Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2004-115(EI)

ENTRE :

DANY CASTONGUAY,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 9 décembre 2004, à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Jérôme Carrier

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2005.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


Référence : 2005CCI11

Date : 20050113

Dossier : 2004-115(EI)

ENTRE :

DANY CASTONGUAY,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

[1]      L'appelant en appelle de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) selon laquelle l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable durant les périodes en cause, soit du 1er février au 19 juin 1999, du 31 janvier au 17 avril 2000, du 5 février au 16 juin 2001 et du 4 février au 18 mai 2002, au service de 9006-0674 Québec inc. (le « payeur » ), et ce, aux termes d'un véritable contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[2]      Les faits sur lesquels le ministre s'est appuyé sont décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel et sont les suivants :

a)          le payeur, constitué en société en 1994, exploite une érablière comportant, depuis 1999, 18 000 entailles; il possède les équipements nécessaires à la fabrication du sirop;

b)          depuis 1999, les actionnaires, à parts égales, du payeur sont les frères Jocelyn et Claude Lagacé;

c)          le payeur ne produit que du sirop, il n'offre aucun repas et ne reçoit pas le public;

d)          l'appelant est propriétaire, depuis 1999, d'une érablière de 4 000 entailles toutes reliées par tubulure;

e)          l'érablière de l'appelant est attenante à l'érablière appartenant au payeur;

f)           l'appelant ne possède qu'une station de pompage;

g)          de 1999 à 2002, l'appelant faisait bouillir son eau par le payeur qui lui chargeait 55 sous la livre de sirop;

h)          il n'existe aucun lien entre l'appelant et le payeur;

i)           l'appelant prétend qu'a chaque année il entaillait ses arbres vers la fin de février, sur 2 ou 3 jours, alors que son érablière compte 4 000 entailles;

j)           le payeur avait un compteur distinct pour calculer la quantité d'eau d'érable provenant de l'érablière de l'appelant et il lui remettait un pourcentage du produit de la vente de sirop d'érable correspondant à sa part de l'eau récolté;

k)          durant les périodes en litige, le payeur embauchait l'appelant pour travailler à son érablière;

l)           durant la saison de production, la principale tâche de l'appelant auprès du payeur consistait à surveiller et réparer la tubulure et à surveiller les relais dans le bois;

m)         selon M. Jocelyn Lagacé, l'appelant consacrait le reste de son temps à travailler à la cabane du payeur à faire bouillir l'eau et à laver les réservoirs;

n)          l'appelant n'avait aucun horaire de travail à respecter et ses heures n'étaient pas comptabilisées par le payeur;

o)          l'appelant commençait à rendre des services au payeur au moins un mois avant même d'être inscrit au journal des salaires du payeur et ce, sans rémunération;

p)          l'appelant faisait du cumul d'heures au début de chaque saison avant d'être inscrit au journal des salaires du payeur;

q)          quand il était inscrit au journal des salaires, l'appelant recevait une rémunération hebdomadaire brute de 702 $ et ce, sans égard aux heures réellement travaillées;

r)           selon ses relevés d'emploi, l'appelant aurait prétendument travaillé jusqu'au 19 juin en 1999, jusqu'au 17 juin en 2000, jusqu'au 16 juin en 2001 et jusqu'au 18 mai en 2002 alors que l'appelant ne demeurait à son emploi que pendant 1 ou 2 semaines à la fin de la saison des sucres qui se terminait généralement à la fin d'avril, pour laver la tubulure;

s)          le 27 décembre 1999, le payeur émettait un relevé d'emploi au nom de l'appelant, pour la période du 29 mars au 19 juin 1999, indiquant 540 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 8 424 $;

t)           le 25 novembre 2000, le payeur émettait un relevé d'emploi au nom de l'appelant, pour la période du 3 avril au 17 juin 2000, indiquant 495 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 7 722 $;

u)          le 1er novembre 2001, le payeur émettait un relevé d'emploi au nom de l'appelant, pour la période du 2 avril au 16 juin 2001, indiquant 405 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 6 318 $;

v)          le 18 octobre 2002, le payeur émettait un relevé d'emploi au nom de l'appelant, pour la période du 31 mars au 18 mai 2002, indiquant 315 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 4 914 $;

w)         les relevés d'emploi émis par le payeur au nom de l'appelant ne reflètent pas la réalité quant au premier jour travaillé, quant au dernier jour payé, quant aux périodes réellement travaillées ni quant aux heures réellement travaillées par l'appelant au cours des périodes en litige;

x)          il y a eu arrangement entre les parties dans le but de permettre à l'appelant de se qualifier pour recevoir des prestations de chômage.

[3]      Tous les faits sur lesquels le ministre s'est appuyé ont été admis à l'exception des faits décrits aux alinéas n), o), p), q), w) et x) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel.

Analyse

[4]      Pour que l'appelant puisse bénéficier de l'assurance-emploi, le travail exécuté doit l'être dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services. Pour décider si un contrat de travail est éligible, la jurisprudence a identifié les critères suivants : le lien de subordination donnant au payeur un pouvoir de contrôle sur le travail exécuté pour le salaire versé, les chances de profit et risques de perte, la propriété des outils et l'intégration.

[5]      L'application de ces critères aux faits disponibles appuie évidemment la conclusion que le contrat de travail est éligible. Par contre, il est tout aussi important qu'il s'agisse d'un véritable contrat de travail, faute de quoi l'exercice visant à appliquer les critères est tout à fait inutile. La première question qu'il faut résoudre ici est donc de savoir si le contrat liant l'appelant constituait un véritable contrat de travail. L'emploi était-il en l'espèce un trompe-l'oeil?

Prestation de travail

[6]      Quelle était la prestation de travail de l'appelant pour la période du 1er février au 19 juin 1999, du 31 janvier au 17 avril 2000, du 5 février au 16 juin 2001 et du 4 février au 18 mai 2002?

[7]      Il convient de rappeler que l'appelant a admis lors de l'audience qu'il ne demeurait à l'emploi du payeur que pendant 1 ou 2 semaines[1] à la fin de la saison des sucres, qui se terminait généralement à la fin avril, et qu'il lavait la tubulure pendant cette période.

[8]      Je rappelle ce qui suit :

i)         Le 27 décembre 1999, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelant, pour la période du 29 mars au 19 juin 1999, indiquant 540 heures assurables. Selon les relevés d'emploi (pièce A-2), l'appelant aurait donc travaillé 315 heures en mai et juin 1999, alors qu'il avait admis n'avoir travaillé qu'environ 68 heures[2] pendant ces deux mois. On peut donc en conclure qu'en mai et juin 1999, l'appelant n'avait pas fourni une prestation de travail pendant 247 des heures indiquées pour cette période de deux mois.

ii)        Le 25 novembre 2000, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelant, pour la période du 3 avril au 17 juin 2000, indiquant 495 heures assurables. Selon les relevés d'emploi (pièce A-2), l'appelant aurait donc travaillé 315 heures en mai et juin 2000, alors qu'il avait admis n'avoir travaillé qu'environ 68 heures pendant ces deux mois. On peut donc en conclure que l'appelant n'avait pas fourni une prestation de travail pendant 247 des heures indiquées pour cette période de deux mois.

iii)       Le 1er novembre 2001, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelant, pour la période du 2 avril au 16 juin 2001, indiquant 405 heures assurables. Selon les relevés d'emploi (pièce A-2), l'appelant aurait donc travaillé 306 heures en mai et juin 2001, alors qu'il avait admis n'avoir travaillé qu'environ 68 heures pendant ces deux mois. On peut donc en conclure que l'appelant n'avait pas fourni une prestation de travail pendant 238 des heures indiquées pour cette période de deux mois.

iv)       Le 18 octobre 2002, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelant, pour la période du 31 mars au 18 mai 2002, indiquant 315 heures assurables. Selon les relevés d'emploi (pièce A-2), l'appelant aurait donc travaillé 117 heures en mai et juin 2002, alors qu'il avait admis n'avoir travaillé que 68 heures pour cette période de deux mois. On peut donc en conclure que l'appelant n'avait pas fourni une prestation de travail pendant 49 des heures indiquées pour cette période de deux mois.

[9]      Les parties pertinentes des déclarations statutaires (pièce I-1 et I-2) de l'appelant et de monsieur Jocelyn Lagacé (un des actionnaires du payeur) quant à la nature de la prestation de travail de l'appelant méritent d'être citées :

[...] Concernant mes périodes de travail pour Jocelyn Lagacé, mes relevés d'emploi ne correspondent pas à la réalité pour le premier jour de travail. Nous nous étions entendus pour accumuler les premières journées de travail parce qu'au début de la saison, en raison de la longueur de la journée et du froid, on ne peut faire de semaine à temps plein. D'années en années, je commençais à la mi-janvier pour couper les branches tombées, faire les réparations pour continuer par l'entaillage vers la mi-février, couvrir les fuites en mars, avril et finir par le lavage vers la mi-mai. Il y a aussi des années où je continuais quelques semaines à bûcher. Il a une érablière de 18,000 entailles. Donc, pour tous mes relevés d'emploi pour l'érablière de Jocelyn et Claude Lagacé (9006-0674 Québec Inc.) les premiers jours de travail sont erronés, ils devraient être vers la mi-janvier. Pour ce qui est des derniers jours de travail, du nombre total d'heures assurables et du [erreur dans l'original] montants totals assurables, ils sont corrects.

[...] Nous nous étions entendus qu'il ferait des heures en début de saison pour compenser les heures qu'il passerait dans son érablière à entailler et couvrir les fuites par exemple. C'est lui qui gardait ses heures en notes. Je ne voulais pas commencer à contrôler tout ça. Il pouvait faire une centaine d'heures, selon moi, avant d'apparaître au livre de paie. C'est arrivé une couple de fois au cours des années où on avait vraiment accumulé des heures parce qu'il n'avait fait qu'une journée et demi dans sa semaine par exemple. Pour le reste, il prenait de l'avance pour les heures qu'il aurait à travailler dans sa propre érablière. Normalement, je fais mes réparations avant la période d'entaillage de façon à débuter l'entaillage plus tard et que ça aille plus vite. Une fois les réparations faites, ça nous prend au plus 10 jours pour entailler. Je fini cela normalement dans la dernière semaine de mars. Les relevés d'emploi émis à Dany Castonguay en 1999, 2000, 2001 et 2002 ne reflète donc pas la réalité au niveau des premiers jours de travail qui devraient être au début février (pas à la mi-janvier comme vous l'a dit Dany Castonguay car c'est trop de bonne heure). J'étais conscient que mes premiers jours de travail ne reflétaient pas la réalité mais les salaires au total versés et le nombre total d'heures correspondaient à la réalité.

[...] En 1998, j'avais engagé Dany Castonguay parce que ses quelques 5,000 entailles devaient être prêtes mais elles ne l'étaient pas. Comme il avait besoin de faire ses timbres de chômage, je l'ai engagé pareil et je l'ai fait bûcher pour compléter ses timbres. [...]

[10]     Dans son témoignage, l'appelant a essentiellement réitéré les déclarations faites dans sa déclaration statutaire. En effet, il a témoigné qu'il avait fait du cumul d'heures, c'est-à-dire qu'il avait travaillé pour le payeur pendant une centaine d'heures pour chacune des années en cause, avant d'être inscrit au registre de paye du payeur. Il a ajouté que les heures ainsi cumulées compensaient des heures pendant lesquelles il ne travaillait pas en mai et en juin et qu'ainsi le total des heures de travail pour chacune des années en cause était exact. Il a aussi témoigné qu'il travaillait 45 heures par semaine, du lundi au vendredi, et ce, de 7 heures à 19 heures. Il a finalement ajouté que pendant ces heures de travail, il ne travaillait pas dans sa propre érablière : sa conjointe et son père s'occupaient alors de sa propre érablière.

[11]     Le fardeau de la preuve reposait sur l'appelant. Il devait me convaincre, dans un premier temps, qu'il avait travaillé pour le payeur pendant 540 heures, 495 heures, 405 heures et 315 heures pour les périodes du 1er février au 19 juin 1999, du 31 janvier au 17 avril 2000, du 5 février au 16 juin 2001 et du 4 février au 18 mai 2002 respectivement. Ce n'est pas en faisant des affirmations générales, imprécises, non véritables, souvent invraisemblables et contredites par les déclarations de monsieur Lagacé qu'il pouvait me convaincre, et ce, pour les motifs suivants :

i)         L'appelant a soutenu qu'il commençait à travailler pour le payeur à partir de la mi-janvier. Cette assertion fut tout simplement contredite par la déclaration de monsieur Lagacé que l'emploi de l'appelant avait débuté au début du mois de février.

ii)        L'appelant a soutenu qu'il avait travaillé pour le payeur pendant une centaine d'heures pour chacune des années en cause avant d'être inscrit au registre de paye du payeur. Je rappelle qu'il a témoigné que les heures ainsi cumulées compensaient des heures pendant lesquelles il ne travaillait pas en mai et en juin et qu'ainsi le total des heures de travail pour chacune des années en cause était exact. Il ressort pourtant de la preuve qu'en mai et juin 1999, l'appelant n'avait travaillé que pendant 68 heures environ des heures inscrites au registre du payeur. Le nombre d'heures pendant lesquelles il ne travaillait pas durant ces deux mois était donc de 247. Comment l'appelant peut-il alors prétendre que le total des heures de travail pour l'année 1999 était exact? Il est tout aussi difficile, sinon impossible, de conclure que pour les autres années en cause, le total des heures de travail de l'appelant était exact. En effet, le cumul d'une centaine d'heures ne compensait d'aucune manière les heures pendant lesquelles il ne travaillait pas durant les mois de mai et juin des années 2000 et 2001.

iii)       L'appelant a témoigné que c'était un des actionnaires du payeur qui prenait en note ses heures de travail. La déclaration de monsieur Lagacé à cet égard était la suivante :

C'est lui qui gardait ses heures en notes. Je ne voulais pas commencer à contrôler tout ça.

iv)       Il convient aussi de rappeler que monsieur Lagacé avait déclaré que l'entente qui le liait à l'appelant était que ce dernier ferait des heures de travail en début de saison pour compenser les heures qu'il passerait dans son érablière à entailler et à réparer les fuites. Pourtant, l'appelant avait déclaré que pendant les semaines de travail, c'était son père et son épouse qui réparaient les fuites de la tubulure et que c'était lui qui entaillait ses érables pendant les fins de semaine.

[12]     Je conclus que cet emploi n'était qu'un trompe-l'oeil et que l'appelant et le payeur avaient conclu un arrangement afin de permettre à l'appelant de recevoir des prestations d'assurance-emploi. Je suis d'avis que le contrat qui liait l'appelant et le payeur ne constituait pas un véritable contrat de travail. En effet, l'appelant devait démontrer que le contrat de travail qui le liait au payeur remplissait toutes les conditions indiquées au Code civil du Québec. Il devait donc démontrer notamment qu'il y avait eu une prestation réelle de services, un des éléments essentiels à l'existence de son contrat de travail. L'appelant ne s'est tout simplement pas acquitté de l'obligation qui lui incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y avait eu une prestation réelle de services. Compte tenu de ce qui précède, je ne vois pas l'utilité de me pencher sur les autres conditions énoncées au Code civil du Québec.

[13]     Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2005.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2005CCI11

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-115(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Dany Castonguay et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 9 décembre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Jérôme Carrier

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Jérôme Carrier

Étude :

Rochon, Belzile, Carrier, Auger

Québec (Québec)

Pour l'intimé :

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Ce qui représente environ 68 heures de travail en moyenne pour cette période compte tenu que l'appelant a admis qu'il travaillait 45 heures par semaine.

[2]           Voir analyse au paragraphe 7.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.