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Dossier : 2003-4137(EI)

ENTRE :

1022239 ONTARIO INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à North Bay (Ontario), le 7 juillet 2004.

Devant : L'honorable J.M. Woods

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Gregory J. DuCharme

Avocat de l'intimé :

Me Michael Ezri

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel d'une décision rendue par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, selon laquelle John Swift exerçait un emploi assurable pendant qu'il travaillait pour l'appelante, du 20 janvier au 11 mai 2002, est rejeté et la décision du ministre est confirmée.


Signé à Toronto (Ontario), ce 9e jour de septembre 2004.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Dossier : 2003-4138(CPP)

ENTRE :

1022239 ONTARIO INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à North Bay (Ontario), le 7 juillet 2004.

Devant : L'honorable J.M. Woods

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Gregory J. DuCharme

Avocat de l'intimé :

Me Michael Ezri

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel d'une décision rendue par le ministre du Revenu national en vertu du Régime de pensions du Canada, selon laquelle John Swift exerçait un emploi ouvrant droit à pension pendant qu'il travaillait pour l'appelante, du 20 janvier au 11 mai 2002, est accueilli et la décision du ministre est annulée.


Signé à Toronto (Ontario), ce 9e jour de septembre 2004.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI615

Date : 20040909

Dossiers : 2003-4137(EI)

2003-4138(CPP)

ENTRE :

1022239 ONTARIO INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

[1]      Il s'agit d'appels interjetés par 1022239 Ontario Ltd. à l'encontre de décisions du ministre du Revenu national, selon lesquelles John Swift exerçait auprès de la personne morale, en tant que chauffeur de taxi, un emploi assurable ouvrant droit à pension pendant la période allant du 20 janvier au 11 mai 2002.

[2]      Il faut trancher deux questions :

a)      M. Swift exerçait-il un emploi auprès de 1022239 Ontario Ltd., selon le sens attribué à ce terme en common law? La réponse sera déterminante lorsqu'il s'agira de décider si M. Swift exerçait un emploi ouvrant droit à pension pour l'application du Régime de pensions du Canada, mais pas nécessairement en ce qui concerne la question de l'emploi assurable pour l'application de la Loi sur l'assurance-emploi.

b)     M. Swift exerçait-il un emploi assurable pour l'application de la Loi sur l'assurance-emploi selon le critère étendu énoncé à l'alinéa 6e) du Règlement ?

[3]      L'entreprise 1022239 Ontario exploite un service de taxi à Sault Ste. Marie (Ontario); elle possède à cette fin plus de 30 véhicules. Le directeur général, Hugh Irwin, a témoigné pour le compte de la personne morale. M. Irwin semblait avoir une bonne connaissance générale des faits et de l'historique de l'affaire; le propriétaire de la personne morale en savait probablement encore plus, mais il est malheureusement décédé peu de temps avant l'audience.

[4]      M. Swift a témoigné au nom de la Couronne. Il était un témoin crédible, mais il avait une connaissance restreinte des pratiques et procédures générales de la personne morale parce qu'il avait uniquement conduit un taxi pour 1022239 Ontario pendant une période de cinq mois, lorsqu'il était au chômage; il était débardeur de profession.

[5]      Deux personnes morales liées aidaient à l'exploitation du service de taxi de 1022239 Ontario. Une personne morale assurait le service de radio-taxis et possédait tous les actifs utilisés dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise, y compris les véhicules qu'elle louait à 1022239 Ontario pour une somme fixe, alors que l'autre personne morale employait les mécaniciens qui s'occupaient de l'entretien des véhicules.

[6]      L'entreprise 1022239 Ontario concluait avec les chauffeurs des ententes verbales et considérait ceux-ci comme des entrepreneurs indépendants, sauf pour les besoins de l'assurance-emploi; en effet, elle reconnaissait alors que les chauffeurs exerçaient un emploi assurable selon le critère étendu énoncé à l'alinéa 6e) du Règlement. Aux fins qui nous occupent, toutefois, la personne morale a contesté l'applicabilité du Règlement.

L'emploi en common law

[7]      Il n'y a pas de critère précis permettant de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant; chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres. Les principes généraux à appliquer sont énoncés par le juge Major dans l'arrêt qui fait autorité, Sagaz Industries Canada Inc. c. 671122 Ontario Limited, [2001] 2 R.C.S. 983 :

[47]       [...] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

[48]      Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[8]      En ce qui concerne la question de savoir si M. Swift était un employé en common law, il s'agit essentiellement de déterminer s'il exploitait une entreprise à son compte. La Couronne a déclaré qu'afin de pouvoir conclure que M. Swift exploitait une entreprise à son compte, il faudrait décider qu'il exploitait un service de taxi. Il a été soutenu que cette décision dépendrait largement de la question de savoir si les passagers étaient des clients de M. Swift ou de 1022239 Ontario. L'avocat a soutenu que l'activité qui consiste à conduire ne pouvait pas constituer une entreprise parce qu'il s'agissait simplement d'une compétence et non d'une entreprise. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, une personne peut exploiter une entreprise à son compte, et ce, même si l'entreprise consiste uniquement à conduire un taxi. Ce sont les facteurs habituels tels que le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte qui sont pertinents dans cette décision. En l'espèce, M. Swift pouvait exploiter son propre service de taxi, 1022239 Ontario étant en fait son seul client.

[9]      Eu égard aux faits de cette affaire particulière, le facteur du contrôle est à mon avis la considération la plus importante; je suis d'accord avec 1022239 Ontario pour dire que ce facteur milite fortement en faveur d'un travail indépendant. Les chauffeurs qui travaillaient pour 1022239 Ontario, y compris M. Swift, pouvaient à leur guise déterminer à quels moments ils travaillaient, sous réserve uniquement des contraintes juridiques, qui imposaient une limite quotidienne de 12 heures. La personne morale fournissait une feuille d'inscription que les chauffeurs pouvaient signer à l'avance, mais les chauffeurs n'avaient pas à donner de préavis. La feuille d'inscription était organisée par postes, mais les chauffeurs n'étaient pas tenus d'effectuer un poste complet. M. Swift travaillait un poste de nuit régulier, mais il a admis qu'il avait lui-même choisi ce poste. Il a également témoigné qu'il n'aurait pas quitté le travail avant la fin de son poste ou qu'il n'aurait pas pris une pause pendant qu'il conduisait sans s'assurer auprès du répartiteur qu'un autre chauffeur était disponible. Toutefois, il a admis qu'il s'agissait en fin de compte de sa propre décision; son sens des responsabilités l'amenait à veiller à ce que le public soit bien servi.

[10]     Quant à la conduite du taxi elle-même, la personne morale n'exerçait presque aucun contrôle, sauf pour assurer le respect des lois applicables. Les pratiques d'embauchage de la personne morale confirmaient également la chose. M. Irwin a témoigné qu'il embauchait généralement quiconque avait un dossier de conduite vierge, de sorte qu'il n'essayait pas nécessairement d'embaucher les chauffeurs les plus qualifiés. La formation assurée aux nouveaux chauffeurs se limitait à la façon d'utiliser le compteur et la radio. Les courses étaient assignées aux chauffeurs par les répartiteurs sur une base prioritaire en fonction du temps pendant lequel un chauffeur avait attendu à un endroit particulier, mais les chauffeurs pouvaient refuser des passagers à leur guise. En outre, on ne disait pas aux chauffeurs où conduire et on les encourageait à trouver leurs propres clients.

[11]     D'autres facteurs montrent également qu'un faible contrôle était exercé sur les chauffeurs. On ne supervisait pas les chauffeurs, qui pouvaient donc s'occuper à leur guise d'affaires personnelles pendant qu'ils effectuaient leur poste. La personne morale tenait également les chauffeurs responsables des pertes subies par leur faute; ainsi, les chauffeurs étaient généralement responsables des vols et des dommages causés à des véhicules non assurés. M. Swift a témoigné ne pas se rappeler que quelqu'un l'ait informé qu'il était responsable des dommages en cas d'accident, mais il a admis qu'il croyait être peut-être responsable si la police portait des accusations contre lui pour avoir causé un accident. Il ressort clairement du témoignage de M. Irwin qu'il s'agissait d'une politique de la personne morale et que cette dernière avait l'habitude de se faire indemniser des dommages causés par les chauffeurs. Si la relation est considérée dans son ensemble, il est clair que fort peu de contrôle était exercé sur les chauffeurs.

[12]     Quant aux autres facteurs mentionnés dans l'arrêt Sagaz Industries, précité, les chances de bénéfice, les risques de perte et la propriété des instruments de travail, je conclus que ces facteurs ne sont pas importants en l'espèce et qu'ils sont de toute façon neutres et n'indiquent ni un emploi ni un travail indépendant. M. Swift avait la possibilité de réaliser des bénéfices puisqu'il recevait 30 p. 100 du prix des courses, mais les deux avocats ont soutenu qu'il ne s'agissait pas d'un facteur important, et ce, probablement parce qu'il arrive souvent qu'une commission soit touchée dans les deux types de relations. Quant aux risques de perte, il est clair que M. Swift assumait une partie des risques de perte; il s'agit encore une fois d'un facteur neutre parce que les employés assument souvent certains risques de perte, en particulier si l'argent passe entre leurs mains. Enfin en ce qui concerne la propriété des instruments de travail, ce facteur n'est pas important parce que les instruments de travail employés par un chauffeur ne sont pas nombreux. M. Swift achetait ses propres cartes, sa planchette à pince et un stylo. À mon avis, il importe peu que M. Swift n'ait pas été propriétaire du véhicule parce qu'il travaillait comme chauffeur seulement.

[13]     Pour ces motifs, je conclus que M. Swift n'était pas un employé de 1022239 Ontario en common law. Cela suffit pour accueillir l'appel en ce qui concerne l'emploi ouvrant droit à pension, mais cela n'est pas déterminant en ce qui concerne l'appel interjeté en matière d'assurance-emploi.

Emploi assurable en vertu de l'alinéa 6e) du Règlement

[14]     L'alinéa 6e) du Règlement sur l'assurance-emploi est rédigé comme suit :

6. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

            [...]

e) l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi, d'autobus commercial, d'autobus scolaire ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou publique pour le transport de passagers, si cette personne n'est pas le propriétaire de plus de 50 pour cent du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou l'exploitant de l'entreprise publique;

[15]     La personne morale 1022239 Ontario affirme que le Règlement ne s'applique pas parce que M. Swift n'est pas propriétaire de l'entreprise et ne l'exploite pas. Elle affirme que cette position est étayée par l'arrêt Yellow Cab Company Ltd. v. M.N.R., 2002 CAF 294 (C.A.F.).

[16]     Dans l'argumentation, l'avocat de 1022239 Ontario a admis que les faits de l'affaire Yellow Cab étaient plus forts parce que Yellow Cab ne partageait pas les recettes avec les chauffeurs. À mon avis, cette différence suffit pour qu'il soit possible de faire une distinction avec l'arrêt Yellow Cab. L'alinéa 6e) du Règlement vise clairement à accorder aux chauffeurs de taxi les avantages qu'offre l'assurance-emploi, à moins qu'ils n'agissent à titre de « propriétaires » . À mon avis, M. Swift était simplement un chauffeur et il n'exploitait pas de service de taxi.

[17]     Dans son témoignage, M. Irwin a déclaré que la relation était fondée sur un contrat de location, mais l'avocat n'a pas soumis d'argument juridique à l'appui. À mon avis, la relation qui existait était beaucoup plus qu'une simple relation locateur-locataire. La personne morale touchait 70 p. 100 du prix des courses; elle assurait l'entretien des véhicules; elle payait l'essence; elle faisait de la publicité sous le nom de 7500 Taxi et elle concluait des ententes avec de grosses entreprises qui représentaient environ 40 p. 100 de son chiffre d'affaires. M. Irwin a admis que ce chiffre de 40 p. 100 attribuable à des comptes d'entreprise se rapportait à des clients de la personne morale plutôt qu'à des clients des chauffeurs. M. Irwin a soutenu que les autres clients étaient les clients du chauffeur, mais aucune explication n'a été donnée au sujet de la raison pour laquelle il en serait ainsi. Selon moi, lorsqu'un client appelle un service de taxi pour qu'on aille le chercher, un arrangement contractuel quelconque est conclu avec ce service.

[18]     À mon avis, la décision rendue dans l'affaire Yellow Cab ne devrait pas s'appliquer aux faits de la présente affaire, puisque le rôle de M. Swift était simplement celui de chauffeur. En appliquant l'arrêt Yellow Cab, on priverait M. Swift des prestations d'emploi prévues par la loi.

[19]     Pour ces motifs, l'appel interjeté en vertu du Régime de pensions du Canada est accueilli et l'appel interjeté en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté. Aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens.

Signé à Toronto (Ontario), le 9e jour de septembre 2004.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


RÉFÉRENCE :

2004CCI615

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2003-4137(EI) et 2003-4138(CPP)

INTITULÉ :

1022239 Ontario Inc. c. M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

North Bay (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 7 juillet 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable J.M. Woods

DATE DU JUGEMENT :

le 9 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Gregory J. DuCharme

Avocat de l'intimé :

Me Michael Ezri

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Gregory J. DuCharme

Cabinet :

Wallace Klein Partners in Law, s.r.l.

North Bay (Ontario)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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