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Dossier : 2003-3931(EI)

ENTRE :

ALBERT BISEAU,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Appel entendu le 21 mars 2005 à Bathurst (Nouveau-Brunswick).

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Basile Chiasson

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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JUGEMENT

L'appel est rejeté, et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour d'avril 2005.

« François Angers »

Le juge Angers

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d'octobre 2005.

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2005CCI254

Date : 20050414

Dossier : 2003-3931(EI)

ENTRE :

ALBERT BISEAU,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Cet appel vise une décision du ministre du Revenu national (le ministre) selon laquelle l'appelant n'a pas exercé un emploi assurable auprès de la D.L. Logging Express Ltée (le payeur) pour la période allant du 22 octobre 2001 au 26 janvier 2002 (la période), car il n'a pas été engagé aux termes d'un contrat de louage de services au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la Loi).

[2]      Les faits qui suivent ne sont pas contestés. L'entreprise du payeur consiste à acheter des grumes, ainsi qu'à les vendre et à les camionner à différentes usines de la région de Tracadie. Pendant toute la période en cause, l'appelant était propriétaire de terres sur lesquelles il coupait du bois et il était libre de vendre du bois à d'autres acheteurs que le payeur. Le payeur avait consenti à acheter de l'appelant du bois qui avait déjà été coupé et acheminé aux abords de la route, et qui était prêt à livrer à l'usine. Pour la période en cause, le payeur a délivré à l'appelant un relevé d'emploi faisant état de 14 semaines de travail et d'une rémunération hebdomadaire de 650 $ pour 60 heures de travail par semaine.

[3]      Selon le ministre, le montant indiqué comme rémunération dans le relevé d'emploi de l'appelant est en réalité un montant payé pour l'achat de bois. Selon les bordereaux de mesurage, le prix de vente du bois était de 7 801 $, ce qui est inférieur aux 9 100 $ indiqués comme rémunération dans le relevé d'emploi. Le ministre est d'avis que l'appelant n'a pas reçu tout le montant déclaré comme rémunération. En outre, le ministre fait valoir que le payeur ne supervisait pas l'appelant, qu'il ne contrôlait pas la quantité de bois coupé et vendu par l'appelant, qu'il ignorait le nombre d'heures travaillées et qu'il ne savait pas qui coupait effectivement le bois qu'il achetait de l'appelant.

[4]      L'appelant conteste tout ce qui précède et avance que le payeur et lui avaient conclu deux ententes. Une de ces ententes prévoyait la vente du bois de l'appelant au payeur, et l'autre était un contrat d'emploi selon lequel l'appelant devait agir comme opérateur de « porteur d'arbres » pour le compte du payeur. Le payeur versait à l'appelant une rémunération pour le travail effectivement accompli, et non pas, comme le pense le ministre, une contrepartie pour le bois acheté, contrepartie déguisée et payée sous forme de rémunération.

[5]      L'appelant a produit une entente conclue avec le payeur en date du 18 octobre 2001. L'entente est rédigée en français et se lit comme suit :

Par cette entente le propriétaire Albert Biseau accorde à D.L. Logging Express le droit de coupe sur le terrain PID # 20609830 pour une période de 3 ans. Et par le fait même le propriétaire s'engage à travailler pour D.L. Logging Express pour faire la coupe aux mêmes conditions que les autres bûcherons. [...]

[6]      L'entente est signée par le payeur et par l'appelant. Aux termes de cette entente, le payeur se voit accorder un permis de couper du bois sur les terres de l'appelant pour une période de trois ans, et l'appelant s'engage à travailler pour D.L. Logging comme coupeur de bois, aux mêmes conditions que les autres coupeurs de bois. C'est cette entente qui est à l'origine de ce qui s'est passé pendant la période en cause. D'après les faits, le numéro PID indiqué dans l'entente n'est pas celui des terres de l'appelant. Il s'agit en fait du numéro d'un lot d'un acre situé dans un lotissement appartenant à un certain Gaétan Chiasson.

[7]      Dans son témoignage, l'appelant a dit avoir travaillé pour le payeur comme opérateur de « porteur d'arbres » pendant la période en cause. Il est allé voir le payeur pour lui demander cet emploi. Il coupait du bois, mais ce qu'il faisait principalement c'est faire fonctionner le « porteur d'arbres » , et ce, pendant des périodes pouvant aller de deux à trois semaines d'affilée. Selon le temps qu'il faisait, l'appelant pouvait travailler de cinq à six jours par semaine, même après la tombée de la nuit. Il recevait sa paie tous les vendredis. Il ne payait aucune des dépenses rattachées au « porteur d'arbres » et il ne savait pas qui en était le propriétaire. Il travaillait dans la région de Tracadie, au Nouveau-Brunswick, et n'utilisait jamais le « porteur d'arbres » sur ses terres, situées sur l'île Miscou. Quand il coupait du bois, il se servait de sa propre scie à chaîne et payait les dépenses s'y rattachant. Le payeur disait à l'appelant où travailler, et lui et l'appelant communiquaient ensemble de deux à trois fois par semaine. L'appelant a dû arrêter à la fin de la période parce qu'il y avait trop de neige. Le nombre de semaines au cours desquelles l'appelant a travaillé correspond au nombre minimum de semaines nécessaires pour toucher des prestations d'assurance-emploi.

[8]      Pendant la période en cause, l'appelant a fait couper du bois sur ses terres à lui. Il a engagé deux coupeurs de bois, qui ont tous deux coupé 75 cordes de bois. L'appelant a vendu ces cordes de bois au payeur. Il a fait transporter le bois, car il n'avait pas le matériel nécessaire pour le faire lui-même. L'appelant a nié que, selon l'entente conclue avec le payeur, il demandait 25 $ la corde pour le bois de pâte, 30 $ la corde pour le bois de colombage et 15 $ la corde pour le transport aux abords de la route.

[9]      L'appelant n'encaissait pas ses chèques de paie toutes les semaines. Il attendait parfois deux semaines ou plus, car la banque était fermée quand il ne travaillait pas. Son épouse allait parfois encaisser les chèques pour lui à la banque ou à un dépanneur entre Tracadie et l'île Miscou, mais elle n'allait pas toujours au même dépanneur.

[10]     Quand l'appelant a été mis en présence du fait que tous les chèques, sauf un, avaient été encaissés au même dépanneur, il a dit qu'il avait reçu d'autres chèques pendant cette période. En fait, il avait reçu des chèques toute l'année et sa réponse s'appliquait à tous ces chèques. Quand il lui a été dit que certains chèques avaient été encaissés 15 semaines après avoir été reçus, il a répondu qu'il ne les encaissait que quand il avait besoin d'argent.

[11]     En fait, l'appelant a reçu 15 chèques de paie pour une période de 14 semaines. Tous les chèques, sauf un, ont été encaissés au même dépanneur. Le premier chèque de paie est daté du 27 octobre 2001. Il a été endossé par l'appelant, mais déposé dans le compte du dépanneur le 4 février 2002, soit 15 semaines après avoir été émis. Tous les autres chèques de paie, comme le montre la pièce R-3, ont été déposés de deux à 15 semaines après la date de leur émission. Trois d'entre eux ont été déposés moins de dix semaines après avoir été émis, et tous les autres, de dix à 15 semaines après avoir été émis.

[12]     Daniel Losier est le propriétaire de D.L. Logging Express Inc. Il a été interviewé par un agent de Ressources humaines Canada le 27 mars 2003, et il a signé une déclaration écrite, dans laquelle il n'a pas pu expliquer pourquoi le numéro PID indiqué dans l'entente était erroné. Dans cette déclaration, il explique que l'appelant coupait du bois sur ses propres terres et que le payeur ne réalisait de profits que sur le transport du bois qu'il achetait de l'appelant; qu'il n'avait pas été payé pour délivrer un relevé d'emploi à l'appelant; que le payeur transportait le bois acheté de l'appelant et qu'il demandait entre 23 $ et 24 $ la corde; que l'usine émettait un chèque à l'ordre du payeur pour le bois qu'elle achetait; que le payeur déduisait le coût du transport du bois et le salaire brut de 650 $ qu'avait demandé l'appelant, puis qu'il versait la somme restante à l'appelant.

[13]     M. Losier a aussi expliqué à l'agent que la valeur du bois acheté était de 25 $ la corde pour le bois de pâte, de 30 $ la corde pour le bois de colombage et de 15 $ la corde pour le transport aux abords de la route. Des bordereaux de mesurage ont été fournis aux agents pour la période allant du 23 octobre 2001 au 15 décembre 2001. Ces bordereaux montrent les achats que le payeur a faits auprès de l'appelant, soit 68,51 cordes de bois de pâte à 25 $, 118,67 cordes de bois de colombage à 30 $ et transport du bois à 15 $ la corde, pour un total de 7 801,10 $.

[14]     Dans son témoignage, M. Losier a dit que l'appelant coupait du bois sur ses propres terres pendant la période en cause. Au début, il ne pouvait pas se souvenir des arrangements, mais, plus tard, il a pu confirmer les prix ci-dessus, selon le genre de bois acheté (bois de pâte ou bois de colombage). Il ne pouvait pas expliquer pourquoi le relevé d'emploi faisait état de 9 100 $ en revenus, et les bordereaux de mesurage, de 7 801,10 $ en ventes. Il a confirmé que l'appelant avait travaillé pour le payeur pendant 14 semaines en 2003 et que le fait que le nombre de semaines était identique à 2002 était une pure coïncidence.

[15]     Selon les bordereaux de mesurage, le payeur a acheté 180,20 cordes de bois de l'appelant. La vente du bois à des usines a rapporté 18 825 $. Déduction faite du coût de transport du bois, à savoir 23 $ la corde, et des 7 801,10 $ payés à l'appelant, il reste 6 800 $. Quand il lui a été demandé où l'argent était allé, M. Losier a répondu qu'il était allé au payeur. Quand il a été mis en présence de sa déclaration, il a répondu que l'argent avait été payé à l'appelant. Si tel était le cas, l'appelant recevait plus de 25 $ ou 30 $ la corde. À ce moment-là, M. Losier n'a pas pu dire comment cet excédent avait été payé à l'appelant.

[16]     Ce n'est que lors du contre-interrogatoire mené par l'avocat de l'appelant que M. Losier a clairement dit que l'appelant avait non seulement accepté de vendre du bois au payeur, mais aussi travaillé comme opérateur de « porteur d'arbres » . Il avait engagé l'appelant, le payait 650 $ par semaine et ne consignait pas ses heures de travail. L'appelant a apparemment travaillé dans la région de Tracadie pendant la période, jamais sur ses propres terres. Quand il lui a été demandé pourquoi il n'avait jamais fourni ces renseignements à l'agent de Ressources humaines Canada, M. Losier a répondu que la question ne lui avait jamais été posée et que l'enquête avait porté sur la coupe de bois sur les terres de l'appelant. Selon M. Losier, il n'y a aucun lien entre la rémunération payée à l'appelant et le bois acheté de l'appelant.

[17]     M. Losier a témoigné qu'il a peut-être dit à l'appelant d'encaisser ses chèques de paie au dépanneur parce que cela lui donnait plus de temps pour faire son propre dépôt, étant donné que son compte n'était pas débité immédiatement. Il n'avait pas d'explication pour les 15 chèques émis et ne pouvait pas expliquer pourquoi un chèque hebdomadaire avait été émis le 21 décembre et un autre, le 22 décembre.

[18]     Il appartient à l'appelant de prouver au moyen d'une prépondérance de probabilités que la décision du ministre, à savoir que l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable auprès du payeur pendant la période en cause, n'est pas fondée et que l'appelant occupait un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

[19]     Il est très difficile, voire impossible, de comprendre la version des faits de l'appelant. Il est aussi difficile de comprendre pourquoi la pièce A-1, soit le contrat, est rédigée en français, car l'appelant a dit ne pas trop bien connaître cette langue. De plus, il est douteux qu'un tel contrat comporte une erreur quant à la propriété pour laquelle un permis de couper du bois a été accordé. Ce qui est encore plus douteux, c'est la raison pour laquelle il fallait qu'un permis de couper du bois sur les terres de l'appelant soit accordé au payeur, dont l'entreprise consiste à acheter du bois, puis à le vendre et à le camionner à différentes usines. Pourquoi était-il nécessaire qu'un permis de couper du bois soit accordé au payeur au moment où l'appelant s'engageait à travailler pour le payeur comme coupeur de bois? L'appelant a témoigné qu'il avait engagé deux personnes pour couper du bois sur ses terres pendant la période en cause, alors que, deux semaines auparavant, il avait accordé au payeur un permis de couper du bois. Pourquoi le contrat mentionne-t-il un emploi de coupeur de bois si l'appelant travaillait comme opérateur de « porteur d'arbres » ? Si l'appelant a été embauché comme opérateur de « porteur d'arbres » , pourquoi le relevé d'emploi (pièce R-2) indique-t-il que l'appelant a été embauché comme ouvrier?

[20]     M. Losier a présenté des preuves selon lesquelles l'appelant a travaillé sur ses propres terres à un moment donné, mais l'appelant a dit qu'il a toujours travaillé comme opérateur de porteur d'arbres. Pourquoi un permis de couper du bois a-t-il été accordé au payeur alors que, selon la preuve présentée par le payeur et par l'appelant, il y avait deux ententes - une pour embaucher l'appelant et l'autre pour acheter du bois de l'appelant?

[21]     M. Losier a fourni beaucoup trop de réponses évasives à ce que je considère être des questions simples. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi 15 chèques avaient été émis au lieu de 14. Il ne pouvait pas non plus expliquer pourquoi l'appelant a reçu deux chèques deux jours de suite alors que, dans son témoignage, il a dit qu'il payait l'appelant toutes les semaines. L'appelant a dit qu'il n'encaissait pas les chèques au même dépanneur et que son épouse le faisait parfois pour lui. Pourtant, tous les chèques, sauf un, ont été encaissés au même dépanneur, et l'épouse de l'appelant n'en a endossé aucun. L'explication de l'appelant selon laquelle il parlait des chèques reçus tout au long de l'année plutôt que des chèques reçus durant la période en cause manque de crédibilité. En effet, il a fait remarquer qu'il encaissait ses chèques de paie longtemps après les avoir reçus parce qu'il ne les encaissait que quand il avait besoin d'argent.

[22]     Le fait qu'une période d'emploi corresponde au nombre de semaines nécessaires pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi ne suffit pas en soit pour conclure qu'il n'y a pas de contrat d'emploi valide. Toutefois, des questions surgissent lorsque, en plus de preuves comme celles qui ont été présentées dans cette affaire, il peut aisément être déterminé que l'appelant et le payeur n'ont pas conclu de contrat de louage de services, mais qu'ils ont plutôt réalisé une opération commerciale factice pour permettre à l'appelant de toucher des prestations d'assurance-emploi.

[23]     Je trouve peu fiables les éléments de preuve présentés par l'appelant et par le payeur. À mon avis, les faits présentés cadrent résolument mieux avec la position du ministre.

[24]     L'appel est rejeté.


Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour d'avril 2005.

« François Angers »

Le juge Angers

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d'octobre 2005.

Joanne Robert, traductrice

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