seule façon dont l'apparente absence de curiosité peut être rationnellement expliquée en conformité avec le bon sens, la logique et la réalité est qu'Orly, par l'entremise de ses employés ou cadres, particulièrement Jim Doherty et Shawn McGovern, savait exactement qui étaient ces personnes - celles-ci n'agissaient pas de complaisance; certaines d'entre elles savaient quel rôle on leur faisait jouer et d'autres l'ignoraient. Je ne suis pas naïf au point de penser qu'Orly ne savait pas ce qui se passait dans le cadre de ce stratagème où des millions de dollars étaient en cause, stratagème qu'elle avait elle-même conçu.

(ii)               La rentabilité économique d'au moins certaines des transactions, du point de vue d'Orly, tenait à ce qu'elle conserve la TPS et la TVP et qu'elle demande des CTI à l'égard de la TPS.

(iii)             Le paiement à un grand nombre de personnes de frais pour l'échange de chèques - un processus selon lequel un chèque était déposé dans le compte bancaire du prétendu vendeur ou d'un tiers, une traite de banque ou un chèque certifié payable à un concessionnaire et d'un montant correspondant à celui indiqué sur le contrat conclu entre le concessionnaire et un Indien, était obtenu, et la différence, moins les frais susmentionnés, était remise en liquide ou par chèque au messager - est totalement incompatible avec l'achat et la vente normaux de véhicules. En fait, c'est bizarre.

(iv)             Il n'y a absolument aucune preuve d'un transfert du titre des véhicules par les Indiens ou les concessionnaires aux différentes personnes dont le nom figurait sur les factures. Au procès, je n'ai pas vu un seul contrat de vente, une seule facture ni un seul autre document transférant le titre aux vendeurs dont le nom figurait sur les factures destinées à Orly. On s'attendrait, si les factures destinées à Orly représentaient de véritables ventes par de véritables vendeurs, et compte tenu des allégations des autorités fiscales selon lesquelles les factures sont fausses, à ce que l'appelante se soit efforcée de s'assurer que les prétendus vendeurs, qui sont parfois appelés « concessionnaires secondaires » , avaient le titre. Il y a un vide, ou peut-être des vides, entre les concessionnaires agréés et les « concessionnaires secondaires » . Des contrats ont été conclus entre les concessionnaires et les Indiens, qui ne représentent pas, à mon avis, des rapports juridiques véritables. La piste disparaît là, et nous ne la retrouvons qu'au stade où les concessionnaires secondaires vendaient prétendument les mêmes véhicules à Orly. L'absence de tout indice d'une commercialité normale est incompatible avec l'authenticité de l'ensemble de la structure dont l'appelante cherche à établir l'existence. Essentiellement, les concessionnaires vendaient des véhicules à Orly sans facturer la TPS, et les contrats conclus avec les Indiens ainsi que les factures des « concessionnaires secondaires » destinées à Orly n'étaient qu'une façade.

(v)               Même si le témoignage de certains des témoins de l'intimée était plutôt faible, prise dans son ensemble, la preuve de l'intimée représente un obstacle imposant à l'acceptation du témoignage de M. Doherty et de celui de M. McGovern. De graves allégations de falsification de documents et de signatures ainsi que de détournement de fonds, apparemment pour la TPS, en faveur d'Orly, ont été formulées. Pourtant, on n'a pas tenté d'y répondre en étayant l'assertion de l'appelante selon laquelle les opérations étaient authentiques et que la TPS a véritablement été payée. Je ne critique pas les avocats de l'appelante. Leur présentation de la cause de cette dernière a été très adroite et professionnelle, mais ils ne disposaient tout simplement pas des preuves voulues.

[138] Compte tenu de la preuve, je conclus que l'appelante n'a pas établi que les opérations figurant sur les factures destinées à Orly représentaient des ventes authentiques ou que les montants de TPS figurant sur les factures étaient réels ou ont été payés à titre de TPS ou représentaient de la TPS, ou étaient censés être payés à titre de TPS. Comme je conclus qu'aucune TPS n'a été payée, l'appelante n'a pas droit aux CTI qu'elle a demandés et qui lui ont été versés à l'égard des 307 véhicules en litige, à l'exception du véhicule acheté à Ile-Perrot Toyota, portant le numéro de stock d'Orly 6-388.

[139] Étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenu sur les faits, je n'ai pas à me pencher sur l'argument selon lequel le gouvernement ne poursuit pas les bonnes personnes, soit les concessionnaires franchisés, les Indiens ou les personnes indiquées comme vendeurs sur les factures. La présente affaire soulève essentiellement des questions de fait et, peu importe les conclusions de fait qui ont pu avoir influé sur les décisions dans d'autres cas, Orly participait à un stratagème consistant à demander des CTI à l'égard de TPS qu'elle n'a pas payée et qu'elle n'avait pas l'intention de payer. Cela suffit pour trancher la présente affaire. Le fait qu'il peut y avoir un grand nombre de personnes en amont qui auraient dû payer la taxe change rien au fait que l'appelante n'a pas payé la TPS, n'avait pas l'intention de le faire, et n'a pas droit aux CTI.

[140] L'avis d'appel dit seulement que la TPS avait été payée. On n'y fait pas valoir à titre subsidiaire que la TPS était payable. L'article 169 de la L.T.A. exige que, pour que les CTI puissent être demandés, la taxe soit devenue payable à l'égard de la fourniture. L'appelante, dans son avis d'appel, a choisi de faire reposer son argumentation carrément sur le fait qu'elle avait payé la TPS. Au pir soutenu que, même si je concluais que la taxe n'avait pas été payée parce que les factures étaient des supercheries, elle est néanmoins devenue payable aurait constitué implicitement une admission que la prémisse même sur laquelle repose la cause de l'appelante était erronée. On a tout de même fait valoir que la taxe était devenue payable et que l'appelante avait donc droit aux CTI demandés.

[141] Cela soulève plusieurs questions. Si les contrats conclus avec les Indiens et les factures provenant des « concessionnaires secondaires » ne constituent pas une preuve de rapports juridiques valables, à quel moment la fourniture a-t-elle été effectuée et à quel moment la taxe est-elle devenue payable?

[142] L'appelante s'est fondée sur la décision du juge Archambault dans l'affaire Ventes d'Auto Giordano Inc. c. R., C.C.I., no 1999-1170(GST)G, 9 mars 2001 ([2001] G.S.T.C. 37), où il a déclaré ce qui suit :

[...] La TPS était « payable » pour ce qui est de tous les véhicules, peu importe que nous considérions que GAS ait acheté ses 19 véhicules de CAM ou, comme l'a allégué l'intimée, qu'elle ait acheté ces véhicules de concessionnaires d'automobiles en vertu d'un mandat donné à des Autochtones. GAS n'a pas le droit d'être exonérée en vertu de la Loi ou de la Loi sur les Indiens, et la TPS était payable en ce qui a trait aux fournitures qu'elle avait acquises de n'importe quel fournisseur. Et c'est tout ce qu'exige le paragraphe 169(1) de la Loi. Le fait que la TPS ait pu ne pas avoir été payée n'est pas pertinent.

[143] Les avocats de l'intimée ont cité le commentaire suivant de David Sherman portant sur le passage ci-dessus :

                   [traduction]

Selon la Couronne, il n'y avait pas eu véritablement d'achat et de vente par le courtier, mais ce dernier agissait comme « prête-nom » ou représentant de Giordano. Ainsi, selon la théorie de la Couronne, on n'a jamais facturé à Giordano la TPS. Malheureusement, la Cour a décidé qu'elle n'avait pas à déterminer si c'était le cas. Le juge Archambault a déclaré au paragraphe 47 que même si les Autochtones agissaient à titre de représentants de Giordano : « les factures émises par les concessionnaires d'automobiles devenaient ensuite des factures pour [Giordano]. Ces factures fournissent les renseignements suffisants pour établir le montant de CTI pouvant être demandé par [Giordano] » . Avec égards, cette analyse ne peut être correcte. Si Giordano utilisait réellement les factures émises par les concessionnaires aux Indiens, alors ces factures n'indiquaient pas la TPS et ne respectaient pas les exigences documentaires du sous-alinéa (3)b)(iii) du Règlement selon lequel le montant de la taxe doit être indiqué!

[144] Je n'ai aucune difficulté à accepter la proposition selon laquelle on a droit à un CTI lorsque la TPS est payable à l'égard d'une fourniture mais qu'elle n'a pas été payée, dans un cas où l'on accepte de bonne foi qu'on doit la payer. Là où je trouve le raisonnement proposé par l'appelante plutôt problématique est dans le cas où le contribuable n'admet pas qu'il n'a pas payé la taxe mais prétend néanmoins qu'à un certain moment non précisé une fourniture a été effectuée à son profit et que l'obligation de payer la taxe en a découlé. J'aurais cru que lorsque la demande de CTI repose sur l'obligation de payer, le contribuable devrait indiquer clairement et avec précision de qui il obtenait la fourniture, quelle en était la contrepartie et quel devrait être le montant de taxe. C'est essentiellement là l'objet du paragraphe 169(4) et du règlement pris en vertu de ce paragraphe. Comme on fait son lit on se couche: l'appelante, à mon avis, a fait son lit et elle doit en accepter les conséquences. Acceptant, comme je le fais, que l'intimée avait le fardeau d'établir que l'appelante ne s'est pas conformée au paragraphe 169(4), je crois qu'elle s'est acquittée de ce fardeau.

[145] Lorsqu'un contribuable reçoit une fourniture taxable dans une véritable transaction et que la TPS devient payable, le montant qui devient payable à titre de TPS figure dans le calcul du CTI dans la formule A X B du paragraphe 169(1), même si le paiement lui-même n'est pas fait à ce moment-là. Cependant, lorsque la transaction sur laquelle la demande du CTI est basée est un trompe-l'oeil et que l'argent qui aurait été payé à titre de TPS ne devait jamais être traité ou payé comme de la TPS mais, au contraire, est simplement rendu au demandeur par l'entremise d'un compte bancaire qui est essentiellement contrôlé par le demandeur, ceci, à mon avis, empêche le demandeur de baser la demande de CTI sur l'assertion que la taxe est devenue payable.

[146] Le calcul de la taxe nette selon l'article 225 de la L.T.A. exige l'utilisation d'une formule selon laquelle est déduit du montant de la TPS percevable ou perçue le montant des CTI déterminé selon le paragraphe 169(1), pour arriver à un solde positif ou négatif. C'est ce solde qui détermine le droit d'une personne à un paiement ou, le cas échéant, son obligation de faire un paiement. Dans ce calcul, il est évident que la question de savoir si un montant est payable ou percevable (et non pas nécessairement payé ou perçu) doit être un élément essentiel pour que le système fonctionne bien. Il est nécessaire que ce système soit fondé sur l'existence de transactions véritables. Si les transactions sur lesquelles une demande est basée sont fictives et que l'on essaie, quand la fiction est découverte, de formuler une nouvelle théorie justifiant le droit aux CTI, théorie fondée sur une hypothèse qui jusque-là n'a jamais été articulée, et dans l'application de laquelle l'hypothèse originale est tout simplement supprimée, cela flanque la pagaille dans le fonctionnement harmonieux du système et mène à un résultat que cette cour, à mon avis, ne doit pas sanctionner.

[147] Si le contribuable base sa demande de CTI entièrement sur une structure qui est un trompe-l'oeil et si cette structure s'écroule, le contribuable a-t-il le droit de fonder une nouvelle demande sur ce qu'il prétend est une nouvelle réalité qui naît, comme le phénix, des cendres de la justification originale de sa demande? J'aurais préféré dire que cela lui est juridiquement imposible selon un principe voulant que la tromperie originale l'empêche d'invoquer un nouvel état de choses qui ne se présente qu'une fois la tromperie découverte. Le principe est sans doute solide du point de vue du bon sens et de la justice. Cependant, je me borne à faire observer que les obstacles en matière de preuve à la création, après l'effrondrement complet de la théorie originale, d'une nouvelle théorie diamétralement opposée à celle-là, que le contribuable a avancé avec acharnement jusqu'au bout, sont presque insurmontables. Ils n'ont pas été surmontés ici.

[148] En ce qui concerne la taxe de 69 287,55 $ sur ce qui étaient, selon l'intimée, des ventes non déclarées, je ne crois pas que l'appelante ait présenté de preuve pour réfuter l'hypothèse sur laquelle cette partie de la cotisation est fondée et, en conséquence, cette taxe doit être maintenue.

[149] De plus, des pénalités ont été imposées en vertu des articles 280 et 285. La contestation des pénalités imposées en vertu de l'article 280 nécessite que l'appelante démontre qu'elle a fait preuve de diligence raisonnable. Elle ne l'a pas fait.

[150] L'intimée doit prouver le bien-fondé de la pénalité imposée en vertu de l'article 285. Il s'agit d'un fardeau civil, mais il comporte une norme de preuve un peu plus rigoureuse. Dans l'affaire Klotz v. The Queen, 2004 DTC 2236, j'ai cité la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Urpesz c. La Reine, C.C.I., no 2000-3574(IT)I, 22 mai 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2256) aux pages 2559 à 2661 :

Il se trouve que la jurisprudence portant sur cette branche du droit est abondante. On peut débuter avec les nombreuses pages suivant le paragraphe 163(2) de la Loi dans le Canadian Tax Reporter de CCH ou le Canada Tax Service de DeBoo. Une affaire récente est celle intitulée Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, C.A.F., no A-542-94, 18 janvier 1996 (96 D.T.C. 6085), dans laquelle la Cour d'appel fédérale a confirmé une décision de cette cour (C.C.I., no 92-2597(IT)G, 16 septembre 1994 (95 D.T.C. 200)). Aux pages 11, 12 et 13 (D.T.C. : aux pages 205 et 206), cette cour a déclaré ceci :

Je suis conscient que le sous-alinéa 152(4)a)(i) a pour objet d'ouvrir les déclarations qui s'appliquent à des années frappées de prescription quand, pour toutes sortes de raisons, les éléments de revenu sont omis ou présentés de façon erronée, alors que le paragraphe 163(2) est une disposition pénale et que, si, au moment de l'appliquer, le type de conduite à laquelle est attribuable la présentation erronée des faits soulève un doute, il faudrait accorder le bénéfice du doute au contribuable. Dans l'affaire Udell v. M.N.R., 70 D.T.C. 6019, le juge Cattanach déclare ce qui suit, à la page 6025 du recueil :

[traduction]

Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) est une disposition de nature pénale. Lorsque l'on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des propos inattaquables de lord Esher dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le libellé d'une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d'une interprétation qui mènerait à l'imposition de la pénalité prévue, et d'une autre qui n'y mènerait pas, c'est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu'il dit à la page 638 :

Il faut interpréter cette disposition avec grand soin car elle mène à l'imposition d'une pénalité. S'il existe une interprétation raisonnable qui permettra d'éviter la pénalité dans une cause particulière, c'est celle-là qu'il faut retenir.

et, ajoute-t-il, à la page 6026 du recueil :

Il est clair selon moi que lorsqu'il est question d'imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s'il existe un doute raisonnable il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l'on cherche à imputer le montant en question.

       Voir aussi Holley v. M.N.R., 89 D.T.C. 366, à la p. 369; De Graaf v. The Queen, 85 D.T.C. 5280.

       Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses [3]. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité [4]. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

_________________
[3]    Voir Continental Insurance Co. v. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; 131 D.L.R. (3rd) 559; 25 C.P.C. 72, le juge en chef Laskin, p. 168-171; D.L.R. 562-564; C.P.C. 75-77; Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, p. 459; Pallan et al. v. M.N.R. 90 D.T.C. 1102, p. 1106; W. Tatarchuk Estate v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2440, p. 2443.

[4]    Il ne s'agit pas simplement d'une extrapolation de la règle énoncée dans l'affaire Hodge's Case (1838) 2 Lewin 227; 168 E.R. 1136, qui se rapporte à des questions de nature criminelle comme celle que vise, par exemple, l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui requiert une preuve au-delà du doute raisonnable. Il s'agit simplement d'une application du principe selon lequel une pénalité ne peut être imposée que dans les cas où la preuve le justifie clairement. Si cette dernière est compatible avec, à la fois, l'état d'esprit qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) et l'absence de cet état d'esprit - j'hésite à employer les mots innocence ou culpabilité dans ces circonstances - cela voudrait dire que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau qui pesait sur ses épaules.

Deux décisions rendues par le juge Strayer dans les affaires Venne c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 D.T.C. 6247) et De Graaf c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-5291-80, 3 mai 1985 (85 D.T.C. 5280) m'ont été très utiles sur cette question. Aucune de ces affaires n'a été mentionnée par l'avocat.

À la page 19 (D.T.C. : à la page 6256) de l'affaire Venne, le juge Strayer déclare ce qui suit :

       Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. Je ne conclus pas à l'existence d'un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n'a pas fait preuve de la prudence d'un homme raisonnable et, comme je l'ai déjà fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ses déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n'allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

[151] Il s'agit en l'espèce, à mon avis, d'un cas où il convient d'imposer des pénalités relativement à la réclamation de CTI. Selon moi, Orly, par l'entremise de Jim Doherty, a sciemment demandé des CTI auxquels elle n'avait pas droit.

[152] Il semble qu'aucune pénalité n'a été imposée en ce qui a trait au montant de 69 287,55 $ de TPS non déclarée.

[153] L'appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation et nouvel examen afin de donner effet à la concession de l'intimée relativement au véhicule portant le numéro de stock d'Orly 6-388, de réduire le montant de CTI refusé de 41 889,05 $ mentionné au paragraphe 3 des présents motifs à 39 159,05 $ et de rajuster les pénalités en conséquence.

[154] L'intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'avril 2004.

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef adjoint Bowman


CITATION :                                                 2004CCI86

No DU DOSSIER DE LA COUR :                98-431(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Les Voitures Orly Inc./

Orly Automobiles Inc., et

Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                         Du 2 au 27 juin 2003; les 14, 15, 16, 17, 20, 21 et 22 octobre 2003;

les 1, 2, 3, 4 et 5 décembre 2003 et les 19 et 20 janvier 2004.

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                  l'honorable juge en chef adjoint

D.G.H. Bowman

DATE DU JUGEMENT :                              le 22 avril 2004

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :                       Me François Barette

                                                          Me Mathieu Bouchard

Avocats de l'intimée :                           Me Pierre Zemaitis

                                                          Me Michel Dansereau

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :                              François Barette/Mathieu Bouchard

                   Nom :                     Davies Ward Phillips & Vineberg

                   Étude :                             1501 McGill College, 26e étage

Montréal (Québec) H3A 3N9

Pour l'intimé(e) :                                  Morris Rosenberg

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Voir Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services (Canada), [1992] 2 R.C.S. 445, au paragraphe 4.

                Aucune taxe n'est payée par le consommateur final sur les fournitures exonérées et les fournitures détaxées. Toutefois, en ce qui a trait aux fournitures exonérées, le vendeur, tout en payant la TPS sur les achats, n'a pas le droit à un crédit de taxe sur les intrants. En conséquence, dans le cas des fournitures exonérées, la TPS est payée au gouvernement fédéral à l'avant-dernière étape dans la chaîne de production plutôt que par le consommateur final. En principe, les fournitures détaxées entraînent la TPS de la même manière que toute autre fourniture taxable tout au long de la chaîne de production jusqu'au consommateur final. Toutefois, le consommateur paye une taxe établie à « 0 p. 100 » et les fournisseurs ont droit au crédit de taxe sur les intrants, de manière que le gouvernement fédéral ne retire de recette nette de la production et la vente de ces produits à aucune étape de la chaîne de production.

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