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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier: 1999-2485(IT)G

ENTRE :

HENRY BERNICK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 11, 12 et 13 juin 2003 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Barry Wortzman et

Me Gaynor J. Roger

 

Avocate de l’intimée :

Me Margaret J. Nott

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels de cotisations d’impôt établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant seulement compte du fait que les pénalités doivent être ramenées à 100 $ pour chacune des années 1992, 1993 et 1994.

 

          À tous autres égards, les appels sont rejetés, avec dépens pour l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juin 2003.

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2005.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence: 2003CCI433 

Date: 20030626

Dossier: 1999-2485(IT)G

ENTRE :

HENRY BERNICK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     En 1992, en 1993 et en 1994, l’appelant, M. Henry Bernick, était un associé dans une société de personnes des Bahamas appelée The Group of Eighteen (ci‑après appelée la « société de personnes »). La société de personnes était propriétaire de certains titres de placement, à savoir une obligation à coupon zéro de British Gas, ayant une valeur à l’échéance de 7,5 millions de dollars US (ci‑après appelée l’« obligation britannique »), et plusieurs obligations convertibles de compagnies japonaises d’assurance maritime et d’assurance‑incendie, ayant une valeur à l’échéance de 147 millions de yens (ci‑après appelées les « obligations de compagnies d’assurances »). La société de personnes a disposé de l’obligation britannique et des obligations de compagnies d’assurances au cours des trois années en question et a déclaré des pertes de 2 280 318 $US, de 2 336 385 $US et de 1 710 165 $US pour 1992, 1993 et 1994 respectivement. Ces pertes se fondaient sur un coût initial calculé sur la base de la valeur à l’échéance de l’obligation britannique et des obligations de compagnies d’assurances (collectivement appelées ci‑après les « obligations »), soit une position dont M. Bernick dit qu’elle est appuyée par les principes comptables généralement reconnus (PCGR) des Bahamas. L’intimée n’a pas admis la part de 90 p. 100 de ces pertes déclarée par l’appelant et elle a établi des cotisations fondées sur le fait qu’il y avait eu des gains nets et non des pertes, en prenant en compte le coût initial des obligations comme étant la valeur marchande et non la valeur à l’échéance, soit une position dont l’intimée dit qu’elle est appuyée par les PCGR du Canada et par les normes comptables internationales.

 

[2]     Les questions en litige sont les suivantes :

 

1.       Quelle est la détermination appropriée du revenu de M. Bernick pour 1993 et 1994 aux fins de l’impôt canadien?

 

          La méthode utilisée par M. Bernick ne rend pas fidèlement compte de son revenu, et la détermination appropriée de son revenu correspond à ce qui est indiqué dans les cotisations établies par l’intimée.

 

2.       L’intimée a‑t‑elle prouvé que, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, M. Bernick a, dans ses déclarations de revenu pour 1992, 1993 et 1994, fait des faux énoncés ou des omissions qui justifient l’imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi?

 

          L’intimée a prouvé que M. Bernick a sciemment acquiescé à une omission faite dans les états financiers déposés avec les déclarations de revenu de M. Bernick pour 1992, 1993 et 1994, quoique tout revenu déclaré en moins soit attribuable non pas à l’omission mais aux principes utilisés par M. Bernick. Par conséquent, la pénalité à imposer en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi se limite à 100 $ pour chacune des années 1992, 1993 et 1994.

 

Faits

 

[3]     À la fin des années 1970 et au début des années 1980, M. Bernick, par suite d’une relation de longue date avec Wood Gundy, de Londres, a été amené à examiner les marchés financiers japonais. L’examen long et approfondi qu’il a effectué l’a décidé à investir dans des compagnies d’assurance‑incendie et d’assurance maritime qui sont des actionnaires importants de sociétés japonaises comme Toyota. M. Bernick a eu beaucoup de succès dans cette stratégie d’investissement et a nettement fait preuve d’une vaste compréhension de ce marché. Au milieu des années 1980, M. Bernick était en outre très actif dans le domaine des aménagements de terrains à Barrie (Ontario). Ses sociétés détenaient une participation d’un tiers dans une société immobilière en commandite et une participation d’un quart dans une autre société immobilière en commandite. Il était personnellement engagé pour gérer ces entreprises immobilières. Au début des années 1990, M. Bernick s’est rendu compte que ces entreprises immobilières rapporteraient un revenu important dans les quelques années à venir.

 

[4]     En juillet 1992, l’avocat de longue date de M. Bernick, M. John McKellar, de Weir & Foulds, a suggéré à M. Bernick de parler à M. E. P. Toothe, un avocat des Bahamas qui avait un investissement auquel M. Bernick pourrait être intéressé. M. Bernick a donné suite à cette suggestion et a contacté M. Toothe en juillet 1992. Il a déterminé que le placement consistait en plusieurs obligations convertibles de compagnies japonaises d’assurance‑incendie et d’assurance maritime, soit un investissement qu’il connaissait très bien, ainsi qu’en une obligation à coupon zéro de British Gas. M. Bernick a demandé des détails et a reçu une liste des obligations. On l’a en outre informé que l’investissement serait effectué par voie d’achat d’unités d’une société de personnes des Bahamas, qui serait la propriétaire des obligations. M. Bernick a analysé les obligations et est arrivé aux valeurs suivantes[1] :

 

[TRADUCTION]

 

Annexe « A » – Liste de titres de placement

 

Nbre d’obligations

Coupure

Nom

 

Échéance

Millions de Y

 

Millions de $US

Valeur en $US déterminée par M. Bernick

1

1 million de Y

Tokio Marine & Fire Insurance

CONV. 1

31/03/97

1

 

 

59

"

Mitsui Marine & Fire Insurance

CONV. 1

29/03/02

59

 

 

54

"

Sumitomo Marine & Fire Insurance

CONV. 2

31/03/03

54

 

 

20

"

Nippon Fire & Marine Insurance

CONV. 2

31/03/98

20

 

 

13

"

Yasuda Fire & Marine Insurance

CONV. 2

31/03/98

13

 

 

147

 

 

 

 

147

 

1 000 050

750

10 000 $US

British Gas International Finance

Zéro

4/11/21

 

7,5

   750 000

 

[5]     En fait, M. Bernick a évalué les unités de la société de personnes — il y en avait en tout 1 800 — à 1,8 million de dollars US, soit 1 000 $US l’unité. Il a demandé et reçu une copie du contrat de société de personnes. Tout au long du mois d’août, M. Bernick s’est arrangé avec des amis, des membres de la famille et des associés pour fournir les 1,8 million de dollars US pour acquérir 1 798 des 1 800 unités de la société de personnes. M. Toothe était, en tant qu’associé gérant, propriétaire de deux de ces unités. Il en a acquis 16 autres de manière à avoir une participation de 1 p. 100. Les unités devaient être achetées à P.T. Limited, société des Bahamas. M. Bernick acquérait 1 620 unités, et le reste du groupe en acquérait 178. M. Bernick est parti pour Nassau en avion le 2 septembre 1992 avec, en main, son chèque et des chèques des autres membres du groupe, en vue de clore l’opération le 3 septembre. Son propre chèque, de 1,62 million de dollars, était daté du 2 septembre.

 

[6]     Pendant ce temps, à Nassau, les choses avançaient également. Le contrat de société de personnes a été passé le 10 août 1992, entre M. Toothe et l’un de ses associés, M. Barry Sawyer. Il a été enregistré auprès du registraire général pour les Bahamas le 21 août. Ce même jour, P.T. Limited a accepté de transférer les obligations à la société de personnes en échange de 1 798 unités de celle‑ci, cette opération devant se conclure le 3 septembre, en même temps — par coïncidence — que la vente des 1 798 unités de la société de personnes par P.T. Limited à M. Bernick et son groupe. Le contrat d’échange entre P.T. Limited et la société de personnes se lit intégralement comme suit[2] :

 

[TRADUCTION]

Attendu que le vendeur accepte de vendre les titres de placement énumérés à l’annexe « A » ci‑jointe et que l’acheteur accepte de les acheter;

 

Le vendeur et l’acheteur conviennent que la contrepartie relative à la vente et à l’achat desdits titres énumérés à l’annexe « A » sera la suivante :

 

1 798 unités de la société de personnes appelée « The Group of Eighteen » seront émises par l’acheteur en faveur du vendeur.

 

L’opération se conclura au plus tard le 3 septembre 1992 au bureau d’E.P. Toothe & Associates, 3e étage, Maritime House, rue Frederick, Nassau.

 

[7]     La liste d’obligations annexée au contrat était la liste qui avait antérieurement été envoyée à M. Bernick pour qu’il l’examine. L’obligation britannique valait alors 9,34 $ par montant nominal de 100 $, soit 700 500 $. M. Bernick s’est rendu compte que l’obligation britannique rapportait moins que les obligations de compagnies d’assurances. Il estimait dès le départ qu’il serait souhaitable que la société de personnes dispose avec le temps de l’obligation britannique et acquière des obligations semblables aux obligations de compagnies d’assurances. Ainsi, peu après l’acquisition effectuée par M. Bernick et son groupe, la société de personnes a disposé d’une partie de l’obligation britannique ayant une valeur à l’échéance de 2,5 millions de dollars US. Puis, en janvier 1993, la société de personnes a disposé d’une autre partie de l’obligation britannique, ayant une valeur nominale de 2,5 millions de dollars US. Ces deux ventes ont été faites selon des valeurs représentant juste un peu moins de 10 cents par dollar 10 cents étant l’estimation de M. Bernick quant à la valeur aux fins de l’offre de 1,8 million de dollars relative aux unités de la société de personnes. Plus tard en 1993, la valeur de l’obligation britannique est passée à plus de 14 cents par dollar, et la société de personnes a disposé d’une autre partie de l’obligation britannique, ayant une valeur nominale de 500 000 $US. Enfin, en janvier 1994, la société de personnes a disposé de la dernière partie, d’un montant de 2 millions de dollars US, qui valait alors environ 12 cents par dollar.

 

[8]     M. Bernick, qui était le seul conseiller en placement de la société de personnes, n’avait pas suggéré de vendre l’ensemble de l’obligation britannique en 1992. Il a dit que l’on avait simplement alors pris la décision commerciale d’en vendre une partie.

 

[9]     La société de personnes a produit un bilan au 4 septembre 1992 qui se lit comme suit[3] :

[TRADUCTION]

« The Group of Eighteen »

 

Société de personnes constituée en vertu de la législation

du Commonwealth des Bahamas

 

BILAN

($US)

4 septembre 1992

 

ACTIF

 

 

$US

Argent

 

2 000

Titres (note A)

 

 

147 millions de Y d’obligations convertibles (125 Y = 1 $)

1 176 000

 

7 500 000 $US d’obligations à coupon zéro de British Gas

7 500 000

8 676 000

 

 

8 678 000

 

 

PASSIF

 

1 800 unités de la société de personnes

 

8 678 000

 

[10]    Les obligations de compagnies d’assurances et l’obligation britannique ont été comptabilisées selon la valeur à l’échéance. Le bilan pour la fin d’exercice du 31 décembre 1992 de la société de personnes indiquait comme coût du stock de titres de placement un montant de 6 394 107 $US (ce qui tient compte de la disposition d’une partie de l’obligation britannique ayant une valeur nominale de 2,5 millions de dollars US), mais il comportait en outre une ligne disant : « Valeur marchande des titres –1 879 560 $ ». Rien n’indiquait que le coût était basé sur la valeur à l’échéance. Les états financiers pour 1993 et 1994 étaient semblables à cet égard.

 

[11]    M. Bernick a dit qu’il avait reçu les états financiers pour 1992 en février 1993 et qu’il avait été enchanté de voir que son placement de 1,8 million de dollars était passé à un montant de 1 879 560 $. Il n’a pas manifesté d’étonnement et n’a guère manifesté d’intérêt quant au fait que les obligations avaient été comptabilisées selon la valeur à l’échéance. Il maintenait que c’était seulement à ce stade qu’il avait appris que, le coût ayant été comptabilisé selon la valeur à l’échéance, la disposition de l’obligation britannique donnait lieu à une perte importante. En annexe aux états financiers figurait un état relatif à l’impôt sur le revenu pour 1992 qui indiquait que la perte de M. Bernick était de 2 468 903 $CAN. M. Bernick a dit qu’il s’agissait d’une perte comptable. Ces états financiers avaient été établis par M. Graeme H. E. Jones, comptable agréé de Toronto. Le rapport de vérification de M. Jones relatif à ces états, qui sont semblables pour les trois années en cause, se lit en partie comme suit[4] :

 

[TRADUCTION]

[...] Ces états financiers sont la responsabilité de la direction de la société de personnes. Ma responsabilité est d’exprimer à l’égard de ces états financiers une opinion basée sur ma vérification.

 

J’ai effectué ma vérification conformément aux normes de vérification généralement reconnues. Ces normes exigent que je planifie et effectue une vérification de manière à obtenir une assurance raisonnable quant à savoir si les états financiers ne comportent aucune inexactitude importante. [...]

 

À mon avis, ces états financiers présentent fidèlement, à tous égards importants, la situation financière de la société de personnes au 31 décembre 1992, ainsi que les résultats de ses opérations et l’évolution de sa situation financière pour la période se terminant à cette date‑là, conformément aux principes comptables généralement reconnus.

 

[12]    L’avis que M. Bernick a reçu du cabinet d’avocats Weir & Foulds et de M. Jones était que cette perte pouvait être compensée par les gains importants qu’il réalisait dans son entreprise immobilière au Canada et que le paiement de l’impôt pouvait être différé jusqu’à son décès ou à celui de son épouse. Il en était ainsi, lui disait‑on, parce que le coût de ses unités de société de personnes devenait négatif, ce qui donnerait lieu à une obligation fiscale au moment du décès. M. Bernick s’est informé au sujet de l’importance d’une telle obligation et, après qu’on lui eut dit que cette obligation s’élèverait à environ 5 000 000 $CAN, il a souscrit une assurance‑vie de ce montant. Il a payé jusqu’à maintenant plus de 700 000 $US de primes à l’égard de cette police d’assurance, qu’il maintient en vue de couvrir cette obligation future.

 

[13]    En produisant ses déclarations de revenu pour 1992, 1993 et 1994, M. Bernick a annexé des copies des états financiers de la société de personnes établis par M. Jones, y compris les états relatifs à la situation de M. Bernick en matière de perte aux fins de l’impôt. Sur les conseils de Price Waterhouse, M. Bernick a en outre fait en sorte que lui soient attribués personnellement, comme honoraires de gestion, des revenus d’entreprise de ses sociétés de 2 382 000 $, de 2 695 000 $ et de 2 108 000 $ pour 1992, 1993 et 1994 respectivement. De tels honoraires n’ont pas été versés à M. Bernick en 1995, en 1996 et en 1997, mais des honoraires de gestion de 150 000 $, de 350 000 $ et de 900 000 $ lui ont été versés pour les années 1998, 1999 et 2000 respectivement. Pour l’année 2000, M. Bernick a comptabilisé des pertes de société de personnes de 870 527 $ provenant de la disposition de certaines obligations à coupon zéro de l’Ontario que la société de personnes avait acquises en 1994 dans le cadre d’un échange avec une société appelée Sycamore Investments. Comme dans le cas de P.T. Limited, Sycamore avait transféré à la société de personnes certaines obligations convertibles de compagnies d’assurance‑incendie et d’assurance maritime, ainsi que l’obligation à coupon zéro de l’Ontario, en échange d’unités de la société de personnes. M. Bernick et son groupe avaient alors acquis les unités de la société de personnes. M. Bernick a reconnu que les obligations acquises lors d’un tel échange étaient comptabilisées selon la valeur à l’échéance, tandis que les titres acquis par la société de personnes sur le marché proprement dit étaient comptabilisés selon la valeur marchande. Il estimait qu’il y avait une distinction.

 

[14]    Avant de passer aux témoignages des experts, il y a certaines dispositions du contrat de société de personnes qu’il convient de mentionner. Ces dispositions sont les suivantes[5] :

 

[TRADUCTION]

[...] Aux seules fins de la détermination de profits, de pertes, de distributions et de rendements de capital, les états financiers susmentionnés seront considérés comme concluants, sauf erreur importante manifeste.

 

[...]

            L’entreprise de la société de personnes sera dirigée et gérée seulement par l’associé gérant, sous réserve d’une résolution ou décision des associés [...].

 

[...] Nonobstant toute autre disposition du présent contrat, aucun associé ayant plus de 50 p. 100 des unités en circulation n’aura droit à plus de 50 p. 100 des votes afférents aux unités alors en circulation. [...]

 

[15]    Dans l’année suivant leur investissement dans la société de personnes, tous les associés autres que M. Bernick avaient eu un rendement au titre de leur capital. Éventuellement, M. Bernick devait avoir un tel rendement, en nature et en espèces.

 

[16]    Chaque partie a présenté un rapport d’expert‑comptable. L’appelant a présenté un rapport de M. Dayrrl R. Butler, comptable agréé qui était autorisé à exercer sa profession aux Bahamas et au Canada. M. Butler a exercé sa profession à Nassau depuis 1984, auprès de Butler & Taylor, soit un cabinet membre de Moore Stephens International Limited. En bref, son opinion était qu’il était approprié et acceptable que, dans des états financiers pour 1992, 1993 et 1994, les titres négociables de placement à long terme d’une société de personnes des Bahamas soient comptabilisés selon leur valeur à l’échéance ou leur valeur nominale. M. Butler a divisé son opinion entre deux périodes, soit la période allant jusqu’en 1992 inclusivement et la période postérieure à 1992, car ce n’est qu’en 1993 que le Bahamian Institute of Chartered Accountants a expressément défini des normes généralement reconnues ou ce que nous appellerions au Canada des principes comptables généralement reconnus (PCGR). Jusqu’en 1993, aux Bahamas, les PCGR correspondaient simplement au choix du comptable agréé établissant les comptes, qu’il évaluait en se fondant sur ses expériences. Le comptable agréé prenait en considération ce qu’il pouvait être approprié de divulguer à des banques, à des fiducies et à des compagnies d’assurances. En outre, le comptable agréé se reportait aux PCGR de sa mère patrie, soit normalement les États‑Unis, le Royaume‑Uni ou le Canada. D’après M. Butler, en 1992, des titres de placement étaient comptabilisés selon le coût, selon la juste valeur marchande ou selon l’évaluation de l’associé gérant, pourvu que cela ait donné une image fidèle de la situation et n’ait pas été trompeur pour les utilisateurs visés. Normalement, dans une société de personnes, les seuls utilisateurs seraient les associés eux‑mêmes. M. Butler a dit qu’en pratique, aux Bahamas, un vérificateur ne demandait pas à l’associé gérant, de qui des instructions étaient reçues, de renseignements sur la composition de la société de personnes, c'est‑à‑dire quant à savoir qui étaient les associés.

 

[17]    La comptabilisation des titres de placement après 1992 serait assujettie à l’article 7 du règlement du Bahamian Institute of Chartered Accountants (BICA), en vertu duquel les normes comptables applicables sont les suivantes[6] :

 

[TRADUCTION]

1.         Les normes comptables internationales (NCI) promulguées par le Comité international de normalisation de la comptabilité (CINC), à l’exception de toute NCI expressément exclue par le BICA;

 

2.         des normes comptables différentes de celles du CINC, si un traitement différent est bien étayé et qu’une divulgation est faite;

 

3.         les normes comptables généralement reconnues concernant les entreprises industrielles et commerciales ordinaires;

 

4.         les normes comptables exigées par une loi;

 

5.         toutefois, s’il y a un conflit entre les diverses normes comptables, le comptable agréé doit veiller à ce qu’une divulgation appropriée soit faite dans les états financiers et à ce que son rapport soit modifié de façon appropriée.

 

[18]    M. Butler est allé jusqu’à dire que, puisque les états financiers de la société de personnes indiquaient la valeur marchande, ils seraient également conformes aux PCGR canadiens ou aux normes comptables internationales. M. Butler m’a été présenté comme un expert en PCGR des Bahamas, et il ressortait clairement de son témoignage que sa connaissance des PCGR du Canada n’était pas à jour, quoiqu’elle l’ait été dans les années 1980. Bien que l’intimée n’ait pas contesté les compétences de M. Butler en tant que spécialiste des PCGR des Bahamas, M. Butler n’était guère plus qu’un comptable agréé exerçant sa profession aux Bahamas. Cela donne une indication du poids à accorder à son témoignage. L’idée générale qu’il a exprimée concernant les PCGR bahamiens applicables aux sociétés de personnes était que, avant 1993, c’était l’associé gérant qui déterminait comment comptabiliser des acquisitions. Pour ce qui est de la période postérieure à 1992, au cours de laquelle certaines lignes directrices étaient en place, M. Butler disait que le principe de permanence des méthodes devrait prévaloir, de sorte que la comptabilité devrait être tenue de la même manière qu’elle l’était avant 1993.

 

[19]    Interrogé quant à savoir comment il expliquerait aux associés les pertes importantes indiquées dans les états financiers, il a répondu qu’il ne conviendrait pas qu’il parle aux associés, car il ne pouvait parler qu’à l’associé gérant. Ce genre de réponse, conjugué avec ses références limitées, réduisait la valeur de son témoignage.

 

[20]    L’intimée a présenté le rapport de M. Daniel B. Thornton, titulaire d’un doctorat, FCA, professeur de comptabilité générale et membre distingué de l’école d’études commerciales de l’université Queen’s, de Kingston (Ontario). Les références de M. Thornton étaient impressionnantes, et j’accepte son témoignage quant aux PCGR sans réserve. Toutefois, M. Thornton n’a pas depuis 30 ans exercé activement la profession de comptable agréé : c’est un universitaire.

 

[21]    L’opinion de M. Thornton était que, en vertu des PCGR, le coût des obligations est égal à la juste valeur à la date d’acquisition. La juste valeur des obligations est obtenue en actualisant la valeur à l’échéance selon un taux d’intérêt implicite dans les prix d’obligations semblables, soit dans ce cas‑ci selon un taux d’environ 8,25 p. 100. Ainsi, la juste valeur serait de 700 500 $ pour ce qui est de l’obligation britannique. Les valeurs comptables subséquentes peuvent varier selon que l’on utilise soit les PCGR canadiens ou internationaux, soit les PCGR américains. La conclusion de M. Thornton était que comptabiliser les obligations selon leur valeur nominale ou leur valeur à l’échéance était une pratique comptable inacceptable dans toutes les circonstances. Il a dit en outre que, au début des années 1990, les PCGR canadiens et les normes comptables internationales étaient très semblables. Il a cité des PCGR canadiens précis, extraits du manuel de l’Institut Canadien des Comptables Agréés, qui confirmaient qu’il convenait de comptabiliser selon la juste valeur les échanges non monétaires comme le transfert des obligations à la société de personnes par P.T. Limited en échange d’unités de la société de personnes. Il a également confirmé que toute série bien faite de PCGR aurait un cadre semblable.

 

[22]    M. Thornton ne prétendait pas être un expert en PCGR des Bahamas ni être un comptable exerçant activement sa profession. Il ne croyait toutefois pas qu’un système quelconque considérerait comme approprié qu’un associé gérant fixe le montant qu’il veut comme coût relatif à un échange non monétaire. Ce ne serait tout simplement pas raisonnable à son avis.

 

[23]    L’exemple de l’avocat de l’appelant, Me Wortzman, relatif à des états de KPMG comptabilisant des obligations selon la valeur à l’échéance était assimilé par M. Thornton à une tentative pour comparer des choses qui ne se comparent pas, car les obligations comptabilisées par KPMG étaient des obligations à intérêt fixe, pour lesquelles la valeur à l’échéance et la juste valeur ne seraient pas si éloignées l’une de l’autre.

 

[24]    M. Thornton soulignait que le principe sous‑jacent à tout système de PCGR était la fidélité. Le fait de comptabiliser des titres selon un montant à l’échéance représentant dix fois la valeur de ces titres et de déclarer des pertes en se fondant là‑dessus ne pourrait absolument pas être considéré comme conforme au principe de fidélité. Quoique M. Thornton ait bel et bien reconnu lors du contre‑interrogatoire que les PCGR sont constamment modifiés, en vue d’en arriver à une uniformité à l’échelle mondiale, il n’acceptait pas la description donnée par M. Butler de ce qu’étaient les PCGR bahamiens au début des années 1990.

 

[25]    Enfin, M. J. Nalevka, chef de l’équipe des vérificateurs de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) ayant effectué la vérification concernant M. Bernick et les vérifications relatives aux sociétés de M. Bernick, a témoigné. Bien que M. Nalevka ait fourni certains éclaircissements sur le processus et sur certaines des raisons pour lesquelles ont été établies des cotisations imposant des pénalités, son témoignage n’a pas ajouté grand‑chose comme contexte factuel aux fins de la décision à rendre en l’espèce.

 

Argumentation de l’appelant

 

[26]    Quoiqu’il ne soit pas toujours nécessaire ou souhaitable de chercher à résumer les arguments des deux parties, cela est approprié en l’espèce, étant donné la méticulosité avec laquelle Me Wortzman a présenté son argumentation, comme un ingénieur pourrait construire un immeuble, bloc par bloc. Malheureusement pour M. Bernick, le produit fini comporte un défaut de structure.

 

[27]    Me Wortzman a commencé par écarter l’idée selon laquelle la méthode d’évaluation au moindre du coût et de la valeur marchande constituait une règle de droit au début des années 1990. À l’appui de cet argument, il invoquait l’introduction du paragraphe 96(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, applicable après le 21 décembre 1992. Le paragraphe 96(8) a rendu obligatoire l’évaluation au moindre du coût et de la valeur marchande relativement à un résident canadien qui devient membre d’une société de personnes étrangère. Avant cela, argue Me Wortzman, un tel principe ne constituait donc pas une règle de droit.

 

[28]    Me Wortzman m’a ensuite cité l’affaire Friedberg c. Canada[7] — qu’il connaissait très bien — à l’appui de la proposition que, lorsqu’il y a deux traitements comptables acceptables, les tribunaux n’ont pas à accepter le système comptable qui reflète le plus exactement la réalité économique. Ainsi, un contribuable ayant délibérément fait en sorte de reporter un revenu pouvait utiliser la méthode d’évaluation au moindre du coût et de la valeur marchande et n’était pas tenu comme le soutenait la Couronne dans cette affaire d’utiliser la méthode d’évaluation à la valeur marchande, quoique celle‑ci ait été plus exacte. Pour ce qui est de l’analyse que la Cour suprême du Canada a faite à cet égard dans l’affaire Canderel Ltée c. Canada[8], Me Wortzman limitait cette analyse au seul contexte relatif au principe du rapprochement.

 

[29]    L’argument suivant de Me Wortzman était basé sur le principe qui a été énoncé dans l’affaire Duke of Westminster et, pour ce qui est du Canada, dans l’affaire Neuman. Il est encore acceptable qu’un contribuable utilise des systèmes de planification fiscale visant à minimaliser l’impôt. Un contribuable peut organiser ses affaires de manière à reporter un revenu. C’est tout ce que M. Bernick a fait. Il est clair qu’il a contracté une assurance‑vie pour couvrir l’impôt qui, lui avait‑on dit, devrait inévitablement être payé à son décès. Il s’est fondé sur des principes comptables pour reporter un revenu, soit des principes dont il croyait qu’ils étaient acceptables et non pas contraires à des règles de droit.

 

[30]    M. Butler, l’expert de l’appelant, a confirmé l’acceptabilité du principe consistant à comptabiliser l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance. L’affirmation de M. Thornton, l’expert de l’intimée, selon laquelle les états financiers n’étaient pas conformes au principe de fidélité parce qu’ils ne reflétaient pas la réalité économique correspondait peut‑être à une définition théorique classique mais faisait assurément fi de l’application pratique existant aux Bahamas au début des années 1990.

 

[31]    Enfin, pour ce qui est de la principale question en litige, Me Wortzman a formulé un argument fondé sur l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada[9], à savoir que les effets économiques d’une opération ne peuvent être invoqués pour qu’une relation juridique soit considérée d’une autre manière. Il reconnaissait toutefois qu’il s’agissait ici non pas d’une question de relation juridique mais d’une question de traitement comptable, de sorte qu’il invoquait l’arrêt Shell par analogie seulement.

 

[32]    En ce qui a trait aux pénalités, Me Wortzman a déterminé les quatre facteurs suivants qui, d’après lui, ont amené l’ADRC, et plus particulièrement M. Ken Parsons, le vérificateur, à recommander des pénalités :

 

          1.       le caractère significatif;

          2.       la difficulté à obtenir des livres et registres;

          3.       l’âge;

          4.       le manque de clarté des déclarations produites.

 

[33]    Les deux éléments concernant le caractère significatif étaient la différence entre la juste valeur et la valeur à l’échéance (rapport de 1 à 10) et le sens des affaires de M. Bernick. Le premier élément est un fait, mais le second n’implique pas une compréhension détaillée des états financiers ou des questions fiscales. Me Wortzman a confirmé que l’âge n’était pas un facteur et ne devrait pas être considéré comme étant un facteur. Pour ce qui est de la difficulté de l’ADRC à obtenir des livres et registres, cela s’est posé en raison du fait qu’il s’agissait de placements à l’étranger et non en raison d’un manque de coopération de la part de M. Bernick. On n’a pas détruit de documents ni cherché à induire en erreur l’ADRC. M. Bernick a demandé des conseils pour savoir comment répondre aux demandes et il a agi en conséquence.

 

[34]    En ce qui a trait au facteur relatif au manque de clarté de l’information, Me Wortzman a fait valoir que M. Bernick n’avait jamais été avisé par l’ADRC qu’il y avait un problème à cet égard. M. Bernick a fourni des états financiers vérifiés, a indiqué qu’il gagnait un revenu d’entreprise et n’a rien caché. Si M. Bernick croyait qu’il prenait des mesures appropriées pour reporter de l’impôt, il ne devrait pas être pénalisé pour cela.

 

Argumentation de l’intimée

 

[35]    La position de l’intimée était simple. La société de personnes a pris part à une opération commerciale. Même l’expert de l’appelant a reconnu que, s’il s’était agi de titres de placement à court terme relevant du compte de négociation, il aurait fallu les comptabiliser selon la juste valeur marchande. Il n’y a tout simplement aucun PCGR canadien, aucune norme comptable internationale, aucun PCGR bahamien ou aucun principe commercial de base qui indique que les titres de placement de la société de personnes pouvaient ou devraient être comptabilisés selon la valeur à l’échéance. Une telle comptabilisation ne rend pas fidèlement compte de la véritable situation de l’appelant du point de vue du revenu.

 

[36]    L’intimée n’est pas d’accord avec l’appelant pour dire que l’arrêt Canderel a une portée limitée. Dans l’arrêt Canderel, la Cour suprême du Canada recommande une approche claire de la détermination du revenu et, selon cette approche, il n’y a aucune confusion : en droit, l’obligation britannique ne peut être comptabilisée selon la valeur à l’échéance.

 

[37]    Au sujet des pénalités, l’intimée dit que M. Bernick était conscient qu’il demandait à l’ADRC de se fonder sur des états financiers dont il savait qu’ils n’étaient pas véridiques. L’affirmation selon laquelle M. Bernick a adopté un système de report d’impôt légitime sonne faux, car la rentrée d’argent donnant lieu à de l’impôt au décès de M. Bernick serait un gain en capital (prix de base rajusté négatif de la participation dans la société de personnes) et non un revenu, tout comme les soi‑disant pertes provenant de la disposition de l’obligation britannique seraient des pertes en capital. M. Bernick a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de fausses déclarations à l’ADRC.

 

Analyse

 

[38]    Malgré la tentative de Me Wortzman pour limiter la portée de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canderel[10], je considère cet arrêt comme faisant autorité quant aux principes régissant le calcul du revenu, que le juge Iacobucci a énoncés comme suit :

 

(1)        La détermination du bénéfice est une question de droit.

 

(2)        Le bénéfice tiré d’une entreprise pour une année d’imposition est déterminé en déduisant des revenus tirés de l’entreprise pour l’année en question les dépenses engagées pour gagner ces revenus : M.N.R. c. Irwin, précité, Associated Investors, précité.

 

(3)        Dans la détermination du bénéfice, l’objectif est d’obtenir une image fidèle du bénéfice du contribuable pour l’année visée.

 

(4)        Dans la détermination du bénéfice, le contribuable est libre d’adopter toute méthode qui n’est pas incompatible avec :

 

            a)         les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

            b)         les principes dégagés de la jurisprudence ou les « règles de droit » établis;

 

            c)         les principes commerciaux reconnus.

 

(5)        Les principes commerciaux reconnus, notamment ceux codifiés formellement dans les PCGR, ne sont pas des règles de droit mais des outils d’interprétation. Dans la mesure où ils peuvent influencer le calcul du revenu, ils ne le feront qu’au cas par cas, selon les faits relatifs à la situation financière du contribuable.

 

(6)        En cas de nouvelle cotisation, une fois que le contribuable a prouvé qu’il a donné une image fidèle de son revenu pour l’année, image qui est compatible avec la Loi, la jurisprudence et les principes commerciaux reconnus, il incombe alors au ministre de prouver que le chiffre fourni ne donne pas une image fidèle ou qu’une autre méthode de calcul fournirait une image plus fidèle.

 

[39]    Pour ce qui est des indications données par le juge Iacobucci, le troisième principe sera notre point de départ. Le système utilisé par M. Bernick donne‑t‑il une image fidèle du bénéfice de M. Bernick? Dans l’affirmative, il s’agira de déterminer si une telle méthode est incompatible avec la Loi, les règles de droit ou les principes commerciaux reconnus. Si une telle incompatibilité n’existe pas, il s’agira de déterminer si le ministre du Revenu national (le « ministre ») peut prouver qu’une autre méthode fournit une image plus fidèle.

 

[40]    Il serait facile de rendre cette affaire plus compliquée qu’elle ne l’est en réalité et d’examiner d’une manière très approfondie l’interaction entre les PCGR, les règles de droit et les principes commerciaux reconnus, mais la réponse à la première question est un non si catégorique qu’une analyse plus poussée n’est guère nécessaire. Le fait de comptabiliser l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance — que ce soit accepté ou non aux Bahamas comme PCGR ou principe commercial reconnu — ne donne pas une image fidèle du revenu de M. Bernick. La règle de droit pertinente, qui s’appliquait en 1992, a été très bien énoncée par le juge Thorson dans l’affaire M.N.R. v. Publishers Guild of Canada Limited (No. 90 v. M.N.R.)[11] :

 

[TRADUCTION]

[...] Je ne saurais exprimer trop fortement l’opinion de notre cour que, en l’absence d’une disposition législative contraire, la valeur d’un système comptable particulier ne dépend pas de la question de savoir si le ministère du Revenu national en permet ou non l’utilisation. Ce qui intéresse la Cour, c’est la détermination de l’obligation fiscale du contribuable. Ainsi, lorsqu’il y a un différend à propos d’un système comptable, il s’agit de déterminer si ce système est approprié pour l’entreprise à laquelle il est appliqué et s’il rend fidèlement compte du revenu du contribuable et, dans l’affirmative, si la loi fiscale applicable en interdit l’utilisation. Si la loi n’interdit pas l’utilisation d’un système comptable particulier, l’opinion d’experts‑comptables selon laquelle il s’agit d’un système reconnu qui est approprié pour l’entreprise du contribuable et qui reflète le plus fidèlement le revenu du contribuable doit être acceptée par la Cour, pourvu que les raisons sous‑jacentes soient considérées comme bien fondées par la Cour.

 

Cette approche semble avoir été réaffirmée dans l’arrêt West Kootenay Power and Light Co. c. Canada[12], puis confirmée dans l’arrêt Canderel. Tous ces jugements exigent que, comme point de départ fondamental, il y ait une image fidèle du revenu, c'est‑à‑dire qu’il soit fidèlement rendu compte du revenu du contribuable. Me Wortzman invoque l’affaire Friedberg à l’appui de la proposition selon laquelle le système utilisé n’a pas à donner l’image la plus fidèle. Je considère que la décision Friedberg est à cet égard déphasée par rapport à la législation antérieure et à la législation postérieure à cette décision. Le problème de M. Bernick ne tient toutefois pas à la question de l’image la plus fidèle; il tient plutôt au fait que les principes comptables que M. Bernick a utilisés ne peuvent nullement être considérés comme donnant une image fidèle de son revenu. C’était tout à fait le contraire, c'est‑à‑dire qu’ils donnaient une image qui n’était vraiment pas fidèle. Le fait qu’il puisse être acceptable qu’un associé gérant ordonne l’utilisation d’un tel principe comptable et qu’un comptable canadien établisse des états financiers en se fondant sur cet ordre ne prouve nullement que cela donne une image fidèle du revenu aux fins de l’impôt canadien.

 

[41]    L’idée selon laquelle le fait que le principe comptable utilisé par M. Bernick a été appliqué dans le contexte d’un plan de report d’impôt confère de quelque manière une légitimité ou exactitude au calcul du revenu est mal fondée. Tout d’abord, c’est le revenu au début des années 1990 qui est en cause et non la détermination du revenu au décès. Au début des années 1990, une entreprise, la société de personnes, a vendu des biens faisant l’objet d’un commerce; ce qui est en cause, c’est le revenu ou les pertes provenant de ces ventes et non les gains relatifs à une disposition réputée d’unités de la société de personnes (une disposition au titre du capital, soit dit en passant).

 

[42]    Nous n’avons pas affaire à deux systèmes comptables en concurrence pour l’obtention du prix de la fidélité. Le système utilisé par M. Bernick reflète si peu la réalité économique que même l’argumentation éloquente et détaillée de Me Wortzman ne compense pas ce défaut fondamental. Pour qu’un système comptable soit considéré comme acceptable aux fins de l’impôt canadien, il doit répondre au critère fondamental sous‑jacent de la fidélité ou exactitude concernant le calcul du revenu. Le système utilisé par M. Bernick ne répond pas à ce critère.

 

[43]    De plus, la présente situation ne s’apparente pas à ce qu’il en était dans l’affaire Singleton c. Canada[13] ou dans l’affaire Entreprises Ludco Ltée c. Canada[14]. L’analogie de Me Wortzman selon laquelle la qualification juridique d’une relation ne peut être supplantée par la réalité économique n’est pas un principe à appliquer quand on a affaire à des principes comptables. Les principes comptables doivent se fonder sur la réalité économique. Il s’agit simplement d’une situation différente.

 

[44]    Comme j’ai conclu que la méthode employée par M. Bernick ne donne pas une image fidèle du revenu, il devient inutile de suivre le reste des indications du juge Iacobucci, si ce n’est que je confirme que l’image du revenu de M. Bernick donnée par l’intimée est une image fidèle. En ne suivant pas le reste du processus recommandé, j’ai un peu l’impression d’être injuste envers l’avocat de l’appelant, car je pourrais en fait en dire long sur la question de savoir si les principes comptables utilisés par M. Bernick étaient incompatibles avec les principes dégagés de la jurisprudence ou les « règles de droit » établis ou incompatibles avec les principes commerciaux reconnus. Je pourrais en outre examiner d’une manière relativement détaillée les PCGR des Bahamas, du Canada et des États‑Unis et les normes comptables internationales, ainsi que le rôle qu’ils pourraient jouer comme outils d’interprétation dans une telle analyse. J’aurais pu disséquer l’opinion de M. Butler pour déterminer à quel point elle était fondée, pour peu qu’elle l’ait été. Bien que tout cela soit superflu, puisque la condition préalable à cet égard n’a pas été remplie, je voudrais, pour le bénéfice de Me Wortzman, exprimer brièvement mon point de vue sur un aspect de l’opinion de M. Butler.

 

[45]    L’opinion de M. Butler quant à l’acceptabilité des principes comptables utilisés par M. Bernick partait du principe que l’obligation britannique était un investissement à long terme. L’obligation britannique n’était pas un investissement à long terme. C’était un élément d’inventaire devant être négocié à court terme. La façon dont M. Butler a qualifié cela n’était pas appropriée à cette entreprise particulière. Je n’étais donc pas convaincu que M. Bernick avait prouvé que son principe était un principe commercial reconnu. J’étais convaincu du bien‑fondé du témoignage de l’expert de la Couronne selon lequel un principe commercial reconnu veut qu’une acquisition d’élément d’inventaire dans un échange non monétaire soit comptabilisée selon sa juste valeur. Le principe de M. Bernick était donc incompatible avec les principes commerciaux reconnus.

 

[46]    Comment un homme d’affaires averti en vient‑il à utiliser, pour calculer son revenu aux fins de l’impôt canadien, un principe devant lequel une personne raisonnable ayant le sens des affaires aurait un mouvement de recul, pour reprendre l’expression de Me Wortzman? M. Bernick a reconnu qu’il avait réalisé un gain économique, mais, dans son esprit, cela n’impliquait pas nécessairement qu’il avait eu un revenu aux fins de l’impôt. Il s’agit peut‑être ici d’un manque de simplicité. Les hommes d’affaires peu connaissants présument que les gains économiques sont imposables. Un homme d’affaires connaissant présume qu’il peut utiliser ce qu’il considère comme des PCGR d’un pays étranger pour obtenir un report d’impôt au Canada, en raison de l’interaction même entre les principes comptables et les lois fiscales. Je considère comme approprié de passer maintenant à la question des pénalités.

 

[47]    Pour les années en cause, le paragraphe 163(2) se lisait comme suit :

 

163(2)  Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l’exercice d’une obligation prévue à la présente loi ou à son règlement, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse appelé « déclaration » au présent article rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition conformément à la présente loi ou à son règlement, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

 

a)         l’excédent éventuel du montant visé au sous‑alinéa (i) sur le montant visé au sous‑alinéa (ii) :

 

(i) l’excédent éventuel de l’impôt qui serait payable par cette personne pour l’année en vertu de la présente loi sur le montant qui serait réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l’année, s’il était ajouté au revenu imposable déclaré par cette personne dans la déclaration pour l’année la partie de son revenu déclaré en moins pour l’année qu’il est raisonnable d’attribuer au faux énoncé ou à l’omission et si son impôt payable pour l’année était calculé en soustrayant des déductions de l’impôt payable par ailleurs par cette personne pour l’année, la partie de ces déductions qu’il est raisonnable d’attribuer au faux énoncé ou à l’omission,

 

(ii) l’excédent éventuel de l’impôt qui aurait été payable par cette personne pour l’année en vertu de la présente loi sur le montant qui aurait été réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l’année, si l’impôt payable pour l’année avait fait l’objet d’une cotisation établie d’après les renseignements indiqués dans la déclaration pour l’année;

 

[...]

 

[48]    Il y a deux possibilités quant à savoir ce qui constitue le faux énoncé ou l’omission. La première possibilité est que le faux énoncé tient au fait que M. Bernick a indiqué dans ses déclarations de revenu des pertes importantes pour 1992, 1993 et 1994. Je n’ai aucune difficulté à conclure que M. Bernick savait que, pour ces années‑là, l’obligation britannique avait donné lieu à des gains économiques et non à des pertes. En soi, cela n’amène toutefois pas à conclure que, en déclarant des pertes à tort, M. Bernick a sciemment produit de fausses déclarations aux fins de l’impôt. La cause de M. Bernick est basée sur le fait qu’il croyait que les différences relatives aux systèmes comptables lui permettaient de faire exactement ce qu’il a fait : profiter d’une échappatoire légitime. En fait, il a présenté comme expert un comptable agréé des Bahamas ayant reçu une formation au Canada, qui a dit que les états financiers sur lesquels s’était basé M. Bernick pouvaient être appropriés même en vertu des PCGR canadiens. Quoique je puisse rejeter cette notion, après avoir entendu le témoignage de M. Thornton, puis‑je présumer que M. Bernick était si versé en législation fiscale canadienne qu’il aurait dû faire fi des recommandations de ses conseillers professionnels en leur disant que ces recommandations ne lui semblaient pas bien fondées? Je ne crois pas. J’interprète les actes de M. Bernick comme étant les actes d’un homme d’affaires averti qui croit avoir trouvé une échappatoire légitime dans le système fiscal canadien et qui s’en est prévalu. Malheureusement pour M. Bernick, j’ai conclu que cette échappatoire était illusoire. On ne peut toutefois présumer que cela aurait dû être évident pour M. Bernick il y a dix ans, de sorte qu’il aurait dû savoir que ses déclarations de revenu avaient été remplies incorrectement.

 

[49]    M. Bernick savait qu’il aurait à faire face à une obligation fiscale. Il croyait que cela arriverait à son décès ou à celui de son épouse et il a contracté une assurance appropriée pour couvrir cette obligation inévitable. Je suis convaincu que ce qui l’a motivé, ce n’est pas l’importance d’un gain en capital au décès versus l’inclusion d’un montant dans le revenu de son vivant.

 

[50]    La preuve indique bel et bien que M. Bernick a organisé ses affaires de manière à tirer profit du traitement comptable dont il croyait pouvoir se prévaloir. Pour conclure que M. Bernick a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé concernant les pertes, il faudrait une preuve qu’il a en fait orchestré le traitement comptable bahamien dont il croyait pouvoir se prévaloir. M. Bernick peut avoir orchestré le placement relatif à la société de personnes, mais l’intimée n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que, dans ce cadre, M. Bernick a donné pour instructions à M. Toothe, l’associé gérant, et à M. Jones, le vérificateur, de comptabiliser les obligations selon la valeur à l’échéance. En d’autres termes, M. Bernick n’a pas déterminé le traitement comptable à suivre, mais, une fois mis au courant du traitement comptable soi‑disant acceptable, il s’en est prévalu. C’est à la Couronne qu’il incombe de prouver que M. Bernick a fait un faux énoncé concernant les pertes. La Couronne n’a pas appelé comme témoin M. Toothe ou M. Jones. M. Bernick n’a pas témoigné qu’il avait exigé quoi que ce soit concernant le traitement comptable. Ainsi, je ne peux conclure que, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, M. Bernick a fait un faux énoncé en déclarant des pertes.

 

[51]    Je considère que M. Bernick essayait de voir jusqu’où il pouvait pousser l’ADRC, en se fondant sur des soi‑disant particularités de principes comptables étrangers. Ses efforts n’ont pas été couronnés de succès.

 

[52]    La seconde possibilité quant à savoir ce qui constitue le faux énoncé ou l’omission tient à la présentation des états financiers eux‑mêmes : premièrement, on a comptabilisé l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance; deuxièmement, on a omis d’indiquer que l’obligation britannique était comptabilisée selon la valeur à l’échéance. Certes, les états financiers indiquent la valeur actuelle, mais il n’y est pas dit que la valeur indiquée comme étant le coût est la valeur à l’échéance. Me Wortzman a argué que les associés, à qui étaient destinés les états, étaient tous au courant de cela. Quoique j’aie conclu que les états financiers ne donnaient pas une image fidèle du revenu de M. Bernick aux fins de l’impôt canadien, y avait‑il un faux énoncé ou une omission dans les états financiers? M. Bernick n’a pas directement fait le faux énoncé ou l’omission, mais il y a participé, consenti ou acquiescé en produisant les états financiers avec ses déclarations de revenu. Pour qu’une pénalité soit imposée en vertu du paragraphe 163(2), un énoncé doit être faux « pour l’application de la présente loi ». J’admets que M. Bernick croyait que les états financiers étaient véridiques selon les PCGR des Bahamas. Tel n’est pas le critère. Croyait‑il qu’ils étaient véridiques pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada? C’est à la Couronne qu’il incombe d’apporter à ce sujet une preuve selon la prépondérance des probabilités. Qu’est‑ce qui a été prouvé à cet égard?

 

1.       M. Bernick a été mis en contact avec M. Thornton avant la création de la société de personnes.

 

2.       La création de la société de personnes, le transfert à la société de personnes de l’obligation britannique par un tiers en échange d’unités et l’achat de 90 p. 100 des unités par M. Bernick au tiers se sont faits dans un très court laps de temps.

 

3.       M. Bernick était le seul conseiller en placement de la société de personnes.

 

4.       Normalement, M. Bernick n’investirait pas dans des obligations comme l’obligation britannique — son expertise se rapportait aux obligations convertibles de compagnies d’assurance maritime et d’assurance‑incendie.

 

5.       M. Bernick a, par les pertes, compensé un revenu important pour chacune des années 1992, 1993 et 1994.

 

6.       M. Bernick a, par l’intermédiaire de Sycamore Investments, procédé de façon semblable pour des années ultérieures.

 

7.       Dans les états financiers, on a comptabilisé le coût de l’obligation britannique selon un montant équivalant à la valeur à l’échéance, sans révéler explicitement que c’était une valeur à l’échéance et sans révéler la nature des titres négociables.

 

8.       Les états financiers ont été établis par un comptable agréé canadien, qui a dit que lesdits états avaient été établis conformément aux PCGR.

 

9.       M. Bernick avait vu le bilan de la société de personnes au 4 septembre 1994, dans lequel était comptabilisée l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance en 1992.

 

10.     M. Bernick a, au printemps 1993, examiné les états financiers pour 1992.

 

11.     M. Bernick a été informé par des comptables qu’il pouvait porter les pertes en diminution de son revenu.

 

[53]    La preuve étaye la position selon laquelle M. Bernick a sciemment utilisé un plan d’évitement fiscal, mais elle n’établit pas que M. Bernick savait que le plan était voué à l’échec. En d’autres termes, M. Bernick espérait et croyait que les pertes seraient jugées admissibles par l’administration gouvernementale canadienne. Aucune preuve n’indiquait qu’il avait reçu un avis contraire. Les états financiers faisaient partie intégrante du plan. J’admets que M. Bernick croyait que ce que les états disaient était vrai. Toutefois, ce qu’ils ne disaient pas, c’est une autre affaire.

 

[54]    Les états financiers auraient pu être plus clairs. Ils auraient pu indiquer explicitement que le coût de l’obligation britannique était comptabilisé selon la valeur à l’échéance. C’était une omission, et celle‑ci était trompeuse. C’est tout ce que l’on peut dire quant à un comportement de M. Bernick pouvant être considéré comme entrant dans le cadre de l’introduction du paragraphe 163(2) de la Loi. M. Bernick a sciemment acquiescé à une omission, car, lorsqu’il a produit ses déclarations de revenu, il savait qu’un traitement fiscal favorable dépendait de la comptabilisation du coût de l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance. Il savait que les états financiers n’étaient pas explicites à cet égard, malgré le fait qu’un vérificateur avait confirmé que les états financiers avaient été établis conformément aux PCGR. Une telle confirmation n’empêche pas de conclure à l’existence d’une omission du point de vue de l’impôt canadien.

 

[55]    Ce n’est toutefois pas l’omission en cause qui donne lieu à un revenu déclaré en moins. Même si les états financiers avaient clairement indiqué que le coût était comptabilisé selon la valeur à l’échéance, la question serait la même : la comptabilisation de l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance donne‑t‑elle une image fidèle du bénéfice? La détermination de la pénalité prévue au paragraphe 163(2) est basée sur un revenu imposable auquel est ajoutée la partie du revenu déclaré en moins qu’il est raisonnable d’attribuer à l’omission. Le revenu déclaré en moins n’est pas attribuable à l’omission : il n’est attribuable qu’au principe comptable dont M. Bernick dit qu’il étaye la comptabilisation de l’obligation britannique selon la valeur à l’échéance. En raison de l’omission, il fallait que l’administration gouvernementale fouille un peu plus pour circonscrire ce principe; le revenu déclaré en moins est attribuable à ce principe et non à l’omission.

 

[56]    Je conclus que la preuve selon laquelle M. Bernick a sciemment déclaré son revenu en moins aux fins de l’impôt est insuffisante. M. Bernick croyait qu’il avait trouvé une échappatoire défendable. En fin de compte, ce n’est pas le cas. Toutefois, je conclus bel et bien que M. Bernick a sciemment acquiescé à l’omission d’une information cruciale dans les états financiers déposés avec ses déclarations de revenu, à savoir que l’obligation britannique était comptabilisée selon la valeur à l’échéance. M. Bernick est assujetti au paragraphe 163(2), mais la pénalité est limitée pour chacune des trois années à 100 $ par année, car l’omission elle‑même n’est pas ce qui a donné lieu au revenu déclaré en moins.

 

Conclusion

 

[57]    Notre législation fiscale est devenue une législation qui prévoit un ensemble si compliqué de choses à faire ou à ne pas faire, d’exemptions, de régimes et de dispositions donnant lieu à une jurisprudence que, dans ce cas‑ci, je dois me prononcer sur la thèse d’un éminent avocat qui a présenté habilement une proposition plausible selon laquelle une personne ayant tiré un gain économique d’une opération commerciale peut légitiment déduire des pertes importantes au titre de cette opération en raison d’un choix de principes comptables. Comme l’a reconnu Me Wortzman lui‑même, la réaction immédiate et compréhensible est un mouvement de recul devant une telle notion. Malgré cela, Me Wortzman a exposé plusieurs raisons qui, espérait‑il, pourraient faire accepter une telle proposition. Cela n’a pas marché. Accepter l’argument de Me Wortzman, ce serait accorder aux PCGR canadiens ou étrangers un statut plus élevé que celui que les tribunaux ont considéré comme approprié. Les principes comptables généralement reconnus ne sont que des outils d’interprétation. Bref, en l’espèce, les états financiers de la société de personnes ne donnent pas une image fidèle du revenu de M. Bernick aux fins de l’impôt canadien.

 

[58]    Ce que je trouve bien troublant, c’est qu’un homme d’affaires connaissant ait cru que cela était possible. Pourtant, je ne le blâme pas d’avoir cru cela et je ne présume pas non plus qu’il était impossible qu’il croie cela. En fait, j’ai conclu exactement le contraire. Me Wortzman a présenté une argumentation habile quant à la possibilité même d’une telle proposition, ce qui donnait du poids à une telle croyance. À plus grande échelle, il est problématique que le contribuable canadien puisse penser que, dans le monde compliqué de la législation fiscale, tout est possible et que l’incroyable devient croyable. Dans le récent roman populaire La vie de Pi, on est amené à croire qu’un jeune homme et un tigre de Sibérie peuvent vraiment vivre ensemble sur un bateau de sauvetage pendant 260 jours, alors que, à bien y penser, cela semble tout simplement impossible. C’est impossible. De même en est‑il pour ce qui est des pertes de M. Bernick.

 

[59]    L’appel n’est admis que relativement aux pénalités imposées par l’ADRC et l’affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les pénalités doivent être ramenées à 100 $ pour chacune des années 1992, 1993 et 1994. Les dépens sont alloués à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juin 2003.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2005.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 



[1]           Pièce R‑1, section 18, page 2.

[2]           Pièce R‑1, section 18, page 1.

[3]           Pièce R‑1, section 24.

[4]           Pièce R‑1, section 1.

[5]           Pièce R‑1, section 17.

[6]           Lettre de Dayrrl R. Butler à M. Toothe et à Me Wortzman en date du 26 février 2003.

[7]           [1991] A.C.F. no 1255 (C.A.F.), confirmé par [1993] A.C.S. no 123 (C.S.C.).

[8]           [1998] 1 R.C.S. 147 (98 DTC 6100) (C.S.C.).

[9]           [1999] 3 R.C.S. 622 (99 DTC 5669) (C.S.C.).

[10]          Affaire précitée.

[11]          57 DTC 1017, à la page 1026.

[12]          [1992] 1 C.F. 732 (92 DTC 6023) (C.A.F.).

[13]          [2001] 2 R.C.S. 1046.

[14]          [2001] 2 R.C.S. 1082.

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