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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2001-2170(IT)G

ENTRE :

DEBRA BROWNING,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 février 2004 à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Par : L’honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me David A. G. Birnie

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation relative à l’impôt établie en vertu du paragraphe 224(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 16 mars 2001 et porte le numéro 13942, est accueilli, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il la réexamine et en établisse une autre conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 2004.

 

« C. H. McArthur »

Juge McArthur

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2004CCI414

Date : 20040903

Dossier : 2001-2170(IT)G

ENTRE :

DEBRA BROWNING,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge McArthur

 

[1]     Le 16 mars 2001, le ministre du Revenu national a établi une cotisation de 254 438 $ à l’égard de l’appelante après que celle‑ci eut omis de se conformer à des demandes formelles de paiement délivrées conformément au paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), une disposition portant sur les saisies‑arrêts. La cotisation se lit ainsi :

 

[TRADUCTION] Une nouvelle cotisation créditrice de 181 067,06 $ ayant trait à l’obligation visée au paragraphe 224(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu a été établie relativement à une cotisation antérieure datée du 30 juillet 1997 et portant le numéro 03711, par suite du défaut de se conformer à des demandes formelles de paiement datées du 3 novembre 1993, du 7 janvier 1994, du 31 mars 1994, du 21 juin 1994, du 23 septembre 1994, du 4 janvier 1995 et du 7 mars 1996 et visant Berkeley Point Developments Inc. […]

 

État de compte

 

Cotisation originale datée du 30 juillet 1997                   364 755,86 $

Réduction                                                                     181 607,06

Nouveau montant                                                         183 048,80

Plus intérêts jusqu’au 16 mars 2001                                71 390,16

 

Montant impayé et exigé                                                                       254 438,96 $

 

[2]     Pendant la période pertinente, l’appelante était l’épouse de Richard Browning, le propriétaire de la société Berkeley Point Developments Inc. (« Berkeley »). Celui‑ci a ordonné à la société d’avancer 553 688 $ à l’appelante en 1988, en 1989 et en 1990, afin que cette dernière puisse acheter un terrain et faire construire leur maison. Berkeley devait des sommes au ministre du Revenu national (le « ministre ») au titre de l’impôt sur le revenu pour ses années d’imposition 1989 et 1990. Le ministre a signifié à l’appelante plusieurs demandes formelles de paiement auxquelles elle n’a pas donné suite. L’appelante n’a pas sérieusement contesté la cotisation sous‑jacente à l’égard de Berkeley. Seul Richard Browning a dit qu’il n’y souscrivait pas entièrement. Ce commentaire est venu un peu trop tard. Berkeley a mis fin à ses activités au milieu des années 1990.

 

[3]     L’appelante prétend :

 

(i)      que le ministre a le fardeau de prouver la validité de la cotisation qu’il a établie à l’égard de Berkeley (la dette sous‑jacente);

 

(ii)      qu’elle n’était pas tenue de faire des paiements à Berkeley lorsque les demandes formelles de paiement ont été faites par le ministre puisqu’elle s’était essentiellement acquittée de sa dette en transférant des actions à Berkeley.

 

[4]     L’appelante était une administratrice et/ou une actionnaire de différentes sociétés contrôlées par son mari Richard. N’ayant été qu’une marionnette de celui‑ci, elle ignorait totalement les faits et les questions dont est saisie la Cour. Son témoignage n’a été d’aucune utilité. M. Browning et le comptable de Berkeley pendant la période en cause, Fred Masuch[1], ont décrit le contexte. M. Masuch a participé à l’organisation des activités commerciales de M. Browning de 1988 à 1995. Entre le 26 août 1988 et le 30 avril 1990, Berkeley a avancé 553 688 $ à l’appelante en vertu d’un acte hypothécaire non enregistré rédigé par M. Masuch. L’argent a servi à financer la construction de la résidence principale des Browning.

 

[5]     Une demande formelle de paiement de 249 658 $ a été transmise par le ministre à l’appelante le 3 novembre 1993. L’appelante n’y a pas donné suite. Elle prétend maintenant, par la voix de son avocat[2], qu’elle a remboursé 500 000 $ de sa dette hypothécaire envers Berkeley en vendant ses actions de 316221 B.C. Ltd. (« 316 »)[3] à son mari, qui les a ensuite vendues à Berkeley le 1er janvier 1994. La dette hypothécaire a ainsi été réduite de 500 000 $. Il faut déterminer la valeur de ces actions et le moment du transfert. Les actions de 316 tiraient leur valeur du fait que cette société était propriétaire des actions de Saybrook Holdings Ltd. (« Saybrook »).

 

[6]     Les dispositions pertinentes pour les besoins du présent appel sont contenues aux paragraphes 224(1) et 224(4) :

 

224(1)  S’il sait ou soupçonne qu’une personne est ou sera, dans les douze mois, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée « débiteur fiscal » au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) et (3)), le ministre peut exiger par écrit de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, sans délai si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu’ils deviennent payables, au receveur général au titre de l’obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi[4].

 

224(4)  Toute personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1) [...] est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal au montant qu’elle était tenue, en vertu du paragraphe (1) [...]

 

Le paragraphe 224(1) permet au ministre de recouvrer des impôts impayés en signifiant une lettre de saisie‑arrêt à toute personne tenue de faire un paiement (l’appelante en l’espèce) au débiteur fiscal (Berkeley). La lettre de saisie‑arrêt envoyée à l’appelante exige qu’elle paie au receveur général les montants qu’elle doit à Berkeley. L’appelante n’a rien fait pour donner suite à cette lettre, et Berkeley a cessé ses activités.

 

[7]     En l’espèce, le ministre a choisi d’établir une cotisation à l’égard de l’appelante plutôt que de tenter de recouvrer la dette fiscale en intentant une action devant la Cour fédérale ou un autre tribunal compétent en vertu de l’article 222 de la Loi. L’appelante fait principalement valoir que le ministre devait prouver que Berkeley était tenue de faire un paiement au ministre – en d’autres termes, de prouver la validité de la cotisation sous‑jacente. À mon avis, une telle obligation n’existe pas. L’appelante n’a pas contesté la cotisation sous‑jacente même si, comme la Cour d’appel fédérale l’a statué dans Gaucher v. The Queen[5], elle avait le droit de le faire.

 

[8]     En ce qui concerne le déplacement du fardeau de la preuve, l’appelante a fait référence à la décision The Queen v. Cyrus J. Moulton Limited[6]. Les faits dans cette affaire étaient différents de ceux de l’espèce puisqu’il était question d’une procédure de recouvrement. En tant que demandeur, le ministre avait le fardeau de la preuve. Or, dans l’affaire qui nous intéresse, le ministre a procédé par voie de cotisation. L’appelante a interjeté appel et, conformément à l’arrêt Johnson v. M.N.R.[7], c’est elle qui était responsable de la conduite de l’action et qui avait le fardeau de la preuve.

 

[9]     L’appelante fait également valoir que l’acte hypothécaire n’indique pas clairement qu’elle doit payer quelqu’un et que l’ambiguïté du libellé de cet acte doit être résolue en sa faveur. Son avocat ajoute que, dans la mesure où l’appelante n’a fait aucun paiement, sa dette envers Berkeley existe toujours, sauf que, suite au transfert des actions de 316, elle a été réduite de 500 000 $.

 

[10]    L’avocat de l’appelante soutient que l’existence d’une dette de Berkeley envers le ministre n’est pas prouvée et que, pour avoir gain de cause, le ministre doit démontrer que Berkeley était tenue de payer une somme au titre de l’impôt. Je ne suis pas de cet avis. En fait, il est question de la dette fiscale de Berkeley dans l’hypothèse de fait décrite à l’alinéa 7f) de la réponse à l’avis d’appel :

 

[TRADUCTION]

f)          le 4 avril 1997, Berkeley devait à la Couronne une somme de 482 607,59 $ relativement à ses années d’imposition 1989 et 1990;

 

Il ne fait aucun doute que l’appelante avait le fardeau de réfuter cette hypothèse.

 

[11]    M. Browning a reconnu l’existence de la dette au cours de son contre‑interrogatoire lorsqu’il a dit qu’il ne souscrivait pas entièrement à la cotisation établie à l’égard de Berkeley. J’en déduis qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour que Berkeley conteste la cotisation originale lorsqu’elle avait la possibilité de le faire. En outre, l’appelante a eu l’occasion de contester cette cotisation pendant l’audience, mais elle ne l’a pas fait. L’appelante ne peut pas se contenter de dire au ministre qu’il doit prouver l’existence de la dette sous‑jacente s’il veut qu’elle la paie, surtout dans le cas présent où son mari contrôlait Berkeley et avait pris des dispositions pour que celle‑ci lui prête plus de 550 000 $. L’appelante a participé à des manœuvres financières tortueuses et obscures. Saybrook possédait une participation dans les restaurants Red Robin. Les actions de Saybrook appartenaient à 316 et les actions de 316 appartenaient à l’appelante. Celle‑ci les a vendues à son mari pour la somme de 500 000 $, et ce dernier les a vendues à son tour à Berkeley, qui a alors apparemment renoncé à 500 000 $ de la dette hypothécaire de 553 000 $ de l’appelante. L’appelante devait de l’argent à Berkeley et Berkeley devait de l’argent au ministre. On comprend que le ministre n’était pas prêt à rester silencieux.

 

[12]    L’alinéa 7j) de la réponse ne s’applique pas :

 

[TRADUCTION]

j)          les registres de Saybrook Holdings Ltd. n’indiquaient pas que l’appelante possédait ou avait possédé des actions de la société ou que des actions valant 500 000 $ avaient été transférées à Berkeley à un moment donné pendant l’exercice allant du 1er novembre 1993 au 31 octobre 1994.

 

Au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel, il est question de cinq demandes formelles de paiement délivrées par le ministre. L’avis d’appel fait état de deux autres demandes datées du 3 novembre 1993 et du 27 septembre 1994. Le ministre a donc envoyé sept demandes formelles de paiement à l’appelante. Toutes ces demandes sont mentionnées dans la cotisation qui fait l’objet du présent appel.

 

[13]    L’avocat de l’appelante prétend également que le ministre n’a pas démontré que celle‑ci était tenue de faire des versements hypothécaires. Encore une fois, je ne suis pas de cet avis. L’appelante devait 553 688 $ plus les intérêts à Berkeley, comme le prouvent l’acte hypothécaire et le fait que Berkeley a avancé des fonds. L’appelante ne peut pas prétendre qu’elle n’a pas de dette parce qu’elle ignore tout de celle‑ci. Elle a reçu de l’argent de Berkeley, elle a signé l’acte hypothécaire et son mari a dirigé toute l’opération. Elle doit assumer la responsabilité de sa participation. Elle a participé aux arrangements commerciaux de son mari. Elle n’est pas une tierce partie innocente ou non concernée. En outre, elle ne peut se fonder sur le libellé ambigu de l’acte hypothécaire pour conclure qu’elle n’était tenue de faire aucun paiement pendant au moins 25 ou 30 ans. Le document a été rédigé par le comptable de son mari de façon qu’il lui soit avantageux, ce qui est différent des actes hypothécaires courants rédigés par le prêteur à son propre bénéfice. Il faut examiner attentivement l’acte hypothécaire[8] pour savoir quelles obligations ont été imposées à l’appelante le cas échéant. L’acte stipule notamment ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

Acte fait le vingt-sixième jour d’août 1988

 

entre :

 

            Debra Browning, femme d’affaires,

            3380, chemin Craigend

            Vancouver Ouest (C.‑B.)

            (la débitrice hypothécaire)

 

ET

 

            Berkeley Point Development Group Ltd.,

une société ayant son siège social

            au 1040, rue Georgia Ouest, bureau 1750

            Vancouver (C.‑B.)

            (la créancière hypothécaire)

 

1.         LE PRÉSENT ACTE ATTESTE qu’en contrepartie d’avances ne dépassant pas 560 000 $CAN la débitrice hypothécaire consent à la créancière hypothécaire une hypothèque sur les terrains et immeubles suivants (les « terrains »), qui sont situés dans le district d’évaluation de New Westminster, en Colombie‑Britannique :

 

            3380, chemin Craigend

            Vancouver Ouest (C.‑B.)

 

[…]

 

3.         Le montant du capital avancé en vertu du présent contrat correspond à la somme versée à la débitrice hypothécaire conformément à ce qui précède; cette somme porte intérêt à un taux de neuf pour cent (9 p. 100) l’an, calculé semestriellement et non à l’avance, après comme avant l’échéance, jusqu’à ce qu’elle soit payée.

 

Il est entendu que les versements mensuels sont d’abord affectés au paiement des intérêts calculés comme indiqué ci‑dessus sur le capital dû, et le solde, au remboursement du capital, sauf si la débitrice hypothécaire est en défaut, auquel cas la créancière hypothécaire peut, à son choix, affecter tout versement reçu pendant la durée du défaut au paiement des taxes, des intérêts, des réparations, des primes d’assurance ou d’autres avances faites pour le compte de la débitrice hypothécaire.

 

Il est entendu également qu’aucun versement ne sera affecté au capital pendant cinq ans à compter du 26 août 1988. Pendant les vingt‑cinq années suivant cette période de cinq ans, les paiements seront suffisants pour payer en entier le capital et tous les intérêts calculés pendant la période.

 

4.         La débitrice hypothécaire s’engage envers la créancière hypothécaire à payer le montant de l’hypothèque et les intérêts hypothécaires et à se conformer aux stipulations qui précèdent.

 

5.         La débitrice hypothécaire s’engage envers la créancière hypothécaire à détenir un titre en fief simple valable relativement aux terrains.

 

6.         La débitrice hypothécaire convient avec la créancière hypothécaire qu’elle a le droit de lui céder les terrains.

 

7.         La débitrice hypothécaire convient avec la créancière hypothécaire que celle‑ci prend possession des terrains libres de toutes charges en cas de défaut de sa part.

 

8.         La débitrice hypothécaire s’engage envers la créancière hypothécaire à souscrire toutes les autres assurances requises relativement aux terrains.

 

[…]

 

10.       En tout temps pendant la période visée au paragraphe 3, la débitrice hypothécaire peut payer tout le solde du capital et les intérêts dus sans pénalité, et la créancière hypothécaire s’engage à libérer les terrains de toutes les charges les grevant.

 

[14]    Le document peut et doit être interprété de façon à ce qu’il ait un sens. L’appelante ne peut se fonder sur certaines phrases ou expressions qui étayent sa position actuelle à l’exclusion du reste du document. Le comptable de l’appelante a rédigé l’acte hypothécaire et l’appelante et son mari se sont fondés sur les modalités qui leur étaient avantageuses, en particulier en acceptant de Berkeley des avances de 553 688 $ libres d’impôt. C’est la première période de cinq ans allant du 26 août 1988 au 27 août 1993 qui pose quelques problèmes ou est quelque peu ambiguë et dont on ne peut que déduire le sens.

 

[15]   À la lecture de l’ensemble du document, je constate qu’il s’agit d’un contrat valide en vertu duquel l’appelante doit à Berkeley un capital de 553 688 $, soit le total des avances qui lui ont été faites. Il faut se demander si des intérêts se sont accumulés sur les sommes avancées de temps à autre entre le 26 août 1988 et le 27 août 1993. L’avocate de l’intimée a conclu dans ses observations[9] que cette question n’était pas importante. Or, j’estime que je dois l’examiner pour donner un sens au contrat.

 

[16]   Le taux d’intérêt de 9 p. 100 l’an n’est pas contesté. Si aucun intérêt n’était payable pendant la première période de cinq ans, M. Masuch, qui a rédigé l’acte hypothécaire pour le compte de l’appelante, aurait dû le dire et il l’aurait dit[10]. Les parties n’ont pas d’intérêts divergents. Berkeley était contrôlée par M. Browning, et l’idée était d’obtenir de Berkeley des avances de 553 688 $ libres d’impôt devant servir à la construction d’une résidence familiale. Aucun effort n’a été fait au cours des ans pour rembourser Berkeley, si ce n’est le transfert des actions de 316. Avant de parler des versements mensuels, l’acte hypothécaire prévoit, au premier paragraphe de l’article 3, que le capital avancé est la somme versée à la débitrice hypothécaire (l’appelante) et que le taux d’intérêt applicable est de 9 p. 100 l’an, calculé semestriellement et non à l’avance. Il faut interpréter cette stipulation comme si elle prévoyait que les intérêts courent à mesure que les avances sont faites. C’est ce que dicte le sens commun et c’est ce qui se passe habituellement en pratique. Il n’y a rien là de mystérieux ou de novateur. Quant au dernier paragraphe de l’article 3, il prévoit qu’aucun versement du capital ne sera fait pendant les cinq premières années. On peut donc en conclure que des intérêts s’accumulaient sur les avances de capital faites pendant cette période.

 

[17]   Tout le capital avait été avancé en date du 30 avril 1990, et les intérêts continuaient de courir à un taux de 9 p. 100, calculé semestriellement. Ces intérêts sont devenus payables le 27 août 1993, lorsque les versements mensuels du capital et des intérêts amortis sur une période de 25 ans devaient débuter. Lorsque la première demande formelle de paiement a été faite le 3 novembre 1993, un montant d’intérêts élevé était dû par l’appelante à Berkeley. Il m’est impossible de déterminer à combien s’élevaient ces intérêts puisque j’ignore à quelles dates les avances ont été faites. De toute façon, ce point n’ayant pas été soulevé par l’intimée, il n’est pas nécessaire de s’y attarder davantage. Mes conclusions concernant la première période de cinq ans n’ont aucune incidence sur l’appelante et sur la présente décision.

 

[18]   Le cas de la période commençant le 27 août 1993 est beaucoup plus facile à régler. Le dernier paragraphe de l’article 3 prévoit : [traduction] « Pendant les vingt‑cinq ans suivant cette période de cinq ans, les paiements seront suffisants pour payer en entier le capital et tous les intérêts calculés pendant la période. » Cette disposition indique clairement que le capital et les intérêts sont amortis sur 25 ans et que la durée de l’hypothèque est de 25 ans. Le paragraphe précédent de l’article 3 parle de versements mensuels. L’article 10 confirme l’obligation de payer en accordant à l’appelante la possibilité de rembourser le capital et les intérêts [traduction] « [e]n tout temps » sans pénalité. L’acte hypothécaire prévoyait donc que le capital portait intérêt à un taux de 9 p. 100, calculé semestriellement et non à l’avance, que le capital et les intérêts étaient payables mensuellement et que la période d’amortissement et la durée de l’hypothèque étaient toutes deux de 25 ans. Le capital et les intérêts dus devaient être payés à compter du 27 septembre 1993 et chaque mois par la suite pendant 25 ans, jusqu’au paiement intégral du capital et des intérêts. Un tableau d’amortissement devra être obtenu afin d’établir le montant de ces versements mensuels.

 

[19]    Si les parties ne s’entendent pas sur une méthode de calcul des versements mensuels, un tableau d’amortissement établi par ordinateur devra être utilisé. Ce tableau devra être établi en fonction d’un montant du capital de 553 688 $ et d’un taux d’intérêt de 9 p. 100 calculé semestriellement sur une période de 25 ans commençant le 27 août 1993, le premier versement mensuel étant payable le 27 septembre 1993. Le 3 novembre 1993, l’appelante devait à Berkeley les versements mensuels du 27 septembre et du 27 octobre 1993. De plus, la demande formelle de paiement du 3 novembre 1993 était valide pendant 90 jours et englobait les versements payables le 27 novembre 1993, le 27 décembre 1993 et le 27 janvier 1994. Le versement du 27 janvier 1994 était considérablement moindre à cause de la réduction du capital de 250 000 $ dont il sera question plus loin. L’appelante est tenue de payer au ministre, dans le délai indiqué à l’article 224 de la Loi modifié en 1994, tous les versements hypothécaires mensuels dus à Berkeley, conformément à la demande formelle de paiement du 3 novembre 1993 et aux six demandes formelles de paiement subséquentes.

 

[20]    Je traiterai maintenant de la question du transfert des actions de 316. Je crois que l’intimée fait valoir que, bien que l’appelante n’ait pas établi que ces actions valaient 500 000 $, elles valaient tout de même quelque chose et que ce montant était visé par la saisie‑arrêt du ministre du 3 novembre 1993, qui était en vigueur pendant 90 jours, y compris le 1er janvier 1994, date à laquelle l’appelante a transféré les actions de 316 à Berkeley. Tout cela est quelque peu nébuleux.

 

[21]    L’appelante fait valoir que la demande formelle de paiement dont il est question au paragraphe 224(1) ne vise pas des biens, ce qui comprend les actions. Je suis d’accord avec son avocat quand il dit :

 

[TRADUCTION] […] une saisie‑arrêt ne peut viser un transfert de biens, mais uniquement un paiement d’argent. Mon opinion repose sur le fait que, bien que le mot « paiement » soit employé au début du paragraphe 224(1), la disposition prévoit que, lorsque deux conditions de paiement sont remplies, le ministre peut exiger par écrit de la personne qu’elle paie sans délai « si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu’ils deviennent payables ». Le ministre peut exiger que les fonds qui seraient autrement payables au débiteur fiscal soient versés en totalité ou en partie au receveur général.

(Transcription, page 54, lignes 14 à 25)

 

[22]    Il me reste à régler la question de la valeur des actions de 316 le 1er janvier 1994. L’appelante a produit une preuve vague et générale à ce sujet. Les actions avaient probablement une certaine valeur. L’appelante a signalé la disposition dans sa déclaration de revenus de 1994, où elle a indiqué un gain taxable de 374 000 $ et réclamé l’exemption pour gains en capital de 500 000 $ en vigueur à l’époque.

 

[23]    Il incombait à l’appelante de prouver que les actions valaient bien 500 000 $ le 1er janvier 1994. Une évaluation de la valeur des restaurants Red Robin au 25 juillet 1993, effectuée par PriceWaterhouse, a été produite. Cette évaluation n’a pas été très utile. Le lien avec la valeur des actions de 316 le 1er janvier 1994 n’était pas établi clairement. M. Masuch a indiqué que les actions valaient au moins 500 000 $, sans toutefois présenter de preuve de leur valeur marchande. Il a seulement fait référence aux états financiers de Saybrook, en s’attardant en particulier aux bénéfices non répartis de 258 446 $ réalisés en 1992. Ces déclarations manquent de précision et ne sont pas très utiles. Saybrook a déposé ses dernières déclarations en 1992 et a été radiée des registres de la société en 1994.

 

[24]    Pour prouver que les actions valaient bien 500 000 $, l’appelante doit à tout le moins produire une évaluation détaillée effectuée par un évaluateur professionnel. Une telle évaluation aurait permis au ministre de bien évaluer la position de l’appelante et de rendre une décision en connaissance de cause, alors qu’il n’était pas possible de le faire au moyen des commentaires généralement vagues faits par l’appelante au sujet de la valeur des actions. L’appelante a essayé, par l’entremise de ses conseillers, de mettre en œuvre une planification fiscale audacieuse afin de réaliser des économies d’impôt et d’obtenir éventuellement d’autres avantages. Il fait accorder alors une grande attention aux mesures formelles appropriées : « En droit fiscal, la forme a de l’importance[11]. »

 

[25]    Les documents produits en preuve ne confirment pas que les actions avaient une valeur de 500 000 $. L’appelante ne s’est donc acquittée qu’en partie du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités qui lui incombait. Le degré de probabilité exigé pour se décharger du fardeau de la preuve en matière civile a été décrit par lord Denning dans Miller v. Minister of Pensions[12] :

 

[TRADUCTION] Ce degré est bien établi. Il suppose un degré raisonnable de probabilité mais pas un degré aussi élevé que celui qui est exigé en matière pénale. Si la preuve est telle qu’elle permet au tribunal de dire : « Nous estimons que cela est plus probable qu’improbable », la partie s’est déchargée du fardeau, alors qu’elle ne s’en est pas déchargée si les probabilités sont égales.

 

Ce degré n’a pas été atteint cependant, même si l’intimée reconnaît que les actions avaient une certaine valeur le 1er janvier 2004. J’ai de la difficulté à ne tenir aucun compte de ce fait. Je sais qu’il s’agit d’une solution facile, mais j’attribue une valeur de 250 000 $ aux actions. Cette valeur doit être créditée à l’appelante et être considérée comme un remboursement partiel du capital hypothécaire fait par l’appelante le 1er janvier 1994. La preuve de MM. Browning et Masuch, les états financiers de Saybrook et l’évaluation des restaurants Red Robin sont suffisants pour que je puisse conclure qu’une valeur de 250 000 $ est raisonnable. Le raisonnement suivi par le juge Walsh dans Succession Bibby c. La Reine[13] m’a aidé à tirer cette conclusion :

 

            Bien qu’il ait été souvent jugé qu’un tribunal ne devait pas, après avoir étudié tous les témoignages d’expert et autres preuves, se contenter d’adopter un chiffre qui soit un compromis entre les chiffres proposés par les parties au procès, il a aussi été dit que le tribunal pouvait, lorsqu’il ne jugeait pas la preuve d’un expert totalement satisfaisante ou concluante et les ventes comparables particulièrement valables, se faire sa propre opinion sur l’évaluation à condition que toute la preuve contradictoire soit toujours étudiée de façon soigneuse. Le chiffre auquel le tribunal parvient ne doit pas nécessairement être celui qu’a suggéré l’expert ni celui que les parties souhaitent voir adopter.

 

Conclusion

 

[26]    L’appelante ne s’est pas conformée aux demandes qui lui ont été présentées en application du paragraphe 224(1), et elle est tenue, conformément au paragraphe 224(4), de payer les montants suivants au ministre, le montant du capital remboursé le 1er janvier 1994 ayant été fixé à 250 000 $ : les versements mensuels payables le 27 septembre 1993, le 27 octobre 1993, le 27 novembre 1993 et le 27 décembre 1993 au titre de l’hypothèque de 553 688 $ consentie à Berkeley; les versements sur le capital réduit d’environ 303 000 $ payables le 27e jour de chaque mois conformément à la demande formelle de paiement, à compter du 27 janvier 1994. Ayant été informé par l’avocat de l’appelante au début de l’audience que l’intimée avait retiré sa réclamation d’intérêts et l’avocate de l’intimée ayant confirmé ce fait, je ne rends aucune ordonnance relativement aux intérêts réclamés à l’article 13 de la réponse à l’avis d’appel. Aucune des parties n’ayant eu totalement gain de cause, aucuns dépens ne sont accordés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 2004.

 

 

 

« C. H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

 


RÉFÉRENCE :

2004CCI414

 

NUMÉRO DU DOSSIER

DE LA COUR :

 

2001-2170(IT)G

 

INTITULÉ :

Debra Browning et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 février 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge C. H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :

 

Le 3 septembre 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me David A. G. Birnie

 

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Me David A. G. Birnie

 

Cabinet :

Birnie & Company

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Il s’est occupé de la comptabilité de toutes les sociétés et parties concernées jusqu’à la fin de 1994.

[2]           En réalité, elle a dit n’avoir absolument rien su de cette opération.

[3]           Elle était propriétaire de toutes les actions émises de 316.

[4]           Cette disposition a été modifiée en 1994 afin de faire passer le délai de 90 jour à un an, mais cette modification n’a aucune incidence pratique sur le présent appel.

[5]           2000 DTC 6678.

[6]           76 DTC 6239.

[7]           [1948] 3 DTC 1182 (C.S.C.).

[8]           Pièce R-1, onglet 20.

[9]           Page 40 de la transcription.

[10]          Des intérêts simples de 9 p. 100 sur une somme de 553 688 $ représentent environ 250 000 $.

[11]          Sa Majesté la Reine c. A. D. Friedberg, A‑65‑89, les juges Mahoney, Stone et Linden, p. 3 (C.A.F.).

[12]          [1947] 2 All E.R. 372, p. 374.

[13]          T‑3587‑82, le juge Walsh, p. 19 (C.F. 1re inst.).

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