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Dossier : 2000-1731(IT)G

ENTRE :

LES INSTALLATIONS GMR INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 20 novembre 2002 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Daniel Bourgeois

Avocat de l'intimée :

Me Anne-Marie Boutin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté.

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996 sont accueillis. Les cotisations établies pour les années d'imposition 1993 et 1994 sont annulées. Les cotisations pour les années d'imposition 1992, 1995 et 1996 sont déférées au ministre du Revenu national (ministre) pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis :

i) à l'égard de l'année d'imposition 1992, que la contribuable a droit à une déduction de 70 999,80 $ et que la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi ne s'applique qu'à l'égard du revenu sous-estimé de 10 978,20 $;

ii) à l'égard des années d'imposition 1995 et 1996 :

a) que le montant des dépenses à l'égard des chèques faits à monsieur Tremblay, dont la déduction a été refusée, s'élève à 5 625 $ (au lieu de 7 500 $) pour 1995 et à 5 925 $ (au lieu de 11 850 $) pour l'année 1996 et qu'aucune pénalité ne s'applique à l'égard de ces sommes en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi,

b) que GMR a droit à la déduction de 4 187 $ dans le calcul de son revenu tiré de son entreprise en 1996,

c) que GMR n'a pas le droit à un montant plus élevé que celui que lui a accordé le ministre à l'égard des frais de repas.

GMR a droit à 75 pour cent de ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI176

Date : 20030327

Dossier : 2000-1731(IT)G

ENTRE :

LES INSTALLATIONS GMR INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]      Les Installations GMR inc. (GMR) conteste des cotisations d'impôt pour les années d'imposition 1992 à 1997 inclusivement. Ces appels soulèvent plusieurs questions. Pour analyser celles-ci, il convient de regrouper d'une part les années d'imposition 1992 à 1994 inclusivement (années prescrites) et d'autre part les années d'imposition 1995 à 1997 inclusivement (années non prescrites). Pour les années prescrites, il s'agit de déterminer si le ministre du Revenu national (ministre) pouvait établir des nouvelles cotisations hors de la période normale de nouvelle cotisation et, de façon plus particulière, si GMR a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire dans la préparation de ses déclarations de revenus pour ces années. Si le ministre pouvait établir des cotisations dans ces circonstances, il faut déterminer si la contribuable avait le droit de déduire dans le calcul de son revenu les montants suivants : 81 978 $ pour l'année d'imposition 1992, 3 000 $ pour l'année 1993 et 18 000 $ pour l'année 1994. Ces montants représentent des sommes versées à l'actionnaire principal, monsieur Réginald Tremblay. Le ministre a considéré ces montants comme des fonds ayant été appropriés au bénéfice personnel de monsieur Tremblay alors que GMR prétend qu'ils ont servi à verser des commissions secrètes à certains employés de ses clients. Le ministre a aussi établi des pénalités en fonction de l'impôt attribuable à ces dépenses dont il a refusé la déduction. Il s'agit là des seules questions pertinentes à résoudre pour les années prescrites.

[2]      Quant aux années non prescrites, par suite des admissions faites au début de l'audience[1], la seule question en litige qui reste est celle de l'application de l'article 67.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) des sommes versées par GMR à certains de ses employés. Au début de l'audience, les parties ont convenu que les montants en litige pour les années d'imposition concernées, à savoir les montants dont GMR réclame la déduction et dont le ministre continue à refuser la déduction, sont 4 604 $ pour l'année 1995, 8 674 $ pour 1996 et 4 970,50 $ pour l'année d'imposition 1997[2]. Si l'article 67.1 de la Loi n'est pas applicable, la contribuable a droit à la déduction de ces montants.


Faits

[3]      Durant les années d'imposition pertinentes, GMR exploitait une entreprise de vente et d'installation d'équipement pétrolier. Son siège social est situé à St-Romuald, près de la ville de Québec. Son entreprise est exploitée partout au Québec et la majorité de ses contrats sont exécutés à l'extérieur de la région de la ville de Québec. Notamment, des contrats ont été exécutés aux Îles-de-la-Madeleine, dans l'archipel Mingan, à Sept-Îles, à Rivière-du-Loup, en Beauce, dans l'Estrie, à Trois-Rivières, à Montréal et à Papineauville.

[4]      GMR comptait une vingtaine d'employés. Certaines de leurs conditions de travail étaient régies par un décret, soit le Décret sur l'installation d'équipement pétrolier, R.R.Q., 1981, ch. D-2, r. 33, pris le 31 décembre 1981 en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective. Selon les termes de l'article 7.02 de ce décret, l'employeur doit payer les dépenses raisonnables pour le transport, le logement et la nourriture lorsqu'un salarié doit loger à l'extérieur de son domicile. Durant les années non prescrites, GMR payait une somme de 4,28 $ pour le petit-déjeuner, 9,63 $ pour le déjeuner et 9,63 $ pour le dîner. En excluant le petit-déjeuner du lundi et le dîner du vendredi, cela représentait, pour un employé donné une somme de 103,79 $ par semaine.

[5]      Monsieur Réginald Tremblay a indiqué que la majorité des contrats ayant été obtenus par GMR de 1991 à 1993 l'avaient été à la suite de contacts établis avec des gens de l'industrie pétrolière. Les autres contrats étaient obtenus à la suite d'appels d'offres. Au début de 1993, GMR a signé avec une entreprise pétrolière une convention-cadre d'une durée de cinq ans lui assurant l'exclusivité de l'exécution des travaux d'installation d'équipement pétrolier pour cette entreprise, et ces travaux devaient être rémunérés selon la méthode du prix coûtant majoré.

[6]      Monsieur Tremblay a indiqué qu'il était pratique courante dans l'industrie de la construction d'avoir à verser des commissions secrètes pour obtenir des contrats. À la suite de sa vérification, un vérificateur du ministère du Revenu du Québec (Revenu Québec) a refusé la déduction d'un total de 81 978,20 $ de dépenses dans le calcul du revenu d'entreprise de GMR pour l'année 1992. Il a trouvé dix chèques faits par GMR à l'ordre de monsieur Tremblay. Un de ces chèques, d'une somme de 10 978,20 $, se rapportait à l'acquisition d'une voiture pour la fille de monsieur Tremblay. Quant aux autres chèques représentant un total de 70 999,80 $, on aurait informé le vérificateur que cette somme avait servi à payer des commissions secrètes à des personnes clés au sein d'entreprises pétrolières pour obtenir des contrats pour GMR. Ce même vérificateur a aussi décelé des sommes de 3 000 $ pour l'année 1993 et de 18 000 $ pour l'année 1994 qui auraient servi aux mêmes fins. La déduction de ces montants comme dépenses a été refusée et une pénalité imposée à leur égard puisque GMR refusait de nommer les personnes à qui ces commissions secrètes avaient été versées.

[7]      Dans les registres comptables de GMR, les commissions secrètes apparaissent dans différents comptes, soit, pour 1992, dans le compte « frais représentation » (3 000 $ + 4 000 $ + 10 000 $ +4 000 $), les comptes établis pour différents clients (6 000 $ + 7 000 $ + 10 000 $ + 12 000 $), et le compte de « salaire maintenance » (15 000 $). Pour l'année 1993, la commission secrète de 3 000 $ apparaît dans le compte d'un client alors que les commissions secrètes pour l'année 1994 apparaissent dans les comptes suivants : « matériel maintenance » (4 000 $), « divers contrat [sic] » (6 000 $) et « divers maintenance » (4 000 $ + 4 000 $).

[8]      Selon le témoignage du vérificateur de Revenu Québec, non seulement ces commissions secrètes et le coût d'achat de la voiture ont été refusés comme dépenses déductibles dans le calcul du revenu de GMR, mais ils ont été ajoutés au revenu de monsieur Tremblay comme un avantage imposable. À la connaissance de ce vérificateur, ni GMR ni monsieur Tremblay n'avaient contesté cette décision. À l'appui de son témoignage, le vérificateur de Revenu Québec a déposé son rapport de vérification en date du 21 mars 1996.

[9]      Presque deux ans plus tard, soit le 27 janvier 1998, la vérification du ministre a débuté et a été terminée le 12 juin 1998. Après avoir reçu copie des TP-7 de Revenu Québec, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard de GMR pour les années d'imposition prescrites en apportant les mêmes modifications que celles faites par Revenu Québec. Comme il est indiqué dans son rapport, la vérificatrice du ministre n'a obtenu que très peu de collaboration de la part des représentants de GMR. On a même refusé de lui expliquer comment fonctionnait le système comptable de GMR. Voici comment elle s'est exprimée sur cette question dans son rapport :

[Le contribuable] n'a pas collaboré car il ne nous a pas fourni l'ensemble des livres comptables nécessaires à suivre la piste de vérification. De plus lorsque nous lui demandions de nous fournir certaines explications et pièces, nous ne les avons pas obtenu [sic].

Il semble que la vérificatrice n'a jamais été avisée que les paiements faits à monsieur Tremblay avaient servi à payer des commissions secrètes puisque cette explication n'apparaît pas dans son rapport de vérification.

Analyse

Années prescrites

[10]     La disposition pertinente pour trancher la question soulevée à l'égard des années prescrites est le sous-alinéa 152(4)a)i) de la Loi qui est rédigé comme suit :

(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi [...]

                                                                                      [Je souligne.]

1992

[11]     À l'égard de l'année d'imposition 1992, je suis d'avis que l'intimée a réussi à établir que GMR a fait une présentation erronée des faits par inattention, négligence ou omission volontaire lorsqu'elle a déduit dans le calcul de son revenu la somme de 10 978,20 $ utilisée pour acheter la voiture pour la fille de l'actionnaire majoritaire. Il s'agit clairement là d'une dépense de nature personnelle qui n'est pas déductible et aucune explication fournie dans le témoignage des représentants de GMR ne révèle de motifs pour ne pas conclure à une présentation erronée des faits faite par inattention, négligence ou omission volontaire. Par conséquent, le ministre pouvait établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1992.

[12]     Une fois reconnu le droit du ministre d'établir une telle cotisation, il revenait à GMR d'établir les faits appuyant son assertion que la cotisation était erronée et, de façon particulière, qu'elle avait le droit de déduire la somme de 70 999,80 $ versée à titre de commissions secrètes. Comme l'a confirmé son procureur dans sa plaidoirie, il n'était pas question pour monsieur Tremblay ni aucun autre représentant de GMR de révéler le nom des personnes à qui les commissions secrètes ont été versées. On se trouve donc dans une situation où le contribuable refuse de fournir une preuve complète quant aux faits pouvant appuyer ses assertions, à savoir que les sommes en question avaient été versées à des tiers dans le but de tirer un revenu d'une entreprise. Selon monsieur Tremblay, les sommes qui lui ont été versées par chèque ont été déposées dans son compte bancaire. Par la suite, il aurait retiré l'argent en espèces pour qu'il soit remis à des tiers. Comme la preuve est incomplète, il est loin d'être certain qu'un tribunal accepte comme probantes des affirmations qui ne sont corroborées ni par le témoignage de ces tiers ni par des pièces documentaires établissant la remise de ces sommes à ces mêmes tiers. Un contribuable qui agit délibérément ainsi se place dans une situation très vulnérable et peut devenir l'artisan de son propre malheur.

[13]     C'est là l'approche adoptée notamment par la juge Kempo de cette Cour dans l'affaire United Color and Chemicals Ltd. v. Canada, [1992] A.C.I. no 100 (QL) (angl.: [1992] 1 C.T.C. 2321, 92 DTC 1259), à la page 7 (page 2327 C.T.C., page 1263 DTC) :

[...] Le fait que les remises ont fait l'objet d'arrangements secrets et qu'il s'en dégage un certain aspect louche n'est pas, sauf quand [sic] à l'accroissement du fardeau de la preuve, déterminant en soi.

                                                          [Je souligne.]

[14]     Dans l'affaire Muller's Meats Ltd. v. M.N.R., 1969 CarswellNat 101, [1969] Tax A.B.C. 171, 69 DTC 172, voici ce que le commissaire Davis disait aux paragraphes 23 et 24 (Tax A.B.C. pages 178 et 179, DTC pages 177 et 178) :

23       This appeal raises once again the problem of the deductibility of unvouchered and unsubstantiated business expenses. I am of the opinion that, in the case of bribes or other improper payments, the burden of proof is, if anything, heavier than in the case of an ordinary and proper payment of a business expense, because the circumstances surrounding such payments are clouded with suspicion. If a taxpayer is willing to pay a bribe in order to do business, it throws open to question how much reliance can be placed upon his unsupported and uncorroborated evidence as to the actual amounts he paid to informants, or whether indeed he paid out any amounts at all in this fashion. When, as an officer of the company, he failed to give his wife, whose responsibility it was to record the payments in the cash book, any information other than initials and amounts to justify entries with regard to substantial sums of cash which he claimed to have paid out and which had been drawn from the company's coffers, it is only reasonable that he should expect his story to be received with a certain amount of scepticism by the taxation authorities.

24       In the circumstances of this matter, not only were there no receipts evidencing the fact that the payments had been made but, on the ground that he did not want to imperil the company's dubious scheme for profit-making, the witness refused to disclose the names of any of the persons to whom the alleged payments had been made. This is readily understandable, but it is well-settled law that, if a taxpayer fails to support with appropriate receipts his claims with regard to the deduction of specific items of expense, he has no one but himself to blame if the Minister of National Revenue declines to permit him to deduct such items from his income. In the Holmes case (supra), I had occasion to deal with this question at some length, and I referred to the Exchequer Court judgment of Cameron, J., in Murray v. Minister of National Revenue, [1950] Ex. C.R. 110 at 112, [1950] C.T.C. 7 at 9, where the learned judge held that there is an onus on a taxpayer to come forward with acceptable evidence to show that he did so expend the sums which he claims as deductions.

                                                                                      [Je souligne.]

[15]     À mon avis, un des motifs pour être plus exigeant au niveau de la preuve lorsqu'il s'agit de la déduction de commissions secrètes est la sérieuse possibilité que le contribuable qui prétend avoir versé de telles commissions ait pu conserver les sommes concernées, s'appropriant ainsi ces sommes pour son propre bénéfice sans les déclarer dans ses revenus. L'achat de la voiture pour la fille de monsieur Tremblay constitue un exemple éloquent de ce danger.

[16]     Il y a ici, par contre, des circonstances particulières qui militent en faveur de la version de monsieur Tremblay. En effet, avant que ne débute la vérification du ministre, il a produit des déclarations de revenus modifiées pour inclure dans son revenu les sommes que GMR lui avait remises pour être versées à des tiers. Si on fait le total des sommes incluses dans les revenus de monsieur Tremblay pour les années civiles 1991, 1992 et 1993, on obtient 130 561 $ alors que le total des sommes refusées par le ministre pour les années prescrites de GMR s'élève à 92 000 $. La disparité de ces montants n'est pas surprenante puisque les exercices de GMR ne correspondent pas aux années civiles. L'exercice de GMR se termine le 31 mars. Toutefois, à mon avis, le fait que les sommes déclarées par monsieur Tremblay soient supérieures au total des commissions secrètes refusées par le ministre et de la valeur de l'avantage imposable relié à l'achat de la voiture donne de la crédibilité à sa version des faits.

[17]     De plus, si on devait refuser la déduction de la dépense de 70 999,80 $ pour l'année 1992, il y aurait un élément de double imposition. En effet, GMR aurait payé l'impôt sur cette somme de 70 999,80 $ alors que monsieur Tremblay a, selon toute vraisemblance, inclus le même montant dans ses revenus. Dans ces circonstances, je suis prêt à accepter le témoignage de monsieur Tremblay selon lequel la somme de 70 999,80 $ qui lui a été remise a servi à payer des tiers dans le but d'obtenir des contrats pour GMR. Par conséquent, GMR a le droit de la déduire dans le calcul de ses revenus.

[18]     En déduisant une dépense personnelle de 10 978,20 $ qu'elle savait, ou aurait dû savoir, qu'elle n'avait pas le droit de déduire, GMR a fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenus dans des circonstances équivalant à tout le moins à faute lourde. Par conséquent, la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi doit être maintenue à l'égard de cette somme.

1993-1994

[19]     Quant aux années d'imposition 1993 et 1994, je suis d'avis que le ministre n'a pas réussi à démontrer que GMR avait fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire en produisant ses déclarations de revenus. Selon la prépondérance des probabilités, l'intimée n'a pas réussi à établir que les sommes de 3 000 $ en 1993 et de 18 000 $ en 1994 versées comme commissions secrètes n'avaient pas été payées dans le but de tirer un revenu d'une entreprise. Elle n'a pu par conséquent prouver qu'il y a eu présentation erronée des faits. La preuve de l'intimée n'a pas établi dans quelle mesure les déclarations de revenus ainsi que les états financiers qui accompagnaient celles-ci pouvaient être considérés comme erronés. Par conséquent, le ministre ne pouvait établir de nouvelles cotisations à l'égard des années 1993 et 1994. De toute façon, même si le ministre avait le droit de le faire, j'aurais conclu - comme je l'ai fait à l'égard de l'année d'imposition 1992 - que les sommes pouvaient être déduites dans le calcul du revenu de GMR, et ce, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés plus haut.

Années non prescrites

L'article 67.1

[20]     Reste à traiter la question de l'application de l'article 67.1 de la Loi aux frais payés par GMR en remboursant leurs repas à ses employés qui ont travaillé à l'extérieur de la région de Québec. Cet article soulève ici un sérieux problème d'interprétation pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le libellé de l'article est loin d'être clair. À preuve, comme nous le verrons plus loin, le fait que le législateur a jugé nécessaire de le modifier à plusieurs reprises. Il existe aussi des différences entre la version française et la version anglaise de cette disposition. Il y a notamment[3] le titre (note marginale) correspondant à cet article. Dans la version française, on a « Frais de représentation » alors que dans la version anglaise on a « Expenses for food, etc. » Le titre en français est trompeur. Lorsqu'on lit cet article dans son ensemble, on se rend compte qu'il n'est pas limité à ce type de frais. D'autre part, il existe deux affaires où cette cour, devant des faits assez semblables à ceux de ces appels, a rendu des décisions divergentes. Dans Les structures G.B. Ltee v. The Queen, 96 DTC 1590, madame la juge Lamarre Proulx a conclu que les indemnités payées aux employés à titre de frais d'aliments sont sujettes à l'application du paragraphe 67.1 de la Loi. Dans Racco Industrial Roofing Ltd. c. Canada, [1997] A.C.I. no 332 (QL) (angl.: 97 DTC 331), le juge Mogan a conclu le contraire, à savoir qu'un employeur pouvait déduire 100 % des allocations versées à des employés tenus d'accomplir leurs fonctions ailleurs que dans la région de leur domicile.

[21]     Il est utile dans un premier temps de citer les passages pertinents de l'article 67.1[4] :

SECTION 67.1: Expenses for food, etc.

(1) For the purposes of this Act, other than sections 62, 63 and 118.2, an amount paid or payable in respect of the human consumption of food or beverages or the enjoyment of entertainment shall be deemed to be 50% of the lesser of

(a) the amount actually paid or payable in respect thereof, and

(b) an amount in respect thereof that would be reasonable in the circumstances.

(2) Exceptions. Subsection (1) does not apply to an amount paid or payable by a person in respect of the consumption of food or beverages or the enjoyment of entertainment where the amount

(a) is paid or payable for food, beverages or entertainment provided for, or in expectation of, compensation in the ordinary course of a business carried on by that person of providing the food, beverages or entertainment for compensation;

(b) relates to a fund-raising event the primary purpose of which is to benefit a registered charity;

(c) is an amount for which the person is compensated and the amount of the compensation is reasonable and specifically identified in writing to the person paying the compensation;

(d) is required to be included in computing the income of an employee of the person or would be so required but for subparagraph 6(6)(a)(ii);[5] or

(e) is incurred by the person for food, beverages or entertainment generally available to all individuals employed by the person at a particular place of business of the person and consumed or enjoyed by such individuals.

[...]

(4) Interpretation. For the purposes of this section,

(a) no amount paid or payable for travel on an airplane, train or bus shall be considered to be in respect of food, beverages or entertainment consumed or enjoyed while travelling thereon; and

(b) "entertainment" includes amusement and recreation.

ARTICLE 67.1: Frais de représentation.

(1) Pour l'application de la présente loi, sauf des articles 62, 63 et 118.2, un montant payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes est réputé correspondre à 50 % du moins élevé du montant réellement payé ou payable et du montant qui serait raisonnable dans les circonstances.

(2) Exceptions. Le paragraphe (1) ne s'applique pas au montant payé ou payable par une personne pour des aliments, des boissons ou des divertissements dans les cas suivants :

a) le montant est payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements fournis contre paiement ou en vue de l'obtention d'un bénéfice dans le cours normal des activités d'une entreprise exploitée par cette personne et qui consiste à fournir contre paiement ces aliments, ces boissons ou ces divertissements;

b) le montant est payé ou payable dans le cadre d'une levée de fonds dont le principal objet est un objet charitable d'un organisme de bienfaisance enregistré;

c) le montant est payé ou payable contre un paiement raisonnable indiqué de façon précise par écrit à la personne qui fait ce paiement;

d) le montant doit être inclus dans le calcul du revenu d'un employé de la personne, compte non tenu du sous-alinéa 6(6)a)(ii);5

e) le montant est engagé par la personne pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des particuliers employés par la personne à un lieu d'affaires de celle-ci, et offerts, de façon générale, à tous ces particuliers.

[. . .]

(4) Interprétation. Pour l'application du présent article :

a) aucun montant payé ou payable pour un voyage à bord d'un avion, d'un train ou d'un autobus ne peut être considéré comme payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris pendant le voyage ;

b) sont assimilés à des divertissements les loisirs et les amusements.

                                                                             [Je souligne.]


[22]     L'alinéa qui fait particulièrement problème ici est l'alinéa 67.1(2)e) de la Loi. Il est utile de faire une analyse historique des nombreuses modifications qui ont été apportées à cet alinéa. Tout d'abord, rappelons que l'article 67.1 a été ajouté à la Loi par L.C. 1988, ch. 55, article 46 à la suite de la réforme fiscale de 1987. Initialement, l'alinéa 67.1(2)e) (texte de 1988) se lisait comme suit :

(e) is incurred by the person for food, beverages or entertainment generally available to all employees of the person at a particular location.

e) le montant est engagé par la personne pour des aliments, des boissons et des divertissements qui sont offerts, de façon générale, à tous les employés de la personne à un endroit donné.

[Je souligne.]

[23]     Par la suite, cet alinéa a été modifié par L.C. 1991, ch. 49, article 43. Le nouveau libellé de l'alinéa (texte de 1991) était le suivant :

(e) is incurred by the person for food, beverages or entertainment generally available to all individuals employed by the person at a particular place of business of the person and consumed or enjoyed by such individuals.

e) le montant est engagé par la personne pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des particuliers employés par la personne au lieu même de son entreprise, et offerts, de façon générale, à tous ces particuliers.

[Je souligne le texte qui a été modifié ou qui est nouveau par rapport à la version précédente.]

Cette modification s'appliquait aux années d'imposition se terminant après le 13 juillet 1990. En ajoutant le mot « même » à l'expression « au lieu de son entreprise » , le rédacteur laissait entendre que les aliments devaient être pris au lieu où se trouvait l'entreprise alors que, dans la version anglaise de la Loi, le sens le plus probable était que les aliments devaient être offerts à tous les particuliers employés à un lieu d'affaires particulier. Selon toute vraisemblance, c'est pour corriger cette situation que l'alinéa 67.1(2)e) a été modifié à nouveau (texte de 1994) par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, article 43, avec effet rétroactif aux années d'imposition se terminant après le 13 juillet 1990, soit la même période que celle visée par la modification qu'a introduite le texte de 1991.

(e) is incurred by the person for food, beverages or entertainment generally available to all individuals employed by the person at a particular place of business of the person and consumed or enjoyed by such individuals.

e) le montant est engagé par la personne pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des particuliers employés par la personne à un lieu d'affaires de celle-ci, et offerts, de façon générale, à tous ces particuliers.

                                                          [Je souligne le texte modifié ou nouveau.]

On a donc éliminé le mot « même » et remplacé « lieu [...] de son entreprise » par « lieu d'affaires » .

[24]     Les deux dernières modifications ont été apportées par L.C. 1999, ch. 22, article 20, qui a ajouté un nouvel alinéa e) et a remplacé l'ancien par l'alinéa 67.1(2)f) (texte de 1999) et par L.C. 2002, ch. 9, article 26, qui a ajouté l'alinéa 67.1(2)e.1) à la Loi. Ces deux modifications sont reproduites ici :

(e) is an amount that

(i) is not paid or payable in respect of a conference, convention, seminar or similar event,

(ii) would, but for subparagraph 6(6)(a)(i), be required to be included in computing any taxpayer's income for a taxation year because of the application of section 6 in respect of food or beverages consumed or entertainment enjoyed by the taxpayer or a person with whom the taxpayer does not deal at arm's length, and

(iii) is paid or payable in respect of the taxpayer's duties performed at a work site in Canada that is

(A) outside any urban area, as defined by the last Census Dictionary published by Statistics Canada before the year, that has a population of at least 40,000 individuals as determined in the last census published by Statistics Canada before the year, and

(B) at least 30 kilometres from the nearest point on the boundary of the nearest such urban area; or

(f) is in respect of one of six or fewer special events held in a calendar year at which the food, beverages or entertainment is generally available to all individuals employed by the person at a particular place of business of the person and consumed or enjoyed by those individuals.

e) le montant, à la fois :

(i) n'est pas payé ou payable relativement à une conférence, à un congrès, à un colloque ou à un événement semblable,

(ii) serait à inclure, si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(i), dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition en raison de l'application de l'article 6 relativement aux aliments, boissons ou divertissements pris par le contribuable ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance,

(iii) est payé ou payable au titre du travail accompli par le contribuable sur un chantier qui est situé au Canada et, à la fois :

(A) à l'extérieur d'une région urbaine, au sens du dernier dictionnaire du recensement publié par Statistique Canada avant l'année, qui compte une population d'au moins 40 000 personnes selon le dernier recensement publié par Statistique Canada avant l'année.

(B) à au moins 30 kilomètres du point le plus rapproché de la limite de la région urbaine la plus proche visée à la division (A);

f) le montant se rapporte à l'un d'un maximum de six événements spéciaux tenus au cours d'une année civile et à l'occasion desquels des aliments, des boissons ou des divertissements sont offerts, de façon générale, à l'ensemble des employés de la personne affectés à un lieu d'affaires donné de celle-ci et pris par ces employés.

[Je souligne le texte de l'alinéa f) qui est nouveau par rapport à ce que disait précédemment l'alinéa e).]

(e.1) is an amount that

(i) is not paid or payable in respect of entertainment or of a conference, convention, seminar or similar event,

(ii) would, if this Act were read without reference to subparagraph 6(6)(a)(i), be required to be included in computing a taxpayer's income for a taxation year because of the application of section 6 in respect of food or beverages consumed by the taxpayer or by a person with whom the taxpayer does not deal at arm's length,

(iii) is paid or payable in respect of the taxpayer's duties performed at a site in Canada at which the person carries on a construction activity or at a construction work camp referred to in subparagraph (iv) in respect of the site, and

(iv) is paid or payable for food or beverages provided at a construction work camp, at which the taxpayer is lodged, that was constructed or installed at or near the site to provide board and lodging to employees while they are engaged in construction services at the site; or [...]

e.1) le montant, à la fois :

(i) n'est pas payé ou payable relativement à des divertissements ou à une conférence, à un congrès, à un colloque ou à un événement semblable,

(ii) serait à inclure, si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(i), dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition en raison de l'application de l'article 6 relativement aux aliments ou boissons pris par le contribuable ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance,

(iii) est payé ou payable au titre du travail accompli par le contribuable sur un chantier au Canada où la personne exerce une activité de construction ou dans un campement de travailleurs de la construction mentionné au sous-alinéa (iv) relatif au chantier,

(iv) est payé ou payable pour des aliments ou des boissons fournis dans un campement de travailleurs de la construction, où le contribuable est logé, qui a été construit ou installé sur le chantier, ou près de celui-ci, en vue de fournir des repas et un logement aux employés pendant qu'ils exécutent des services de construction sur le chantier; [...]

Le texte de 1999 est nettement plus clair que les textes précédents. Par exemple, dans sa version française, il est dorénavant clair, en raison de l'utilisation de l'expression « affectés à » , que ce qui doit être situé au lieu d'affaires de la personne, ce sont les employés et non la consommation des aliments.


Position des parties

[25]     À l'audience, les procureurs des parties ont demandé à la Cour à pouvoir produire par la suite leur plaidoirie par écrit pour exposer leur position respective sur l'application de l'article 67.1 de la Loi. Dans sa plaidoirie écrite, la procureure de l'intimée soutient que c'est l'interprétation adoptée par madame la juge Lamarre Proulx dans Les structures G.B. Ltée (précitée) qui devrait être retenue plutôt que celle de la décision Racco (précitée). Elle conclut que le lieu d'affaires de GMR était situé à St-Romuald et que le lieu d'affaires des clients de GMR où cette dernière exécutait ses contrats ne constituait pas pour elle un lieu d'affaires. Dans l'affaire Racco, souligne la procureure, cette question n'avait pas été soulevée puisque les parties avaient admis au départ que « chaque lieu d'un contrat régional constituait le lieu même de l'entreprise de l'appelante aux fins de l'alinéa 67.1(2)e) [6] de la Loi » [7]. Par conséquent, le juge Mogan n'avait pas eu à décider si le lieu d'un contrat régional constituait en droit un lieu d'affaires du contribuable.

[26]     Finalement, la procureure de l'intimée note que « [l]e paragraphe 67.1(2) de la Loi a été modifié subséquemment à [la] décision de madame le juge Lamarre Proulx afin d'inclure dans les exceptions, les sommes payées pour des aliments au titre du travail accompli par le contribuable sur un chantier au Canada à l'extérieur d'une région urbaine qui compte une population d'au moins 40 000 habitants et à au moins 30 kilomètres de cette région urbaine » [8]. Elle ajoute que : « [r]ien dans la preuve ne démontre que le travail aurait été accompli sur un chantier à l'extérieur d'une région urbaine qui compte au moins 40 000 habitants et à au moins 30 kilomètres de cette région urbaine[9]. »

[27]     Le procureur de GMR soutient à la page 4 de sa plaidoirie écrite que GMR satisfait à toutes les conditions énumérées par l'alinéa 67.1(2)e) en ayant fait la preuve des faits suivants :

1.          L'appelante se spécialise dans l'installation, la construction et l'entretien de stations service et de réservoirs et se spécialise dans l'installation et l'entretien d'équipement pétrolier;

2.          Les activités de l'appelante couvrent un grand territoire dans toute la province de Québec;

3.          Le siège social de l'appelante est situé à St-Romuald;

4.          Ces travaux et contrats sont effectués ailleurs qu'au siège social de l'appelante;

5.          Les frais de repas payés aux employés l'ont été pour des travaux et des mandats situés à l'extérieur du siège social de l'appelante, c'est-à-dire à des endroits et des chantiers situés dans toute la province de Québec;

6.          L'appelante devait verser ces frais de repas aux employés puisqu'elle était assujettie au décret de la construction régissant l'installation d'équipement pétrolier [...].

Puis il ajoute ce qui suit :

Puisque la nature des opérations de l'appelante implique nécessairement que le travail de ses employés doit être effectué aux lieux et places des contrats, c'est-à-dire à l'extérieur du siège social de l'appelante, nous sommes d'avis que, comme dans l'arrêt Racco Industrial Roofing ltd (ci-après « Racco » ), chaque lieu de contrat régional constitue un lieu d'affaires de l'entreprise aux fins de l'alinéa 67.1(2)e) LIR. En effet, l'alinéa e) précise que le montant est engagé ... pour des aliments ... pris par des particuliers employés par la personne à un lieu d'affaire de celle-ci et offerts, de façon générale, à tous ces particuliers. L'alinéa e) ne dit pas que le montant doit être engagé pour des aliments pris au lieu d'affaires (c'est-à-dire au siège social de l'appelante) mais bien à un lieu d'affaire de cette dernière.

Un peu plus loin, le procureur affirme[10] :

L'alinéa e) n'exige pas que tous les employés de l'appelante, peu importe leur fonction, puissent être admissibles à ce remboursement de dépenses. L'alinéa e) précise seulement que le montant doit être engagé pour des aliments... pris par des particuliers à un lieu d'affaire de leur employeur dans la mesure où de façon générale, cela est offert « à tous ces particuliers » c'est-à-dire aux employés qui sont à un lieu d'affaires précis. Ainsi, le test est rencontré si, de façon générale, tous les employés travaillant en chaque lieu d'un contrat régional en question pouvaient bénéficier du remboursement des frais.

Le bulletin d'interprétation IT-518R intitulé « Frais pour des aliments, des boissons et des divertissements, mentionne au paragraphe 11 que :

« Un exemple d'un endroit qui serait habituellement considéré comme « lieu d'affaires » serait les locaux d'un client qui sont situés loin de la municipalité où les activités de l'employeur se déroulent habituellement. De plus, un lieu de travail qui est considéré comme « un chantier particulier » aux fins du sous-alinéa 6(6)a)i) peut, en règle générale, être traité comme un « lieu d'affaires » . Par conséquent, les aliments, boissons et divertissements indiqués au numéro 9 ci-dessus qui sont offerts à tous les employés travaillant dans un tel lieu ne sont pas assujettis à la limite de 50 %. »

Finalement, il conclut[11] :

Enfin, dans la mesure où un doute subsiste dans l'interprétation de l'alinéa e), l'appelante prétend que ce doute devrait être décidé en faveur du contribuable aux termes de l'analyse suggérée par la Cour suprême dans la décision Corporation Notre-Dame de Bon-Secours c. Communauté urbaine de Québec (95 D.T.C. 5017, à la page 5023).


Conclusion

[28]     La difficulté majeure soulevée par l'application de 67.1 est la portée à donner à l'expression « lieu d'affaires » ( « place of business » ). La Loi ne définit pas ce que c'est qu'un lieu d'affaires pour son application. Essentiellement, l'expression admet deux sens. Un sens large selon lequel l'expression « lieu d'affaires » signifie tout endroit où un contribuable exploite une entreprise, et un sens restreint selon lequel elle signifie un lieu où une personne a un local qui lui appartient ou qu'il loue et où les employés et les clients de l'entreprise de cette personne peuvent se présenter. La procureure de l'intimée prétend que GMR n'a qu'un seul lieu d'affaires, à savoir à St-Romuald, alors que le procureur de GMR prétend que GMR a un lieu d'affaires chez chaque client où elle exécute ses travaux.

[29]     Il est intéressant de noter que cette expression se retrouve dans de nombreuses autres dispositions de la Loi, notamment au paragraphe 230(1), qui oblige quiconque exploite une entreprise à tenir des registres et des livres de comptes à son lieu d'affaires. On retrouve aussi cette expression à l'article 8, qui traite de la déduction des dépenses engagées par un employé, notamment à l'alinéa 8(1)f) qui traite des dépenses de vendeurs . Parmi les conditions que l'employé doit réunir pour pouvoir déduire ces dernières dépenses, il y a celle selon laquelle il doit être tenu d'exercer les fonctions de son emploi « ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur » .

[30]     Je crois qu'aux fins de ces deux dispositions, c'est le sens restreint de la notion de « lieu d'affaires » qu'il faut retenir. En effet, il serait étonnant qu'un entrepreneur en construction qui a pignon sur rue puisse affirmer qu'il respecte son obligation décrite à 230(1) en conservant ses registres dans son camion aux différents lieux où il exécute ses contrats de construction plutôt qu'à son local où se présentent ses employés et clients. On s'attend à ce que le contribuable garde ses registres dans un local où les vérificateurs du ministre pourront facilement se présenter pour les examiner. De plus, si on adoptait le sens large de « lieu d'affaires » pour l'application de l'alinéa 8(1)f) de la Loi, un vendeur à commission ne pourrait pas satisfaire à la condition selon laquelle il doit être tenu d'exercer ses fonctions ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur, si tous les endroits où il se présente pour vendre les produits de son employeur (endroits où il exerce des activités liées à l'entreprise de son employeur) constituaient des lieux d'affaires de son employeur.

[31]     On trouve également l'expression « lieu d'affaires » à l'alinéa 20(1)(ee) de la Loi, qui permet la déduction du coût de branchement du lieu d'affaires sur des services d'utilité publique. Dans l'affaire The Queen v. Guaranteed Homes Ltd., 78 DTC 6510, [1978] CTC 636, le juge suppléant Smith avait à déterminer la portée de l'équivalent anglais[12] ( « place of business » ) de cette expression aux fins de l'alinéa 20(1)(ee). À la page 6515 DTC, il écrit :

[...] For example, if a construction firm is working on a contract to build a house on a lot owed by the person for whom it is being built, the firm may be said to be carry on its business of housebuilding on that lot, but it cannot be said to be doing so at its place of business.[13]

[32]     Si on appliquait le principe de l'uniformité d'expression[14] aux expressions « lieu d'affaires » et « place of business » utilisées à l'alinéa 67.1(2)e) de la Loi, il faudrait privilégier l'interprétation restrictive de ces expressions. Par contre, on ne doit pas s'en tenir à ce principe. Il faut aussi se demander lequel des deux sens est le plus approprié aux fins de l'article 67.1 de la Loi, compte tenu de son objet, de son contexte et de l'intention du législateur lorsqu'il l'a adopté et l'a modifié par la suite. C'est ce que nous enseigne la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] A.C.S. no 78 (QL), [1994] 3 R.C.S. 3. Au paragraphe 25 (QL), voici comment le juge Gonthier résume les principes d'interprétation d'une loi fiscale :

Les principes dégagés dans les pages précédentes, dont certains, d'ailleurs, ont été récemment invoqués dans l'affaire Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, peuvent se résumer ainsi:

     - L'interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d'interprétation;

     - Qu'une disposition législative reçoive une interprétation stricte ou libérale sera déterminé par le but qui la sous-tend, qu'on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l'objet de celle-ci et de l'intention du législateur; c'est l'approche téléologique;

     - Que l'approche téléologique favorise le contribuable ou le fisc dépendra uniquement de la disposition législative en cause et non de l'existence de présomptions préétablies;

     - Primauté devrait être accordée au fond sur la forme dans la mesure où cela est compatible avec le texte et l'objet de la loi;

     - Seul un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d'interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable.

                                                                             [Je souligne.]

Je note aussi les commentaires du juge Gonthier relativement au dernier élément de ce résumé, qui a d'ailleurs été invoqué par le procureur de GMR. Il y a tout d'abord ceux que l'on trouve au paragraphe 22 :

      Il ne fait plus de doute, à la lumière de ce passage, que l'interprétation des lois fiscales devrait être soumise aux règles ordinaires d'interprétation. Driedger, à la p. 87 de son volume Construction of Statutes (2e éd. 1983), en résume adéquatement les principes fondamentaux: [Traduction] ". . . il faut interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur". Primauté devrait donc être accordée à la recherche de la finalité de la loi, que ce soit dans son ensemble ou à l'égard d'une disposition précise de celle-ci. Ce passage de Mme Vivien Morgan, dans son article intitulé "Stubart: What the Courts Did Next" (1987), 35 Can. Tax J. 155, aux pp. 169 et 170, résume adéquatement mon propos:

      [Traduction]    Toutefois, il y a eu un net changement [après Stubart] dans la résolution d'ambiguïtés. Dans le passé, on recourait souvent aux maximes selon lesquelles toute ambiguïté dans une disposition fiscale doit être résolue en faveur du contribuable et toute ambiguïté dans une disposition prévoyant une exemption doit être résolue en faveur de Sa Majesté. De nos jours, une ambiguïté est habituellement résolue ouvertement en tenant compte de l'intention du législateur.

                                                          [Je souligne.]

Il y a également les commentaires suivants que l'on trouve au paragraphe 25 :

Deux observations doivent être faites pour donner tout leur sens aux propos du juge Estey: d'une part, le recours à la présomption en faveur du contribuable est indiqué lorsqu'un tribunal est contraint de choisir entre deux interprétations valables et, d'autre part, cette présomption est clairement résiduelle et devrait jouer un rôle exceptionnel dans l'interprétation des lois fiscales.

[33]     L'intention du législateur peut être déterminée en analysant d'abord le libellé de l'article. Mais elle peut l'être également en tenant compte, avec prudence, des notes explicatives fournies par le ministre des Finances avec les modifications de la Loi que ce dernier propose au Parlement[15].

[34]     Une lecture attentive de l'article 67.1 de la Loi révèle que les contribuables, notamment dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise, ne peuvent plus depuis 1988 déduire 100 pour cent du montant payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements[16]. Contrairement à ce que laisse croire la note marginale[17] « frais de représentation » de la version française, rien dans le paragraphe 67.1(1) de la Loi n'indique que les dépenses visées sont limitées aux aliments dont le prix constitue des frais de représentation. Lorsqu'on analyse les exceptions énoncées au paragraphe 67.1(2) de la Loi et la règle d'interprétation du paragraphe 67.1(4) de la Loi, on doit conclure que la règle générale énoncée au paragraphe 67.1(1) (règle générale) est qu'un contribuable, durant les années non prescrites ici en cause, ne pouvait déduire que 50 % de ses frais d'aliments, qu'il s'agisse de frais de représentation ou non. Ainsi, cette règle générale n'est pas limitée à ce qu'on appelle communément les « repas d'affaires » .

[35]     Pour appuyer et illustrer cette conclusion, analysons l'exception énoncée à l'alinéa 67.1(2)d) de la Loi. La règle générale ne s'applique pas à un employeur lorsque le coût des aliments représente un avantage qui doit être inclus dans le revenu de son employé, ou serait ainsi à inclure si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(ii) de la Loi[18]. Ce sous-alinéa vise l'avantage résultant de la pension offerte à un employé travaillant à un « endroit éloigné » , soit un endroit où on ne peut raisonnablement s'attendre à ce que cet employé tienne un établissement domestique autonome étant donné l'éloignement de cet endroit de toute agglomération. Dans de telles circonstances, l'avantage n'a pas à être inclus dans le revenu tiré d'un emploi de cet employé et son employeur peut déduire 100 pour cent des frais d'aliments qu'il a faits pour l'employé.

[36]     Ce qui ressort de cette analyse du libellé de l'alinéa 67.1(2)d) de la Loi, c'est qu'il ne vise que le cas d'un employé travaillant à un « endroit éloigné » et non, durant les années non prescrites en cause[19], celui de l'employé travaillant sur un « chantier particulier » visé par le sous-alinéa 6(6)a)(i) de la Loi, à savoir un endroit où le travail que l'employé accomplit est de nature temporaire, cet employé tenant ailleurs comme lieu principal de résidence un établissement domestique autonome. Par conséquent, lorsque, durant les années non prescrites, un employé travaillait sur un chantier particulier de son employeur, l'exception de l'alinéa 67.1(2)d) ne s'appliquait pas et, à moins que les autres exceptions prévues par l'article 67.1 ne s'appliquent, l'employeur ne pourrait déduire que 50 % du coût des aliments fournis à cet employé. Par exemple, les frais d'aliments pris pendant un voyage par autobus, train ou avion[20] pour se rendre à ce « chantier particulier » ne seraient pas assujettis à la règle générale. Mais cette exception ne vise que les frais d'aliments pris pendant le voyage. Elle ne permet pas à l'employeur de déduire 100 pour cent des frais d'aliments pris par son employé sur le « chantier particulier » .

[37]     On peut se demander pourquoi le législateur a prévu une exception pour les dépenses d'aliments engagées à l'égard d'un endroit éloigné, mais n'en a pas fait autant dans le cas d'un chantier particulier. Se pourrait-il que le cas des chantiers particuliers puisse être visé par l'alinéa 67.1(2)e) de la Loi? À mon avis, si le législateur avait voulu qu'un employeur puisse déduire 100 pour cent des frais relatifs aux aliments consommés par ses employés sur un chantier particulier, il n'aurait pas limité la portée de l'exception de l'alinéa 67.1(2)d) au sous-alinéa 6(6)a)(ii). Il aurait tout simplement mentionné l'alinéa 6(6)a). Pourquoi accorderait-il dans le contexte de l'alinéa 67.1(2)e) ce qu'il refuse dans le contexte de l'alinéa 67.1(2)d)? On pourrait soutenir qu'une distinction doit être faite : pour qu'on puisse bénéficier de l'exception à l'égard des aliments consommés sur un chantier particulier, il faut que ces aliments soient offerts à tous les particuliers employés sur ce chantier. Cette interprétation est possible, mais elle ne m'apparaît pas convaincante. De façon générale, un employeur qui offre la pension à ses employés affectés à un « endroit éloigné » ou à « un chantier particulier » , l'offre à tous ses employés. Il est raisonnable de croire que le législateur ne voulait viser que le cas de la pension offerte aux employés travaillant dans des « endroits éloignés » et que les frais d'aliments offerts sur un chantier particulier sont assujettis à la règle générale. Cette conclusion milite donc également en faveur de l'interprétation restrictive de l'expression « lieu d'affaires » employée à l'alinéa 67.1(2)e).

[38]     Si, à la suite de cette analyse de l'alinéa 67.1(2)e), on pouvait avoir le moindre doute sur la portée de l'expression « lieu d'affaires » qu'on y trouve, ce doute disparaît lorsque l'on consulte les notes explicatives publiées par le ministre des Finances lors du dévoilement de sa réforme fiscale de 1987 et dans celles accompagnant les projets de loi qui ont proposé l'ajout de l'article 67.1 en 1988 et les modifications subséquentes de cet article. À mon avis, ces notes sont très éclairantes. En particulier, il y a cet exposé que l'on trouve dans les Renseignements supplémentaires relatifs aux mesures de réforme fiscale de 1987 :

À l'heure actuelle, un contribuable peut déduire les frais raisonnables de repas et de représentation engagés à des fins d'affaires. La législation actuelle permet en fait de déduire une partie de ces dépenses qui a un caractère personnel puisque les repas d'affaires et les divertissements comprennent nécessairement un élément de consommation personnelle.

Le Livre blanc proposait de limiter à 80 pour cent la partie déductible de ces frais. Le plafond de 80 pour cent s'appliquerait à tous les repas d'affaires, aliments et boissons compris, de même qu'au coût des repas pris pendant que le contribuable est en voyage ou assiste à un séminaire, un colloque, une conférence, un congrès ou une manifestation du même genre. Ce plafond s'appliquerait aux billets payés pour un spectacle ou une manifestation sportive, aux pourboires et aux frais de couvert, aux locaux loués à des fins de divertissement et au coût de loges privées dans des installations sportives. Lorsqu'un contribuable se fait rembourser ses frais de représentation ou de repas d'affaires, le plafond de 80 pour cent s'appliquerait à la personne qui fait le remboursement.

Le plafond de 80 pour cent ne s'appliquerait pas aux frais suivants:

·         Le coût des repas fournis aux clients dans le cours normal des activités par un restaurant, une compagnie aérienne ou un hôtel;

·         les frais de repas ou de représentation relatifs à une manifestation organisée principalement au profit d'un organisme de charité enregistré;

·         les frais de repas ou de représentation qui sont inclus à titre d'avantage imposable pour le salarié ou lorsque l'employeur reçoit un remboursement de ces frais;

·         le coût des repas et des loisirs fournis par un employeur au profit général de tous les employés. Les salles à manger de direction et les installations du même genre, cependant, seront assujetties au plafond de 80 pour cent.

Les règles précédentes, qui s'appliquent tant aux sociétés qu'aux particuliers, viseraient les dépenses engagées après 1987.

Cette restriction proposée a reçu l'appui général. On a aussi relevé que des restrictions analogues, parfois plus rigoureuses encore, s'appliquaient dans d'autres pays. Les Comités de la Chambre des communes et du Sénat ont cependant recommandé que ces frais soient intégralement déductibles dans le cas des personnes qui sont en voyage.

Le gouvernement a étudié avec soin ces propositions mais a rejeté le principe voulant que les frais de repas et de représentation engagés à l'extérieur échappent au plafond, puisqu'ils comprennent eux aussi un élément de consommation personnelle. Le gouvernement se propose d'appliquer le plafond de 80 pour cent aux frais de repas d'affaires et de représentation tel que proposé dans le Livre blanc.

                                                                                      [Je souligne.]

[39]     Dans les notes explicatives de 1988 qui accompagnaient le projet de loi qui a ajouté l'article 67.1 à la Loi, on trouve des explications pour les exceptions à la règle générale de 67.1 qui étaient prévues, et notamment pour l'exception plus restrictive énoncée à l'alinéa 67.1(2)e). Voici cette explication :

Lorsque le montant est engagé pour offrir des aliments, des boissons ou des divertissements à tous les employés à un endroit donné. Ainsi, la règle ne s'appliquera pas aux dépenses engagées pour une réception de Noël ou une manifestation du même genre organisée pour tous les employés à un endroit donné.

                                                                                      [Je souligne.]

[40]     Lorsque le même alinéa a été modifié en 1991, il a fait l'objet de la note explicative suivante :

L'alinéa 67.1(2)e) de la Loi prévoit une exception à la règle restreignant la déductibilité des frais engagés pour fournir des aliments, des boissons ou des divertissements à tous les employés à un endroit donné. Cet alinéa sert à exclure de l'application du paragraphe 67.1(2) [sic] les coûts engagés relativement à des événements auxquels tous les employés à un endroit donné peuvent participer, comme les réceptions de bureau.

Cet alinéa est modifié de manière à préciser que cette exception s'applique si les aliments, boissons ou divertissements sont pris par les employés d'une personne travaillant au lieu même de l'entreprise de la personne et offerts de façon générale à tous ces employés.

                                                          [Je souligne.]

[41]     En octobre 1998, lorsqu'on a rendu public les nouvelles modifications remplaçant l'alinéa 61.1(2)e) par l'alinéa 67.1(2)f), le ministre des Finances a fourni les explications suivantes :

Le nouvel alinéa 67.1(2)f) est une version modifiée de l'actuel alinéa 67.1(2)e). Comme il est indiqué dans les notes explicatives qui accompagnaient la mise en oeuvre de l'article 67.1, l'alinéa 67.1(2)e) est censé permettre la pleine déductibilité des frais de repas et de divertissement liés à des événements spéciaux tels un party de Noël ou une activité semblable à laquelle l'ensemble des employés dans un lieu donné ont accès. Cet alinéa a toutefois été interprété de façon plus large. Par conséquent, l'alinéa 67.1(2)f), qui remplace l'alinéa 67.1(2)e), restreint l'exemption accordée pour les frais d'aliments, de boissons et de divertissement à tous les employés d'un lieu de travail aux frais engagés au titre d'un maximum de six événements spéciaux tenus au cours d'une année civile.

                                                                                      [Je souligne.]

[42]     À mon avis, ces notes explicatives militent en faveur de l'adoption de l'interprétation restrictive de la notion de « lieu d'affaires » ( « place of business » ) aux fins de l'alinéa 67.1(2)e). Elles ne mentionnent pas, notamment, que cet alinéa permet la pleine déduction des frais d'aliments si ces aliments sont offerts à tous les employés affectés à un « chantier particulier » . L'exemple utilisé est toujours celui d'une réception ou d'une fête à laquelle tous les employés affectés à un lieu d'affaires donné sont conviés. Par conséquent, les lieux d'affaires des clients situés à l'extérieur de la ville de Québec, chez lesquels GMR a exécuté des travaux de construction, ne constituent pas des lieux d'affaires de GMR aux fins de l'article 67.1 de la Loi. Comme le reconnaissait le juge suppléant Smith dans la décision Guaranteed Homes Ltd. (précitée), une entreprise de construction exploite son entreprise chez ses clients, mais le lieu d'affaires de ces clients n'est pas le « lieu d'affaires » de l'entreprise de construction.

[43]     Le seul lieu d'affaires pour GMR durant les années non prescrites était St-Romuald. Par conséquent, GMR ne réunit pas toutes les conditions nécessaires à l'application de l'exception prévue par l'alinéa 67.1(2)e) de la Loi. En effet, seulement les employés de St-Romuald qui travaillaient à l'extérieur de la région de Québec pouvaient avoir droit à l'indemnité de repas et, par conséquent, on ne peut pas dire que GMR a engagé des dépenses pour des aliments offerts de façon générale à tous les particuliers employés par la personne (GMR) à son lieu d'affaires (St-Romuald). Il est manifeste qu'on ne peut soutenir que l'offre des aliments à tous les employés - mais sous certaines conditions - peut être considérée comme une offre valable aux fins de cet alinéa puisqu'un employeur pourrait notamment offrir des aliments à tous ses employés qui rencontrent des clients au restaurant afin d'entretenir de bonnes relations avec eux : il s'agirait là d'un « repas d'affaires » clairement visé par l'article 67.1 de la Loi. Une telle interprétation irait manifestement à l'encontre du but visé par le législateur.

[44]     À mon avis, il y a un autre motif, quoique pas aussi évident que le premier, pour conclure que GMR ne peut pas bénéficier de l'exception prévue à l'alinéa 67.1(2)e). Ce qui était offert par GMR à ses employés n'était pas des aliments, mais plutôt une indemnité pour rembourser leurs frais de repas. Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse dire que GMR offrait à tous ses employés des aliments « pris par des particuliers » et « offerts [...] à tous ces particuliers » . Dans l'affaire Racco (précitée), mon collègue le juge Mogan a traité de cette question. Il a reconnu qu'il pouvait y avoir deux interprétations possibles de l'alinéa 67.1(2)e) de la Loi, l'une libérale selon laquelle cet alinéa s'applique, que l'employeur ait fourni les aliments eux-mêmes ou qu'il ait remboursé à ses employés les dépenses pour les aliments, et l'autre restrictive selon laquelle cet alinéa ne s'applique que si les aliments ont été fournis par l'employeur. À l'appui de cette interprétation restrictive, il notait la différence entre le libellé du paragraphe 67.1(1) et celui de l'alinéa 67.1(2)e). Dans sa version anglaise, le paragraphe 67.1(1) vise tout montant payé « in respect of the human consumption of food » , ce qui est indicatif d'une portée large dans le cas de la règle générale, c'est-à-dire qu'elle vise à la fois les montants payés directement pour des aliments et les indemnités versées aux employés en remboursement du coût d'aliments. À l'alinéa 67.1(2)e), il est question du montant « incurred [...] for food » , confirmant ainsi la portée restreinte de cet alinéa, qui ne vise donc que les coûts directs d'aliments.

[45]     En se fondant sur la version française de l'article 67.1, mon collègue le juge Mogan a conclu en faveur de l'interprétation libérale, puisqu'on utilisait le même mot, « pour » , pour traduire « in respect of » au paragraphe 67.1(1) et « for » à l'alinéa 67.1(2)e). À mon avis, l'interprétation plus restrictive devrait plutôt être adoptée puisqu'elle correspond davantage à l'intention du législateur, tel que le révèlent les notes explicatives citées plus haut[21]. À mon avis, la version anglaise du texte correspond mieux à l'intention du législateur : ce qui doit être offert à tous les particuliers employés à un lieu d'affaires de la personne et être pris par eux, ce sont les aliments et non pas les indemnités pour ces aliments. Même si j'adopte une interprétation différente de celle de mon collègue le juge Mogan, elle permet de retenir les quatre mêmes exemples illustrant la portée de l'alinéa 67.1(2)e) qu'il a donnés au paragraphe 7 de ses motifs, soit ceux des parties de baseball, des pique-niques, des réceptions de Noël et des services de cafétéria. En effet, ces exemples correspondent à des cas où l'employeur fournit généralement les aliments directement à ses employés.

[46]     Pour tous ces motifs, l'appel de GMR à l'égard de l'année 1997 est rejeté. Tous les autres appels sont accueillis. Les cotisations pour les années d'imposition 1993 et 1994 sont annulées. Les cotisations pour les années d'imposition 1992, 1995 et 1996 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis :

i) à l'égard de l'année d'imposition 1992, que la contribuable a droit à une déduction de 70 999,80 $ et que la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi ne s'applique qu'à l'égard du revenu sous-estimé de 10 978,20 $;

ii) à l'égard des années d'imposition 1995 et 1996 :

a) que le montant des dépenses à l'égard des chèques faits à monsieur Tremblay, dont la déduction a été refusée, s'élève à 5 625 $ (au lieu de 7 500 $) pour 1995 et à 5 925 $ (au lieu de 11 850 $) pour l'année 1996 et qu'aucune pénalité ne s'applique à l'égard de ces sommes en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi,

b) que GMR a droit à la déduction de 4 187 $ dans le calcul de son revenu tiré de son entreprise en 1996,

c) que GMR n'a pas droit à un montant plus élevé que celui que lui a accordé le ministre à l'égard des frais de repas.

GMR a droit à 75 pour cent de ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI176

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2000-1731(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LES INSTALLATIONS GMR INC.

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

20 novembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

27 mars 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Daniel Bourgeois

Pour l'intimée :

Me Anne-Marie Boutin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Daniel Bourgeois

Étude :

Pothier Delisle

Sainte-Foy (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Parmi les montants que le ministre a refusé d'admettre comme dépenses et que, au début de l'audience, l'intimée a reconnus comme pouvant être déduits par GMR, il y a un montant de 4 187 $ à l'égard d'une pénalité « statutaire » pour l'année d'imposition 1996. De plus, GMR a reconnu qu'elle n'avait pas le droit de déduire dans le calcul de son revenu des dépenses décrites comme des chèques faits à monsieur Tremblay dont le montant s'élève à 5 625 $ pour l'année d'imposition 1995 et à 5 925 $ pour l'année d'imposition 1996. L'intimée a aussi informé la Cour qu'elle renonçait à l'application de la pénalité à l'égard de ces deux montants.

[2] Dans la Réponse amendée à l'avis d'appel, le montant en litige qui est indiqué pour chacune de ces années (soit le montant de la dépense refusée) est 6 653 $ pour 1995, 8 894 $ pour 1996 et 6 355 $ pour 1997. Selon les propos du procureur de GMR à l'audience, la différence, soit 2 049 $ (6 653 - 4 604) pour 1995, 220 $ (8 894 - 8 674) pour 1996 et 1 385 $ (6 355 - 4 970) pour 1997, devait être assujettie à la règle énoncée à l'article 67.1 de la Loi. Or, dans sa plaidoirie écrite fournie après l'audition des appels, ce procureur nie avoir fait une telle admission. Selon lui, l'intimée avait reconnu que ces montants étaient entièrement déductibles. J'ai relu les passages pertinents de la transcription (en particulier les pages 21 (lignes 21 à 25), 23 (lignes 2 à 5) (lignes 18 à 24), 24 (ligne 1, lignes 17 à 19)) et ces passages confirment le souvenir que j'en avais, à savoir que la différence devait être assujettie à l'article 67.1 de la Loi, tout comme le prétend la procureure de l'intimée.

[3] On verra plus loin un autre exemple dans le libellé de l'alinéa 67.1(2)e) de la Loi.

[4] Le texte français est tiré de la version de la Loi publiée par Publications CCH Ltée, 26e édition (1997) et le texte anglais est tiré de la version de CCH Canadian Limited, 67e édition (1997).

[5] En fait, l'alinéa 67.1(2)d) a été modifié rétroactivement aux années d'imposition 1987 et suivantes par L.C. 1999, ch. 22, article 20, et doit donc se lire ainsi :

(d) is required to be included in computing any taxpayer's income because of the application of section 6 in respect of food or beverages consumed or entertainment enjoyed by the taxpayer or a person with whom the taxpayer does not deal at arm's length, or would be so required but for subparagraph 6(6)(a)(ii).

d) le montant est à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable en raison de l'application de l'article 6 relativement aux aliments, boissons ou divertissements pris par le contribuable ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, ou serait ainsi à inclure si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(ii).

[Je souligne le texte qui a été modifié ou qui est

nouveau par rapport à la version précédente.]

[6] Je note que la version française des motifs du juge Mogan utilise de façon erronée le libellé du texte de 1991 alors que ce texte a été modifié rétroactivement par le texte de 1994.

[7] Voir le paragraphe 2 des motifs du jugement du juge Mogan où il reproduit l'exposé conjoint des faits produits par les parties, et voir en particulier le paragraphe 16 de cet exposé.

[8] Page 8 de sa plaidoirie écrite.

[9] Page 9 de sa plaidoirie écrite. Je ne reviendrai pas sur cet argument. Je suis d'accord avec le procureur de GMR pour conclure que cette position est mal fondée puisque le nouvel alinéa 67.1(2)e) (soit le texte de 1999) qui traite de « travail accompli sur un chantier » n'était pas en vigueur durant les années non prescrites. Ce texte de 1999 ne s'applique qu'aux dépenses engagées après le 23 février 1998.

[10] À la page 5 de sa plaidoirie écrite.

[11] À la page 8 de sa plaidoirie écrite.

[12] À l'époque pertinente, l'alinéa 20(1)ee) ne contenait pas, dans sa version française, l'expression « lieu d'affaires » .

[13] Je note que mon collègue le juge Rip, dans l'affaire Richcraft Homes Ltd. c. Canada, [1995] A.C.I. no 749 (QL) (angl.: 95 DTC 657), souscrit à cette décision du juge suppléant Smith. À la fin de son jugement, il affirme que « Je suis lié par le jugement Guaranteed Homes, qui est un précédent valable. »

[14] Voir notamment Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 1999.

[15] Voir notamment l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Lor-Wes Contracting Ltd. v. La Reine, [1986] 1 C.F. 346, à la page 355 (angl.: 85 DTC 5310, 5314) comme une illustration de cette approche.

[16] Pour alléger le texte, je ne ferai référence qu'aux aliments.

[17] Je suis conscient que ces notes ne font pas partie du texte de l'article et n'y figurent qu'à titre de repère ou d'information (article 14 de la Loi d'interprétation, L.R. (1985) ch. 1-21).

[18] L'alinéa 6(6)a) édicte :

(6) Emploi sur un chantier particulier ou en un endroit éloigné. Malgré le paragraphe (1), un contribuable n'inclut, dans le calcul de son revenu tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, aucun montant qu'il a reçu, ou dont il a joui, au titre, dans l'occupation ou en vertu de sa charge ou de son emploi et qui représente la valeur des frais - ou une allocation (n'excédant pas un montant raisonnable) se rapportant aux frais - qu'il a supportés pour:

a) sa pension et son logement, pendant une période donnée:

(i) soit sur un chantier particulier qui est un endroit où le travail accompli par lui était un travail de nature temporaire, alors qu'il tenait ailleurs et comme lieu principal de résidence, un établissement domestique autonome :

(A) d'une part, qui est resté à sa disposition pendant toute la période et qu'il n'a pas loué à une autre personne,

(B) d'autre part, où on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'il retourne quotidiennement étant donné la distance entre l'établissement et le chantier,

(ii) soit à un endroit où on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'il établisse et tienne un établissement domestique autonome, étant donné l'éloignement de cet endroit de toute agglomération,

si la période au cours de laquelle son travail l'a obligé à s'absenter de son lieu principal de résidence ou à être sur ce chantier ou à cet endroit était d'au moins 36 heures; [...]

[19] Comme on l'a vu plus haut, depuis le 24 janvier 1998, les frais d'aliments consommés sur certains chantiers particuliers ne sont plus assujettis à la règle générale.

[20] Par conséquent, l'exception ne s'applique pas si le voyage s'est effectué par automobile, camion ou navire.

[21] De plus, compte tenu des nombreuses modifications qui ont été apportées à la version française des alinéas 67.1(2)d) et e) pour les rendre conforme à la version anglaise et du fait que le titre de l'article 67.1 devrait aussi être modifié pour le rendre conforme au titre, plus approprié, de la version anglaise, il me semble qu'il soit plus prudent de donner préséance à la version anglaise pour les fins de l'interprétation de l'article 67.1 de la Loi.

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